Familières

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Nouvelle Revue Française (p. 33-36).

Familières
I

Faut-il que je revienne à toi ?
C’est en vain que l’on cherche…
L’oiseau va retrouver le toit
Où son instinct le perche.

On songe devant le foyer
À la barque amarrée,
Mais l’archet veut toujours choyer
Sa corde préférée.

II

Elle aimait ceux dont le gousset
Chante comme un orchestre
Et ne m’entr’ouvrait son corset
Qu’au début du trimestre.

Un soir — j’avais quatorze sous,
Oh ! que l’argent va vite —
Deux vieux dignes, aux trois quarts saouls,
Lui firent une invite.

Elle eut ce grand geste qui dit :
« L’or est une chimère ».
Puis murmura : « Ce soir ? Mardi !
Je rentre chez ma mère. »

Et je restai, le cœur léger,
Sur la place des Ternes
Où vont les fiacres échanger
Les rires des lanternes.

III

Marsyas, ô divin écorché,
Il t’en coûta la vie…
Ma flûte est un roseau caché
Et que nul ne m’envie.

Qui, hors Monsieur Gaston Deschamps
— Las ! Perdu pour l’alène —
Entendrait gémir dans ces chants
La voix du grand Verlaine ?


IV

Tu veux, par les Messieurs en vert,
Muse, être couronnée ?
J’attends, pour leur porter mes vers,
Encore une autre année.

Certes, la gloire, un peu plus d’or
Dans notre tirelire…
Mais laisse que je prenne encor
Quelques leçons de lyre.

V

Puisque le maréchal-ferrant
Ressemelle Pégase,
Viens te coucher, poète errant,
Ventre sur l’herbe rase.

Voici l’ombrage et les troupeaux,
Le chien gronde et s’étire.
Viens. Ce lourd berger sans pipeaux
Ne connaît pas Tityre.

Si Diane venait se baigner,
Tu le verrais peut-être
Aller quérir pour s’indigner
Notre garde-champêtre.