Faits curieux de l’histoire de Montréal/11

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SOCIÉTÉS POLITIQUES SECRÈTES
CANADIENNES FRANÇAISES

depuis la cession jusqu’à la confédération


Tous les pays ont eu leurs sociétés secrètes, parce qu’il est des idées ou des projets qui ne peuvent se discuter — sans danger — que dans une ombre propice.

Entre les causes qui font surgir les groupements de cette espèce, il n’en est pas de plus fertile que le mécontentement contre l’organisation politique d’un pays. C’est ce que nous constatons ici, car nos sociétés du dix-huitième et du dix-neuvième siècles, n’ont visé, en général, qu’à modifier ou à changer la forme du gouvernement.


LES FRÈRES DU CANADA.

1786


La première société secrète de langue française à Montréal, et probablement au Canada, semble être celle qui porta le nom de « Frères du Canada ». Elle recrutait ses adhérents parmi les Canadiens français, les Français et les Écossais. Son existence nous est signalée d’abord par un article paru dans le Canadian Antiquarian, de 1873 (p. 63) et intitulé : "An engraved silver medal of the Frères du Canada", 1786.

L’article qui est signé par Sir G.-Duncan Gibb, de Londres, débute par une description de la médaille. Celle-ci a la forme de l’écu qu’on trouve dans le sceau dont nous parlons plus bas. Sur un côté de la médaille, on lit : « Frères du Canada, 1786 » et sur l’autre, sont gravés : un œil en chef, deux mains au centre et le mot « Inséparable » en pointe.

L’auteur raconte que cette médaille lui a été donnée par son oncle, le major George Gibb, de Sorel. Il en avait hérité d’un officier écossais qui avait dû appartenir à cette société. Cet officier était à Montréal en 1786 et il mourut dans cette ville vers 1811.

Ces renseignements sur le premier propriétaire de la médaille s’appliquent fort bien à Joseph Provan, l’un des signataires du procès-verbal que nous reproduisons ci-après. Écossais de race, il mourut à Montréal, le 1er avril 1814, âgé de 55 ans et un nommé B. Gibb assistait à son enterrement.

Sir Duncan Gibb ajoute qu’il ne sait rien sur la société, mais il suppose, avec raison, que son siège principal devait être à Montréal et qu’elle avait été fondée en 1786.

Plus tard, parmi les documents du Palais de justice de Montréal, nous avons pu exhumer l’intéressant procès-verbal de l’élection d’un président ou maître de cette mystérieuse société.

Le document se lit comme suit :

« À une assemblée des Frères du Canada tenue au Café de Sullivan, ce jourd’hui vingt-deuxième février mil sept cent quatre vingt dix.

À Frère Jean Guill. de Lisle, Salut.

Nous vous avons nommé et choisi, vous nommons et constituons par ces présentes, « Maître des Frères du Canada », etc., de notre ordre ; Voulant que vous jouissiez des prérogatives attachées à cette dignité et voulons en outre que les présentes servent partout où besoin sera.

Car telle est Notre Volonté.

Donné à Montréal, le 22me février mil sept cent quatre-vingt-dix, sous le sceau de Notre Ordre et la cinquième de notre Institu…

Par ordre de l’assemblée,

HERSE,
Garde sceau.
LOUIS LARDY
JNO LUMSDEN
JOS. PROVAN
J. C. LEPROHON
PH. DE ROCHEBLAVE
JOS. ROY
PIERRE MARASSI »

À la gauche de la partie inférieure du document est un sceau fort curieux et exceptionnellement bien gravé et bien conservé. Il est circulaire et mesure exactement un pouce et trois lignes de diamètre. Le long de la courbe du haut se trouve l’inscription : « Les Frères du Canada. » 1786. Au-dessous de ces mots est un écu pelté dont la pointe supérieure centrale se termine par un trèfle ou une croix. À l’intérieur de l’écu on voit, en chef, un œil entouré de rayons, au centre, deux mains entrelacées et, en pointe, le mot «  Inséparable ». L’écu est accolé de rinceaux de laurier et de palmier.

Celui que ses camarades plaçaient au siège présidentiel exerçait la profession de notaire, tout comme son père, l’arpenteur-notaire, Jean De Lisle de la Cailleterre que le peuple du Canada avait envoyé en Angleterre, en 1783, avec MM. Adhémar de Saint-Martin et W. D. Powell dans le but de demander un gouvernement constitutionnel pour le Canada.

Jean-Guillaume De Lisle avait en plus l’avantage d’être greffier de la fabrique de Notre-Dame de Montréal depuis 1788 et il conserva cette dernière charge jusqu’en 1798.

Deux des signataires du procès-verbal. Lumsden et Provan venaient d’Écosse, Louis Lardy et Jacques-Clément Herse paraissent être originaires de France.

Quant à Pierre Marassi et à J.-C. Leprohon c’étaient des fils de soldats français qui avaient épousé des Canadiennes en 1760.

À cette époque, le sieur Herse (marié à une Canadienne, Marguerite Lacroix), faisait un commerce lucratif à l’Acadie, près de Saint-Jean d’Iberville.

MM. de Rocheblave et Marassi s’occupaient de la traite des fourrures dans l’Ouest.

Le Bulletin des Recherches historiques de 1911 (p. 96) a posé une question qui pourrait avoir quelque rapport avec les Frères du Canada.

« Je vois, dit un correspondant, dans l’ouvrage de Clavel, Histoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie qu’en 1787, il existait une secte maçonnique au Canada connue sous le nom de Francs-Maçons régénérés. Cette loge appartenait-elle au rite anglais ou français ? Où avait-elle son siège ? Connaît-on quelques-uns des membres de cette loge ? »

Personne n’a répondu.

Nous avons fait demander à M. J.-Ross Robertson, éditeur de l’Evening Telegram de Toronto et l’historien de la Franc-Maçonnerie au Canada, s’il possédait quelques informations concernant les Francs-Maçons régénérés et les Frères du Canada. On nous dit qu’il est d’avis que cette secte et cette société n’ont rien de commun avec le rite anglais.

D’autre part, M. AEgidius Fauteux, le conservateur de la bibliothèque Saint-Sulpice de Montréal, au cours d’une causerie qu’il a faite devant la Société historique de Montréal, a fourni des détails sur une succursale des Frères du Canada qui existait à Québec en 1788. L’érudit conférencier croit que les Frères du Canada et les Francs-Maçons régénérés étaient un même ordre.

Cela est fort possible.

Ne se peut-il également, que l’on ait appelé « Frères du Canada », une société modelée sur la franc-maçonnerie, mais n’ayant qu’un but politique. N’y aurait-il aucune relation entre cette société et le mouvement antibritannique ou séparatiste que des émissaires français tentèrent de créer en notre pays, à la fin du dix-huitième siècle ?

Autre question : Cette société a-t-elle quelque rapport avec une loge portant le nom de « Frères du Canada » et qui fut instituée à Québec, le 24 juin 1816 par l’hon. Claude Dénéchaud, grand maître provincial de l’ordre des Anciens Maçons d’Angleterre ? Cette loge eut pour maître, lors de sa fondation, M. F.-X. Perrault et elle existait encore en 1822. (Voir Freemasonry in Quebec by Graham, pp. 103, 137, 180 et 181)


LES FILS DE LA LIBERTÉ

1837

Cette fameuse société politique était-elle secrète ?

L’historien T.-P. Bédard, dans son Histoire de cinquante ans (pp. 396, 405), le déclare expressément : « cette association était secrète et les membres prêtaient un serment spécial ». Quelqu’un raconta même à l’auteur qu’il avait vu « la formule du serment et que celle des Francs-Juges était une douceur auprès de celle des Fils de la liberté. »

Ce point acquis, faisons l’historique rapide de la société en puisant dans les ouvrages et les journaux suivants : L.-O. David, les Patriotes ; L.-N. Carrier, les Événements de 1837-38 ; A.-D. DeCelles, Papineau ; A. Béchard, A.-.N. Morin ; J.-D. Borthwick, Jubilés de diamant ; T.-P. Bédard, Histoire de cinquante ans ; Hector Fabre, Souvenirs d’un autre âge ; la Minerve de 1837 ; le Populaire de 1837 ; l’Opinion publique 1870 à 1883 et le Bulletin des Recherches historiques, 1895-1920.

La proclamation de lord Gosford, lancée le 15 juin 1837 et qui exhortait le peuple « à s’abstenir des réunions séditieuses… ne fit qu’augmenter l’effervescence populaire ; elle fut dénoncée comme un attentat de plus aux droits des habitants du Canada. » « Les patriotes commencèrent dès lors à discuter la nécessité de s’organiser pour faire respecter leurs droits et repousser la violence. »

« On crut que le meilleur moyen de réussir était de s’adresser à la jeunesse de Montréal, de la décider à former une puissante association et d’inviter les jeunes gens à en faire autant partout ailleurs. » (L.-O. David.)

C’est alors que Louis-Joseph-Amédée Papineau, fils du grand tribun, se serait occupé de fonder la société des Fils de la liberté, calquée en quelque sorte sur celle des Sons of Liberty qui avait aidé les Américains à se libérer de l’autorité anglaise, soixante ans auparavant. (Borthwick et B. R. h.)

« Le 5 septembre 1837, l’association des Fils de la liberté était solennellement proclamée dans une assemblée nombreuse tenue à l’hôtel Nelson, sur la place Jacques-Cartier. Ce fut une grande démonstration ; des discours véhéments furent prononcés par MM. Robert Nelson, André Ouimet et Édouard Rodier : une musique militaire mit le comble à l’enthousiasme en se faisant entendre après chaque proposition »…

Ensuite, les Fils de la liberté allèrent « offrir leurs hommages à l’honorable L.-J. Papineau et à l’honorable D.-B. Viger »…

« En avant, fut la devise choisie par la société »…

« C’était une organisation moitié civile moitié militaire, composée de deux branches qui devaient travailler, l’une par les discours et les écrits, et l’autre par la force des armes, si c’était nécessaire, au progrès et au triomphe de la cause populaire… et même préparer le peuple à la conquête de son indépendance ». (L.-O. David.)

On ne connaîtra jamais, sans doute, tous les noms des membres de cette association intéressante, car ils étaient plusieurs centaines. Nous pouvons cependant rappeler les noms qu’on relève dans les diverses publications dont nous avons ci-dessus donné la liste.


Division civile

André Ouimet, président. Né à Sainte-Rose, île Jésus, en 1808. Admis au Barreau en 1836. Mort le 10 février 1853. Fut interné pendant huit mois en 1837-38.

Jean-Louis Beaudry, vice-président. Né le 27 mars 1809. En 1834, il ouvrit, rue Notre-Dame, le fameux magasin des contrevents barrés et y fit un commerce des plus lucratifs. Arrêté après le 6 novembre, il put s’expatrier. Il ne revint qu’après l’amnistie. À partir de 1862, M. Beaudry fut élu dix fois, maire de Montréal. Décédé le 24 juin 1886.

Joseph Martel, vice-président.

E.-H. Therrien, secrétaire-archiviste.

Georges de Boucherville, secrétaire-correspondant. (Voir ci-après).

… Baudriau, secrétaire.

(Le Populaire du 8 novembre 1837 mentionne « le jeune Baudriau, secrétaire de l’infernale association et étudiant en médecine. »)

François Tulloch, assistant-secrétaire-correspondant.

Division militaire

Thomas-Storrow Brown, général. Né à St. Andrews, N.-B., le 7 mai 1803, il vint s’établir à Montréal en 1818, et se livra au commerce. Il embrassa la cause des patriotes et, en 1832, devint l’un des fondateurs du Vindicator. Le 6 novembre 1837, M. Brown fut cruellement battu et il perdit l’usage d’un œil. Peu après, il se rendit à Saint-Charles où il dirigea le combat. De cette localité, il prit la route de l’exil. M. Brown réintégra son domicile quelques années après et il est mort en notre ville, le 26 décembre 1888.

Le général de l’association avait sous ses ordres six officiers ou chefs, commandant chacun une des six sections de la ville. On connaît les noms de cinq d’entre eux :

1 — Jean-Baptiste Chamilly Verneuil de Lorimier. Né en décembre 1803. Admis au barreau en 1833. Après le six novembre il alla prendre part au combat de Saint-Eustache avec son frère François-Marie-Thomas Chevalier de Lorimier, qui fut exécuté le 18 janvier 1839. Jean-Baptiste put s’enfuir aux États-Unis. Il revint au Canada lorsque l’amnistie eut été proclamée. M. de Lorimier fut inhumé à Montréal, le 25 juillet 1865.

2 — Georges de Boucherville, avocat. Né à Québec en 1814. Auteur du fameux roman : « Une de perdue deux de retrouvées. » Mort à Québec en 1898.

3 — Henri-Alphonse Gauvin, médecin. À la suite de l’affaire du 6 novembre, il se rendit à Saint-Charles où il organisa les patriotes avec M. Brown. Il mourut le 2 mars 1841, âgé de 25 ans, d’une maladie contractée en prison.

4 — Rodolphe Desrivières, marchand. Lui aussi prit le chemin de Saint-Charles pour aider à l’organisation. Il avait signé l’avis de convocation des Fils de la liberté pour le 6 novembre 1837, parce que l’assemblée se faisait dans sa section, sans doute.

5 — François Tavernier.

Membres.

Casimir Arcourt, cordonnier, mort à Chicago.

J. Brien, médecin. Arrêté et incarcéré à Montréal en 1838, il obtint un demi-pardon en fournissant des renseignements aux autorités.

L.-P. Boivin, bijoutier, coin des rues Notre-Dame et Saint-Vincent ; Thomas Barbe, meublier ; N. Berthiaume, Louis Barré, tanneur.

George-Étienne Cartier, avocat, plus tard chef du parti conservateur et ministre. Remi Courcelles, tailleur ; H. Carron, Simon Crevier, marchand de cuir. Dr Côté, de l’Acadie. Il s’enfuit aux États-Unis et y devint pasteur protestant.

Toussaint Demers, Louis Dumais, boucher ; Joseph Dufaux, marchand ; P.-J. Damour.

James Finey.

Pierre Grenier, Joseph Gaudry, André Giguère, sellier.

René-Auguste-Richard Hubert, avocat, né en 1811. Présent au combat de Saint-Eustache. Arrêté en janvier 1838. Relâché après quelques mois. Fut protonotaire de Montréal de 1866 à sa mort en 1884.

Narcisse Lafrenière, sellier. Joseph Lettoré, imprimeur. Il édita en 1850, le journal le Peuple travailleur, qui vécut peu de temps. Louis Lebeau, Joseph Leduc, Henri Lacaille. Pierre Larceneur, André Lacroix, Norbert Larochelle, mort à la Nouvelle-Orléans. Il était du groupe de patriotes qui mirent à mort le lieutenant écossais.

George Weir, à Saint-Denis, le 23 novembre 1837. André Lapierre, marchand de cuir.

Paul Martin. Augustin-Norbert Morin. Né en 1803. Il était député en 1830. En 1836, il alla se fixer à Québec, où il fut choisi pour chef des Fils de la liberté de l’endroit. Mort en 1865.

J.-L. Neysmith, marchand.

Dr Edmond B. O’Callaghan. Accusé de haute trahison, il se réfugia aux États-Unis où il acquit de la réputation comme archiviste et historien.

Charles-Ovide Perrault, avocat. Né en 1810. Député en 1834. Il fut tué à la bataille de Saint-Denis, le 22 novembre 1837. Il était beau-frère du libraire E.-R. Fabre et l’associé de l’avocat André Ouimet.

André-Benjamin Papineau. Il exerça la profession de notaire de 1835 à 1890. Louis-Joseph-Amédée Papineau, né à Montréal, le 26 juillet 1819. Fils de Louis Joseph. Collabora à divers journaux patriotes dès 1836. Il s’enfuit aux États-Unis en 1837, après l’affaire du 6 novembre. En 1843, il était de retour au pays et l’année suivante on le nommait protonotaire de Montréal. Mort à Montebello en 1903.

Édouard-E. Rodier, avocat. Né en 1805. L’un des premiers patriotes à s’habiller en étoffe du pays. Mort le 5 février 1840. « L’orateur chéri des Fils de la liberté. » Il avait adressé la parole le 6 novembre 1837.

Docteur Amable Simard.

Narcisse Valois, « l’un des hommes les plus entreprenants et les plus estimés de Montréal. »

Le Doric Club fondé par Adam Thom, « rédacteur du Montreal Herald et tory fougueux », avait décidé de rencontrer la jeunesse canadienne-française. L’échauffourée eut lieu le lundi 6 novembre 1837. Ce jour-là, premier lundi du mois, avait lieu la grande réunion mensuelle de l’association, dans « la maison publique de Vigent… qui donnait sur la rue Notre-Dame et dont la cour a une entrée sur la rue Saint-Jacques »… tout près de la rue Dollard. Cette maison avait déjà été célèbre dans les fastes de l’élection du quartier ouest en 1834, pour avoir servi de quartier général aux troupes électorales de Papineau. (Le Populaire).

Six à sept cents personnes assistaient à l’assemblée des Fils de la liberté. Non loin, au marché à foin, aujourd’hui le square Victoria, le Doric Club tenait une réunion.

Les deux clans furent vite aux prises. Plusieurs personnes furent blessées, quelques-unes grièvement, mais on n’enregistra aucune perte de vie.

De la rue Saint-Jacques, le Doric Club se rendit aux quartiers généraux des Fils de la liberté, qui se trouvaient dans la maison d’un nommé Dupuis, au coin des rues Sanguinet et Dorchester. Cette habitation construite en bois n’avait qu’un rez-de-chaussée et un étage. Le bas était occupé par l’épicier Gauthier et le haut par l’état-major des patriotes. Les Constitutionnels défoncèrent les portes, s’emparèrent de quelques fusils, de quelques sabres et surtout du « drapeau révolutionnaire » des jeunes Canadiens français. Ce drapeau se blasonnait ainsi : tiercé en fasces ; au 1 de sinople ; au 2 d’argent chargé de l’inscription : En avant. Association des Fils de la liberté ; au 3 de gueules. Autrement dit, c’était le tricolore horizontal, vert, blanc et rouge, adopté par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal en 1834, additionné d’une inscription.

Quoi qu’il en soit, fusils, sabres et drapeau furent remis à la police, puis les Constitutionnels allèrent saccager l’imprimerie du Vindicator, rue Sainte-Thérèse.

Les Fils de la liberté avaient vécu, car sans beaucoup tarder « ses chefs furent jetés en prison » et la rébellion commença en divers endroits.

Rappelons qu’il exista une succursale des Fils de la liberté à Québec et que le président fut Augustin-Norbert Morin. Ce groupe fit peu de bruit, car M. Morin « valait peu comme chef… il était trop doux et trop poli ! »

« Antoine Fournier fut l’un des membres les plus ardents de la société dans la capitale. C’est lui qui favorisa l’évasion des prisonniers américains Dodge et Theller détenus à la citadelle de Québec. »

LES CHASSEURS.

La dispersion des Fils de la liberté ne mit pas fin à l’insurrection. Les nombreux patriotes qui avaient traversé la frontière conservaient encore l’espoir de libérer leur pays, et, pour cela, ils résolurent de fonder une autre société puissante appelée Les Chasseurs.

Dans ses Cardinal facts of Canadian History, J.-P. Taylor prétend que ce fut une "American organization in sympathy with Canadian rebels", mais l’historien L.-O. David attribue cette fondation à Robert Nelson et à quelques Canadiens qui l’accompagnaient dans la république voisine. Ce dernier auteur, dans une récente édition des Patriotes de 1837-38, nous fournit d’intéressants détails.

« L’association, dit-il, avait quatre degrés : l’Aigle, dont le rang correspondait à celui de chef de division ; le Castor, qui avait l’autorité d’un capitaine ; la Raquette, qui avait neuf hommes sous son commandement, et le Chasseur, simple soldat.

« Chaque degré avait ses signes particuliers… Pour savoir si une personne faisait partie de l’association, on lui disait : Chasseur, c’est aujourd’hui mardi ! La personne devait répondre : mercredi. Il y avait aussi une certaine manière de donner la main.

Pour entrer dans la société, il fallait prêter le serment suivant : Je, A… D…, de mon consentement et en présence de Dieu Tout-puissant, jure solennellement d’observer les secrets, signes et mystères de la société dite des Chasseurs ; de ne jamais écrire, peindre ou faire connaître d’une manière quelconque les révélations qui m’auraient été faites par la société ou une loge de chasseurs, d’être obéissant aux règles et règlements que la société pourra faire, si cela se peut sans nuire grandement à mes intérêts, ma famille ou ma propre personne ; d’aider de mes avis, soins, propriétés, tout frère chasseur dans le besoin, de l’avertir à temps des malheurs qui le menacent. Tout cela, je le promets sans restriction et consens de voir mes propriétés détruites et d’avoir moi-même le cou coupé jusqu’à l’os. »

La dernière partie du serment devait donner le frisson aux adhérents. Sous le nom de Hunters Lodges, cette association paraît avoir eu des ramifications aux États-Unis et dans l’Ontario.

À Montréal, l’exécutif de la société, ou du moins celui de la province, tenait ses réunions chez l’avocat John Picoté de Belestre-McDonnell, rue Saint-Vincent-de-Paul, et c’est là, suivant M. David, que l’ardent « Élisée Malhiot, le principal organisateur de l’association, et qui occupait le grade de Grand Aigle, venait chercher les fonds dont il avait besoin.

« Les principaux membres de ce comité étaient : McDonald, Frs Mercure, Lemaître, Célestin Beausoleil, Féréol Thérien, Guillaume Levesque et David Rochon. »

« Georges de Boucherville, R.-A.-R. Hubert, Féréol Peltier et autres favorisaient le mouvement et aidaient le comité sans avoir prêté le serment… »

« Le secret des délibérations du comité fut si bien gardé et toutes les précautions si bien prises que les autorités, malgré tous leurs efforts et leur vigilance ne purent mettre la main à Montréal sur ceux qui s’étaient le plus compromis. » — (L.-O. David, les Patriotes de 1837-38).


LES FRANCS FRÈRES.

Nous devons à un octogénaire, ancien officier de justice, les renseignements qui suivent sur les Francs Frères, société politique secrète d’il y a soixante ans.

« En autant que je le sais, nous dit-il, la société fut fondée en 1856 et la plupart des sociétaires appartenaient ou avaient appartenu à l’Institut canadien.

J’avais dix-sept ans lorsque je devins membre. Les réunions avaient lieu, à cette époque, au-dessus du rez-de-chaussée d’une maison sise à l’angle nord-ouest des rues Sainte-Catherine et Sanguinet.

Apparemment, c’était une société de protection et de secours mutuels pour les libéraux ; elle avait un rituel semblable à celui des sociétés secrètes, mais le fait qu’elle fut dénoncée par le clergé du temps laisse supposer qu’elle avait un autre but que j’ignore.

« Un soir, ajoute-t-il, des citoyens de la paroisse Saint-Jacques firent irruption dans la salle de délibérations et nous forcèrent de déguerpir. Ce fut le coup de mort des Francs Frères. Par la suite, ils s’assemblèrent tantôt chez un avocat, rue Saint-Vincent, tantôt ailleurs, mais la société avait perdu son prestige ; elle ne fit plus que vivoter, puis elle s’éteignit entre 1862 et 1864.


LE CLUB SAINT-JEAN-BAPTISTE.

Ostensiblement, c’était un cercle inoffensif où l’on pouvait jouer au billard, prendre une partie de cartes et déguster des liqueurs.

Le gardien du local, M. Patenaude, logeait sous les combles, les salles d’amusement se trouvaient au rez-de-chaussée, et, dans le sous-sol, se tenaient les réunions secrètes.

Les parrains du club n’avaient pas fait grande dépense d’imagination, pour le baptiser.

Ils l’avaient appelé Saint-Jean-Baptiste, tout simplement parce qu’il occupait une maison de la rue Saint-Jean-Baptiste.

La maison en question a une histoire assez longue que nous allons résumer en peu de mots.

Avant d’être habité par le club, l’édifice avait une réputation sinistre et un pamphlétaire que nous allons citer de nouveau au cours de cet article écrivait avec emphase, à ce sujet : « Ce que c’était que cette maison… Je ne le dirais pas à une honnête femme… Les murs gardent encore quelques traces de ces jours de dégradations. Il y a trois ans, deux hommes s’y sont égorgés à coups de rasoir »…

Après avoir été abandonné par le club ce bâtiment devint usine et il semblait que l’oubli allait l’envelopper pour toujours lorsque la fantaisie d’un archéologue transforma cet ancien objet de réprobation populaire en un lieu de vénération historique.

En effet, peu après la publication du Vieux Montréal de Morin, un chercheur bien intentionné du reste, s’apercevant que cette maison dont l’intérieur est remarquable, s’élevait sur le site de la concession accordée au tailleur Nicolas Hubert-Lacroix, en 1655, décréta aussitôt que ce bâtiment datait du 17e siècle, que c’était la plus ancienne construction de Montréal… et tout le monde le crut, sans autres preuves.

Aujourd’hui, les architectes et des archéologues sérieux prétendent que l’extérieur de cette maison date au plus du dix-huitième siècle ; que ses sculptures intérieures sont, pour une bonne partie, de style colonial, conséquemment du régime anglais, et peut-être de l’époque où le roi de la fourrure, M. McTavish, résida dans cet immeuble !

Mais pourquoi s’insurger ? Les guides, les gravures et la photographie ont si bien vulgarisé « la plus vieille maison de Montréal » qu’il n’est plus possible de détruire la légende. Passons donc du contenant au contenu.

Fondé vers 1865 par Ludger Labelle, avocat, le club Saint-Jean-Baptiste avait un but politique qu’on ne démêle pas bien, à distance. Les deux adhérents septuagénaires qui nous ont fourni la plupart de ces notes ne s’accordent pas sur ce point. L’un prétend que le club voulait orienter les Canadiens français vers l’annexion ou l’indépendance, l’autre, qu’on ne cherchait qu’à empêcher de s’accomplir la confédération canadienne, redoutée à l’égal des plus grands maux.

Ces deux opinions se trouvent justifiées par le pamphlet anonyme (attribué à l’hon. J.-A. Mousseau) : Contrepoison. La confédération, c’est le salut du Bas-Canada.

Dans cette brochure on voit que le club « lutta contre la confédération » qu’un de ses principaux membres avait « levé le drapeau de l’indépendance » et s’était fait « le plus ardent avocat de l’annexion. »

Composé de jeunes gens ayant appartenu aux deux partis politiques de l’époque, le club se montra très actif dès sa naissance. Il prit une part aux luttes municipales, fit élire l’épicier J.-O. Mercier contre le tribun J.-A. Chapleau, le fougueux Médéric Lanctôt contre le brave commerçant, Alexis Dubord.

De plus, le club chercha, à l’instar de l’Institut canadien, à se répandre dans la province et l’on connaît par une brochure reproduisant la correspondance échangée entre l’abbé Larocque et le député Dufresne qu’il existait une succursale de la société à Saint-Jean.

Quels étaient les membres de ce club ?

D’après le pamphlet déjà cité, « les rédacteurs du Pays, de l’Union nationale et de l’Ordre trônaient dans les assemblées », trois membres du parlement… les députés de Bagot, Maurice Laframboise, de Richelieu, Jean-François Perrault et d’Iberville, Alexandre Dufresne, en faisaient aussi partie.

Parmi les autres, les anciens nomment : Ludger Labelle, le fondateur, Edmond Angers, fabricant de chaussures, trésorier, O. Archambault, avocat, J. et C. Patenaude, Elzéar Labelle, avocat et poète, frère de Ludger, A. David, H.-F. Rainville, Guillaume Lamothe, chef de police, Moore, photographe, M. Naegelé, officier de police, Jean de Beaufort, détective, Médard Mercier, huissier, etc., etc.[1]

Lors d’une admission, le candidat était rencontré sur le champ de Mars, on lui bandait les yeux et on le menait à la salle du club par voie détournée. Rendu à la porte de la salle, le futur « frère » demandait à être introduit. Quelques objections lui étaient faites, pour la forme puis, s’il persistait, on le faisait entrer et on lui enlevait son bandeau.

La scène qui s’offrait alors aux regards du profane n’avait rien de banal.

Autour de lui, se trouvaient les initiés vêtus de cagoules sombres qui ne laissaient apercevoir que les yeux.

Au fond de la pièce, sur une estrade, planait le président ou le « Maître ». Devant ce dernier était une table tendue de noir, chargée à chaque bout d’une tête de mort ; derrière le « Maître » s’étalait un grand drapeau noir sur lequel on avait peint en blanc, une tête de mort au-dessus de deux tibias disposés en sautoir.

Aussitôt, le maître de cérémonie, ou porte-poignard, s’avançait vers le récipiendaire et, en appuyant l’arme sur sa poitrine, lui faisait prononcer « à haute et intelligible voix » un engagement d’honneur terrible dont M. Mousseau a dû voir le texte, car il en cite des bribes dans sa brochure, pp. 65-66.

Après cette lugubre cérémonie, les assistants enlevaient leurs cagoules et souhaitaient la bienvenue à leur nouveau compagnon qui, la plupart du temps, reconnaissait des amis et des connaissances.

Les mots de passe étaient alors dévoilés au « frère » ainsi que « la poignée de main. »

L’un des premiers était comme suit : « Quelles nouvelles dans le pays ? » ou « As-tu vu Marianne ? »

À cela, on répondait : « Marianne s’en vient. »

Quant à la poignée de main, elle se donnait en tenant l’annulaire replié.

Suivant nos informateurs, le club exista une couple d’années ; d’après M. Mousseau il n’aurait vécu que quelques mois. Ce serait sir George-Étienne Cartier qui en décida la suppression, car il en avait subi les assauts.

Le juge Coursol et le greffier de la paix, M. Schiller, se procurèrent une liste des membres de cette société, ordonnèrent la dissolution et réussirent sans grande difficulté.

Pour terminer, détachons de la sympathique étude biographique que l’hon. L.-O. David dans Mes contemporains, (p. 171, etc.) a consacrée à Ludger Labelle, les notes suivantes, relatives au club Saint-Jean-Baptiste :

« Ludger Labelle fut le principal fondateur du club… qui fit beaucoup de bruit avec peu de chose et finit par être considéré comme une société secrète.

« Les membres s’engageaient, sur l’honneur, à ne pas dévoiler les secrets des délibérations…

« Le secret était facile à garder, car les membres du club passaient leur temps à jouer au billard, aux dominos et un peu aux cartes ; ajoutons que s’ils n’avaient pas de mauvaise intention, ils ne faisaient rien de bon…

« Ce club… servit de refuge, pendant un mois, à l’un des jeunes gens qui, après avoir volé une banque à Saint-Albans, avaient franchi la frontière et avaient été arrêtés et emprisonnés à Montréal…

Ces jeunes gens n’eurent pas de peine à trouver des refuges au milieu d’une population qui était pleine de sympathie pour eux.

« Le club Saint-Jean-Baptiste ne fut donc pas, sur ce rapport, plus coupable que le reste de la population. Mais ses principaux membres voulurent pousser les choses plus loin, lorsqu’ils discutèrent le projet de délivrer les raiders avant leur acquittement.

« Le complot était pas mal avancé, lorsque l’un des conspirateurs reçut une lettre l’avertissant, ainsi que ses compagnons, qu’on les ferait arrêter si on les croyait sérieux… »

Ce fut peut-être cette conspiration qui permit aux autorités de s’ingérer dans la société et d’en provoquer le débandement.



  1. D’après M. Alexandre Narbonne, militaire bien connu qui fut messager du club dans sa jeunesse, il y avait trois classes de clubistes : les membres, les compagnons et les centurions.