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Fables de Florian (1838)/5/La Tourterelle et la Fauvette

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LA TOURTERELLE ET LA FAUVETTE.

FABLE XIII.

LA TOURTERELLE ET LA FAUVETTE.


U

ne fauvette, jeune et belle,

S’amusait à chanter tant que
durait le jour ;
Sa voisine la tourterelle
Ne voulait, ne savait rien faire que l’amour.
Je plains bien votre erreur, dit-elle à la fauvette ;
Vous perdez vos plus beaux moments :
Il n’est qu’un seul plaisir, c’est d’avoir des amants.
Dites-moi, s’il vous plaît, quelle est la chansonnette
Qui peut valoir un doux baiser ?
Je me garderais bien d’oser
Les comparer, répondit la chanteuse :
Mais je ne suis point malheureuse,
J’ai mis mon bonheur dans mes chants.

À ce discours la tourterelle,
En se moquant, s’éloigna d’elle.
Sans se revoir elles furent dix ans.
Après ce long espace, un beau jour de printemps,
Dans la même forêt elles se rencontrèrent.
L’âge avait bien un peu dérangé leurs attraits ;
Longtemps elles se regardèrent
Avant que de pouvoir se remettre leurs traits.
Enfin la fauvette polie
S’avance la première : Eh ! bonjour, mon amie.
Comment vous portez-vous ? comment vont les amants ?
— Ah ! ne m’en parlez pas, ma chère,
J’ai tout perdu, plaisirs, amis, beaux ans :
Tout a passé comme une ombre légère.
J’ai cru que le bonheur était d’aimer, de plaire…
Ô souvenir cruel ! ô regrets superflus !
J’aime encore, on ne m’aime plus.
J’ai moins perdu que vous, répondit la chanteuse :
Cependant je suis vieille et je n’ai plus de voix ;
Mais j’aime la musique, et suis encore heureuse
Lorsque le rossignol fait retentir ces bois.
La beauté, ce présent céleste,
Ne peut, sans les talents, échapper à l’ennui ;
La beauté passe, un talent reste :
On en jouit même en autrui.