Fabre-des-Insectes
XI
FABRE-DES-INSECTES
Sachant que l’humble arpent d’un jardinet claustral
Contient plus de secrets qu’un mortel n’en pénètre,
Il vit seul comme un pâtre et pauvre comme un prêtre,
Et d’un grand feutre noir coiffé comme Mistral.
C’est un homme incliné, modeste et magistral,
Qui plus qu’un monde au loin cherche à ses pieds un être,
Et qui, ne regardant que ce qu’on peut connaître,
Préfère un carré d’herbe à tout le ciel astral.
Pensif, — car dans ses doigts il a tenu des ailes, —
Poursuivant les honneurs moins que les sauterelles,
— Les sommets rêvent-ils d’être des sommités ? —
Il nous offre une vie égale aux fiers poèmes,
Et des livres qu’un jour il faudra que ceux mêmes
Feignent de découvrir, qui les ont imités.
Une vie admirable. Aucun homme n’a dû
Fréquenter de plus près la maternelle argile.
Son bosquet de lilas lui tient lieu d’Évangile.
D’un Fabre d’Églantine il semble descendu.
Il guette tout un jour ce qu’il n’a qu’entendu
Il ne peut s’ennuyer, sachant par cœur Virgile.
S’il découvre un insecte éclatant et fragile,
Il lui donne le nom du fils qu’il a perdu.
Quand il rentre, le soir, avec sa découverte,
La Vérité peut-être est dans sa boîte verte,
Car du puits d’un insecte elle peut émerger.
Voilà sa vie. Elle est simple, triste, ravie.
Il n’enlève jamais son chapeau de berger.
Et ses livres se font tout seuls, avec sa vie.
Ô livres qu’on n’a pas écrits sur des pupitres !
Ô rustique Buffon sans manchette et sans col,
Qui, pour le replacer dans les mousses du sol,
Ressuscita l’insecte épinglé sous des vitres !
Il mit tant de rosée autour de ses chapitres
Que longtemps les pédants murmurèrent : « Vieux fol ! »
Mais l’Entomologie au soleil prit son vol
Quand Fabre, d’un brin d’herbe, eut touché ses élytres !
Et la Gloire est venue. Et la Gloire, à présent,
Essaye d’excuser son retard en disant :
« On ne me parlait pas de cet homme… » Eh ! que diantre,
Comment aurait-on pu ne pas mettre à l’index
Un homme qui jamais ne s’est mis à plat ventre
Que pour voir le combat du Grillon et du Sphex ?
Penché comme l’Histoire au-dessus de deux princes,
Il a vu s’affronter ces obscurs champions,
Et le frêle vaincu ruer des armions
Pour détourner la pointe aux trois coups sûrs et minces.
Il a, dans un jardin d’une de nos provinces,
— Tout l’univers est là, dès que nous l’épions ! —
Vu le Drame, et l’Idylle, et les deux Scorpions
Qui vont en se tenant tendrement par les pinces.
Il s’est ému de voir, sous la touffe de thym.
Ces êtres, observés à même leur destin,
Se heurter pour l’amour ou bien pour la bataille ;
Et dans ses Souvenirs nous verrons, pleins d’émoi,
Tous ces êtres garder l’importance et la taille
Que leur donna sa loupe — et plus encor sa foi !
Il a vu, du plus haut problème effleurant l’x,
Jusqu’où l’instinct triomphe et quand il capitule,
Et comment le papier, le coton et le tulle
Sont faits par la Psyché, la Guêpe et le Bombyx.
Ô peuple merveilleux de métal et d’onyx !
Le Grillon d’Italie est un petit Catulle.
Le Pompile attaquant tout seul la Tarentule
Est grand comme Roland ou Vercingétorix.
Tout l’univers est là… combattants, parasites…
L’un vit de ses exploits, l’autre de ses visites.
Il y a le maçon, le potier, le tailleur.
Tu ravaudes, Clotho ; Balanin, tu perfores ;
Bousier, tu suis ton nom ; toi, Cigale, ton cœur ;
Et vous, vous attendez, dans un coin, Nécrophores !
De plus, il sait trouver les mots vifs et luisants
Qui peignent la cuirasse et dessinent la patte
Et faire, d’une étude austère et délicate,
Une ardente aventure aux détails amusants.
Il sait conter. Il conte, à soixante-dix ans,
Comme devait conter l’aïeule rouergate
Que regardait filer le chat aux yeux d’agate.
Car ce savant est fils des divins paysans !
Le doux miel n’a pas fui de sa lèvre certaine.
Il peut rectifier, en passant, La Fontaine,
Mais il sait n’être pas moins bonhomme que lui…
Et quand vont sur le pré ses chers hyménoptères,
Il est de leurs duels tellement ébloui
Qu’il se fait le Dumas de ces trois mousquetaires !
Donc, tout l’Insecte, avec ses métiers et ses lois,
Sa vrille ou son archet, sa truelle ou son sabre,
Fut saisi par les yeux du fin visage glabre ;
Mais nul or n’est resté des élytres aux doigts !
France, compteras-tu sur un geste suédois
Lorsqu’un auguste seuil, peut-être, se délabre ?
Tu ne peux ignorer la vieillesse de Fabre,
Et que tu n’as pas fait pour lui ce que tu dois.
C’est chez nous que, les yeux s’émoussant au mystère,
Il a passé sa vie agenouillé par terre ;
Et s’il chancelle en se relevant, c’est à nous
De lui tendre les mains et, dans l’ombre tombée,
Pendant qu’il rêve encor de quelque scarabée.
D’essuyer doucement la terre à ses genoux !
VIII
LES INSECTES LUI PARLENT
« Et nous, nous nous chargeons de ton Apothéose.
Car nous fûmes toujours tes amis les meilleurs.
Nous, Tes Insectes, ceux de Vaucluse et d’ailleurs,
Voulons tous dans ta gloire être pour quelque chose.
« La fourmilière sculpte, et la ruche compose.
Une étoile d’argent se tisse entre deux fleurs.
Tu sais que nous savons réussir des splendeurs.
Fabre, te souviens-tu de la chapelle rose ?
« Te souviens-tu qu’un jour, en haut du mont Ventoux,
Tu vis un temple obscur et bâti loin de tous
Sur lequel nous étions cent mille coccinelles ?
« La chapelle était rose et semblait en corail !
Ainsi, la solitude aura sur son travail
Une gloire vivante et faite avec des ailes. »