Figaro et ses devanciers/01

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Figaro et ses devanciers
Revue des Deux Mondes5e période, tome 52 (p. 172-197).
FIGARO ET SES DEVANCIERS

I
LES NOUVELLISTES A LA MAIN

On peut dire que la presse n’existait pas sous l’ancien régime. Que se passait-il ? — On n’en savait rien. Un exempt n’eût pas tardé de déposer entre les murs de la Bastille l’imprudent qui se fût avisé de faire imprimer le moindre journal[1].

Il est vrai que, depuis 1631, paraissait la Gazette, fondée par Renaudot et pourvue par Richelieu d’un privilège exclusif ; mais cette gazette hebdomadaire ne donnait pas le contenu d’une demi-page d’un de nos quotidiens. Et quelles nouvelles ! Certes la Gazette avait des intelligences auprès de la Sublime Porte et dans les Etats du Grand Mogol ; elle en avait moins en France. Les informations d’une semaine consistaient à dire que tel ou tel seigneur était parti pour sa maison des champs ou que Madame Deuxième avait présenté aux fonts baptismaux la petite-fille de la duchesse de Créquy. Le reste n’existait pas, ou, du moins, ne devait pas exister pour le lecteur.


I. — Mme DE SÉVIGNÉ

Les lettres privées tenaient lieu de gazettes. Et voici les premiers et charmans journalistes : Mme de Sévigné, Mme de Grignan, Mlle de Scudéry, Mme d’Huxelles, Mme de Maintenon... « Je n’ai pas de plus grand plaisir que de causer avec vous, écrit Mlle Aïssé à Mme Calandrini. J’écris les nouvelles que je sais bien. Je n’aimerais pas à vous mander tout ce qui se dit à Paris. Vous savez, madame, que je hais les faussetés et les exagérations ; ainsi tout ce que j’écrirai sera sûrement vrai. » « Mme de Sévigné raconte tout ce qu’elle sait, dit Gaston Boissier, et, comme elle a de grandes relations et qu’elle fréquente les bons endroits, elle sait à peu près tout ce qui se fait ou se prépare. Il n’y a point d’intrigue intérieure, point d’événement politique ou militaire auquel elle ne touche en passant : en sorte que si nous voulions la suivre dans tous ses récits, c’est l’histoire entière de cette époque que nous serions forcé de raconter. »

C’est un devoir de société que d’insérer des nouvelles dans les lettres qu’on écrit, de « participer » à parens et amis les faits de la Cour et de la ville dont on est informé. Veut-on se soustraire à cette obligation ? — il faut s’en excuser. C’est ce que fait Mme de Maintenon écrivant au maréchal d’Albret : « Je passe les jours à travailler en tapisserie, enfermée dans ma chambre, et ainsi je suis très mal instruite de ce qui se passe. » La marquise d’Huxelles à Gaignières, après avoir abordé diverses questions personnelles : « De nouvelles, vous êtes à la source avec de telles gens que vous me marquez ; ainsi, monsieur, je finis... » Sur les dernières années de l’ancien régime, à une époque où la presse manifestait cependant, avec le Journal de Paris, certaines velléités de transformation, Turgot, le grand Turgot, devait encore demander à ses correspondans d’exonérer ses lettres des nouvelles publiques.

Cette épitre, toujours attendue et si précieuse, il n’était pas permis de la garder par devers soi, pour son égoïste satisfaction. On se la passait de main en main ; on en tirait des copies qui circulaient par la ville ou qui, à la campagne, étaient portées de château en château, et voyageaient même en lointain pays. On s’en « parait, » comme écrit Coulanges. Parens, voisins, amis, étaient invités pour l’entendre lire après le dîner, quand la compagnie se groupait autour de la grande cheminée, où brûlaient les bûches d’orme ou de frêne, où les bourrées crépitaient au mouvement de leurs frêles flammes bleues.

Ainsi s’expliquent la forme donnée à ces correspondances, leur tour, leur allure, les détails qu’elles contiennent et dont nous sommes aujourd’hui surpris ; car aujourd’hui, en ouvrant les plis confiés à la poste, on nous trouve dans l’intimité de notre home, en robe de chambre, en déshabillé. La marquise de Sévigné, au contraire, quand elle tient la plume, ne semble-t-elle pas en toilette de ville, presque en costume de Cour, en « grand corps d’habit, » lequel est impuissant cependant à raidir la souplesse de sa grâce enjouée ?

D’où ce détail, qui revient dans les lettres du vieux temps. En vedette apparaissent parfois ces mots : « Lisez bas ; » c’est-à-dire : « Gardez pour vous seul ce qui va suivre et passez-le quand vous donnerez lecture de la lettre à haute voix. »

Mme de Sévigné écrit pour tout un auditoire.

Là se trouve encore le secret de ces menues comédies mondaines, relevées par des auteurs contemporains et qui ne s’expliqueraient plus aujourd’hui. Arimont a des amis à dîner. Un domestique entre, lui remet une lettre. A peine en a-t-il pris connaissance qu’Ariste le prie de la lui montrer, « disant qu’il devait y avoir des nouvelles dedans. »

Pour documenter sa correspondance, on organisait de véritables services d’information. Celui que la marquise de Balleroy mit sur pied au commencement du XVIIIe siècle peut être cité comme modèle. Ses frères, ses neveux, parmi lesquels les deux d’Argenson, les amis de la famille, jusqu’aux domestiques, sont mis à contribution. Les domestiques sont parmi les fournisseurs de nouvelles les plus zélés. On imagine leur orthographe :

« Se seulement pour vous dire que l’on disoy ier au Tuilery que les ennemis marché du côté de Namur... » Et cependant les lettres de ces nouvellistes en livrée abondent en renseignemens utiles. Que nos brillans confrères de la presse contemporaine leur soient indulgens ! Nous leur avons donné pour ancêtres, — en ligne directe, — Mme de Sévigné, de Grignan, de Maintenon, Mlle de Scudéry ; c’est le premier échelon : le second est occupé par ces domestiques informateurs, reporters galonnés qui se glissent partout. On les rencontre au café et dans les promenades, dans l’antichambre des ministres, au parterre de la Comédie. Ils apprécient le jeu des acteurs et la valeur des pièces. Et leurs aspirations littéraires vont encore plus haut : « Les Mémoires du cardinal de Retz, écrit l’un d’eux, font ici beaucoup d’effet. Ils agitent les faibles et augmentent l’inquiétude des inquiets. » C’est un valet de chambre qui écrit ainsi au début du XVIIIe siècle. Déjà ne croit-on pas voir courir sur le papier la plume de Figaro ?

Ils ont presque l’oreille du secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, jusqu’au 28 octobre 1706 tout au moins, où l’un d’eux écrit : « Plus de nouvelles, madame, les canaux en viennent d’être coupés par ordre de M. de Torcy, qui a fait arrêter trente commis qui se donnaient le soin de les répandre dans le public, malgré les défenses expresses qu’il leur en avait faites novissime. » Oui, novissime, — du latin, non de cuisine, mais d’antichambre.

Le chevalier d’Aydie, qui est à Mayac, écrit à la marquise du Deffand, le 29 décembre 1753 : « Le brave Julien m’a totalement abandonné. » Et pourquoi le brave Julien a-t-il abandonné le chevalier ? « Les ministres lui ont fait défendre d’écrire des nouvelles. » Julien rédigeait sans doute un journal d’opposition ; le gouvernement en a pris ombrage. « Mais Julien m’avait promis de me mander les nouvelles qui regardaient la santé de Mme du Châtelet, écrit le chevalier ; les ministres ne peuvent s’opposer à cela. »

Que souhaiteraient de plus nos gazetiers en mandille ? — Ils font peur au gouvernement !


II. — LES CHASSEURS DE NOUVELLES

De Paris, le 6 janvier 1721, le marquis de Balleroy mandait à sa femme : « Je viens d’arrêter un nouvelliste dont on m’assure que vous serez contente. »

Les parens, les amis, les relations, auxquels on en arrive à adjoindre les serviteurs, ne suffisent pas : on s’adresse à des spécialistes, de qui l’on sera en droit d’exiger, moyennant une rétribution précise, la ponctualité et l’exactitude. Les personnes de qualité auront ainsi leur informateur, chargé de recueillir et de transmettre les échos du jour, personnage qui fera partie de leur « domestique, » comme leur suisse et leur maître d’hôtel.

Un compte manuscrit de recettes et dépenses du duc de Mazarin porte cet article :

« Au sieur Portai, pour les nouvelles qu’il fournit toutes es semaines par ordre de Monseigneur, et pour cinq mois, à 10 livres par mois... 50 lb. »

Outre ces appointemens fixes, le chasseur de nouvelles avait droit de prendre place à la table de l’oilice, quand le hasard de ses courses l’amenait à l’heure du repas dans le quartier où résidait son maître. « Et vous pensez bien, dit l’un de ces pauvres diables, que le hasard se présentait tous les jours. »

« Il n’y a point d’hôtel fréquenté qui n’ait son nouvelliste, lisons-nous dans les Entretiens du Palais-Royal, et, comme c’est ordinairement un être qui va chercher dans tous les recoins de quoi remplir sa tâche, il rapporte indistinctement tout ce qu’on lui dit : souvent même il imaginera, pour se rendre intéressant en tâchant d’amuser. » Type heureusement renouvelé du nouvelliste de Plaute, qui « savait tout » et « disait tout, » jusqu’aux propos les plus intimes de Jupiter et de Junon. Il n’est donc grande maison qui n’ait son service spécial de nouvelles. Les directeurs de ces sortes d’agences expédient à des dates régulières leurs feuilles manuscrites. Nombre de ces correspondances sont conservées et ont été publiées. On trouve dans l’une d’elles, à la date du 10 juillet 1664 :

« On ne parle à Paris que des rentes de l’Hôtel de Ville. Chanson à ce sujet :


Dans l’empire d’amour le désordre s’est mis,
Dorize, Climène et Phylis
En sont dans l’épouvante ;
Beaucoup n’ont déjà plus que mépris pour leurs lois,
Et chacun crie à haute voix :
Amarante ! Amarante ! »


La chute du célèbre madrigal des Femmes savantes :


Ne dis plus qu’il est « amarante, »
Dis plutôt qu’il est « de ma rente, »


ne serait donc que l’écho d’une chanson à la mode.

Ces salariés, chasseurs de nouvelles, sont pour la plupart de pauvres hères. Il faut lire les suppliques qu’ils adressent à leurs nobles patrons. C’est le papier dont ils ont besoin pour écrire, qui leur fait défaut, et ils demandent instamment qu’on leur envoie l’argent nécessaire.

Cet office d’information se généralise. Aux anecdotes de la Cour et de la Ville, nos correspondans ne tardent pas à ajouter celles qui intéressent la « République des lettres : » comptes rendus de spectacles, analyses des livres nouveaux, brigues académiques, petits vers, épigrammes, chansons des rues et des cours, de la Cour et des ruelles. Parfois aux notices sont joints les livres dont il y est question : les nouveautés, les pièces de théâtre, les volumes de vers, le dernier roman dont les feuilles sont encore « humides des baisers de la presse ; » c’est le service de la « Parnasserie. » Il s’y mêle des colis d’huile d’olive, de « pommes d’orange, » de savons de Marseille et de balais ; les envois partent l’un en même temps que l’autre : service domestique.

Un pas encore et nous voici en présence d’informateurs qui fournissent, non plus un seul, mais plusieurs cliens, desquels ils tirent également une honnête rétribution. Leur travail s’en accroît : ils doivent s’adjoindre des collaborateurs, ce qui les amène à former comme un bureau, un bureau de nouvellistes, où nous entrerons sans plus tarder, pour y trouver les personnages mêmes qui font l’objet de cette étude, les devanciers de Figaro, les nouvellistes à la main.


III. — LES NOUVELLES A LA MAIN

A l’exception de l’officieuse et insignifiante Gazette, les feuilles imprimées sont interdites. Les rédacteurs en sont menacés du sort de Figaro :

« Je vois du fond d’un fiacre baisser sur moi le pont d’un château fort, à l’entrée duquel je laissai l’espérance et la liberté. »

Les gazettes manuscrites ou feuilles de nouvelles sont également prohibées ; mais, comme le fait observer l’auteur de la Bastille dévoilée, « les ustensiles d’un écrivain de gazettes se bornent à une plume, une écritoire et une feuille de papier ; le pamphlet une fois copié, remis à des mains sûres, rien ne pouvait trahir le secret. Une imprimerie au contraire exige un attirail considérable, qui souvent a servi à dévoiler les mystères que l’on cherchait à ensevelir, »

C’est Figaro :

« Je taille encore ma plume et demande à chacun de quoi il est question. »

Ces feuilles de nouvelles sont de vraies lettres, rédigées par un « nouvelliste à la main, » pour plusieurs correspondans, des abonnés. On les appelle « nouvelles à la main, » ou « gazettes secrètes, » ou « feuilles de nouvelles, » ou « gazetins, » ou « petits manuscrits. » Fond et forme en sont semblables aux « lettres de nouvelles » dont il vient d’être question. L’unique différence c’était que le « chasseur de nouvelles, » attaché à un homme de qualité, était directement connu et relevait en quelque sorte de la domesticité de son client,— encore ce lien très mince allait-il se relâchant, — tandis que le « nouvelliste à la main » n’avait affaire qu’à des abonnés, à des abonnés dans le sens moderne du mot.

Du contenu de ces feuilles manuscrites deux circulaires-prospectus vont nous instruire. La première est du commencement du XVIIe siècle (1609). Elle est en vers. Il s’y agit bien d’une gazette à la main :


La gazette a mille courriers.


Elle parle de tout :


<poem>De duels, de commissions,
De pardons pléniers et de bulles.
D’ambassadeurs venus en mules...


Puis de nouvelles particulières :


De malheurs, de prospérités,
De larmes en cour, de piaphes (puffs),
De morts subites...


Des nouveautés du Parnasse :


Des livres de M. Guillaume...


Des modes :


Nœuds argentés, lacets, écharpes,
Bouillons en nageoires de carpes,
Porte-fraizes en entonnoir,
Oreillettes en velours noir...


Bref :


Quoi que ce soit, rien ne s’oublie,
Car la gazette multiplie
Sans relâche les postillons,
Vites comme les aquilons...


La seconde circulaire est de 1762. Elle a été rédigée par un nouvelliste de rare valeur, François Chevrier, un pamphlétaire redouté, celui qu’on a surnommé le Juvénal du XVIIIe siècle.

« Ces nouvelles à la main, dit Chevrier, renfermées dans quatre pages de grand papier (format in-4o), contiennent tous les objets dignes de fixer la curiosité publique :

« Le premier de ces objets roulera sur les affaires politiques et autres relatives au gouvernement de tous les Etats de l’Europe. Les événemens les plus secrets y seront dévoilés et on y découvrira les ressorts cachés dont tant de princes se servent pour arriver à leur but.

« Le second renfermera les anecdotes courantes, les aventures singulières, les événemens plaisans, les soupers fins des agréables de Paris, les contes et les bons mots du jour.

« Le troisième sera purement littéraire. Il contiendra les nouveautés théâtrales et de petites pièces de vers qui n’ont jamais paru. »

« La nouvelle à la main, écrivent les Goncourt, entre partout, elle lève tous les toits : elle sait le dessous des masques, le dessous des cartes, le dedans des alcôves ;... elle est une puissance déjà, elle sera la presse. »

Par la petite poésie-réclame, que nous venons de citer, on a vu que les gazettes manuscrites remontaient pour le moins au commencement du XVIIe siècle. Les plus anciens spécimens, qui en sont venus à notre connaissance, datent de 1648. Ils se trouvent dans un énorme recueil conservé à la Bibliothèque nationale, formé de lettres de nouvelles adressées à divers personnages, notamment au chancelier Séguier et à la reine Christine. La première en est envoyée de Londres, le 14 décembre 1645, et raconte par le menu l’entrée dans la ville de l’ambassadeur moscovite. Service d’information privé ; mais dans le même recueil, de véritables nouvelles à la main partent de 1648. Toutes celles qui viendront après, jusqu’en 1789, seront sur ce même modèle : un petit in-4o, écrit généralement sur les quatre pages et contenant les faits du jour, tantôt politiques et militaires, tantôt mondains, littéraires, dramatiques ; le courrier des spectacles, des lettres et des arts.


IV. — UN BUREAU DE RÉDACTION

Une hirondelle ne fait pas le printemps, un rédacteur ne fuit pas un journal. Les nouvellistes se réunissaient donc à plusieurs pour la confection de leurs bulletins. Ils se mettaient en « branches, » pour reprendre leur expression, ou, comme ils disaient plus souvent, en « bureaux ; » d’où le mot actuel « un bureau de rédaction. »

Nous lisons dans l’interrogatoire d’un certain Nicolas Tollot, en date du 27 février 1744 : « ...» ... Ils s’associèrent plusieurs ensemble, savoir les nommés Colson, Girardon, Lacroix, Ledoux, Diot et autres, lesquels fournissaient chacun leurs nouvelles, et comme lui, répondant, était le plus propre à la composition, il rédigeait lesdites nouvelles : c’était le nommé Lacroix (un domestique) qui en fournissait le plus. »

A la tête du bureau, le rédacteur en chef, qui s’appelait alors le « chef de nouvelles. » Puis le secrétaire de la rédaction. Celui-ci centralisait les informations qui arrivaient et les faisait transcrire, — sans y rien pouvoir modifier, — par les scribes et copistes. Il tenait registre des abonnés et veillait au départ des feuilles, après que celles-ci avaient été mises sous des enveloppes portant chacune le nom et l’adresse des différens souscripteurs.

A chaque « bureau » étaient attachés des reporters, car les nouvellistes ont connu le reportage dès le XVIIe siècle. La Reynie interroge Seubert de Benstal, détenu en 1670 à la Bastille :

« J’ai des hommes, répond le prisonnier, qui viennent m’apporter chaque jour leur récolte de nouvelles ; je paie l’un cinq livres par semaine, l’autre quarante sols. Je tire trois ou quatre copies de ces informations et j’arrive à gagner ainsi 900 livres par an. »

Tollot dira également au lieutenant de police :

« Je tenais les nouvelles de Paris des différentes personnes qui, des églises, des cafés, me rapportaient tout ce qu’elles entendaient dire. »

Le chevalier de Mouhy, « fameux nouvelliste, » « met les gens en campagne pour entrer dans les bas détails, » et nous les voyons se mêler à la foule, pour en rapporter les on-dit et, dans leur ardeur professionnelle, ne pas craindre de s’aventurer jusque dans les bagarres populacières des faubourgs.

Dans ce reportage, le monde de la livrée rendait les plus grands services. Les laquais se tenaient aux écoutes, tout en servant à table, tout en introduisant les visiteurs chez monsieur le comte ou chez monseigneur l’Intendant ; les portiers prenaient note des personnes qui entraient : sources d’informations si importantes que nous verrons des bureaux de rédaction installés dans des loges de concierges. Et qu’en résultait-il ? L’abbé Dubois, durant son ambassade à Londres, en 1717, écrivait au Régent :

« N’est-ce pas une chose monstrueuse que cette fureur contre l’affaire qui se traite actuellement ? Je suis dans le dernier étonnement quand je vois qu’on fait des assemblées sur une négociation comme sur la constitution Unigenitus, qu’on lit des mémoires (nouvelles à la main) dans les maisons, qu’on publie dans les rues, et qu’on commet un intérêt de cette importance au caquet de tout le monde. En vérité, Son Altesse Royale est trop trahie ; tout ce que je vous écris dans mes dépêches transpire au point que tout ce qui peut être nuisible à ses affaires roule dans Paris et puis voyage jusqu’à Madrid... »

Enfin les correspondans entretenus en province et au dehors du royaume. Tollot déclara au Magistrat, — c’est-à-dire au lieutenant de police, — qu’il recevait des nouvelles des pays étrangers ; celles d’Amsterdam lui étaient envoyées par Rousset ; celles de La Haye par « le nommé ou la nommée Jamet, qui est hermaphrodite. » La Hollande était, comme on sait, le centre du journalisme européen. Le correspondant de Tollot à Londres était un certain Desportes.

« Interrogé combien il lui en coûtait pour avoir lesdites nouvelles, il a dit qu’il lui en coûtait 200 florins à La Haye, autant à Amsterdam, et 40 écus à Londres. »

Ce service d’informations était susceptible d’une grande extension. Chevrier annonce en 1762 « une correspondance établie dans toutes les villes capitales et autres principales de l’Europe. Soixante-douze personnes sout chargées d’amasser les faits et de les envoyer au bureau. »

Combien de nos journaux pourraient se prévaloir de correspondans aussi nombreux ? Il est vrai que l’abonnement à la gazette manuscrite de Chevrier coûtait 240 livres, c’est-à-dire cinq ou six cents francs de notre monnaie.

« Les gazetiers, écrit Madame Palatine, mettent dans leurs feuilles ce qu’ils savent et ce qu’ils ne savent pas, pourvu que la page soit pleine. » Et Marivaux s’égaie à son tour, aux dépens de « ces nouvellistes qui font des nouvelles quand ils n’en ont point, ou qui corrigent celles qu’ils reçoivent, quand elles ne leur plaisent pas. » Flins des Oliviers, dans le Réveil d’Epiménide, silhouette nos personnages d’une plume pittoresque :

Gorgi, nouvelliste « à tant la ligne » — on voit que rien n’est nouveau, — entre en scène, un crayon à la main, comme Figaro :


Achevons avant tout la feuille de Bruxelles...
Combien nous faudra-t-il tuer d’Impériaux ?
Il me faut surpasser tous les autres journaux
Par de plus sanglantes nouvelles.
(Il heurte Épiménide et s’en excuse.)

ÉPIMÉNIDE.

Pourquoi vous déranger ? continuez d’écrire.

GORGI.

Il le faut bien, c’est mon état.
Si ces messieurs voulaient souscrire...

ÉPIMÉNIDE.

Pour quel ouvrage ?

GORGI.

Pour un journal excellent
Qui, le matin, dès qu’on s’éveille.
Apprend dans tout Paris ce qui, dans le Brabant,
S’est à coup sûr passé la veille.

D’HARCOURT.

Moi, je ne puis pas concevoir
Comment de Gand ou de Bruxelles
Vous pouvez le matin nous donner des nouvelles.
Tandis que le courrier n’arrive que le soir.

GORGI.

Je n’attends pas les faits, monsieur, je les devine.

ÉPIMÉNIDE.

Mais tromper le public !

GORGI.

Le public est si bon !
Il ne veut qu’être ému, c’est à quoi je m’applique :
Ah ! messieurs, sans l’invention.
Que deviendrait la politique ?

A côté du nouvelliste qui orne, déforme ou exagère, nous trouvons son confrère qui insère, de propos délibéré, des informations sensationnelles, pour se faire valoir et augmenter le chiffre de ses abonnés. Le bruit courut en 1767 que la servante de Mme Calas était morte en disant que la famille du jeune Calas l’avait réellement étranglé. Voltaire, tout ému, en écrit à Elie de Beaumont : « On me mande que cette imposture a été répandue par un folliculaire qui croyait qu’en effet la servante de Mme Calas était morte et qu’il pouvait insérer toute cette fable dans ses feuilles qui, par là, reprendraient quelque crédit et lui procureraient quelque argent. »

Puis les gais farceurs, M. Lemice-Terrieux ; car aucune figure moderne ne manque parmi nos compagnons.

Où se tenaient les bureaux des nouvellistes ? Un peu partout ; le plus souvent dans leurs domiciles particuliers, de pauvres mansardes, sous les combles, tapissées d’affiches de comédie collées à cru sur les lattes ; ou bien dans quelque cabaret. Nombre de ces gazetiers griffonnaient leurs chefs d’œuvre à la tabagie ou au café, sur un coin de table, entre une bavaroise et un verre de limonade. En 1724, Bosset est mis au Grand-Châtelet. Quand on lui représente ceux des articles de ses gazettes qui sont particulièrement incriminés, il reconnaît qu’il les a composés au café Rossignol, à la Croix du Tiroir, d’après les conversations du jour, « pour achever une page. »

Quant à la situation sociale des nouvellistes, — pour la plupart ils étaient de pauvres hères, des déclassés, épaves de la grande ville. L’avocat Marchand nous les montre « avec des habits noirs déguenillés, des vestes rouges tannées, des bas troués, des souliers ferrés, du linge sale et des perruques rousses. » Parmi eux s’est rencontré un membre de l’Académie des Inscriptions, Nicolas Mahudel ; mais c’était un désespéré, à la peau duquel la femme s’éta’it attachée comme une sangsue. Clercs de la basoche congédiés par leur patron, prêtres interdits, officiers réformés, étudians en quête des ressources exigées par les beaux yeux de Lisette : il fallait vivre et parer sa mie. Enfin des domestiques.

Mais si bafoués, si méprisés que fussent ces besogneux, quelle influence, du fond de leur misère, n’ont-ils pas exercée sur leurs contemporains ? Ils avaient des plumes actives, inlassables ; ils avaient en France, par toute l’Europe, des milliers de lecteurs. Plus que les philosophes, ils ont su remuer l’opinion ; plus facilement qu’eux ils en ont été les interprètes ; et l’heure viendra où ces folliculaires, comme les appelait Voltaire, se nommeront l’abbé Prévost, Grimm, Raynal, Diderot, Favart, Mirabeau.

L’influence d’un gazetier à la main se propageait encore par les feuilles nouvelles que produisait la feuille qu’il avait rédigée. Des rameaux secondaires venaient se greffer sur la branche principale, pour reprendre les expressions du temps. Des nouvellistes de deuxième rang se procurent de la copie chez leurs confrères du premier ordre et la débitent ensuite pour leur propre compte. Cette opération est souvent le résultat d’agissemens frauduleux, pratiqués par des journalistes indélicats qui volent à leurs confrères le fruit d’un travail personnel ; ils peuvent le faire s’ils sont employés par eux comme copistes, ou bien s’ils obtiennent de quelque abonné des exemplaires déjà lus. Un certain Ratier transcrivait ainsi, en 1724, les feuilles que lui communiquait le laquais de M. de Gouvernet ; et c’était bien l’éventualité que redoutaient le plus les nouvellistes, — après l’apparition toutefois de l’exempt armé de son bâton rouge et d’une lettre de cachet.

Mais ces emprunts pouvaient aussi se faire du consentement des nouvellistes principaux. C’étaient pour la plupart de pauvres diables, et qui avaient bon cœur. Voyant un camarade dans la peine :

« Tâche de te procurer des souscripteurs, je te passerai de la copie. »

Ou bien ils vendaient fort cher leurs informations à des confrères qui disposaient d’abonnés auxquels eux-mêmes ne pouvaient parvenir, ne connaissant pas leurs adresses. Girardin, prisonnier au Grand-Châtelet en 1744, assure au lieutenant de police que, s’il est coupable, ce n’est point comme auteur (rédacteur de nouvelles, expression consacrée). Il se procurait des mémoires (informations, sur lesquelles travaillaient les nouvellistes, expression consacrée également), il se procurait des mémoires « à raison de neuf livres par mois et les répandait ensuite pour gagner sa vie et soutenir sa famille. »

La clientèle des nouvellistes se recrutait dans l’élite de la société. « J’adressais mes feuilles, dit un certain Gautier, deux fois par semaine à quelques personnes distinguées dont je faisais les commissions littéraires. » Gautier n’exagérait pas. Voici d’abord ses abonnés parisiens : les comtes de Lamarcq et de Tessin, le duc de Valentinois, les princes de Lichtenstein, de Campo-Florido et de Grimberghen ; le marquis de Fontanges et M. de Joinville. En province : le duc d’Agenois à Montpellier, M. de Spon à Lyon et le marquis de Choiseul à Lunéville ; à Florence, M. de Richecourt, M. de Bucquoy à Bruxelles, à Amsterdam M. de Médina. Gautier adresse encore ses feuilles du jeudi et du samedi à M. de Chambrier, ministre de Prusse, à la princesse de la Tour et au prince de Ligne, au président de Brosses, au chevalier de Launey, à M. de Romigny, à l’abbé de Chevreuse, au comte de Loc-Maria. Séchelles, intendant de Lille, constate que les nouvelles à la main pénètrent dans tous les châteaux. Au fait, le prix de l’abonnement était si élevé que seules les personnes du plus haut rang pouvaient avoir un intérêt assez pressant à recevoir ces informations pour les payer aussi cher.

Le prix de cet abonnement était moyennement de 144 livres par an, soit quatre ou cinq cents francs de notre monnaie. Les nouvellistes de second ordre acceptaient des souscriptions à trois livres par mois. Leclerc et Châtelain donnent leurs gazetins pour une rétribution mensuelle de 20 et 30 sols (ce qui représenterait aujourd’hui un abonnement annuel de 72 francs) ; mais c’étaient des gâte-métier. « Je lui dis, déclare Nervèze, qu’il avait tort de donner ses nouvelles à si bon marché. Leclerc me répondit que chacun faisait comme il l’entendait. » D’autre part, nous voyons des abonnemens monter jusqu’à 600 livres par an, environ deux mille francs d’aujourd’hui.

Le nombre de ces souscripteurs était très variable. Quelques nouvellistes n’en avaient que cinq ou six ; d’autres cent cinquante ou deux cents.

Quand la gazette était terminée, des distributeurs la portaient à la clientèle de Paris : opération qui exigeait des précautions infinies. Les femmes étaient choisies de préférence pour cette tâche dangereuse. Quelquefois, c’est le chef de nouvelles en personne qui, le matin, à l’heure consacrée à la toilette, va remettre la feuille, fraîchement écrite, à l’abonné de considération :

« La toilette de l’homme du jour ressemble à une boutique de parfumeur par les odeurs différentes. Elle est parée comme une châsse découverte et décorée de pommades de frangipane et de persil, d’ambre, de vanille, de tubéreuse, de jasmin, de roses, d’œillets. Ses poudres sont assorties aux couleurs de ses vêtemens et à peu près de même odeur que ses pommades. Il y en a de couleur jaune, verte et rouge, rose, noire et blanche.

« Les abbés poupins, des nouvellistes et des auteurs parasites apportent dans le temps de cette toilette des ouvrages convenables à être encouragés... »

Les citoyens curieux des affaires publiques, qui n’avaient pas les moyens de s’abonner eux-mêmes aux gazetins, les trouvaient dans certains cafés, à côté de la Gazette de Renaudot et des feuilles de Hollande. C’est là que les venaient lire les étrangers. Dans d’autres cafés, les garçons vendaient sous le manteau les « petits manuscrits » à la clientèle. En province, les nouvelles à la main étaient expédiées par la poste, « par l’ordinaire, » comme des lettres et sous enveloppe. Et c’est peut-être à ces nouvelles à la main qu’est dû l’usage de l’enveloppe, car on sait qu’autrefois le nom et l’adresse étaient écrits au des même de la lettre, soigneusement pliée et cachetée, sur un espace resté blanc. Or, pour le gazetin, il importait, s’il tombait entre les mains de la police, qu’il ne trahît pas le secret d’un tel commerce. Et le gazetin, sans adresse, l’enveloppe, sans gazetin, ne pouvaient plus être que des témoins discrets.

« C’est une plaisante chose que les provinces, observe Racine : tout le monde y est nouvelliste dès le berceau. »

Molière, dans la Comtesse d’Escarbagnas, fait parler le vicomte de manière à plaire à Louis XIV, qui avait les nouvellistes en horreur :

« Je serais ici depuis une heure, s’il n’y avait pas de fâcheux au monde, et j’ai été arrêté en chemin par un vieux importun de qualité, qui m’a demandé tout exprès des nouvelles de la Cour, pour trouver moyen de m’en dire des plus extravagantes qu’on puisse débiter ; et c’est là, comme vous savez, le fléau des petites villes que ces grands nouvellistes, qui cherchent partout à répandre les contes qu’ils ramassent.

« Celui-ci m’a montré d’abord des feuilles de papier (nouvelles à la main) pleines jusques aux bords d’un fatras de balivernes qui viennent, m’a-t-il dit, de l’endroit le plus sûr du monde... À l’entendre parler, il sait les secrets du Cabinet mieux que ceux qui les font. La politique de l’État lui laisse voir tous ses desseins et elle ne fait un pas dont il ne pénètre les intentions. Il nous apprend les ressorts cachés de tout ce qui se fait, nous découvre les vues de la prudence de nos voisins et remue, à sa fantaisie, toutes les affaires de l’Europe ; ses intelligences même s’étendent jusques en Afrique et en Asie ; et il est informé de tout ce qui s’agite dans le Conseil d’en haut du Prêtre Jean et du Grand Mogol. »

Enfin les feuilles de nouvelles partaient pour l’étranger comme pour les provinces, sous pli fermé.

Après avoir fait encaisser ses abonnemens, le nouvelliste à la main avait accompli sa tâche, — bonne ou mauvaise, utile ou nuisible, nécessaire assurément. Il l’avait remplie de son mieux, dans la misère souvent, toujours dans l’angoisse de la lettre de cachet. Oh ! la terrible silhouette de l’exempt armé de son bâton rouge, coiffé de son feutre noir ! l’aspect plus sinistre encore de Bicêtre, « qui me faisait trembler les membres et claquer les dents, » dit le nouvelliste Fouilhoux. Et, dans ces feuilles fugitives, il avait mis parfois beaucoup de talent, un peu de son âme ; il y avait insinué, sous une forme plus ou moins déguisée, les sentimens de révolte qui grondaient en lui, le malheureux, le réprouvé, l’éternel déclassé, jusqu’au jour où il sera parvenu à déchaîner les colères populaires contre cette société riche, brillante et frivole, qui l’aura fait travailler, tout en le méprisant, qui l’aura laissé proscrire tout en se servant de lui, et qui tombera finalement, écrasée sous les décombres du monument qu’il aura ébranlé de ses mains fiévreuses.


V. — LA CONCURRENCE

La misère du nouvelliste est le beau côté de son existence, la concurrence en est le plus douloureux, la concurrence qui fait naître la jalousie, l’envie, la haine, la délation.

« Comment voulez-vous, dira le plus illustre d’entre eux, Figaro : la foule est là, chacun veut courir ; on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse ; arrive qui peut ! le reste est écrasé. »

Le plagiat est aussi ancien que la littérature. « Nous autres gazetiers, écrit l’auteur de la Quintessence des Nouvelles, nous nous pillons les uns les autres : c’est la mode. » Les chefs de bureaux de rédaction ne cessent de se plaindre « que leurs nouvelles transpirent à d’autres nouvellistes. » Sarazin avertit son confrère Tollot « que ses mémoires se divulguaient extrêmement dans le public et que le nommé Claudot, sa société et autres les avaient. »

Ce Sarazin était un nouvelliste de valeur. Tollot et Felmé essayèrent de se l’adjoindre. C’est l’opération, toute moderne encore, de la fusion de deux feuilles rivales. Mais Sarazin entendait conserver son indépendance, d’autant que son « papier » était prospère. Alors les deux compères « conçurent de l’indignation contre lui et complotèrent de le perdre et, à cet effet, ils lui suggérèrent de fausses nouvelles, afin qu’il les insérât dans les siennes. »

Nos journalistes se jalousent, se détestent, se dénigrent ; ils se battent à coups d’épigrammes :


London, le marchand de nouvelles,
M’accuse de son discrédit,
Pour avoir dit vrai quand j’ai dit
Que rien n’était moins nouveau qu’elles.
En conséquence il a pris soin
De me tirer, je ne sais comme,
Un certificat d’honnête homme :
Chacun, dit-on, sent son besoin.


Ils se filoutent les uns aux autres leurs pratiques, effrontément, comme ils se volent leurs « mémoires, » et d’une âme d’autant plus tranquille que l’anonymat même de leur commerce leur assure l’impunité.

La plupart des gazetiers mis en état d’arrestation doivent leur disgrâce à la délation d’un concurrent. Hérault, lieutenant de police, le constate en 1737, au cours d’une lettre au duc de Noailles. On revient toujours à Figaro :

« J’annonce un écrit périodique, dit l’étincelant barbier en son célèbre monologue, et, croyant n’aller sur les brisées d’aucun autre, je le nomme Journal inutile. Pou-ou ! je vois s’élever contre moi mille pauvres diables à la feuille (nouvellistes) ; on me supprime, et me voilà derechef sans emploi ! »

Le chevalier de Mouhy, nouvelliste toléré par la police qui reçoit ses bulletins, s’efforce de faire incarcérer ses confrères, — ses rivaux ; ce qui lui vaut cette lettre de l’un d’eux :


Il sera donc toujours vrai que les gens du même métier ne peuvent s’accorder. Vous voulez absolument nous découvrir et nous faire enfermer. Vous n’en viendrez pas à bout, M. le chevalier ; mais permettez que je vous représente, en bon confrère, que vous avez tort d’en vouloir à nous autres pauvres nouvellistes, qui n’avons pour vivre que nos nouvelles. Si nous avions comme vous chacun une jolie femme, nous nous passerions de faire des nouvelles. Un bon financier viendrait faire la cour à nos femmes et laisserait de quoi bouillir la marmite. Vous pensez qu’à un bon nouvelliste rien n’échappe et que je sais parfaitement que votre femme, qui a rebuté autrefois Marville, d’Argenson et quelques autres, est à présent courtisée par un financier qui vous méprise autant que vous le méritez, parce qu’il sait fort bien que c’est vous qui l’avez prostituée.

Prenez bien garde que je ne fasse de cet article un des plus beaux de ma feuille. Je vous avertis que je vous observerai de près et que si vous faites le rodomont...


Aussi, comme l’on comprend que Figaro, à bout de patience et d’efforts, lassé, dégoûté, écœuré, ait fini par fuir Paris, car Beaumarchais ne nous laisse aucun doute sur le vrai cadre de son intrigue espagnole :

« Voyant que la République des lettres était celle des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes (nouvellistes), les librairies, les censeurs et tout ce qui s’attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevait de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait ; fatigué d’écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et léger d’argent ; à la fin convaincu que l’utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j’ai quitté Madrid. »


VI. — LE DANGER DES NOUVELLES A LA MAIN

Les pouvoirs publics se montraient très sévères vis-à-vis des « gazetiers à la main. » Figaro est mis à la Bastille, et, furieux, il s’écrie :

« Que je voudrais bien tenir un de ces puissans de quatre jours, si légers sur le mal qu’ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais... qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. »

Fort bien, mais ces « petits écrits » étaient clandestins : la médisance, la diffamation, la calomnie, — on se rappelle le fameux couplet du Barbier, — circulaient sous pli cacheté : comment répondre ? Le plus souvent la jeune femme, dont la réputation était attaquée, ignorait la source de l’infamie dont on avait voulu l’atteindre. Sa famille l’apprenait-elle : par quelle voie et à qui faire parvenir la vérité ? Et l’anecdote fût-elle exacte, est-il permis à des correspondans mercenaires de divulguer et de propager des secrets d’alcôve ou de jeter une faiblesse de cœur en pâture aux bavardages mondains ?

Les mêmes considérations, que nous venons d’invoquer pour le respect de la vie privée, s’appliquaient à la vie publique, aux transactions commerciales, aux opérations de Bourse, aux intérêts de la défense nationale, aux secrets du Roi. « Tout le monde s’en plaint, lisons-nous dans une note pour le lieutenant de police, parce qu’ils attaquent et distribuent des faits faux et injurieux contre tout le monde, sans aucun ménagement. »

Dans les provinces, le mal sévissait avec d’autant plus d’intensité qu’on y était encore plus mal armé pour le combattre. L’auteur des Menagiana en fait la remarque : « On ne doit point désapprouver le soin que l’on a d’empêcher le cours des gazettes à la main, qui sont remplies de faussetés. Elles ne font point tant de tort à Paris que dans les provinces, où elles mettent quelquefois les gens bien en peine. » C’est le sujet d’une comédie, le Nouvelliste provincial, où nous voyons toute une famille plongée dans la désolation par une feuille de nouvelles à la main qu’a reçue un ami en villégiature au château. L’information heureusement était fausse, et la charmante Elise, fille de la marquise, n’était pas encore entièrement morte de désespoir quand arriva le message dépêché par le galant chevalier que le nouvelliste avait fait périr à l’armée de Flandre.

Nous lisons dans les rapports pour le lieutenant de police, à la date du 10 février 1732 :

« Louis XIV n’a jamais voulu souffrir les petites nouvelles à la main et il a fait arrêter pendant sa vie tous ceux qui en faisaient et en débitaient, parce qu’il en connaissait le danger par rapport à ses ennemis auxquels on les envoyait. » Mazarin, Hugues de Lionne y trouvaient le même péril. Ces gazetiers, auxquels Louis XIV, Mazarin et Lionne faisaient allusion, étaient ceux qu’on nommait « les nouvellistes pour l’étranger, » Les ambassadeurs en France des rois d’Angleterre, de Prusse et d’Espagne tes cultivaient avec soin. A cet égard on ne saurait trop insister sur l’importance des déclarations faites par mi lord Taaf, ancien membre du Parlement anglais, arrêté en France à l’époque de la Guerre de Sept ans, comme agent du gouvernement britannique. Taaf avait pris pour collaborateurs des nouvellistes parisiens, dont quelques-uns pouvaient être inconsciens du rôle qu’on leur faisait jouer. Taaf dit que le roi d’Angleterre dépensait annuellement jusqu’à 60 000 livres pour rémunérer, voire pensionner, des Français qui, dans leur pays, servaient sa politique. Ici les nouvellistes ne sont pas seulement utiles à l’étranger pour lui fournir les informations qu’il désire obtenir, mais pour répandre en France et en Europe les bruits qu’il veut y voir circuler.

Outre ces nouvellistes, — qui constituaient évidemment parmi leurs confrères la très mince exception, — nouvellistes en communication directe ou indirecte avec l’étranger, il faut signaler encore, à une époque où l’idée de patrie s’était déjà éveillée dans bien des cœurs, les sujets du roi Très Chrétien qui faisaient des vœux pour les armées ennemies : types déjà rencontrés parmi les nouvellistes des promenades publiques, où on les appelait des « merles. » Parmi les nouvellistes à la main, on les nommait les « Autrichiens, » et de là tirera plus tard sa terrible force cette épithète d’» Autrichienne » dont on poursuivra Marie-Antoinette jusqu’à l’échafaud. Le mot était devenu synonyme de « traître à la patrie. » On les nommait ainsi parce qu’ils exaltaient l’impératrice Marie-Thérèse, ses capitaines et ses hommes d’État, en guerre avec la France. On les nommait encore « les Lorrains, » parce que la maison régnante en Autriche était la maison de Lorraine et que nombre d’habitans de cette province lui conservaient leurs sympathies. « Il y a dans Paris, disent Barbier et d’Argenson, beaucoup de gens malintentionnés qu’on appelle Autrichiens. On peut remarquer que, sur dix personnes, les trois quarts sont disposés à mal parler de nos entreprises et à saisir les mauvaises nouvelles. » Aussi, durant la guerre de la succession d’Autriche, vit-on se multiplier à Paris les arrestations de nouvellistes « qui s’étudiaient à élever excessivement la reine de Hongrie. »


VII. — LA RÉPRESSION

Ainsi s’expliquent donc les rigueurs de l’administration vis-à-vis des gazetiers à la main. Dès le 16 septembre 1551, Henri II porta défense « que nul ne soit si osé d’écrire nouvelles qui touchent les affaires des princes et du royaume, sur peine de confiscation de corps et de biens. » Les « lettres royaux » étaient motivées sur « ce que font les marchands espagnols, portugais, italiens qui, sous ombre de l’entrecours et trafic de leurs marchandises à changer, écrivent ordinairement nouvelles es Flandres et autres pays de la subdition de l’Empereur. » A l’époque de la Fronde, les sévérités redoublent, malgré le scepticisme intelligent de Mazarin. Il est vrai que, de temps à autre, le peuple, en accablant d’une grêle de pierres archers et bourreau, mettait les exécuteurs en fuite et délivrait le condamné au moment où déjà la corde lui tournait autour du cou :


On ne peut empêcher d’écrire
Par menaces, ni autrement,
Et les arrêts du Parlement
N’ont pas assez de suffisance...


fait-on dire au pauvre Mazarin.

Quand, à la mort du cardinal italien, Louis XIV prit en mains la direction de l’État, il ne laissa pas, comme bien on pense, faiblir les sévérités contre les nouvellistes. Est-il besoin de rappeler que Louis XIV n’était pas favorable à la liberté de la presse ? Il n’était délit pour lequel le grand roi montrât plus d’aversion. Aussi l’un de ses premiers actes fut-il d’ordonner l’incarcération à la Bastille de tous les nouvellistes qu’il serait possible d’attraper, et, dès le mois d’avril 1662, nous y voyons mener toute une « société : » Pierre Leclerc, marchand fruitier ; les abbés Delépine et Guérinon ; Pradier, solliciteur d’affaires au Palais ; trois domestiques, Gaigneron, Dupré et Parfait ; Louis Lecomte, maître d’hôtel de la présidente de Barillon ; P. Mathieu, avocat au Parlement et le gargotier Lamy : un joli bureau de rédaction et de l’assortiment le plus varié.

C’est l’époque où le secret d’État sévit dans toute son intensité. En vain les nouvellistes s’efforcent-ils d’y accommoder leurs plumes, d’écrire leurs gazettes avec modération, de leur enlever tout caractère politique, de ménager gens en place et gens de qualité : la défense demeure absolue, et les peines se succèdent : confiscations, lettres d’exil, prison, galères, potence ; c’est l’époque où, dans son Affaire des Poisons, Victorien Sardou a placé les aventures de son charmant abbé Griffard, un nouvelliste à la main ; mais les rigueurs, qu’on les aggrave, qu’on en redouble, demeurent impuissantes : à peine une nichée de folliculaires est-elle détruite, qu’on en signale une autre couvée, vivace et grouillante, qui s’agite et se démène, active à son travail souterrain. « Quant aux gazetiers, écrit le gouverneur de Bourgogne, c’est un mal sans remède. »

En l’absence de feuilles imprimées, ces feuilles manuscrites répondaient à une nécessité : elles avaient une clientèle qui les voulait et les attendait ; aussi les gazettes, toujours poursuivies, sans cesse détruites, reparaissaient-elles de tous côtés.

On lasserait la patience du lecteur à énumérer les châtimens qui tombèrent dru comme grêle sur nos pauvres publicistes ; du moins faut-il noter l’indomptable résistance de ces malheureux qui semblaient alors des infiniment petits. A mesure qu’on sévit plus cruellement contre eux, ils croissent en nombre et en audace. A peine le grand roi, s’irritant de ces résistances plus fortes que son pouvoir absolu, conserve-t-il son calme. Il s’acharne sur les nouvellistes condamnés aux galères. « Le Roi veut que la sentence soit entièrement exécutée, » écrit spécialement le ministre de sa Maison au lieutenant de police, en lui envoyant l’ordre de les attacher à la première « chaîne » dirigée sur Toulon.

Lutte dramatique : d’une part, le monarque tout-puissant, de l’autre, ces pauvres hères, écrivant leurs gazettes dans de misérables réduits, ou sous les arcades de la place Royale, sur les tombes du charnier des Innocens, sans relations, sans appui, sans crédit, méprisés par ceux-là mêmes qui les emploient ? Et quel dénouement I Les humbles triomphent. Louis XIV doit reculer ; Vers la fin du XVIIe siècle, il se verra obligé de fermer les yeux, il tolérera tacitement les « petits manuscrits » et, tout aussitôt, que de nouveaux essaims et quel essor ! Durant les premières années du XVIIIe siècle, on voit les gazetins se répandre par la ville. Les colporteurs les débitent dans les rues et les promenades, dans les cafés ; on les vend dans les boutiques ; « le public, dit un placet au lieutenant de police, lit les feuilles manuscrites et les commente généralement partout. »

En juin 1705, soit qu’il fût effrayé par ce pullulement, soit qu’il fût irrité des difficultés croissantes de la guerre de Succession, Louis XIV, par un brusque retour, fit renouveler les « défenses de rédiger ou de publier aucunes nouvelles à la main. » Mais, en cette poussée de la pensée montant vers une liberté sans horizon, elle avait déjà conquis trop de terrain pour qu’il fût possible de la ramener à ses anciennes limites. « Quelque soin que l’on ait pris, lisons-nous dans un rapport de police, pour empêcher les nouvelles à la main, cet abus n’a été que suspendu et, tout au plus, pendant quinze jours, et encore ce n’a été que dans Paris, où ceux qui les distribuaient ont aussitôt recommencé de le faire, eu plus grande quantité qu’auparavant, d’autant que la défense n’a fait qu’augmenter la curiosité des uns et fait naître en même temps celle des autres, en sorte que tout le monde voit les nouvelles manuscrites plus que jamais. »

Puis s’ouvre la Régence, où le mouvement de tolérance, que nous avons indiqué, se poursuit. Le Duc d’Orléans ne fait plus poursuivre les nouvellistes que pour écrits calomnieux. Le Duc de Bourbon, qui préside aux destinées de la France après la mort du Duc d’Orléans, reprend sa politique sur ce point, l’accentue ; c’est sous son principat qu’est inauguré le système des « manuscrits autorisés ; » organisation sur laquelle le lieutenant de police même va nous renseigner.

« Les particuliers qui veulent donner des nouvelles au public, sont obligés d’en apporter deux exemplaires au lieutenant général de police, qui en prend lecture, retranche ce qu’il juge à propos ; après quoi, il en délivre au particulier un exemplaire approuvé de lui et en garde un de son côté, pour le confronter avec les copies que l’on en délivre au public (note datée de 1724). »

De nombreuses feuilles, ayant subi cette sorte de censure, nous ont passé sous les yeux ; plusieurs alinéas portent en accolade l’adjectif : « Bon ; » d’autres ne sont accompagnés d’aucune mention ; certains sont biffés : c’est le petit nombre. À en juger par un rapport de police de 1725, les résultats donnés par cette manière de procéder auraient été satisfaisans.

Ajoutons que ce contrôle semble avoir entraîné comme la garantie du gouvernement pour la qualité même des gazettes, car nous voyons la lieutenance de police veiller à la fraîcheur des nouvelles publiées sous son estampille et à la manière dont elles sont rédigées. Un « nouvelliste approuvé, » l’abbé Faure, perd le bénéfice de cette autorisation parce que ses informations sont « trop vieilles ; » un autre, Du Breuil, doit s’excuser : si ses nouvelles ne sont pas de première qualité, c’est qu’il est en prison, — excellente excuse en effet pour un publiciste de qui les fonctions consistent à être renseigné des premiers sur ce qui se passe.

Quant aux nouvellistes autorisés qui n’opèrent pas les retranchemens indiqués, une lettre de cachet les faisait écrouer au For l’Evêque ou les envoyait en exil. Mais, en somme, quel chemin parcouru depuis un demi-siècle ! Faut-il rappeler que, à cinquante ans de distance, le commerce des nouvelles était interdit sous peine des galères ? Voici que le nouvelliste peut exercer librement son métier, s’il fait « les retranchemens ordonnés par la police. » Il a conquis sa place au soleil, et encore doit-on constater, au cours des années suivantes, que la surveillance officielle s’exercera, sous le ministère du cardinal de Fleury, avec une bienveillance paternelle. C’est ici l’âge d’or des nouvellistes. Le lieutenant de police Hérault, puis son gendre et successeur Feydeau de Marville exercent avec libéralisme et intelligence leurs difficiles fonctions de censeurs.

Feydeau de Marville, qui succéda à son beau-père le 21 décembre 1739, occupe dans cette histoire une place à part. Il avait hérité des vertus administratives de René Hérault. Il était comme lui rigide, exact, laborieux. Rempli de méfiance vis-à-vis des gens de lettres, des nouvellistes en particulier, il arriva à la lieutenance de police avec l’intention de les tenir en main, de très près ; mais le journalisme devait exercer sur lui des représailles inattendues, en faisant peu à peu du magistrat, qui consacrait ses veilles à le surveiller, le journaliste le plus occupé, le plus enfiévré, le plus passionné pour sa tâche que l’on eût encore vu.

On ne connaît pas assez le grand rôle que l’opinion publique jouait dans l’ancienne France : un rôle, sans comparaison aucune, beaucoup plus important que celui qu’elle joue aujourd’hui. « L’opinion publique, dira très bien le comte de Ségur, triomphait de tous les obstacles, »

Marville eut alors la pensée de diriger l’opinion publique par les nouvellistes. Et nous voici en compagnie d’un lieutenant de police qui examine avec attention chacune des feuilles manuscrites soumises à censure, qui l’épluche, la commente, la modifie, l’ampute ou l’allonge ; précurseur inconscient de ces rédacteurs en chef, trop soucieux du bon renom de leur journal pour ne pas asservira leur critique et à leurs ciseaux la copie de leurs collaborateurs.

Et quel dut être ce travail supplémentaire, en dehors de ses occupations quotidiennes si nombreuses et si absorbantes ! Nous pouvons en juger par les « manuscrits » vus et revus, annotés, surchargés, bâtonnés, amendés, commentés, interprétés, apostilles par lui. Le Magistrat veille à ce que la personnalité du premier ministre, le cardinal de Fleury, soit toujours respectée. Des traits comme le suivant font voir à quels détails il descendait : un feuilliste, voulant peindre l’impression désagréable ressentie par le premier ministre à la lecture d’une dépêche peu satisfaisante, avait écrit : « Monsieur le cardinal avait le visage extrêmement allongé... ; » Marville corrige : « Le ministre avait l’air fort occupé. »

Au reste on comprend qu’il ait bâtonné ce qui concernait les querelles et les scandales de la Cour, les véridiques, mais trop lestes histoires où figuraient Mme de Mailly, de Vintimille, de Nesle, de Châteauroux, de Mazarin et autres « belles et honnestes dames. » Marville ne veut pas que l’on touche aux gens en place ; il barre les passages qui portent atteinte à la considération du contrôleur général Orry, du cardinal de Tencin, du maréchal de Belle-Isle ; il ne veut pas de fausses nouvelles et, tout en les effaçant, il les remplace souvent, — afin que le nouvelliste n’en ait pas moins sa feuille remplie, — par des informations à lui, dont il est sûr. Une notice nécrologique, prématurément consacrée au décès de l’évêque de Laon, est rayée avec cette remarque : « Je voudrais que cela fût vrai. » Quant aux faits divers déjà très recherchés, vols, assassinats, attaques nocturnes, arrêts de diligences, descentes de justice, échos du Palais, flagrans délits, feux de cheminée et chiens écrasés, Marville laisse tout passer, pourvu que l’information soit exacte. Presque à chaque page, on retrouve des notes de sa main :

« Vérifier l’article. — Est-ce bien vrai ? »

Tempérament de journaliste et, aussi, d’excellent homme, désireux, malgré les occupations dont il est accablé, d’aider à sa manière ces pauvres diables de nouvellistes dans leur rôle si difficile à tenir.

Les publicistes, qui avaient obtenu d’exercer leur industrie sous la tutelle de la police, étaient appelés les « nouvellistes autorisés, » et, plus précisément, les « nouvellistes privilégiés ; » ceux de leurs confrères qui, impatiens de tout contrôle, s’en affranchissaient, à leurs risques et périls, étaient nommés les « nouvellistes de contrebande » ou, comme on disait dans les bureaux de la lieutenance générale, les « contrebandiers nouvellistes. » On les appelait aussi les « faux nouvellistes. » Ceux-ci prirent-ils trop d’importance, firent-ils éclater quelque gros scandale, ou, plutôt, devant les difficultés que multipliait la guerre de la succession d’Autriche, le gouvernement jugea-t-il nécessaire de tarir toute source d’information pour les étrangers ? — toujours est-il qu’on revient en 1745 aux mesures de rigueur. Le Parlement, « qui a la grande police, » note Barbier, rentre en scène. L’avocat général Omer Joly de Fleury prononce un violent réquisitoire. On met la main sur quelques feuillistes « autrichiens » et dont les « papiers » sont effectivement de nature à soulever l’indignation. Une ordonnance remet en vigueur les dures pénalités du XVIIe siècle : origine d’un long procès qui, à cette époque, engloba toute une légion de nouvellistes à la main. Les nombreuses pièces réunies par l’instruction vont nous permettre de pénétrer plus avant dans la vie professionnelle de ces ancêtres de la presse moderne et surtout de mettre en lumière un de ces « contrebandiers-nouvellistes, » figure originale , un gazetier misérable , mais qui a porté , on serait tenté de dire jusqu’au génie, le sens de sa profession ; Jean Cabaud de Rambaud.


FUNCK-BRENTANO et PAUL d’ESTRÉE.

  1. La plupart des textes inédits, où nous avons puisé pour écrire les pages suivantes, proviennent des anciennes archives de la Bastille, aujourd’hui conservées à la Bibliothèque de l’Arsenal.