Filles et garçons/Les Fautes des grands

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Hachette (p. 44-47).


LES FAUTES DES GRANDS


C’est pour aller voir l’ami Jean que Roger, Marcel, Bernard, Jacques et Étienne ont pris la route nationale qui déroule au soleil, le long des prés et des champs, son joli ruban jaune.

Les voilà partis. Ils s’avancèrent sur une seule ligne. On ne peut mieux partir. Pourtant il y a un défaut à cette ordonnance : Étienne est trop petit.



Il s’efforce, il hâte le pas. Il ouvre toutes grandes ses courtes jambes. Il agite ses bras par surcroît. Mais il est trop petit, il ne peut pas suivre ses amis. Il reste en arrière parce qu’il est trop petit. C’est fatal.

Les grands, ses aînés, devaient l’attendre, direz-vous, et régler leur pas sur le sien. Ils le devaient ; ils ne le font pas. En avant ! disent les forts de ce monde, et ils laissent les faibles en arrière. Mais attendez la fin de l’histoire. Tout à coup, nos grands, nos forts, nos quatre gaillards s’arrêtent. Ils ont vu par terre une bête qui saute. La bête saute parce qu’elle est une grenouille, et qu’elle veut gagner le pré

qui longe la route. Ce pré, c’est sa patrie : il lui est cher ; elle y a son manoir auprès d’un ruisseau. Elle saute.

Elle est verte ; elle a l’air d’une feuille vivante. Bernard, Roger, Jacques et Marcel se jettent à sa poursuite. Les voilà dans le pré ; bientôt ils sentent leurs pieds s’enfoncer dans la terre grasse qui nourrit une herbe épaisse. Quelques pas encore, et ils s’embourbent jusqu’aux genoux. L’herbe cachait un marécage.

Ils s’en tirent à grand’peine. Leurs souliers, leurs chaussettes, leurs mollets sont noirs.

C’est la nymphe du pré vert qui a mis les guêtres de fange aux quatre désobéissants.

Étienne les rejoint tout essoufflé. Il ne sait, en les voyant ainsi chaussés, s’il doit se réjouir ou s’attrister. Il médite en son âme innocente les catastrophes qui frappent les grands et les forts. Quant aux quatre guêtrés, ils retournent piteusement sur leurs pas, car le moyen, je vous prie, d’aller voir l’ami Jean en pareil équipage ? Quand ils rentreront à la maison, leurs mères liront leur faute sur leurs jambes, tandis que la candeur du petit Étienne reluira sur ses mollets drus.