Fables de La Fontaine (éd. 1874)/Les Frelons et les Mouches à miel

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XXI

LES FRELONS ET LES MOUCHES À MIEL

À l’œuvre on connaît l’artisan.

Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent
Des frelons les réclamèrent ;
Des abeilles s’opposant,
Devant certaine guêpe on traduisit la cause.
Il était malaisé de décider la chose :
Les témoins déposaient qu’autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,
Avaient longtemps paru. Mais quoi ! dans les frelons
Ces enseignes étaient pareilles.
La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et, pour plus de lumière,

Entendit une fourmilière.
Le point n’en put être éclairci.
De grâce, à quoi bon tout ceci ?
Dit une abeille fort prudente.
Depuis tantôt six mois que l’affaire est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.
Il est temps désormais que le juge se hâte :
N’a-t-il point assez léché l’ours[1] ?
Sans tant de contredits, et d’interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les frelons et nous :
On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties.
Le refus des frelons fit voir
Que cet art passait leur savoir ;
Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties.

Plût à Dieu qu’on réglât ainsi tous les procès !
Que des Turcs en cela l’on suivît la méthode !
Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code.
Il ne faudrait point tant de frais :
Au lieu qu’on nous mange, on nous gruge ;
On nous mine par des longueurs :
On fait tant, à la fin, que l’huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs.

  1. Expression proverbiale, fondée sur un préjugé populaire qui attribuait à l’ours l’habitude de lécher ses petits pour perfectionner leurs formes extérieures.