Fables de La Fontaine (éd. 1874)/Tribut envoyé par les Animaux à Alexandre

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XII

TRIBUT ENVOYÉ PAR LES ANIMAUX À ALEXANDRE

Une fable avait cours parmi l’antiquité ;
Et la raison ne m’en est pas connue.
Que le lecteur en tire une moralité ;
Voici la fable toute nue.

La renommée ayant dit en cent lieux
Qu’un fils de Jupiter, un certain Alexandre,
Ne voulant rien laisser de libre sous les cieux,
Commandait que, sans plus attendre,
Tout peuple à ses pieds s’allât rendre,
Quadrupèdes, humains, éléphants, vermisseaux,
Les républiques des oiseaux ;
La déesse aux cent bouches, dis-je,
Ayant mis partout la terreur
Et publiant l’édit du nouvel empereur,
Les animaux, et toute espèce lige[1]
De son seul appétit crurent que cette fois
Il fallait subir d’autres lois.
On s’assemble au désert : tous quittent leur tanière.
Après divers avis, on résout, on conclut
D’envoyer hommage et tribut.
Pour l’hommage et pour la manière,
Le singe en fut chargé : on lui mit par écrit

Ce que l’on voulait qui fût dit.
Le seul tribut les tint en peine :
Car que donner ? il fallait de l’argent.
On en prit d’un prince obligeant,
Qui, possédant dans son domaine
Des mines d’or, fournit ce qu’on voulut.
Comme il fut question de porter ce tribut,
Le mulet et l’âne s’offrirent,
Assistés du cheval ainsi que du chameau.
Tous quatre en chemin ils se mirent
Avec le singe, ambassadeur nouveau.
La caravane enfin rencontre en un passage
Monseigneur le lion : cela ne leur plut point.
Nous nous rencontrons tout à point,
Dit-il ; et nous voici compagnons de voyage.
J’allais offrir mon fait à part ;
Mais, bien qu’il soit léger, tout fardeau m’embarrasse.
Obligez-moi de me faire la grâce
Que d’en porter chacun un quart :
Ce ne vous sera pas une charge trop grande,
Et j’en serai plus libre et bien plus en état
En cas que les voleurs attaquent notre bande,
Et que l’on en vienne au combat.
Éconduire un lion rarement se pratique.
Le voilà donc admis, soulagé, bien reçu,
Et, malgré le héros de Jupiter issu,
Faisant chère et vivant sur la bourse publique.
Ils arrivèrent dans un pré
Tout bordé de ruisseaux, de fleurs tout diapré,
Où maint mouton cherchait sa vie ;
Séjour du frais, véritable patrie
Des zéphyrs. Le lion n’y fut pas qu’à ces gens
Il se plaignit d’être malade.

Continuez votre ambassade,
Dit-il ; je sens un feu qui me brûle au-dedans,
Et veux chercher ici quelque herbe salutaire.
Pour vous, ne perdez point de temps :
Rendez-moi mon argent ; j’en puis avoir affaire.
On déballe, et d’abord le lion s’écria,
D’un ton qui témoignait sa joie :
Que de filles, ô dieux, mes pièces de monnaie
Ont produites ! Voyez : la plupart sont déjà
Aussi grandes que leurs mères.
Le croît[2] m’en appartient. Il prit tout là-dessus ;
Ou bien, s’il ne prit tout, il n’en demeura guères.
Le singe et les sommiers[3] confus,
Sans oser répliquer, en chemin se remirent.
Au fils de Jupiter on dit qu’ils se plaignirent,
Et n’en eurent point de raison.

Qu’eût-il fait ? C’eût été lion contre lion ;
Et le proverbe dit : Corsaires à corsaires,
L’un l’autre s’attaquant, ne font pas leurs affaires.



  1. Sujette, dépendante.
  2. L’accroissement, le produit.
  3. Les bêtes de somme.

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