Fables originales/Livre IV/Fable 04

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Edouard Dentu (p. 92-94).

FABLE IV.

Petit Bouton[1]


Petit bouton, pressé d’éclore
À l’aurore,
Dès qu’il crut voir poindre le jour
Sur la campagne d’alentour ;

S’écria : Je me meurs d’envie
D’entrer comme toi dans la vie,
Rose maman !
Par la vertu d’un talisman,
Fais-moi sur-le-champ ton égale.
La plus fraîche fleur du Bengale
De ce jardin !
C’est trop matin,
Lui dit sa bonne et tendre mère.
Mais ne souhaitant que lumière,
Il fit tant et tant de l’onglet
Qu’il entr’ouvrit son corselet.
— Dieux ! que c’est joli la nature !
Le ciel ! cette eau ! cette verdure !
S’exclamait le petit bouton,
Qui fier de sa robe à feston,
La déployait avec prestesse,
Tout au bonheur, à l’allégresse
De se voir aussi bien vêtu,
Magiquement, à l’impromptu.
— Attends donc que le soleil brille,
Ou sans manteau, manchon, mantille,
Le froid, mon fils, te surprendra,
Et son souffle te saisira.
Ne porte pas non plus la tête
Si haut, de peur qu’elle n’arrête
Le regard inquisiteur
De l’amateur.
Reste caché sous mon feuillage
C’est plus modeste, c’est plus sage.

— C’est ennuyeux ! moi je veux voir
Les blés dorés, l’oiseau qui chante,
La blonde abeille bourdonnante
Que nous venons d’apercevoir.
Et le mutin, malgré sa mère,
N’écoutant ordre, ni prière
S’empresse de s’épanouir
Pour, à son gré, longtemps jouir.
Mais fruit hâtif, fleur tôt éclose,
Qu’elle soit lys, tulipe ou rose,
Ne tarde pas à regretter
De n’avoir su rien écouter.
La bise glaça les corolles,
Les pétales, les folioles
Du curieux petit bouton,
Dont elle fit un avorton.

Prétendre briller et paraître,
Tout voir, tout savoir, tout connaître,
En un matin,
Attire aux enfants ce destin.

  1. Cette fable est tirée de la MUSE DES ENFANTS, ouvrage médaillé, où se trouve l’enfantine populaire : LE PETIT DOIGT DE MAMAN. — E. Plon, édit.