Fables originales/Livre III/Fable 01

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Edouard Dentu (p. 57-58).

FABLE I.

Le Trône


Un Lion eut d’héritage
Un meuble, qu’un long usage
Avait dépeint, dédoré,
Perforé.
Le vieux meuble était le trône
Dépendant de la couronne
Que Lions de père en fils
Se léguaient depuis Memphis.
Le Renard au roi conseille,
Qu’il surveille
Tant et plus
Les pieds déjà vermoulus ;
Et donne forme nouvelle,
Jeune et belle,
À ce vénéré support
Qui demandait du renfort.
Pour le conseil salutaire
De l’éminent dignitaire,

On le pendit haut et court
Comme un vulgaire balourd.
Touche-t-on à l’héritage
Échu dans le premier âge,
Surtout quand le legs pieux
Vous vient de nobles aïeux ?…
Le Lion et la Lionne
Que le péril environne,
Ne revernissaient leur trône
D’après aucun procédé.
Le peuple à fauve crinière,
Riait sous cape et tanière
De le voir si démodé.
Peuple moqueur est terrible
Et d’essence destructible.
Celui de Sa Majesté
Choqué de la vétusté
D’un meuble aussi respectable,
Méprisa le vieil érable,
Qu’il osa même effleurer,
Qu’il finit par effondrer.
En trône comme en idée,
Une chose décidée
C’est que les Lions, les gens,
Soient avant tout de leur temps ;
Sinon le temps les renverse
Et sa herse
Traçant le sillon dessus,
Inscrit en lettres gothiques
« Ci git : Les dieux antiques »
Que nous ne reverrons plus !…