Filles de la pluie/Louise de Niou-Huella

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Bernard Grasset (p. 225-242).

LOUISE DE NIOU-HUELLA


On l’appelait Louise de Niou-huella, du nom du village où elle était née, bien qu’elle habitât Toul al lan, parce que son vrai nom était Malgorn, et pour la distinguer des douze ou quinze Louise Malgorn qui peuplent l’archipel.

Son père étant mort quand elle avait dix-sept ans, ses deux sœurs restèrent avec sa mère, et Louise partit occuper à Toul al lan, un peu à la sortie du village, la grande maison qui constituait sa dot avec cinq sillons de terre disséminés aux alentours, vers Feunteim Velen et Kerandraon. Elle avait aussi quatre moutons et quelques autres sillons, entre Porz Gwen et Kerivarc’h. Et ce partage était raisonnable parce qu’il lui attribuait des terrains de culture assez proches de sa nouvelle résidence et si éloignés de Niou-huella que ç’avait toujours été une incommodité pour sa famille d’en prendre soin, de sorte qu’ils étaient fort longtemps demeurés en jachère.

La maison était meublée. Louise n’eut qu’à plier ses robes dans un sac, à transporter sa bêche et sa faucille, une provision d’avoine pour ses poules, et puis elle s’installa et se mit à l’ouvrage, toute seule.

Louise avait plusieurs amies qui venaient la voir quand le temps ou la saison s’opposaient au travail. Chaque dimanche, elle rejoignait sa mère et ses sœurs, après la messe, sur la place de l’église, et elle passait avec elles sa journée à Niou-huella, d’où elle rentrait le soir.

Elle était sérieuse et douce, et tous ceux qui l’ont connue disent que sa peau mate et ses yeux noirs l’appareillaient à la plupart de ses compagnes. De taille moyenne, plutôt petite, mais bien faite, sans maigreur comme sans embonpoint, avec une certaine finesse d’attaches, elle portait encore de ces châles aux couleurs claires dont l’usage a disparu pour les adultes et qui sont aujourd’hui réservés aux fillettes.

Presque jamais, elle n’avait causé avec des hommes car la plupart de ceux qui séjournaient alors à Ouessant étaient mariés ou fiancés et les autres, ceux qui étaient disponibles, partis sur la navigation, n’apparaissaient que rarement. À diverses reprises, des matelots de bâtiments naufragés avaient fait dans l’île de courtes apparitions, mais les plus hardies les avaient vite accaparés et Louise avait pu seulement les voir de loin.

Trois fois, elle avait été de noce. Or, ici, ces cérémonies ne sont pas, comme ailleurs, des occasions fournies aux jeunes gens de se réunir et de lier connaissance. Les noces ouessantines se réduisent à un cortège chantant d’îliennes qui promènent à travers le pays le marié et deux ou trois garçons d’honneur, tous gênés, au milieu de ces filles qui, dans leur innocence effrontée, ont l’air de célébrer une prise. Souvent même, faute d’amis présents dans l’île, le marié est seul.


En octobre 1898, Louise allait atteindre sa dix-huitième année, quand prit place un événement gros de conséquences pour l’avenir de l’île.

Un matin, deux remorqueurs doublèrent le Piliguet et entrèrent dans la baie de Lan Pol. Leur fumée les avait désignés de loin à l’attention des natifs. Au moment où ils passèrent le Corce, leurs coups de sirène attirèrent de nombreux indigènes au bourg. On reconnut que c’étaient des bateaux de l’État. Ils étaient chargés de marsouins, pliant sous le poids des sacs et armés de fusils. Des canots se détachèrent des vapeurs et le débarquement commença. Ceux qui, les premiers, parvinrent sur la cale, se rangèrent en bon ordre et attendirent le reste de la troupe.

Les îliens surpris les approchaient. Des conversations s’échangeaient entre eux et les soldats. Quand on vit qu’ils arrivaient avec de bonnes intentions, on fêta les étrangers. Et parce que certains avaient faim et soif, les insulaires revinrent avec du beurre, des poissons secs et du lait. Quelques-uns apportèrent des quartiers de mouton.

Aux questions qu’on leur adressait, les soldats répondaient qu’ils étaient venus par ordre. Ils allaient coucher sous la tente, en attendant que fussent construits des baraquements. Ils ignoraient quand ils repartiraient. On espérait qu’ils ne s’en iraient jamais. Quelques gens bien informés savaient seuls par les journaux qu’en prévision d’une attaque possible de nos côtes (c’était au lendemain des affaires de Fachoda) le gouvernement avait décidé d’envoyer des troupes coloniales à Ouessant, jusqu’à la fin de la période critique.

Les étrangers eurent vite fait d’installer leur campement. Les uns allumaient des feux, d’autres couraient aux provisions chez l’habitant, parce qu’il n’y avait alors, sauf le bureau de tabac et deux merceries, pas de boutiques dans l’île. Les soldats offraient de l’argent en échange des vivres, mais on refusait de l’accepter.

Il y en avait de tous les pays et qui parlaient des langues inconnues des îles. Il y en avait des blonds, des roux et des bruns qui sentaient l’ail et l’huile rance ; et d’autres qui montraient une poitrine blanche comme de la porcelaine, quand ils faisaient leur toilette matinale, en plein air, sous les yeux des îliennes étonnées. Il y en avait d’autres, enfin, dont les mains étaient douces comme des mains de prêtres et qui portaient des rayons d’or sur les manches. Aucun ne savait entendre le parler de l’archipel. Mais ils étaient tous polis et souvent, faisaient des signes aux filles qui se laissaient embrasser, amusées par tant de hardiesse. Quelques-unes, la nuit venue, permirent à ces hommes de les suivre dans les champs et sur les grèves.

Elles étaient heureuses de voir que ces amis du continent ne dédaignaient pas leurs charmes sauvages et qu’ils semblaient se décider à s’établir ici pour toujours. Alors les vieillards et les mères pensèrent qu’il y aurait beaucoup de mariages dans l’année, puisqu’on se montrait aussi empressé auprès de leurs filles.

Or, vingt et un jours après, trois autres compagnies, amenées par le Bougainville, arrivaient dans cette île étrange et bienheureuse que les récits des premiers débarqués, sur la gentillesse des natives, faisaient entrevoir comme un nouvel éden. Ces derniers venus étaient pleins de résolution virile. On s’en aperçut bientôt. Quelques amies de Louise ayant été visiter les étrangers dans leur camp, certains avaient fait des gestes si impudiques qu’elles avaient compris, malgré leur naïveté, et qu’elles s’en étaient allées, honteuses.


Louise demeura chez elle, insensible à la curiosité. Elle vivait fort retirée, toute à ses travaux champêtres. Parfois seulement, elle rencontrait des soldats dans la lande, quand elle allait sarcler des herbes pour faire sa provision hivernale de combustible. Ils occupaient les différents points de l’île comme un pays conquis. De très loin, dans l’étendue vallonnée, on les apercevait, marchant en rangs serrés, avec leurs fusils brillant dans le ciel, le cliquetis des armes et la rumeur de leur course. Des clairons nasillards troublaient la solennelle beauté du murmure des flots. Louise suivait de l’œil leurs évolutions incompréhensibles qui faisaient sauver, en bandes apeurées, les centaines de moutons.

Un jour, des troupiers porteurs de sacs avaient frappé à sa porte pour acheter des pois et des pommes de terre. Elle non plus, n’avait pas voulu vendre, mais donner — et ils avaient ri, un peu moqueurs, en empochant les vivres.

On disait qu’on allait construire un grand fort et une caserne, entre Lan Pol et Kermonen, sur la route du Stiff, et l’on était content. Déjà des débits s’ouvraient partout. Quelques Ouessantines, dans l’attente du mariage promis, se conduisaient presque maritalement avec leurs fiancés impatients. Beaucoup étaient reçus, logés, hébergés par les familles : ces privilégiés amenaient leurs amis et les « copains » vivaient ainsi sur l’habitant, par petits groupes.

Louise entendait tout cela, très calme. Car elle avait reçu de la nature le don de ne pas s’étonner et cette sincérité foncière, si éloignée de cacher la vérité qu’elle fait tout accepter pour vrai, même le mensonge. À tel point qu’elle passait pour un peu naïve, simplement parce qu’elle n’avait pas l’expérience du mal.

Un jour — novembre s’achevait dans une tiédeur qui échauffait la mer — un jour, elle partit, un peu avant le coucher du soleil, se baigner dans une petite crique près de Porz Gwen, avec Claire, une voisine de son âge.

Elles jouaient sur le bord de l’eau, sans voile aucun, à la façon des Ouessantines qui se baignent, quand un sifflement retentit, un coup strident comme l’appel d’un vapeur, et qui résonna, déchirant, dans les grottes profondes de la falaise. Louise et son amie, effarées, poussèrent un petit cri et levèrent les yeux. Deux soldats les regardaient d’en haut. Elles s’enfuirent. Mais les hommes descendirent en hâte les rochers et se mirent à les poursuivre. Les filles, croyant que c’était un jeu, couraient en souriant, rassurées. Louise atteignit l’endroit où elle avait caché ses vêtements, juste à temps pour saisir sa chemise, et s’en couvrit. Deux secondes après, le soldat était à ses côtés. Ce fut en vain qu’elle voulut l’éloigner.

Ils étaient seuls dans la grotte ; le colonial se mit à causer. Elle ne comprenait pas tout ce qu’il disait. Elle le reconnut néanmoins, pour un de ceux qui étaient venus plusieurs fois rôder autour de sa maison et cela la mit en confiance, parce qu’elle pensa qu’il devait bien l’aimer. Alors, comme il s’approchait davantage, elle trembla toute, déjà défaillante d’être auprès d’un homme de la grande terre qui lui accordait tant d’attention, très humble, un peu honteuse d’elle-même. Il lui serrait les mains avec ardeur et elle ne savait pas s’il fallait se débattre ou rire ou pleurer. Enfin, comme il tentait de l’embrasser, elle lui offrit ses lèvres. L’eau ruisselait encore sur ses épaules, pâles comme de l’ivoire.

C’est pendant qu’elle s’épuisait en tendresses enfantines, car il était vraiment beau, cet étranger qu’elle pensait bien devoir aimer toute sa vie, que le soldat la prit, brutalement. Et quand ce fut fini, quand elle ne fut plus sous lui qu’une pauvre chose, il écrasa son poing sur la joue de l’îlienne étonnée, puis hurlante, et il lui dit :

— Tiens, tu te rappelleras le « Pantinois ». C’est ma marque. Et maintenant, je suis ton maître : à bientôt !

Il s’éloigna en ricanant.

Louise de Niou-huella s’était sauvée et elle était rentrée chez elle, affolée de peur et de dégoût.


Elle n’était pas seule à se repentir. Mais les filles font rarement de pareilles confidences et la vérité n’apparaît que peu à peu.

En interrogeant ses compagnes, elle entendit que les étrangers avaient déjà abandonné beaucoup de celles à qui ils avaient fait des promesses et qu’ils n’épouseraient pas. Ils étaient débauchés, paresseux, en dehors de l’exercice des armes qu’ils n’exécutaient que sous la menace des punitions. Ils employaient la terreur pour se faire aimer, l’amour pour vivre. Ces mœurs étonnaient beaucoup car les Ouessantines avaient jusqu’alors prisé la douceur proverbiale des étrangers, moins rudes que leurs époux, les gens de mer.

Mais ceux-là se vantaient d’avoir domestiqué la femme, un peu partout, en Chine, à Madagascar, ailleurs encore. On disait qu’ils avaient, sur la côte africaine, mis à la torture des sœurs au visage noir. Au Tonkin, ils avaient brûlé des pagodes, assassiné des prêtres et écrasé des dieux, sous leurs bottes. Ils feraient de même ici, et l’on commençait de croire que ces hommes qui étaient venus en sauveurs contre les Anglais, méprisaient les Ouessantins et leurs traditions.

Elles chuchotaient cela entre elles. Et Louise décida de fermer sa porte et de ne plus causer avec un étranger.

Le Pantinois, pourtant, ne l’avait pas oubliée. Tout un jour, il se planta de faction devant la maison de la jeune fille qui, en l’apercevant, n’osa pas rentrer chez elle. Louise se réfugia chez Marie Créac’h, dont le père, un retraité de la marine, dissipait un peu de ses angoisses.

Mais au soir, quand elle regagna son domicile, Louise trouva le bandit dans la place. Il avait brisé un carreau, poussé la barre de bois qui remplace l’espagnolette de ces fenêtres rustiques, et s’était installé, en bras de chemise, déjà chez lui.

Il demanda à boire et à manger. Il fallut bien le servir. Alors, il resta là trois jours et trois nuits, ordonnant à une esclave. Il y serait resté plus longtemps si des hommes en armes n’étaient venus le chercher. Louise pensa qu’on le châtiait pour l’avoir battue, et, bien qu’elle le détestât de tout son cœur, elle s’affligea que du mal lui fût venu à cause d’elle. Mais une semaine plus tard, il reparut. On l’avait seulement puni pour absence illégale.

L’expérience d’un jour avait rendu Louise réfléchie. Elle comprit qu’elle ne tiendrait que d’elle-même sa libération. Elle avait du sang d’îlienne, après tout, et jetant un coup d’œil sur sa pelle et sur sa faucille, elle se dit qu’il faudrait savoir en tirer parti.

Un soir qu’il l’avait maltraitée et s’était ensuite, ivre de l’eau-de-vie qu’il lui avait envoyé chercher, étendu sur le lit, Louise s’approcha doucement, sa faucille à la main.

Mais l’autre ouvrit les yeux à temps, arracha de ses doigts cette arme improvisée, et dit :

— Écoute...

Dans le silence de la nuit, on venait d’entendre une clameur atroce, suivie d’un pas de course, une fuite désespérée. Le Pantinois saisit Louise par le poignet et l’entraîna près de la fenêtre. Par le chemin rocailleux qui s’engouffrait entre les premières maisons de Toul al lan, deux femmes poursuivies poussaient des hurlements qui n’avaient plus rien d’humain. Que leur avait-il été fait ? À quelle torture tentaient-elles d’échapper ? Trois coloniaux se ruaient sur les traces des fuyardes. À leur tour, ils disparurent dans l’ombre ; les vociférations s’atténuèrent peu à peu et cette vision d’horreur s’effaça.

— Tu as entendu ? fit l’homme. Si ce n’est pas moi, ce sera un autre et dix et vingt. Tu as besoin de moi pour te défendre !..

Et c’était vrai. Ils avaient brûlé des maisons, violé, assassiné. L’île vivait dans la consternation. À Pen ar lan, ils avaient assiégé la maison du frère de Séraphine, un matelot en congé qui aurait été tué sans l’arrivée du poste. Ils avaient pillé des débits, mis le feu aux meules et, la nuit, ils coupaient les amarres des barques. Les moutons disparaissaient. On retrouvait leurs têtes et leurs peaux dans les chemins.

Alors, le Pantinois s’installa chez elle, complètement. Louise le regardait avec effroi et répulsion, incapable de secouer son joug. Et maintenant, elle faisait la cuisine pour deux.

Elle s’était assouplie, courbée sous les coups, rendue à tous ses désirs. En lui tordant les joues d’un pinçon, il lui avait appris à sourire pour cacher ses larmes. Après cela, il la força de se prostituer à ses camarades, pour quelques sous. Et il affirmait, goguenard, qu’il envoyait cet argent à une Parisienne.


Les scandales d’Ouessant faisaient parler sur la côte, de Portsall à Camaret. Dans l’île, les plus courageux s’agitaient et les échos de ces plaintes étaient parvenus jusqu’ « en France », comme on dit là-bas, du continent. Mais dénoncer ces crimes, c’était s’attirer l’épithète de « sans-patrie », et ceux-là même qui les déploraient davantage n’osaient prescrire d’enquête.

L’île lointaine, avec sa gracieuse et détestable réputation, demeurait abandonnée à elle-même. Aux yeux des commis de ministère, sourds à toute juste réclamation, l’adorable pureté de ses mœurs primitives passait pour de la sauvagerie. On se désintéressait du sort des habitants livrés aux troupes. Et quelle voix, dans cette terre isolée, aurait eu assez de puissance pour pousser cet appel à la libération que chacun attendait ?

Ouessant était condamnée à devenir pareille à un de ces faubourgs, un de ces cloaques qui naissent dans nos villes, à l’entour des casernes.


Le calvaire de Louise continua. Le Pantinois l’obligea de vendre peu à peu ses sillons et dépensait l’argent à boire avec des amis. Il tenait table ouverte. Alors, comme ses ressources s’épuisaient, il songea à ouvrir un débit, sous son nom à elle. La situation écartée de Toul al lan n’y prêtait guère.

Louise était devenue un objet de pitié.

Elle errait, sous la menace des coups, au long des chemins, vers Saint-Michel, le soir, et l’horreur de sa condition épouvantait les îliens. Elle était inscrite pour l’abjection, comme Évangéline, qu’ils avaient tatouée d’un cœur sur la joue, comme Lucie, à qui six hommes, dans un accès de folie sadique, avaient arraché les ongles et tailladé la plante des pieds. Mais c’étaient des choses qu’on ne répétait qu’en tremblant, et que, maintenant encore, les naturels et les victimes — plusieurs vivent toujours — n’osent point évoquer, par peur et par respect d’eux-mêmes.

Il allait la contraindre de quitter sa maison pour louer un débit sur la route de Lan Pol, en face des casernes, quand un changement de compagnie fit regagner Brest au Pantinois.

Il résolut de vendre sa victime ailleurs.

Et Louise se sentait si avilie, si découragée, qu’elle ne se refusa pas à ce sacrifice que les îliennes consentent si rarement. Elle quitta l’île, malgré les supplications des siens. Parce qu’elle se reconnaissait à jamais perdue. Il la fit entrer à Brest dans une maison publique.


« — Elle m’écrivit quelque temps, me dit Laure, qui avait été son amie d’enfance, et puis je ne reçus plus de nouvelles. Je veux espérer qu’elle est morte : bien des fois, j’ai demandé à Dieu qu’il la rappelle à lui. Et souvent je pleure en pensant à ma petite Louise d’autrefois.

« Mais, comment savoir ? Où la retrouver, là-bas, si elle vit encore, dans quelque ville populeuse ?… Et ici même, qui tenterait cette œuvre de délivrance ? Qui se souvient d’elle ?… Il y a eu tant d’événements depuis !… Tenez, voilà sa plus jeune sœur, c’est tout son portrait, un visage de rêve… et elle est souillée, elle est « pourrie », elle aussi. Et moi-même, fit Laure en saisissant ma main dans sa main moite, à mon tour, je suis marquée de honte… Ah ! mon ami, regardez mes dents, mon teint blafard et mes yeux ternes… Voilà où m’a conduit l’ivresse d’un beau soir. — Je suis jolie encore, dites-vous ?… Mon charme n’est plus qu’un poison. »

Laure disait vrai : pauvre Louise !… Elle fut une des premières et des plus tendres victimes. Mais, malgré tant de changements dans l’île, ceux qui l’ont aimée se souviennent, en s’arrêtant devant cette maison en ruines, sa maison, trois pans de mur — le reste a été pillé — ces trois pans de mur que les navigateurs connaissent bien, parce qu’en sortant du chenal entre Molène et Balanec, il leur faut dépasser l’alignement du moulin par la maison de Louise, pour être certains de parer la Roche Mel Bian.