Fables de La Fontaine (éd. 1874)/Le Villageois et le Serpent

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XIII

LE VILLAGEOIS ET LE SERPENT

Ésope conte qu’un manant,
Charitable autant que peu sage,
Un jour d’hiver se promenant
À l’entour de son héritage,
Aperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,
N’ayant pas à vivre un quart d’heure.
Le villageois le prend, l’emporte en sa demeure ;
Et sans considérer quel sera le loyer[1]

Le Lion et le Renard.

D’une action de ce mérite,
Il l’étend le long du foyer,
Le réchauffe, le ressuscite.
L’animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l’âme lui revient avecque la colère.
Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt ;
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur, et son père.
Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire !
Tu mourras ! À ces mots, plein d’un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête ;
Il fait trois serpents de deux coups,
Un tronçon, la queue et la tête.
L’insecte, sautillant, cherche à se réunir ;
Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d’être charitable :
Mais envers qui ? c’est là le point.
Quant aux ingrats, il n’en est point
Qui ne meure enfin misérable.



  1. La récompense.