Fables originales/Livre II/Fable 11

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Edouard Dentu (p. 45-46).

FABLE XI.

Le Charlatan


Dans un bourg du Midi deux marchands ambulants
Exposaient leur bazar aux regards des chalands.
Ciseaux, couteaux, papiers, porte-plumes, lunettes,
Parfums, aciers, bijoux, miroirs, cristaux, sonnettes,
Articles de Rouen, articles de Paris,
Étaient étiquetés, marqués au juste prix,
Les campagnards flanaient devant les déballages,
Se méfiant beaucoup des brillants étalages.
On ne marchandait pas. Un commis vous tendait
Sans rabattre d’un sou l’objet qu’il vous vendait.
Lui paver sur-le-champ toute entière la somme
Semble un marché de dupe au fin Jacques Bonhomme ;
Il se croit avisé quand il a discuté
Cent et cent fois le prix de l’achat convoité.
Ran plan plan ! ran plan plan ! tambour, clairon, musique.
Attirent les chalands vers une autre boutique.
Un troisième marchand criait aux acheteurs :
Laissez-là mes voisins, tous pendards, tous voleurs !
Ils cotent pour batiste une molle filasse,
Leur savon ne vaut rien ! j’ai celui de Thridace !
Goûtez mes caramels, délicieux fondants,
Velours à l’estomac ils guérissent les dents.
Je certifie
La duperie

Des gens trompeurs n’ayant ni foi ni loi,
Méprisez-les et revenez à moi.
Fournisseur patenté des têtes couronnées,
J’enrichirai gratis aïeux, pères, lignées :
À la poche Messieurs ! prenez mon fer battu
Je vous en fais cadeau moyennant un écu !
L’estimez-vous trop cher ? (soustrayez les centimes)
Je ne veux encaisser que des gains légitimes ;
Emportez ! emportez ! sacs, mouchoirs, élixirs,
Ma générosité lassera vos désirs !
Les paysans gagnés par tant de savoir-faire
Tronquèrent leur argent contre de pure eau claire
Et de vieux rossignols. Chez eux le fer fondit,
La Thridace éventa, le caramel aigrit.
Chacun se promettait en bonne conscience
D’être désormais sourd à ces flots d’éloquence.
Mais un nouveau vendeur avec un ra-ta-plan
Rassembla les dupés autour du charlatan.