Fables de Florian (1838)/5/Le Petit Chien

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LE PETIT CHIEN.

FABLE XXII.

LE PETIT CHIEN.


L

a vanité nous rend aussi dupes

que sots.
Je me souviens, à ce propos,
a vanité nous rend aussi dupesQu’au temps jadis, après une sanglante guerre
Où, malgré les plus beaux exploits,
Maint lion fut couché par terre,
L’éléphant régna dans les bois.
Le vainqueur, politique habile,
Voulant prévenir désormais
Jusqu’au moindre sujet de discorde civile,
De ses vastes États exila pour jamais
La race des lions, son ancienne ennemie.
L’édit fut proclamé. Les lions, affaiblis,
Se soumettant au sort qui les avait trahis,
Abandonnent tous leur patrie.
Ils ne se plaignent pas, ils gardent dans leur cœur

Et leur courage et leur douleur.
Un bon vieux petit chien, de la charmante espèce
De ceux qui vont portant jusqu’au milieu du dos
Une toison tombante à flots,
Exhalait ainsi sa tristesse :
Il faut donc vous quitter, ô pénates chéris !
Un barbare, à l’âge où je suis,
M’oblige à renoncer aux lieux qui m’ont vu naître.
Sans appui, sans secours, dans un pays nouveau,
Je vais, les yeux en pleurs, demander un tombeau
Qu’on me refusera peut-être.
Ô tyran, tu le veux ! allons, il faut partir.
Un barbet l’entendit ; touché de sa misère :
Quel motif, lui dit-il, peut t’obliger à fuir ?
— Ce qui m’y force ? ô ciel ! Et cet édit sévère
Qui nous chasse à jamais de cet heureux canton ?…
— Nous ? — Non pas vous, mais moi. — Comment ! toi.
mon cher frère ?
Qu’as-tu donc de commun ?… — Plaisante question !
Eh ! ne suis-je pas un lion[1] ?

  1. La petite espèce de chiens dont on veut parler porte le nom de chiens-lions.