Fables de La Fontaine (éd. 1874)/L’Araignée et l’Hirondelle

La bibliothèque libre.

VII

L’ARAIGNÉE ET L’HIRONDELLE

Ô Jupiter, qui sus de ton cerveau,
Par un secret d’accouchement nouveau,
Tirer Pallas, jadis mon ennemie,
Entends ma plainte un fois en ta vie !
Progné[1] me vient enlever les morceaux ;
Caracolant, frisant l’air et les eaux,
Elle me prend mes mouches à ma porte :
Miennes je puis les dire ; et mon réseau
En serait plein sans ce maudit oiseau :
Je l’ai tissu de matière assez forte.
Ainsi, d’un discours insolent,
Se plaignait l’araignée autrefois tapissière,
Et qui lors étant filandière
Prétendait enlacer tout insecte volant.
La sœur de Philomèle, attentive à sa proie,

Malgré le bestion happait mouches dans l’air,
Pour ses petits, pour elle, impitoyable joie,
Que ses enfants gloutons, d’un bec toujours ouvert,
D’un ton demi-formé, bégayante couvée,
Demandaient par des cris encor mal entendus.
La pauvre aragne n’ayant plus
Que la tête et les pieds, artisans superflus,
Se vit elle-même enlevée :
L’hirondelle, en passant, emporta toile, et tout,
Et l’animal pendant au bout.

Jupin pour chaque état mit deux tables au monde :
L’adroit, le vigilant, et le fort, sont assis
À la première ; et les petits
Mangent leur reste à la seconde.

  1. L’hirondelle.