Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/2/L’Alouette et ses petits, avec le Maître d’un champ

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XXII.

L’Aloüette & ſes petits, avec le Maiſtre d’un champ.




NE t’attens qu’à toy ſeul, c’eſt un commun Proverbe.
Voicy comme Eſope le mit
En credit.

Les Aloüettes font leur nid

Dans les bleds quand ils ſont en herbe :
C’eſt-à-dire environ le temps
Que tout aime, & que tout pullule dans le monde ;
Monſtres marins au fond de l’onde,
Tigres dans les Foreſts, Aloüettes aux champs.
Une pourtant de ces dernieres
Avoit laiſſé paſſer la moitié d’un Printemps
Sans gouſter le plaiſir des amours printanieres.
A toute force enfin elle ſe reſolut
D’imiter la Nature, & d’eſtre mere encore.
Elle bâtit un nid, pond, couve, & fait éclore
A la haſte ; le tout alla du mieux qu’il put.

Les bleds d’alentour mûrs, avant que la nitée
Se trouvaſt aſſez forte encor
Pour voler & prendre l’eſſor,
De mille ſoins divers l’Aloüette agitée
S’en va chercher pâture, avertit ſes enfans
D’eſtre toujours au guet & faire ſentinelle.
Si le poſſeſſeur de ces champs
Vient avecque ſon fils (comme il viendra) dit-elle,
Ecoutez bien ; ſelon ce qu’il dira,
Chacun de nous décampera.
Si-toſt que l’Aloüette eut quitté ſa famille,
Le poſſeſſeur du champ vient avecque ſon fils.
Ces bleds ſont mûrs, dit-il, allez chez nos amis
Les prier que chacun apportant ſa faucille,

Nous vienne aider demain dés la pointe du jour.
Noſtre Aloüette de retour
Trouve en alarme ſa couvée.
L’un commence. Il a dit que l’Aurore levée,
L’on fiſt venir demain ſes amis pour l’aider.
S’il n’a dit que cela, repartit l’Aloüette,
Rien ne nous preſſe encor de changer de retraite :
Mais c’eſt demain qu’il faut tout de bon écouter.
Cependant ſoyez gais, voilà dequoy manger.
Eux repus, tout s’endort ; les petits & la mere.
L’aube du jour arrive ; & d’amis point du tout.

L’Aloüette à l’eſſor, le Maiſtre s’en vient faire
Sa ronde ainſi qu’à l’ordinaire.
Ces bleds ne devroient pas, dit-il, eſtre debout.
Nos amis ont grand tort, & tort qui ſe repoſe
Sur de tels pareſſeux à ſervir ainſi lents.
Mon fils, allez chez nos parens
Les prier de la meſme choſe.
L’épouvante eſt au nid plus forte que jamais.
Il a dit ſes parens, mere, c’eſt à cette heure….
Non, mes enfans, dormez en paix ;
Ne bougeons de nôtre demeure.
L’Aloüette eut raiſon, car perſonne ne vint.
Pour la troiſiéme fois le Maiſtre ſe ſouvint

De viſiter ſes bleds. Noſtre erreur eſt extrême,
Dit-il, de nous attendre à d’autres gens que nous.
Il n’eſt meilleur ami ni parent que ſoy-même.
Retenez bien cela, mon fils, & ſçavez-vous
Ce qu’il faut faire ? Il faut qu’avec noſtre famille
Nous prenions dés demain chacun une faucille ;
C’eſt là noſtre plus court ; & nous acheverons
Noſtre moiſſon quand nous pourrons.
Dés-lors que ce deſſein fut ſceu de l’Aloüette,
C’eſt ce coup qu’il eſt bon de partir, mes enfans.

Et les petits en meſme temps,
Voletans, ſe culbutans,
Délogerent tous ſans trompette.