Fables originales/Livre III/Fable 12

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Edouard Dentu (p. 71-73).

FABLE XII.

La Faim.


Un loup rôdait en quête d’une proie,
Mais ne pouvait déjeûner à cœur joie,
Ne trouvant pas la brebis ou l’agneau
Qui broute l’herbe à l’écart du troupeau.

Loin du berger un agnelet s’emporte
Sans éveiller les cris de la cohorte
Des chiens hargneux, qui ne veulent aux loups
Rien concéder que leur haine et leurs coups.
L’hôte des bois enclin à la prudence,
Pour se servir un gigot d’importance,
Droit aux pasteurs n’osait s’aventurer,
Mais ne cessait contre eux de murmurer.
Midi sonné, sa faim devient cruelle,
Son estomac irrité le harcèle ;
Las de souffrir, le sauvage rôdeur
Des gardiens n’a plus l’ombre de peur.
Il vous court sus aux moutons des prairies,
Fond sur les gens qu’il vouait aux furies,
Et se moquant des abois de Brifaut
Met les bergers et la meute en défaut.

Combien de fois la fureur populaire
Avait la faim pour cause sanguinaire ?
L’être sans pain a le mépris du sort,
Il brave tout ; il se rit de la mort.