Fables de La Fontaine (éd. 1874)/Le Cierge

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XII

LE CIERGE

C’est du séjour des dieux que les abeilles viennent.
Les premières, dit-on, s’en allèrent loger
Au mont Hymette[1], et se gorger
Des trésors qu’en ce lieu les zéphyrs entretiennent.
Quand on eut des palais de ces filles du ciel
Enlevé l’ambroisie en leurs chambres enclose,
Ou pour dire en français la chose,
Après que les ruches sans miel
N’eurent plus que la cire, on fit mainte bougie ;
Maint cierge aussi fut façonné.
Un d’eux voyant la terre en brique au feu durcie
Vaincre l’effort des ans, il eut la même envie ;
Et, nouvel Empédocle[2] aux flammes condamné
Par sa propre et pure folie,
Il se lança dedans. Ce fut mal raisonné :
Ce cierge ne savait grain de philosophie.

Tout en tout est divers : ôtez-vous de l’esprit

Qu’aucun être ait été composé sur le vôtre.
L’Empédocle de cire au brasier se fondit :
Il n’était pas plus fou que l’autre.



  1. Hymette était une montagne célébrée par les poètes, située dans l’Attique, et où les Grecs recueillaient d’excellent miel. (Note de la Fontaine.)
  2. Empédocle était un philosophe ancien, qui, ne pouvant comprendre les merveilles du mont Etna, se jeta dedans par une vanité ridicule, et, trouvant l’action belle, de peur d’en perdre le fruit, et que la postérité ne l’ignorât, laissa ses pantoufles au pied du mont. (Note de la Fontaine.)