Fables originales/Livre II/Fable 08

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Edouard Dentu (p. 41-42).

FABLE VIII.

Le poste et l’habit


Un bourgeois essayait un habit bleu barbeau
En drap de Lisieux aussi souple que beau.
Mais l’habit bien trop grand n’allait pas à sa taille,
Il flotte sur le corps, en maint endroit il baille.
Le bourgeois le refuse, et le rend au tailleur.
Faites-moi, lui dit-il, un de même couleur,
Mais qui soit plus petit, moins large de ceinture.
L’ouvrier avec soin prenant mieux sa mesure,
Contente le client. À quelque temps de là
Près du gouvernement le bourgeois cabala
Pour obtenir un poste. À ses vœux l’on adhère.

Il est fait aussitôt ministre de la guerre.
Or, il n’a jamais su distinguer l’artilleur
Du chasseur,
Les sabres, les fusils, les canons, lui font peur.
Le civil va sans doute arguer l’incompétence,
Et décliner ses droits au titre d’Excellence,
Pas du tout ; il accepte, et cela sans prévoir
Si ses capacités, ses talents, son savoir,
Seront à la hauteur de ce nouveau devoir.
Avant qu’il fut un mois la patrie alarmée
Avait vu l’ignorant désagréger l’armée.

Que de gens comme lui refusent un habit,
Et ne mesurent pas le poste à leur esprit.