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Fables de Florian (1838)/5/Le Berger et le Rossignol

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LE BERGER ET LE ROSSIGNOL.

LIVRE CINQUIÈME

FABLE I.
LE BERGER ET LE ROSSIGNOL
À M. L’ABBÉ DELILLE,


Ô

toi ! dont la touchante et sublime

harmonie
Charme toujours l’oreille en
attachant le cœur,
 toi ! dont la touchante et sublimeDigne rival, souvent vainqueur,
Du chantre fameux d’Ausonie,
Delille, ne crains rien ; sur mes légers pipeaux
Je ne viens point ici célébrer tes travaux,
Ni dans de faibles vers parler de poésie.
Je sais que l’immortalité,

Qui t’est déjà promise au temple de Mémoire,
T’est moins chère que ta gaîté ;
Je sais que, méritant tes succès sans y croire,
Content par caractère et non par vanité,
Tu te fais pardonner ta gloire
À force d’amabilité :
C’est ton secret, aussi je finis ce prologue ;
Mais du moins lis mon apologue ;
Et si quelque envieux, quelque esprit de travers,
Outrageant un jour tes beaux vers,
Te donne assez d’humeur pour t’empêcher d’écrire,
Je te demande alors de vouloir le relire.

Bans une belle nuit du charmant mois de mai,
Un berger contemplait, du haut d’une colline,
La lune promenant sa lumière argentine
Au milieu d’un ciel pur d’étoiles parsemé,
Le tilleul odorant, le lilas, l’aubépine,
Au gré du doux zéphyr balançant leurs rameaux,
Et les ruisseaux dans les prairies
Brisant sur des rives fleuries
Le cristal de leurs claires eaux.
Un rossignol, dans le bocage,
Mêlait ses doux accents à ce calme enchanteur :
L’écho les répétait, et notre heureux pasteur,
Transporté de plaisir, écoutait son ramage.
Mais tout à coup l’oiseau finit ses tendres sons.
En vain le berger le supplie

De continuer ses chansons.
Non, dit le rossignol, c’en est fait pour la vie ;
Je ne troublerai plus ces paisibles forêts.
N’entends-tu pas dans ce marais
Mille grenouilles coassantes
Qui, par des cris affreux, insultent à mes chants ?
Je cède, et reconnais que mes faibles accents
Ne peuvent l’emporter sur leurs voix glapissantes.
Ami, dit le berger, tu vas combler leurs vœux ;
Te taire est le moyen qu’on les écoute mieux :
Je ne les entends plus aussitôt que tu chantes.