Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/Les Grenouilles qui demandent un Roi

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IV.

Les Grenoüilles qui demandent un Roy.




LEs Grenoüilles ſe laſſant
De l’eſtat Democratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les ſoûmit au pouvoir Monarchique.
Il leur tomba du Ciel un Roy tout pacifique :

Ce Roy fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuſe,
Gent fort ſotte & fort peureuſe,
S’alla cacher ſous les eaux,
Dans les joncs, dans les roſeaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oſer de long-temps regarder au viſage
Celuy qu’elles croyoient eſtre un geant nouveau ;
Or c’eſtoit un ſoliveau,
De qui la gravité fit peur à la premiere,
Qui de le voir s’avanturant
Oſa bien quitter ſa taniere.
Elle approcha, mais en tremblant.
Une autre la ſuivit, une autre en fit autant,
Il en vint une fourmilliere ;

Et leur troupe à la fin ſe rendit familiere
Juſqu’à ſauter ſur l’épaule du Roy.
Le bon Sire le ſouffre, & ſe tient toûjours coy.
Jupin en a bien-toſt la cervelle rompuë.
Donnez-nous, dit ce peuple, un Roy qui ſe remuë.
Le Monarque des Dieux leur envoye une Gruë,
Qui les croque, qui les tuë,
Qui les gobe à ſon plaiſir ;
Et Grenoüilles de ſe plaindre ;
Et Jupin de leur dire : Et quoy ! voſtre deſir
A ſes loix croit-il nous aſtraindre ?
Vous avez dû premierement
Garder voſtre Gouvernement ;
Mais ne l’ayant pas fait, il vous devoit ſuffire

Que voſtre premier Roy fuſt debonnaire & doux :
De celuy-cy contentez-vous,
De peur d’en rencontrer un pire.