Fin de la guerre de la succession d’Autriche/01

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Fin de la guerre de la succession d’Autriche
Revue des Deux Mondes3e période, tome 102 (p. 768-808).
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ETUDES DIPLOMATIQUES

FIN DE LA GUERRE DE LA SUCCESSION D'AUTRICHE

I.
MINISTERE DU MARQUIS DE PUISIEULX. — CAMPAGNE DE PROVENCE. — RÉTABLISSEMENT DU STATHOUDERAT EN HOLLANDE.

La nomination du successeur de d’Argenson ne suivit pas immédiatement sa disgrâce et, de fait, le choix présentait de sérieuses difficultés[1]. Plusieurs noms étaient prononcés ; aucun ne paraissait remplir les conditions convenables. Chauvelin, le plus capable peut-être, ou du moins réputé tel, s’était perdu à jamais dans l’esprit du roi, pour lui avoir reproché, avec trop peu de ménagement, sa condescendance aux volontés du cardinal de Fleury. — « Il m’est insupportable, disait Louis XV, je ne puis le souffrir. » — Faire revenir d’ailleurs un politique disgracié de l’exil où il languissait pour le porter au ministère, c’eût été trop humilier la dignité royale. On parla de Chavigny, de Saint-Sévérin, le dernier ministre à Francfort ; mais l’un semblait d’une extraction trop peu relevée ; l’autre, Italien de naissance, était devenu Français depuis trop peu de temps. — « C’est une chose étrange, dit un excellent observateur, l’ambassadeur de Venise, que dans ce vaste royaume où il y a tant d’hommes intelligens, on n’en trouve aucun qui soit désigné pour un tel poste[2]. »

La question fut tranchée, au bout de quelques jours, par l’influence de deux personnages étrangers l’un et l’autre aux carrières politiques et à peine admis à la cour, l’intendant militaire Paris-Duvernay et le banquier du trésor, Paris de Montmartel. J’ai déjà eu plus d’une fois l’occasion d’expliquer l’importance croissante que s’étaient acquise ces deux frères intimement unis et qui se prêtaient un mutuel appui ; l’un devant son crédit à l’habile direction qu’il savait donner à l’administration militaire, l’autre à sa grande fortune et à des avances faites à propos à un trésor obéré. Sans leur concours, rien d’important ne pouvait être médité, et surtout rien d’heureux accompli sur le théâtre de la guerre. Et c’est par là qu’ils avaient su se rendre également nécessaires, j’ai presque dit également chers, aux commandans des deux armées que la France devait entretenir, à si grands frais, au nord et au midi, le maréchal de Saxe et le maréchal de Belle-Isle. La rivalité sourde de ces deux hommes de guerre et l’hostilité moins cachée de leur entourage étant connues de tout le monde, c’était un vrai tour de force d’avoir su se maintenir dans la confidence de l’un et de l’autre. Joignez, à ces amitiés précieuses, la vieille affection de Mme de Pompadour, et on comprendra que la vacance du pouvoir laissait les frères Paris, du fond de leur cabinet d’affaires, absolument maîtres du terrain ministériel. C’est ce qu’avait su discerner de loin un grand connaisseur, Frédéric, à travers les rapports verbeux et confus de son ministre Chambrier. — « Comme ce sera visiblement (lui écrivait-il même avant la chute de d’Argenson) le sieur Paris-Duvernay qui aura la plus grande influence, vous tâcherez de me le gagner et de le rendre favorable à mes intérêts par toutes sortes de politesses, que vous lui ferez de ma part… » et peu de jours après : « Entretenez soigneusement cette confidence, dont vous tirerez plus de lumières que de tout ce qu’il y a de ministres en France qui ne vous parlent jamais aussi intelligiblement que le sieur Duvernay l’a fait[3]. »

Le candidat préféré par cette discrète, mais toute-puissante influence ne fut autre que le marquis de Puisieulx, le plénipotentiaire de la conférence de Bréda, qu’on fit revenir de Hollande en toute hâte. Il est probable qu’il s’attendait à cette faveur, ayant de longue date, avec les frères Paris, des relations qu’il n’avait eu garde de laisser tomber pendant son ingrate mission. Le blâme, très librement exprimé dans ses dépêches, sur les travers diplomatiques de d’Argenson ne fut sans doute pas la moindre recommandation qui plaida en sa faveur auprès des collègues du ministre disgracié, mais la raison officiellement donnée fut que, venant de remplir un rôle actif sur le théâtre même des négociations engagées, il devait connaître mieux que personne à quelles conditions pouvait s’opérer le rétablissement de cette paix, qui était le désir général.

C’était bien, en effet, on peut se rappeler, en représentant d’Argenson comme le véritable obstacle à la fin d’une guerre qui fatiguait tout le monde qu’on était parvenu à ruiner son crédit dans l’esprit du roi, et à exciter contre lui un véritable soulèvement de l’opinion. A quel titre il méritait ce reproche, c’est ce qu’auraient été assez embarrassés de dire ceux qui le lui faisaient le plus haut, et ils eussent été plus en peine encore de s’accorder sur les motifs qu’ils donnaient de leur accusation ; car c’était tour à tour, je l’ai déjà dit, de l’obstination de ses préjugés et de la trop grande complaisance de son caractère que les uns ou les autres lui faisaient un crime. En tout cas, le tort qu’on ne pouvait lui imputer, ce n’était assurément pas de s’être montré trop exigeant dans ses offres pacifiques, d’élever trop haut les prétentions de la France, de réclamer une indemnité trop large de ses sacrifices, et de tâcher de tirer un trop haut prix des victoires de Maurice de Saxe et de la possession des Pays-Bas.

On sait, en effet, quel était le plan de pacification rédigé par d’Argenson lui-même, le printemps précédent, de concert avec les plénipotentiaires de Hollande, et que Puisieulx avait été chargé de proposer comme base de négociation à la conférence de Bréda. La France, du premier mot, faisait l’abandon de toutes ses conquêtes : elle réclamait seulement de l’Angleterre une renonciation pareille pour Louisbourg, le cap Breton et tous les points occupés par la marine britannique sur les côtes de l’Amérique septentrionale. Ainsi, pleinement désintéressée pour elle-même, elle ne prenait les intérêts que des alliés qu’elle avait entraînés à sa suite dans la guerre. Pour l’électeur palatin, en récompense de sa fidélité, elle voulait obtenir l’annexion de la province de Limbourg à son petit état ; pour le duc de Modène, époux d’une princesse française, la restauration de la souveraineté dont il était dépouillé ; enfin, au profit du troisième fils de Philippe VI, l’établissement d’une nouvelle secundogeniture de la maison de Bourbon en Italie. Encore, sur ce point le plus contesté, le plus difficile à arracher à Marie-Thérèse, d’Argenson consentait déjà, dans les derniers temps de son ministère, à réduire beaucoup (au moins en conversation) les termes qu’il avait posés d’abord. La triste conduite de l’infant en Italie, pendant la dernière campagne, et plus encore la mort de son père, qui lui enlevait l’appui de l’ambition maternelle d’Elisabeth, avait dû le préparer lui-même à abaisser ses espérances. Il n’était plus question de lui attribuer un lot aussi considérable que le grand-duché de Toscane : il ne s’agissait que de lui assurer dans la péninsule un établissement quelconque dont l’étendue et la nature restaient à déterminer. À ce prix, la nouvelle maison d’Autriche pouvait obtenir la reconnaissance unanime de la dignité impériale dans la personne de l’époux de Marie-Thérèse, et rentrait ainsi définitivement dans tous les droits et les privilèges de l’ancienne. A la vérité, elle payait ce retour de grandeur par la perte de la Silésie : le roi de Prusse restait donc seul à bénéficier de tout le sang versé et de tous les efforts dépensés par son généreux allié. D’Argenson en convenait et n’hésitait pas à s’en applaudir. Pour un ministre parlant au nom de l’héritier de Louis XIV et du vainqueur de Fontenoy, ce n’était pas, on en conviendra, prendre le ton trop haut et se montrer d’un orgueil trop intraitable.

Comment donc une paix si libéralement offerte n’était-elle pas acceptée déjà par le cri unanime de cette Europe dévastée, où populations et souverains, après sept ans de luttes stériles, ne devaient soupirer qu’après un peu de soulagement ? Comment devait-elle même se faire attendre pour n’arriver, comme on le verra, après une nouvelle année de combats et une nouvelle et large effusion de sang, qu’à des conditions qui ne devaient pas différer sensiblement du plan primitif ? C’est la question que l’historien lui-même se pose et à laquelle, à première vue, il a quelque peine à trouver une réponse. En y regardant de près cependant, on doit reconnaître que c’était précisément la modération excessive du langage que d’Argenson avait fait tenir à la France qui, en encourageant la résistance de ses adversaires, retardait pour tout le monde le moment de poser les armes ; et sur ce point, l’instinct confus de l’opinion publique ne se trompait pas absolument. Les sacrifices que la France demandait à ses ennemis en échange de ceux qu’elle leur offrait de si bon cœur étaient légers, à la vérité, mais pourquoi les auraient-ils faits, s’ils pouvaient se flatter, moyennant un effort de plus et sans rien compromettre, de n’avoir pas à s’imposer même cette faible privation ? Du moment où on connaissait le dernier mot de la France, on ne risquait rien, on jouait même à coup sûr, avec chance de gagner et sans crainte de perdre, en ne se pressant pas de répondre à des propositions qu’on serait toujours à temps d’accepter.

On peut se rappeler d’ailleurs combien devenaient de jour en jour plus difficiles et souvent orageuses les relations des deux grandes puissances qui, déjà divisées au fond d’intérêts comme de tendances, et constamment en méfiance l’une de l’autre, n’étaient plus unies que par habitude et par une tradition vieillie dans leur inimitié commune contre la France. Entre l’Angleterre et l’Autriche on a vu combien de fois, depuis le commencement, et à chacune des phases de la guerre, une querelle vivement engagée, suivie de récriminations réciproques, avait été sur le point d’amener une rupture. Le lecteur n’a point oublié les altercations violentes du ministre britannique à Vienne et de l’altière impératrice. Les propositions de la France devenaient, dans ce ménage si peu tendre, un nouveau sujet de discorde. Chacun des deux coalisés trouvait naturel ce qu’on demandait à son allié, et insupportable ce qu’on exigeait de lui-même. L’Autriche, par exemple, acceptant le principe posé par la France du rétablissement du statu quo ante bellum, ne voyait nulle difficulté à la restitution des conquêtes anglaises dans le Nouveau-Monde : l’échange du cap Breton contre les Pays-Bas lui paraissait tout à fait équitable. Mais à quel titre, disait-elle, cette règle réparatrice une fois posée, y dérogerait-on à son détriment en Italie ? Quels que fussent les territoires qu’on lui demanderait de céder, ils faisaient partie d’un domaine non pas nouvellement conquis, mais anciennement possédé par elle, et elle devrait les détacher de son patrimoine. Ce qu’on réclamait de l’Angleterre, c’était de rendre ; on la condamnait, elle, Autriche, à perdre. Pourquoi un partage si inégal des charges communes ? N’avait-elle pas déjà consenti, sur les instances de l’Angleterre, en faveur du roi de Sardaigne, à une première mutilation de son bien ? Et, en Allemagne, l’appui moral du cabinet britannique n’avait-il pas secondé, presque autant que la victoire et le génie, la cupidité de Frédéric ? Les traités si douloureux de Dresde et de Breslau n’avaient-ils pas été préparés et n’étaient-ils pas encore garantis par l’Angleterre ? Était-ce donc toujours à l’Autriche, si injustement attaquée au début, à contribuer seule au rétablissement de la paix, et pourquoi aucun traité ne serait-il jamais conclu qu’à ses dépens ?

L’Angleterre n’était pas embarrassée de répondre que, si l’Autriche était appelée à faire les frais de la paix, c’est que, depuis six ans déjà écoulés, elle laissait son alliée faire tous les frais de la guerre. Les soldats de l’impératrice, aussi bien que ceux de la Hollande, ne vivaient que des deniers de l’Angleterre, et ne se battaient qu’avec les armes qu’elle leur mettait dans la main. Dans la communauté, c’était toujours l’Autriche qui recevait et l’Angleterre qui payait. Sans les larges subsides si généreusement octroyés par le parlement britannique, ce n’était pas de quelques provinces seulement, mais de toutes ses possessions héréditaires, que la fille orpheline de Charles VI se verrait aujourd’hui dépouillée : elle serait errante encore, fugitive et abandonnée, dans les steppes de la Hongrie. Quelques points reculés du Nouveau-Monde étaient une faible indemnité pour une part si libéralement prise à une compétition qui, à vrai dire, touchait l’électeur de Hanovre bien plus que le roi d’Angleterre, et, à moins que cela, les ministres du roi George seraient accusés d’avoir fait jouer à leur patrie un rôle de dupe. Et ce qu’on ne disait pas tout haut, mais ce que tout le monde sentait en Angleterre, c’est qu’il n’y avait pas seulement des avances pécuniaires à compenser, mais surtout à panser une blessure d’amour-propre. La guerre continentale avait rapporté aux armes britanniques aussi peu d’honneur que de profit : sauf la journée si chèrement disputée de Dettingue, et dont le lendemain on avait si mal profité ; partout ailleurs, ni à Fontenoy, ni à Rocoux, la ténacité anglaise, mise aux prises avec la valeur française, n’était sortie de la comparaison à son avantage. Cumberland avait toujours menacé bruyamment Maurice sans l’atteindre et sans réussir à réveiller, même dans les plaines de Ramillies, l’écho des souvenirs de Marlborough ; un moment même, la dynastie protestante se sentant ébranlée dans ses fondemens, et Londres craignant d’être enlevé par une poignée de montagnards écossais, le drapeau anglais avait dû s’éclipser précipitamment et disparaître de tous les champs de bataille. C’était de la mer seulement que la consolation était venue dans ces jours d’épreuve. Les succès remportés par l’escadre de l’amiral Anson sur les rives de l’Océan-Atlantique, la garnison française de Louisbourg faite captive tout entière et jetée sans armes sur une côte de Bretagne, c’étaient là les seuls souvenirs qui flattaient l’orgueil national, et dont la possession du cap Breton demeurait l’éclatant témoignage. On ne renonçait pas facilement à perdre le fruit unique de tant d’efforts partout ailleurs ingrats. — « Gardez-nous le cap Breton ! » Telle était, disait-on, la dernière parole adressée par le prince de Galles à lord Sandwich, en l’embarquant pour la Hollande. La prédominance des intérêts commerciaux et maritimes sur tous les autres devenait d’ailleurs de plus en plus le caractère persistant de la politique anglaise.

Ce dialogue, si vivement suivi et à tout moment repris entre les cabinets de Vienne et de Londres, arrachait parfois à Marie-Thérèse des traits piquans et d’une assez amère ironie. Ainsi M. d’Arneth nous apprend que, lorsqu’elle se sentait trop vivement pressée de faire une part à l’Espagne en Italie (soit pour répondre aux propositions de la France, soit pour travailler à Lisbonne, par l’intermédiaire du roi de Portugal, à détacher Ferdinand VI de Louis XV) : — « Il y aurait un moyen bien simple, disait-elle, de mettre tout le monde d’accord et de contenter l’Espagne. Le bruit n’a-t-il pas été répandu et ne tient-on pas pour certain que le roi de Sardaigne, sortant de la coalition, s’est entendu un jour secrètement avec la France pour opérer, à son profit, un partage des provinces septentrionales de l’Italie, et le ministre de Charles-Emmanuel n’en a-t-il pas fait à Turin une demi-confession ? Qu’on apporte donc la preuve de cette défection, et, pour punir l’allié infidèle qui l’a commise, qu’on lui retire les acquisitions qui lui ont été assurées par le traité de Worms. Voilà un lot tout préparé pour l’infant Philippe. Et de quoi se plaindrait le roi de Sardaigne, ajoutait l’impératrice ; s’il a violé lui-même le traité de Worms, n’est-il pas de toute justice qu’on le tienne pour annulé ? .. »

L’Angleterre n’aurait pas été embarrassée, nous le savons, de fournir la preuve réclamée, puisqu’elle avait été tenue au courant, jour par jour, des défaillances du cabinet piémontais ; et, à défaut d’autre document, la correspondance de son ministre à Turin, pendant cet instant critique, en aurait fourni l’incontestable témoignage. Mais elle ne se souciait nullement, en livrant Charles-Emmanuel aux ressentimens ordinairement implacables de Marie-Thérèse, de s’aliéner son plus important, sinon son plus fidèle ami dans la Péninsule. Elle était moins pressée encore de convenir qu’elle avait elle-même connivé aux faiblesses piémontaises en en gardant le secret. On peut croire que Marie-Thérèse, qui, si elle n’avait pas tout su, avait au moins tout soupçonné et tout deviné, savait parfaitement que, si la faute avait été commise, on ne lui livrerait pas le coupable, et surtout on se garderait bien de lui en fournir la démonstration. Cette insistance vraiment dérisoire n’avait pour but, évidemment, que de mettre son interlocuteur dans l’embarras[4].

Le temps s’écoulait cependant dans ces propos aigres-doux et dans ce jeu d’escrime un peu puéril : la saison des opérations militaires approchait, et on se reprenait à penser qu’une nouvelle campagne, mieux préparée, mieux secondée par la fortune, réduirait la France à retirer même l’expression de ses vœux timides, ce qui finirait le sujet de discussion et dispenserait chacun de prendre sa part dans un sacrifice qui ne serait plus nécessaire. Au pis-aller, on était sûr de retrouver la France à la même place, puisque, victorieuse ou vaincue, elle avait promis d’avance de tenir toujours le même langage.

Il est clair que la conduite de tous eût été différente si, au lieu d’engager l’avenir par une promesse déclamatoire, le roi de France eût laissé entendre qu’on pouvait lasser sa patience et qu’à négliger ainsi l’occasion de mettre à profit son désintéressement, on courait risque de ne plus le retrouver d’aussi bonne composition, en un mot qu’une victoire de plus remportée et une année de plus passée dans les Pays-Bas pouvaient lui donner le goût de n’en plus sortir. Ce langage fermement tenu eût fait réfléchir tout le monde.

Cette attitude était-elle si difficile à prendre pour le successeur de d’Argenson, et quelque scrupule de loyauté devait-il l’en détourner ? Rien, au contraire, n’eût été plus simple et plus légitime. Il suffisait à Puisieulx, sans retirer les offres verbales qu’il avait été porter lui-même à Bréda (et dont la conférence n’avait pas eu le temps d’être officiellement saisie), de leur ôter le caractère de profession de principe et en quelque sorte d’axiome philosophique que leur avait donné son prédécesseur. Il est parfaitement admis par la coutume, comme par le bon sens, que tant qu’une guerre dure, des offres de paix n’ont jamais rien de définitif, et qu’elles peuvent être modifiées à toute heure, si le sort des armes, favorisant une des parties belligérantes, lui donne le droit, en même temps que la force, d’élever ses exigences. Puisieulx pouvait donc parfaitement dire à ses anciens collègues de Bréda : Ou prenez ce qui vous est proposé, ou si nous retournons en champ clos, et que la victoire nous seconde, attendez-vous que de nouveaux sacrifices exigeant de nouvelles compensations ne permettront plus à la France la même abnégation. Ce n’eût point été là, quoi qu’on ait dit, un marchandage indigne de la royauté ; mais bien le seul moyen d’empêcher la générosité de dégénérer en duperie.


I

La tâche fut même simplifiée tout de suite pour le successeur de d’Argenson, et d’une manière brillante qui lui permettait d’élever le ton sans présomption. Très peu de jours après son entrée au ministère, l’attaque des Autrichiens sur la Provence était repoussée victorieusement par Belle-Isle, et l’horizon s’éclaircissait au point même où il avait paru un instant chargé des nuages les plus menaçans.

C’était un changement d’autant plus heureux qu’il était moins attendu. Belle-Isle, en effet, en venant prendre le commandement dont il s’était chargé à regret, avait trouvé la situation plus mauvaise et plus compromise encore qu’il ne le croyait. Les Autrichiens, sous la conduite du général Braun, étaient déjà établis de l’autre côté du Var, s’étaient rendus maîtres de Cannes et des îles de Lérins, et mettaient le siège devant Antibes, tandis que les Piémontais s’étendaient dans l’intérieur du pays, jusqu’à Grasse et Castellane. Devant cette marche audacieuse, les troupes françaises, épuisées par une campagne désastreuse et réduites par l’abandon des Espagnols à un très faible effectif, avaient dû se retirer précipitamment jusqu’à Hyères et au Puget, aux portes mêmes de Toulon : une véritable terreur panique était répandue dans toute la Provence. Les commerçans de Marseille étaient prêts à ouvrir leurs portes et ne songeaient qu’à se racheter à prix d’argent. Evêques, notables et bourgeois, écrivait Belle-Isle, sont également frappés d’épouvante. Et pour ajouter au trouble général, les protestans, encore nombreux dans ces provinces, saisissaient ce moment pour faire entendre des plaintes légitimes contre les rigueurs dont ils étaient l’objet. Une pétition, rédigée sur un ton presque menaçant, était remise par eux à l’intendant de Montpellier, et l’on signalait des personnages inconnus, des chapeaux noirs, qu’on supposait être des prédicans anglais, circulant dans les montagnes et poussant les mécontens à l’insurrection.

Cet état de trouble est dépeint avec des détails assez curieux par les principaux fonctionnaires avec qui Belle-Isle dut entrer en relation pour organiser la défense nationale. Rien n’atteste mieux le désordre qui régnait dès cette époque dans l’administration intérieure de la France et la résistance que rencontrait déjà, même dans des jours où le péril public aurait dû faire taire tous les dissentimens, le pouvoir royal encore investi, en apparence, d’une autorité si absolue.

Le chevalier d’Orléans, commandant de galères à Marseille, écrit au maréchal : « Vous m’avez fait l’honneur de me marquer, dans le peu d’heures que vous avez été à Marseille, le mauvais esprit des habitans, et vous espériez que je les ferais revenir. Je crains qu’en cela vous ne présumiez trop de mon éloquence. La mauvaise volonté augmente à mesure, que notre armée, se rapprochant de nous, fait sentir que l’ennemi se rapproche aussi. J’ai fait hier une nouvelle assemblée de tous les métiers : il en manquait au moins un tiers. Tous les corps de métiers me présentent successivement des mémoires pour se dispenser de fournir les contingens. S’il n’y avait de mauvaise volonté et de mutinerie que dans un petit nombre, il serait aisé de le punir. Mais cet esprit est si général que les prisons de la citadelle, du fort Saint-Jean, de la ville et des galères, ne suffiraient pas pour y mettre, tant de la ville que de la campagne, ceux qui se sont dispensés de se trouver au rendez-vous. »

Et le comte de Marcieu, qui commande à Grenoble, écrit le 29 décembre pour se plaindre que le clergé lui-même ne l’aide pas dans les mesures à prendre contre les complots des protestans. — « Je ne dormirai qu’un œil ouvert, dit-il, sur les complots et les intentions des religionnaires : la prêtraille et la mitraille servent fort mal le roi et l’état sur cet article. On ne sait que leur faire cependant. M. et Mme de Montrond (famille de gentilshommes protestans) sont toujours à bon compte, en cage, bien gardés et bien séparés de cette ville. M. d’Audiffret a fait en personne l’enlèvement de ces gentilshommes dangereux et de tous leurs papiers, avec toute la prudence, la dextérité et le bonheur possibles. On n’oublie rien pour procéder à la capture des autres chapeaux noirs et des prédicans qui vont secrètement et nuitamment dans le pays, où ils font cesser depuis quelque temps leurs assemblées afin de nous endormir dans la sécurité. Le calme subit dont nous jouissons en ce moment doit nous précautionner davantage contre les orages fomentés par des émissaires étrangers[5]. »

Belle Isle, en face de cette situation critique, se retrouva tout entier comme dans ses meilleurs jours. Le calme de son attitude, la fermeté, au besoin la sévérité de son langage, en faisant renaître la confiance, rappelèrent au sentiment de l’honneur et du devoir une multitude épeurée. L’action convenait à cette vive nature qui venait de souffrir d’un repos prolongé et dont le péril ranimait et exaltait toutes les facultés. Il ne fallait rien de moins que son ardente énergie pour suppléer à l’insuffisance des moyens dont il disposait. Hommes, vivres, munitions, tout faisait également défaut. Les rangs étaient dégarnis, les magasins vides, les hôpitaux remplis. Se mettre en campagne dans cette pénurie, à travers des régions montagneuses et en pleine saison d’hiver, c’eût été folie. Force fut donc de marquer le pas et de rester en arrêt pendant près de six semaines, tant que les secours promis n’arrivaient pas et que les Espagnols ne se décidaient pas à quitter leurs quartiers d’hiver déjà pris en Savoie pour venir rejoindre leurs alliés. Belle-Isle poussait de véritables cris de désespoir. — « Je suis outré, s’écriait-il, de me voir à la tête d’une armée où tout manque, de déshonorer les armées du roi et moi-même, en demeurant spectateur de ce qu’il plaît à l’ennemi de faire sans pouvoir s’y opposer[6]. » Ce qui redoublait son impatience, c’est qu’il se sentait surveillé et critiqué à Versailles, où on se plaisait à comparer la lenteur et l’indécision apparente de ses premiers mouvemens avec l’impétuosité habituelle du maréchal de Saxe. A le voir hésiter ainsi, on se mettait complaisamment à douter qu’il songeât réellement à reprendre l’offensive, et le maréchal de Noailles, qui ne l’aimait guère, lui donnait même, dans une lettre doucereuse, le conseil de ne pas tenter une entreprise si périlleuse. Il lui suffirait, disait-il, de compter, pour venir à bout des Autrichiens, sur les difficultés qu’ils devaient rencontrer eux-mêmes à se nourrir et à faire leur chemin dans un pays épuisé, au milieu de populations hostiles[7].

Le changement survenu dans le ministère ne faisait même que rendre sa situation plus délicate, car par le fait seul peut-être que les deux autres maréchaux avaient pris vivement parti dans les derniers jours contre d’Argenson, Belle-Isle s’était trouvé porté à se ranger de son côté, et il perdait à son tour, avec le ministre disgracié, un ami et un défenseur : — « Je compte, lui écrivait d’Argenson quelques jours après sa révocation, sur des amis tels que vous et Mme la maréchale. Vous êtes constant dans vos amitiés : vous joignez un bon cœur au génie : vous ne devez avoir d’ennemis que les envieux, mais cela s’étend bien loin dans ce temps-ci, et vouloir du bien à sa patrie, c’est vouloir bien du mal à la cour[8]. »

Belle-Isle se montra plus soucieux de mériter les complimens de d’Argenson que de suivre les conseils d’une loyauté douteuse que lui donnait Noailles. A force de peine et en accablant de ses lettres pressantes ses amis, les frères Paris, à Versailles, et Vauréal, à Madrid, il finit par se faire écouter. Les trente bataillons annoncés arrivèrent, et lentement, péniblement les Espagnols se décidèrent à se mettre en route et purent entrer en ligne dès le commencement de janvier. La campagne fut engagée alors, malgré la rigueur de la saison, avec une extrême énergie. Chevert, conduisant une partie des bataillons français, pénétra dans le pâté de montagnes qui domine le cours du Var pour en chasser les Piémontais, tandis que Belle-Isle lui-même, aidé de son frère le chevalier (qui ne le quittait plus) et secondé par les Espagnols, suivait le littoral de la Méditerranée et venait chercher les Autrichiens devant Antibes. Braun, surpris par la vivacité de cette attaque, à laquelle ne l’avaient préparé ni l’époque de l’année, ni l’état où il croyait l’armée française réduite, leva précipitamment le siège. Un premier échec est fatal à une armée d’invasion, parce que les populations, un instant terrifiées, reprennent courage, la regardent en face, et que le terrain, toujours mal assuré, semble se soulever sous ses pas. Forcés de rétrograder, les Autrichiens se sentirent perdus et lâchèrent pied. Belle-Isle les poursuivit de poste en poste, l’épée dans les reins jusqu’à la frontière, et, dès le 3 février, il pouvait écrire : — « Il ne reste plus un seul Autrichien de l’autre côté du Var, la Provence est entièrement délivrée ; il serait plus brillant sans doute d’avoir pu livrer bataille ; mais le roi y aurait perdu beaucoup de bons et braves sujets, au lieu que cette expédition ne coûte pas en tout cent hommes, tandis que les déserteurs de l’armée autrichienne sont en si grand nombre que je n’en puis pas encore relever l’état et qu’entre ce qui a été tué et ce que les paysans ont assommé ou assomment tous les jours, leur perte se monte au moins à quatre mille hommes. » — « Voilà un résultat bien inespéré, » écrivait Noailles avec plus d’empressement que de satisfaction. — « Vous serez désormais appelé Belle-Isle le Provençal, » disait Vauréal avec un contentement plus sincère. — « Vous êtes parvenu, disait Paris-Duvernay, à exécuter un projet qui, pour les connaisseurs, est sans exemple[9]. »

Quelque juste et bien mérité que fût l’hommage rendu à la vigoureuse action de Belle-Isle, un changement à vue si rapidement opéré ne pouvait cependant s’expliquer par une seule cause. D’autres motifs avaient contribué à jeter le découragement dans les rangs des envahisseurs. D’abord l’expédition elle-même n’avait jamais été du goût, pas plus des généraux autrichiens et piémontais que de leurs souverains. Marie-Thérèse, j’ai eu l’occasion de le dire, ne laissait pas amoindrir sans inquiétude la forte situation qu’elle avait conquise en Italie et qu’elle croyait toujours menacée tant qu’un Bourbon régnant à Naples, les provinces et les côtes méridionales de la Péninsule échappaient à sa domination. Charles-Emmanuel, de son côté, n’oubliant jamais qu’il pouvait être pris à revers par la Savoie et le Dauphiné, ne dégarnissait pas sans regret son royaume d’une partie de ses défenseurs. Pour vaincre ces répugnances, il n’avait pas fallu moins que les instances répétées et presque impérieuses de l’Angleterre, et voici qu’un événement d’une gravité inattendue venait justifier toutes les craintes qu’avait fait concevoir cette pointe témérairement poussée hors du sol italien. J’ai déjà dit que la population de Gênes, poussée à bout par les vexations tyranniques des généraux autrichiens, s’était brusquement soulevée, et, tombant à l’improviste sur la garnison autrichienne, qui occupait la citadelle et la ville, l’avait culbutée et jetée hors des murs. On put croire d’abord que ce n’était qu’une émeute sans conséquence et qu’on viendrait facilement à bout d’une multitude désarmée. Mais il fut bientôt évident que le vieux ferment républicain et patriotique s’était réveillé avec une sorte de fureur dans la cité des Doria, des Spinola et des Fiesque, et que tout se préparait pour l’organisation d’une formidable résistance. Le doge, le sénat, les nobles qui s’étaient tenus d’abord à l’écart du mouvement se virent forcés d’y prendre part : les canons, laissés par les Autrichiens en se retirant, furent employés à mettre les remparts en état de défense : une levée en masse fut décrétée : on put mettre sur pied un effectif plus ou moins bien armé de 30,000 hommes. Un siège en règle était ainsi devenu nécessaire. Le marquis de Botta, n’ayant plus, depuis le départ d’une partie de ses troupes pour la Provence, les forces suffisantes pour l’entreprendre, fit signe à son lieutenant Braun de lui venir en aide, et c’était cette diversion inattendue, sur laquelle Belle-Isle ne comptait pas, qu’il ignora même jusqu’à la dernière heure, qui, achevant de troubler le général autrichien, précipitait sa retraite jusqu’à lui donner l’apparence d’une véritable déroute.


II

Quoi qu’il en soit, et quelle qu’en fût la cause, le succès n’en était pas moins grand, et c’était pour l’entrée en possession du nouveau ministre une bienvenue inespérée. Le malheur voulut que Puisieulx ne fût pas en mesure d’en profiter. Il revenait de Bréda très souffrant, et peu de jours après son arrivée, une petite vérole confluente, d’un mauvais caractère, se déclara et mit ses jours en danger. Pendant plus de six semaines, il fut hors d’état de prendre part à aucune affaire et dut être remplacé provisoirement par son collègue le ministre de la marine, Maurepas. Dans cette situation intérimaire, un ministre d’un jour ne pouvait pas même avoir la pensée de donner sur aucun point une direction normale. Maurepas se borna à profiter du coup d’œil qu’il lui était donné de jeter sur l’ensemble de la politique extérieure pour se livrer en plein conseil à une satire rétrospective des procédés d’esprit du malheureux d’Argenson. Les tentatives que le ministre révoqué avait faites pour entrer en pourparlers au sujet de la paix sur tous les théâtres à la fois, et en frappant, disait-il, à toutes les portes, étaient surtout l’objet de ses railleries et, dans le nombre, l’ébauche encore informe de négociation entamée à Vienne, cette transaction secrète dont personne, sauf peut-être le roi, n’avait connu le fond véritable, — dont d’Argenson lui-même (on l’a vu) n’avait jamais eu la confidence complète, — ne fut pas la moins maltraitée : — « M. de Maurepas, écrit Chambrier à son maître Frédéric, n’a pas été fâché de donner connaissance à ses collègues des négociations secrètes de M. d’Argenson, afin de répandre un nouveau ridicule sur les choses qui partaient de ce dernier en y comprenant le duc de Richelieu qu’il n’aimait pas. Le comte de Maurepas et le maréchal de Noailles m’ont toujours dit que le marquis d’Argenson donnait tête baissée dans toutes les idées qui lui passaient par la tête et que ses négociations ont eu un succès que justifiait la solidité de sa judiciaire. »

Chambrier, on le voit, tenu au courant de tous les secrets ainsi révélés au conseil, n’avait garde de les conserver pour lui. On peut juger l’impression que ressentit Frédéric, confirmé par là dans tous les soupçons qu’il avait déjà conçus sur le rôle de Richelieu à Dresde et persuadé, comme il l’était toujours, que tout rapprochement entre les cours de France et d’Autriche ne pouvait être opéré qu’à ses dépens, surtout quand on essayait d’y procéder à son insu[10].

Quoi qu’il en soit, toutes les cartes étant ainsi abattues et mises sur table, c’était à Puisieulx, quand il fut rétabli, à décider celle qu’il lui conviendrait de jouer. Richelieu était de retour, n’ayant pu prolonger son séjour à Dresde au-delà du mariage de la nouvelle dauphine qu’il devait ramener en France. Mais, avant son départ, Bruni l’avait instamment prié de rester en correspondance avec lui pour suivre la négociation engagée avec Marie-Thérèse, dont la Saxe tenait à rester l’intermédiaire. N’ayant nulle raison, cette fois, de rien déguiser au nouveau ministre, Richelieu dut le mettre au courant du point où en était l’affaire et lui demander s’il lui convenait de passer outre. C’était à Puisieulx de répondre. En même temps, les conférences de Bréda devaient être reprises, les cours de Sardaigne, d’Autriche et même d’Espagne ayant, au moins en apparence, accepté l’arrangement bâtard inventé par d’Argenson. Elles consentaient à laisser leurs ambassadeurs à la porte de la conférence, où les représentans de France, d’Angleterre et de Hollande seraient seuls admis, pour porter la parole, chacun au nom de ses alliés, mais à la condition de ne rien conclure sans l’approbation commune. Il était douteux qu’une si étrange combinaison pût être sérieusement et surtout sincèrement mise en pratique : mais c’était la France qui l’avait proposée et elle ne pouvait guère se refuser à en faire l’essai. Puisieulx avait donc, en nommant son successeur, à lui faire connaître nettement de quelles instructions il entendait le charger.

On voit que sur deux points également importans une décision était exigée et ne pouvait se faire attendre. Mais il fut tout de suite évident que Puisieulx n’était pas homme à prendre une résolution énergique et encore moins, une fois prise, à la suivre avec vigueur. Pour commencer, au sujet de la négociation entamée à Vienne (de toutes les affaires évidemment la plus pressante, et celle qui voulait être menée avec le plus de secret et de rapidité), il parut, en vérité, ne savoir absolument que faire. Il pouvait, à son gré, ou la prendre en main avec le désir et le dessein de la faire réussir, ou s’en dégager complètement, c’était son droit, puisqu’il n’y avait personnellement pris aucune part. Il ne sut adopter ni l’un ni l’autre parti. Il permit à Richelieu de reprendre et de continuer avec Brühl une correspondance privée, mais sans s’y mêler lui-même directement, en quelque sorte en fermant les yeux et en s’abstenant d’y donner aucun caractère officiel. C’était le vrai moyen de rendre la tentative, non-seulement insignifiante, mais ridicule.

Il était possible, en effet, que Marie-Thérèse, sous l’influence d’une défaillance passagère, eût conçu un instant la pensée de s’entendre directement avec la France. Il était possible aussi et peut-être plus vraisemblable que, satisfaite de la chute de d’Argenson, elle fût tentée de voir si son successeur serait moins que lui enchaîné sous le joug de la Prusse. Mais l’essentiel, en tout cas, était de l’aboucher directement avec un négociateur véritable, ayant en main tous les pouvoirs pour conclure et dont la parole lui inspirât confiance. Le détour suivi par Puisieulx ne lui offrait rien de pareil. Comment aurait-elle pu prendre au sérieux une conversation en l’air qui lui arrivait par une voie indirecte, sur la foi d’un ambassadeur de parade tel que Richelieu, connu seulement à Vienne par l’éclat d’une frivole élégance ? Il n’y avait rien là qui pût l’engager à se compromettre dans une démarche d’une nature par elle-même très délicate. Tout était donc manqué d’avance, et il aurait fallu être volontairement aveuglé pour conserver sur un succès, toujours peu probable, la moindre illusion.

Une seule personne peut-être aurait pu avoir, même dans ces conditions mal définies, une autorité personnelle suffisante pour se faire écouter. C’était Maurice, au comble maintenant du crédit comme de la renommée, et dont un mot pouvait suppléer à toutes les instructions ministérielles. Mais Maurice, on l’a vu, n’était pas entré sans hésitation dans une négociation qui, si elle réussissait et mettait un terme à la guerre, ne pouvait manquer de lui enlever, avec l’espoir d’acquérir une gloire nouvelle, le fruit de ses exploits passés. S’il s’était décidé à y mettre la main, c’était surtout pour consacrer par une action commune l’union des deux familles royales dont il était désormais l’allié, et traverser les desseins d’un ministre dont il désirait la chute. Ce double résultat obtenu, son zèle se refroidissait visiblement.

Le printemps qui approchait lui apportait de nouvelles perspectives de victoires, tandis que, pour offrir la paix à l’Autriche dans des conditions de nature à la séduire, il fallait commencer par lui promettre la restitution des Pays-Bas, et renoncer ainsi à ce joyau précieux dont il avait pu se flatter de faire don à la couronne de France. Ce sacrifice lui coûtait et lui semblait médiocrement compensé par un chétif établissement accordé à un infant d’Espagne en Italie. C’est ce qu’il laissa clairement voir en envoyant à Brühl la première lettre de Richelieu. Il l’engageait vivement à faire prononcer l’Autriche sans délai, parce que, si on laissait, disait-il, la France reprendre, avec la suite de la guerre, le cours de ses victoires, le roi serait peut-être moins disposé à se dessaisir de la jouissance du Brabant qui lui rapportait déjà cinquante millions. — « Vous conviendrez que c’est un objet, ajoutait-il, et voilà tout ce que je peux vous dire sur cette affaire. »

Si c’était Louis XV lui-même qui eût fait entendre une telle menace, tout le monde, même Marie-Thérèse, y aurait peut-être regardé. Mais, tenu par Maurice seul et confié à l’oreille du comte de Brühl, ce langage ne devait ni être écouté, ni parvenir à son adresse. Ce fut tout cependant, et depuis lors, pas un mot ne se retrouve plus sur ce sujet dans la correspondance de Maurice[11].

Ni Richelieu ni Brühl, à la vérité, n’avaient les mêmes motifs pour quitter la partie si facilement. Tout au contraire, l’un avait peine à renoncer à la confidence d’un secret d’état qui accroissait son importance, l’autre, resté tout Autrichien au fond du cœur, tout en touchant l’argent de la France, se plaisait dans ce rôle de médiateur qui lui permettait de se maintenir à la fois en relations amicales avec les deux cours ennemies. L’un et l’autre devaient donc continuer plusieurs mois encore, en piétinant sur place, et sans faire un pas vers une solution, des correspondances qui, communiquées à l’impératrice, n’obtenaient d’elle que des réponses de plus en plus vagues et dilatoires ; ils demeuraient seuls en réalité à y attacher quelque importance[12].

La vérité, d’ailleurs, c’est que, pour faire sérieusement affaire avec Vienne, il aurait fallu se décider (surtout après les indiscrétions de Maurepas) à encourir successivement le déplaisir de Berlin. La chose absolument impossible, c’était de se rendre agréable aux deux endroits à la fois ; et sur ce point, Marie-Thérèse et Frédéric, parfaitement au courant de leurs sentimens réciproques, s’entendirent sans se concerter. Qui se rapprochait de l’un, par là même s’éloignait de l’autre. Or, si Puisieulx, comme tous les politiques de la cour, ne s’était pas fait faute d’accuser les faiblesses de d’Argenson pour un ami aussi douteux que Frédéric, quand, une fois ministre, il s’agit, en changeant brusquement cette attitude, de se poser lui-même en adversaire déclaré d’un souverain puissant et irascible, il semble que la peur le prît et que le cœur lui ait manqué. Il n’est assurément ni le premier ni le seul ministre à qui la responsabilité du pouvoir, tombée inopinément sur ses épaules, ait paru plus lourde qu’il ne pensait, et qui se soit empressé de courir après ses paroles, prononcées à la légère quand elles ne tiraient pas à conséquence. C’est à un sentiment de cette nature qu’il faut attribuer l’empressement subit qu’on le vit mettre, sans attendre qu’on lui eût fait un reproche ou même une question, à bien établir qu’en fait de fidélité et de dévoûment à l’alliance prussienne, il ne le céderait pas à son prédécesseur.

A peine entré en convalescence, il se fit ménager un rendez-vous avec le ministre de Prusse, à Plaisance, chez Paris-Duvernay, et là, ouvrant son cœur avec une sorte d’épanchement mélancolique : « Le roi de Prusse, lui dit-il, aurait pu faire quelque chose de plus pour nous qu’il n’a trouvé à propos ; au moins quelques démonstrations, en différentes occasions, qui nous auraient fait du bien ; mais il ne l’a pas cru convenable : cela doit nous suffire, parce qu’il connaît mieux ce qui convenait à ses intérêts que nous ne pouvons le faire. Nous sommes trop heureux d’avoir un ami et un allié aussi éclairé qu’il est, et qui gouverne ses affaires par lui-même. Il faut aussi que nous nous en rapportions à sa pénétration et à ses lumières sur ce qu’il peut ou ne peut pas faire. Ses intérêts sont les nôtres et ne peuvent pas nous être indifférens. Il a la Silésie, il faut qu’il la garde. »

Puis, allant au-devant du soupçon qu’il lisait dans les regards de son interlocuteur : « Vous ne devez pas prendre le change sur nos relations avec la cour de Dresde. Notre traité de subsides avec elle et le mariage de M. le Dauphin ne nous permettent pas de rompre avec cette cour-là ; mais nous savons que M. de Brühl sera toujours Autrichien ou Russe, quoi que nous puissions faire. Nous ne pourrions nous en débarrasser qu’en le perdant, et il y aurait de la témérité à l’essayer, puisque nous n’y réussirions pas. Le mieux que nous puissions faire est de connaître la Saxe pour ce qu’elle vaut, et que notre confiance en elle n’aille pas jusqu’à un certain point… je le répète, jusqu’à un certain point[13]… »

Et, de crainte que la confidence ne fût pas assez textuellement rapportée, ses premières instructions, envoyées à Valori, étaient conçues dans des termes d’une amitié aussi chaleureuse : « Le roi de Prusse, disait-il, est trop éclairé pour ne pas sentir que le désir que nous avons de rendre la tranquillité à nos peuples et à l’Europe ne sera jamais capable, dans aucun cas, de trahir nos intérêts au point de négliger les siens. Son objet doit être de garder la Silésie et de se l’assurer à perpétuité ; et c’est aussi ce qui nous convient le mieux, l’acquisition qu’il a faite étant le seul fruit que nous retirions d’une guerre si longue et si sanglante[14] »

Enfin, averti que les bruits qui circulaient à Dresde sur les rapports de Richelieu avec Brühl inquiétaient sérieusement le ministre de Prusse et pouvaient être présentés par lui sous une couleur fâcheuse, Puisieulx chargeait spécialement l’ambassadeur de France, des Issarts, de rassurer son collègue : « Dites-lui bien, écrivait-il, que le roi n’a pas changé de principes, qu’il n’y a rien ou, du moins, rien de sérieux dans la mission qu’on prête au duc de Richelieu. Il ne peut avoir été question, dans cette prétendue mission, de rien qui puisse inquiéter la cour de Berlin… Il ne nous convient pas moins qu’au roi de Prusse lui-même que ce prince, à la paix générale, puisse demeurer tranquille possesseur de l’acquisition que ses victoires lui ont procurée[15]. »

D’Argenson, on en conviendra, n’aurait pas mieux dit. Les gouvernemens parlementaires ne sont donc pas les seuls où l’opposition, arrivée au pouvoir, pratique souvent la conduite et tient le langage que, la veille, elle censurait le plus amèrement.

Frédéric aurait été difficile s’il ne se fût pas contenté de ces assurances, d’autant plus qu’il ne tenait qu’à lui de penser que le nouveau ministre, en se jetant ainsi en quelque sorte à sa tête et en se confondant en protestations d’amitié, ne faisait qu’obéir au sentiment général du public français, et qu’il n’aurait pas été maître de le contrarier. C’est du moins ce que lui assurait au même moment, dans un langage enthousiaste, un ami du ministre tombé, qui ne demandait pas mieux que de rester le courtisan et le conseiller de son successeur. Le bruit s’étant répandu que le roi de Prusse était malade : — « cette mauvaise nouvelle, sire, vous aurait fait plaisir, lui écrivait Voltaire, si vous aviez vu comme elle a été reçue. Comptez qu’on fut consterné et qu’on ne vous aurait pas plus regretté dans vos états. Vous auriez joui de toute votre renommée ; vous auriez vu l’effet que produit un mérite unique chez un peuple sensible ; vous auriez senti la douceur d’être chéri d’une nation qui, avec tous ses défauts, est peut-être, dans l’univers, la seule dispensatrice de la gloire[16]. »

Caresses et complimens, Frédéric, complètement rassuré sur les conséquences du changement ministériel, reçut tout avec une bienveillance dédaigneuse. « Vous ferez bien, dit-il à Chambrier, de glisser, dans vos discours avec les ministres de Sa Majesté Très Catholique, que j’étais parfaitement informé du chipotage entretenu avec la cour de Vienne par la cour de Saxe ; qu’à la vérité, on ne saurait trouver à redire de quel canal la France se servait pour avoir la paix, pourvu que mes intérêts ne fussent point sacrifiés ; ce que la certitude où j’étais de la droiture des sentimens et des intentions de Sa Majesté Très Catholique et de ses lumières ne me permettait pas de concevoir… — Je sais très bien, ajoutait-il ailleurs, que les ministres saxons n’ont fait qu’amuser les Français et les tromper. »

Bref, il résumait en ces quelques mots la ligne prescrite à ses agens. « Je vous dirai pour votre direction, dans le fond de l’âme, que je ne souhaite rien de plus que de pouvoir rester neutre et me mettre vis-à-vis de la France, sans l’effaroucher ni la rebuter. Je connais assez mes intérêts pour être convaincu de la nécessité qu’il y a d’être indissolublement attaché à la France, si je ne voulais préjudiciel" à mes intérêts, comme il était réciproquement de l’intérêt de la France de me tenir à elle et de m’avantager, si elle ne voulait préjudicier à ses affaires, et qu’en conséquence nous étions naturellement si bien ensemble que nous n’avions pas besoin de traité d’alliance, mais seulement d’agir toujours et de chaque côté, conformément à nos intérêts réciproques[17]. » — « Le duc de Richelieu, écrivait-il encore à Voltaire, a vu à Dresde des Dauphines, des fêtes, des cérémonies et des fats : c’est le lot d’un ambassadeur. » — Comme il était vraisemblable que Richelieu, plein de son importance, s’était vanté à Voltaire de ses hauts faits diplomatiques, c’était une manière assez directe de lui faire savoir, en haussant les épaules, le peu de cas qu’il convenait d’en faire.

En somme, il était impossible de témoigner au nouveau ministre français une confiance fondée sur moins d’estime. Autant valait dire en propres termes : Je vois que je vous suis tellement à craindre que vous n’aurez jamais le courage de vous séparer de moi. Aussi il se sentait désormais si bien maître de la situation qu’il ne craignait pas de donner publiquement aux agens français des témoignages de satisfaction pour les protéger contre le déplaisir de leur cour. Ainsi, Valori ayant exprimé la crainte que sa qualité d’ami de d’Argenson ne lui nuisît auprès de son successeur et fait mine de vouloir se retirer, il l’engagea à n’en rien faire, en l’assurant sur un ton de douce raillerie de sa protection. — « Le marquis de Valori, écrit le ministre Podewils, m’a fait entendre l’autre jour que ses amis en France l’avaient averti sous main que sa cour n’était pas trop contente de lui, et qu’elle pourrait bien le faire remplacer par quelque autre qui eût l’esprit plus vif et qui possédât mieux le don de plaire… — Vous pouvez lui dire, répond Frédéric, que tout ce qu’il vous a dit sur ce sujet nous est inconnu, et que je n’y ajoute aucune foi, que l’on était content de son personnel, et que dans les affaires on faisait autant de cas de sa pesante raison que de la brillante imagination des autres[18]. »

C’est avec la même confiance dans son crédit et la même conviction qu’on n’avait rien à lui refuser qu’il insista auprès de Valori pour faire obtenir un bénéfice ecclésiastique à l’abbé de Maupertuis, frère du célèbre mathématicien qui s’était attaché à sa personne et qui vivait retiré à sa cour. L’idée était étrange, car si Maupertuis avait quitté la France, c’était en grande partie parce qu’avec ses opinions philosophiques un peu trop libres, il ne s’y sentait pas en pleine sécurité. La proposition fut cependant transmise à l’évêque de Mirepoix, qui avait la feuille des bénéfices. Le dévot prélat se récria, disant que l’abbé était un petit collet sans mérite et sans mœurs, pas beaucoup plus croyant que son frère, et qui ne ferait pas d’honneur à l’église. Valori n’osa même pas faire part à Frédéric de ce refus déguisé. — « Qu’importe, répliqua-t-il, si l’abbé ne sert pas l’église, sa nomination servira au moins l’Etat, et l’Église n’est-elle pas dans l’État ? » — La raison parut convaincante à Puisieulx, et l’église de France posséda un dignitaire de la façon du roi de Prusse.

Si Puisieulx n’osait pas regarder en face un allié et un neutre, on ne pouvait attendre de lui une attitude plus énergique vis-à-vis des puissances ennemies dont les représentans étaient réunis à Bréda. Là aussi le changement de son langage fut complet. Lui qui avait si dédaigneusement blâmé l’extrême modestie des propositions qu’on l’avait chargé de défendre, — lui qui s’était vanté de malmener de si haut, tant les bourgeois de Hollande que le jeune lord anglais qu’il traitait de blanc-bec sans expérience, — baissant subitement de ton, se garda bien d’étendre en quoi que ce soit le terrain étroit sur lequel son prédécesseur s’était placé.

Son premier soin fut de réitérer les protestations de désintéressement absolu dont d’Argenson s’était montré si prodigue au nom de Louis XV. La seule différence, c’est qu’en professant ce système de renoncement, d’Argenson obéissait à des inspirations généreuses et à des maximes plus élevées que politiques : Puisieulx était tout simplement retenu par la crainte, en se montrant plus exigeant qu’on ne l’avait été avant lui, d’être rendu responsable de l’éloignement indéfini de la paix. Ce qui était excès de scrupules chez l’un n’était que timidité chez l’autre. En tout cas, rien ne ressemblait moins à la fameuse déclaration du grand cardinal annonçant à l’Europe, le jour de son entrée au pouvoir, que son roi en changeant de ministre changeait aussi de politique.

Il est vrai que pour tenir ce fier langage, il aurait fallu un autre interprète que celui que Puisieulx chargea d’aller porter la parole à sa place à Bréda. Ce rôle important fut confié (à la surprise générale) à un des deux premiers commis des affaires étrangères, La Porte-Dutheil, très bon serviteur à la vérité, dont on vantait l’intelligence et l’habileté et qui, depuis le commencement du siècle, avait été employé en sous-ordre avec succès dans toutes les négociations importantes. Mais son origine était obscure et, en dehors de son ministère, son nom était inconnu. C’était donc, dans les idées d’hiérarchie sociale qui régnaient alors, un bien petit personnage pour aller représenter la France devant l’Europe assemblée. Peut-être était-ce là son principal titre aux yeux de Puisieulx, à qui le rôle de plénipotentiaire avait servi de marchepied pour arriver au ministère, et qui pouvait craindre, en faisant un choix plus éclatant, de servir les intérêts d’un rival et de se préparer un remplaçant. Mais l’effet ne fut pas moins très fâcheux, et au premier moment même, l’envoyé anglais, lord Sandwich, se refusait à entrer en rapport avec l’agent français, prétendant qu’un pair d’Angleterre ne pouvait traiter d’égal à égal avec un simple commis. Il fallut lui envoyer une généalogie vraie ou fausse qui établissait que Dutheil était bon gentilhomme et n’avait pu entrer qu’à ce titre dans un des conseils du roi dont il était secrétaire. Sandwich retira son opposition. Les preuves de noblesse lui avaient-elles paru suffisantes, ou bien n’avait-il pas réfléchi que la supériorité de son rang lui assurait un avantage dont il aurait tort de ne pas se prévaloir[19] ?

Si le choix du nouvel envoyé français n’avançait pas les affaires, celui de l’envoyé espagnol, bien autrement étrange, était juste ce qu’il fallait pour tout compromettre. On ne sait par quelle fantaisie le ministère de Ferdinand VI avait eu la pensée de confier la tâche de représenter l’Espagne à Bréda, dans une conjoncture si délicate, à un vieux magistrat qui avait su, à la vérité, acquérir une certaine réputation, mais qui, dans les circonstances mêmes auxquelles il la devait, avait fait preuve du tour d’esprit le plus dépourvu de la souplesse et de la dextérité convenables à un poste diplomatique. Melchior Macanaz, c’était son nom (dont l’Espagne se souvient encore aujourd’hui), était un jurisconsulte de profession qui avait servi de conseiller à Philippe V lorsque le petit-fils de Louis XIV, d’après les avis de son aïeul, avait entrepris de réformer l’administration intérieure de son royaume, en restreignant les antiques franchises de Castille et d’Aragon. Une des plus grandes difficultés qui se fussent rencontrées dans cette tâche de tout point assez ardue, c’était l’étendue des immunités reconnues en Espagne au clergé, tant séculier que régulier, et qu’un prince français devait regarder comme incompatibles avec la dignité de sa couronne. Macanaz, pour venir en aide à l’autorité royale contestée, s’était engagé avec plus de passion que de prudence dans une lutte ouverte contre les prétentions ecclésiastiques, et ses écrits pleins de feu et d’érudition avaient paru respirer l’esprit et les doctrines de notre gallicanisme parlementaire. En terre d’inquisition, rien n’était plus dangereux. Toute la faveur de Philippe n’avait pu préserver des rigueurs du saint-office, ni les œuvres de Macanaz, dont la lecture fut interdite aux fidèles, ni sa personne qui dut, par prudence, être éloignée d’Espagne. Il avait passé trente ans soit en France, soit dans les Pays-Bas, demeurant, disait-on, en correspondance avec Philippe V qui continuait à prendre secrètement ses avis. Il quittait à peine cette retraite et venait de rentrer dans sa patrie lorsqu’il fut appelé à en sortir de nouveau, chargé d’une mission que personne ne s’attendait à voir confier à un proscrit de la veille.

Le seul qui n’en témoigna ni surprise ni mécontentement, ce fut d’Argenson, encore ministre quand la nomination fut annoncée à Paris. Il connaissait les écrits de Macanaz, approuvait ses doctrines et ne répugnait nullement à l’introduction de la science dans la politique. — « J’ai présenté M. Macanaz au roi, écrivait-il, c’est un vieux philosophe fort savant dans le droit : il concourra au succès de nos affaires, ou du moins n’y gâtera rien. Le rôle qu’il va jouer à Bréda est précisément celui que nous demanderions. » Vauréal, mieux informé, en jugeait bien différemment. — « Je souhaite, écrivait-il, que par l’expérience que nous en ferons vous ayez lieu d’être content du choix qu’on a fait de M. Macanaz ; c’est un homme sévère et caustique, hérissé de science et de formes, prévenu de lui-même, et qui se croit destiné à réformer l’univers[20]. »

Mais ce que ni d’Argenson, ni Vauréal, ni personne ne savait, c’est que, si en théologie et en jurisprudence Macanaz pensait à peu près comme un conseiller du parlement de Paris, il n’en était pas moins un Espagnol de la vieille roche, c’est-à-dire qu’il avait contre la France tous les sentimens d’hostilité qui n’avaient peut-être jamais régné avec autant d’acrimonie au-delà des Pyrénées que depuis que, la rivalité des deux monarchies ayant pris fin, la malveillance était accrue par le dépit d’être obligée de se contenir et de se cacher. Comme la plupart de ses compatriotes, Macanaz supportait impatiemment l’abaissement de l’Escurial devant Versailles, et ne voulait pas regarder comme inévitable cette conséquence, pourtant assez naturelle, de l’avènement d’un cadet de France au trône d’Espagne. Tondant son séjour dans les Pays-Bas autrichiens, l’idée lui était venue qu’en substituant aux relations de famille, qui avaient cessé d’exister, une alliance politique avec les héritiers de Charles-Quint, on pourrait rendre à l’Espagne quelque chose de son ancienne prépondérance sur le continent, et il était entré en relation et en confidence sur ce sujet avec des personnes en crédit à Vienne, entre autres avec l’illustre prince Eugène. Il avait même cru un instant que son plan était prêt à se réaliser : c’était le jour où une infante d’Espagne, fille de Philippe V, déjà fiancée à Louis XV et confiée à la garde du régent, avait été brusquement congédiée par une intrigue de cour pour faire place à Marie Leczinska. Elisabeth Farnèse, alors dans un violent accès d’irritation, avait décidé son époux à conclure avec les ennemis de sa famille un traité menaçant pour la France, qui, à la vérité, ne dura qu’un jour et ne reçut pas même un commencement d’exécution. Le mauvais succès de cette folle tentative n’avait pas découragé Macanaz, et il se mettait en route pour Bréda, l’esprit plein de l’espérance de reprendre son dessein favori, persuadé que le moment était venu de le mettre au jour, mais n’en faisant pourtant confidence à personne, afin de conserver pour lui seul le mérite et l’honneur de l’invention.

Effectivement, l’arrivée de ce petit vieillard portant allègrement ses soixante-dix-sept ans, n’ayant plus qu’une dent dans la bouche, mais parlant avec une telle volubilité qu’on avait peine à le comprendre, mit tout de suite tout le monde en révolution. D’abord il avait été convenu que, pour se conformer au rôle secondaire que leurs cours avaient accepté, les plénipotentiaires non convoqués à Bréda resteraient à La Haye, attendant le résultat des délibérations auxquelles ils n’étaient pas appelés à prendre part, et les envoyés autrichien et sarde, les comtes d’Harrach et de Chavanne, étaient déjà à leur poste, dans l’attitude expectante qui leur était commandée ; mais Macanaz déclara qu’il ne l’entendait nullement ainsi, qu’il avait bien l’intention de se rendre à Bréda de sa personne, et il engagea ses collègues à faire comme lui. Chavanne se laissa entraîner par l’exemple ; d’Harrach, soit que ses instructions fussent plus précises ou son naturel moins entreprenant, se borna à les regarder faire.

Arrivé à Bréda, Macanaz ne perdit pas un jour pour faire connaître d’abord verbalement à l’envoyé français, Dutheil, puis à la conférence réunie, par un mémoire écrit, qu’il avait la volonté arrêtée d’être admis lui-même à discuter les intérêts de sa cour, celle-ci n’entendant charger personne de plaider sa cause à sa place. Ce fut un véritable coup de théâtre. Dutheil et Sandwich, aussi étonnés l’un que l’autre, mais l’un voulant cacher sa déconvenue, l’autre ne voulant pas laisser voir combien il s’en amusait, ne pouvaient se regarder sans rire. Il n’y avait point de réponse à faire à une demande qui renversait toutes les conventions faites. Le secrétaire de Macanaz fut renvoyé les mains vides.

Dutheil, qui se rendit chez lui après la séance, le trouva dans un véritable accès de fureur. Il éclatait en reproches, surtout contre la France, qui fermait elle-même la porte au nez de son alliée. Dutheil essaya vainement de le calmer. — « Mais qui donc voulez-vous tuer ici, monsieur Macanaz ? lui ai-je dit, laissez-moi plutôt vous embrasser et vous exhorter à réfléchir que nous n’avons point à nous quereller quand nos maîtres s’entendent. » — Il n’en fallait pas moins donner avis de l’incident à Paris et à Madrid, et tout fut de nouveau en arrêt[21]. Et, en attendant, les yeux restaient fixés sur l’étrange figure que faisaient les deux envoyés de la maison de Bourbon, si ridiculement en conflit l’un avec l’autre.

A Paris, cela va sans dire, la prétention de Macanaz fut traitée, ainsi qu’elle le méritait, comme une fantaisie sans gravité. L’ambassadeur d’Espagne, plus surpris que personne, se montra même très offensé que Macanaz, passant par la France, ne l’eût pas prévenu de son incartade : il promit d’y mettre ordre et suppliait qu’on n’y attachât pas d’importance. Tout au plus quelques ennemis de d’Argenson se donnèrent-ils le malin plaisir de faire remarquer qu’il n’était pas bien surprenant qu’une machine si mal mise en train ne pût pas même faire un tour de roue. — « Je connais des gens, écrivait Duvernay à Dutheil lui-même, qui ont dit au défunt ministre des affaires étrangères que la forme qu’il voulait donner à cette assemblée lui causerait plus d’un embarras ; mais on est souvent obligé de marcher à la suite de l’imbécillité des autres. Ayez donc courage et patience[22]. »

A Madrid, les choses allèrent un peu différemment. Au premier moment, les arrangemens pris étant formels, il n’y avait pas moyen de les nier, et le comte de Carvajal (c’était le nom du nouveau ministre appelé par Ferdinand VI à diriger les affaires étrangères) fut bien obligé de convenir que l’extrême vivacité de Macanaz avait pu lui faire faire quelque étourderie : — « Je crois que c’est le premier homme de quatre-vingts ans, fit observer Vauréal, qu’on ait réprimandé à titre de vivacité et d’étourderie. » Mais quelques jours après, tout était changé, et quand Vauréal vint s’informer si des ordres avaient été donnés pour faire cesser le scandale qui avait lieu à Bréda : « Il y a bien eu un scandale, répliqua Carvajal en se redressant, mais c’est M. Dutheil qui l’a donné. Si M. de Macanaz était exclu de la conférence par nos ennemis, à la bonne heure ; mais que ce soit le ministre de France qui l’exclue, pendant que nos ennemis sont prêts à l’admettre, c’est ce qui n’a jamais eu d’exemple. » — Vauréal resta consterné, la surprise même lui coupant la parole ; il eut beau rappeler les conventions arrêtées, les promesses données, en répétant les paroles mêmes dont on s’était servi, le ministre ne voulait se souvenir de rien. — « Je crois décidément, écrivait l’ambassadeur, qu’on veut maintenant faire manquer la conférence, » — et il supposait que quelque séduction venue d’Angleterre à travers Lisbonne devait expliquer ce revirement incompréhensible.

Il ne se trompait pas, mais ce n’était pas à Lisbonne (où se continuaient toujours, par les correspondances de la reine d’Espagne, des pourparlers qui n’avançaient pas), c’était bien à Bréda même, sous les yeux et à la barbe du plénipotentiaire français, que l’idée de conclure un arrangement direct entre l’Espagne et les puissances alliées contre nous par l’intermédiaire si inopinément offert de Macanaz était sérieusement débattue. Il faut bien le croire, puisque M. d’Arneth nous l’assure et que les dépêches anglaises et autrichiennes confirment cette étrange assertion. C’était l’effet des prévenances de toute sorte dont Macanaz s’était vu l’objet dès qu’on avait su qu’il rompait en visière à son collègue de France. Anglais, Piémontais, Autrichiens, c’était à qui viendrait flatter et encourager ses prétentions. Sandwich, Chavanne, puis le comte et la comtesse d’Harrach (accourus sur-le-champ à Bréda, sur le bruit de la querelle), se pressaient autour de lui, le choyant, le comblant de complimens et de politesses. Bientôt, il ne sortit plus de leur compagnie. — « Il y a, écrivait Dutheil, autour de milord Sandwich, toute une volière, dont M. Macanaz est l’oiseau privé. Il y mange dans la main. » — Rien de plus naturel que, dans ces épanchemens, on fit parler le vaniteux vieillard sur les conditions que l’Espagne, suivant lui, pouvait mettre à sa défection de l’alliance française. En effet, quelle aubaine inespérée ? De quel ridicule ineffable la France ne serait-elle pas couverte, si on la voyait sortir seule de la conférence qu’elle avait elle-même convoquée, s’étant laissé dérober, à l’aide d’un véritable tour de passe-passe, le seul allié qu’elle eût encore ! Le plaisir de faire jouer à Louis XV, devant toute l’Europe, ce rôle de dupe, valait assurément quelques concessions. Il n’en fallut pas davantage pour faire croire à Macanaz qu’il était maître de la situation et arbitre des conditions de la paix. Bientôt ses conversations prirent un tour assez sérieux pour que Sandwich et d’Harrach crussent devoir demander à leurs cours des pouvoirs spéciaux pour négocier et au besoin conclure avec cet auxiliaire inattendu, et le ministre espagnol, ébloui par les vanteries enthousiastes de Macanaz, n’osait plus désavouer un agent qui paraissait si sûr de son fait. L’illusion, ou plutôt la comédie, ne fut, à la vérité, pas de longue durée, et ce fut la présomptueuse sottise du vieux philosophe qui ne tarda pas à y mettre un terme. Dans tous ses entretiens, Macanaz partait de là, que la nouvelle monarchie espagnole avait hérité de tous les droits de l’ancienne, et que, dès lors, Philippe V avait été en réalité le seul héritier légitime de Charles VI. C’était donc à l’Espagne, non pas à solliciter qu’on lui fît sa part en Flandre ou en Italie, mais à déterminer elle-même et à dicter celle de tout le monde : il ne fallait plus demander ce que Marie-Thérèse voudrait céder en Italie, mais ce que l’Espagne consentirait à lui laisser garder. Or, en vertu de cette autorité souveraine, la Toscane était assignée à l’infant Philippe, la Lombardie et le duché de Parme avec un titre royal à Charles-Emmanuel, la république de Gênes devait rentrer dans la plénitude de son indépendance. L’Espagne gardait la Sardaigne pour elle-même, recouvrait certains droits de suzeraineté dans les Pays-Bas, et rentrait par la même occasion dans la possession de Gibraltar. Toutes ces belles choses étaient mises par écrit et confiées à tous les échos par Macanaz lui-même, avec une intempérance de langue que rien ne pouvait contenir. On peut juger ce que pensa Marie-Thérèse en recevant des communications de cette nature transmises par d’Harrach, non sans quelque embarras. Elle ne daigna ni les discuter, ni même les lire jusqu’au bout. L’homme a perdu la tête, dit-elle en haussant les épaules, et d’Harrach eut défense de continuer la conversation.

Sandwich essaya bien de la poursuivre, et à force de peine amena Macanaz à se réduire à quelques propositions plus raisonnables. Mais quand il s’agit d’exhiber des pouvoirs pour rédiger au moins des préliminaires, Macanaz dut convenir qu’il n’en avait pas, et se refusa même à donner plus longtemps des signatures. Ainsi finit cette sotte entreprise, laissant assez confus ceux qui avaient été assez naïfs pour y ajouter foi[23].

Mais le ridicule était pour tout le monde, aussi bien pour le gouvernement français, ouvertement bravé par son allié, que pour ses ennemis qui avaient failli tomber eux-mêmes dans le piège qu’ils lui avaient tendu, et c’était la conférence tout entière qui, après avoir donné ce spectacle grotesque, ne pouvait se remettre à l’œuvre sans être l’objet de la risée publique. En particulier, il ne pouvait plus être question de l’expédient bâtard et boiteux imaginé par d’Argenson, du moment que le premier essai avait si mal tourné et n’avait pu fonctionner même un seul jour. Aussi le découragement était général. Dutheil demandait à grands cris à être rappelé. L’Espagne ne pouvait ni soutenir, ni désavouer l’agent qui l’avait compromise. Puisieulx cherchait quelque moyen de revenir à des bases plus acceptables. La reprise des opérations militaires et une révolution politique qui en fut la suite, en fermant la bouche à toutes les négociations, vinrent à point pour tirer tout le monde de peine.


III

Du moment, en effet, où la paix était de nouveau indéfiniment ajournée, c’était à la guerre qu’il fallait songer et pourvoir. Et tout de suite la plus grave question avait dû se présenter. Dans quelle condition devait s’engager la nouvelle campagne ? Une chose, on le sait, avait été reprochée à d’Argenson, presque autant que ses idées chimériques et ses faiblesses sentimentales, c’étaient les ménagemens excessifs qu’il avait gardés avec les bourgeois de Hollande et l’instruction donnée au maréchal de Saxe de ne jamais franchir, même au lendemain d’une victoire, la frontière du territoire de la république. C’était cette consigne suivie par Maurice avec scrupule, bien qu’en frémissant, jusqu’à la dernière heure, qui l’avait contraint pendant toute une saison à piétiner sur place par de belles, mais stériles manœuvres, et en contenant avec peine l’ardeur de son armée. A plus d’une reprise (on l’a vu), obligé d’expliquer à Frédéric cette timidité involontaire, il s’était attiré une réponse aussi flatteuse pour lui-même, que sévère et dédaigneuse pour les supérieurs dont il avait dû, malgré lui, exécuter les ordres. Ce véritable métier de dupe allait-il lui être imposé de nouveau ? A quoi lui servait alors la chute du marquis d’Argenson ? Ce n’eût pas été la peine d’avoir poussé lui-même en quelque sorte un ministre dehors, pour continuer à subir ces ridicules entraves. Il réclama donc très impérieusement la liberté de s’en affranchir et d’ouvrir ses opérations de l’année par une attaque directement portée sur le sol même de la Hollande.

Toute naturelle que fût cette insistance, il n’obtint pas sans peine qu’on en tînt compte, mais comme il ne s’agissait pas cette fois, comme dans le cas des pourparlers engagés avec Vienne, d’une négociation toujours incertaine à poursuivre, mais d’un point qui intéressait tout ensemble sa gloire et le bon renom des armes françaises, il ne se découragea pas si aisément. Pour se faire écouter des ministres, il n’hésita pas à mettre en œuvre toutes les ressources du crédit que lui donnaient sur l’esprit de Louis XV l’entrée de sa nièce dans la famille royale et les services qu’il était, par là même, en mesure de rendre non plus seulement sur le champ de bataille, mais dans les démêlés intérieurs et domestiques de la cour.

Il ne s’était pas trompé, en effet, en pensant que cette alliance lui viendrait efficacement en aide pour affermir dans sa patrie adoptive sa position toujours précaire et, quelque grande et méritée qu’elle pût être, toujours contestée par des rivaux envieux ; mais quelque avantage qu’il s’en fût promis, il n’avait peut-être pas prévu lui-même jusqu’à quel point sa parenté avec l’héritier du trône allait lui permettre de pénétrer dans l’intimité du souverain et de sa famille. Le nouveau mariage royal, si convenable au point de vue politique, si bien assorti par le rang et l’âge des époux, n’en commençait pas moins par des débuts assez pénibles. Ce n’est pas qu’une bienvenue très générale n’eût accueilli la première apparition de la princesse. Tout souriait au contraire à cette enfant de quinze ans, qui, dans l’éclat d’une situation inespérée, dont elle ne semblait ni éblouie, ni embarrassée, déployait des grâces naïves propres à lui gagner tous les cœurs. Si ses traits n’étaient pas d’une beauté régulière, la fraîcheur de son teint, la noble élégance de sa taille, la douceur pénétrante de son regard, une physionomie à la fois candide et piquante, donnaient à toute sa personne un charme inexprimable. Le roi s’amusait de la vivacité ingénue de ses reparties, et elle désarmait les préventions stanislaïques de la reine, en se jetant dans ses bras avec une confiance filiale ; chacun faisait tout bas une comparaison à son avantage avec la contenance sévère de la fière Espagnole qu’elle remplaçait. Le seul qui ne parût pas touché, mais plutôt impatienté de ce contraste, c’était celui qui aurait dû en être le plus séduit, le dauphin lui-même. Attaché à la femme qu’il avait perdue avec la vivacité d’un premier amour, le jeune prince était encore inconsolable et ne pouvait pardonner à la raison d’état de le condamner sitôt à l’oubli. La nouvelle mariée, disait-on, ne s’apercevait que trop des sentimens de son époux : avant même leur première rencontre, et pendant qu’elle faisait route en France, une lettre adressée à sa dame d’honneur et tombée par erreur entre ses mains l’avait préparée à l’accueil plein de trouble et de sécheresse qui lui était réservé ; cette froideur visible parut même telle, dans les premières relations du jeune ménage, qu’on put croire que le but du mariage serait manqué et que la couronne de France attendrait encore quelque temps un héritier[24]. Puis quand l’embarras des premiers momens fut dissipé, la position de la jeune femme, encore novice dans l’art des cours, au milieu d’une famille très divisée, n’en restait pas moins assez délicate. Pour commencer, quelle conduite tenir et comment se comporter envers Mme de Pompadour ? La marquise avait favorisé le mariage et comptait sur la reconnaissance. Puis, bien qu’on ne se fît pas faute de lui chercher des rivales, même parmi les filles des plus nobles maisons, rien n’avait pu encore détourner d’elle les regards du roi, et ce qui n’avait semblé à la première heure qu’une fantaisie passagère prenait tout l’air d’un engagement durable qu’il était prudent de ménager[25].

Mais le dauphin froissé, par la vue du scandale, dans la ferveur de ses sentimens religieux, très attaché d’ailleurs à sa mère, et plus sensible qu’elle-même à l’affront fait à la reine de France, ne pouvait dissimuler sa répugnance, et l’exprimait avec la liberté de langage alors usitée dans les cercles les plus relevés, en termes très peu ménagés. Ses sœurs, Mesdames, filles du roi, d’une voix plus discrète, parlaient à l’unisson, principalement Madame Henriette, la plus spirituelle, la plus vive et la plus aimée de son frère. Enfin, l’une des dames qui avait dû prendre son service auprès de la nouvelle dauphine était Mme de Lauraguais, sœur de Mme de Châteauroux, et elle ne dissimulait pas combien elle était blessée de voir remplacée, par un choix si vulgaire et de si petite qualité, la noble sœur dont (si la rumeur publique disait vrai) elle avait elle-même un instant partagé la faveur. Assiégée de ces conseils divers, quel parti la princesse devait-elle prendre ? Comment se garder de tant de pièges et d’écueils ? Fallait-il flatter les complaisances du roi pour garder sa bienveillance, ou la déplaisance du dauphin pour gagner son cœur ? — « Les cabales ne s’endorment pas, écrivait le comte de Loss, et les différens partis qui sont à la cour tâchent de gagner du terrain auprès de Mme la dauphine pour l’attirer chacun à soi. Le parti de la reine voudrait en faire une dévote, pendant que le roi très chrétien voudrait qu’elle s’attachât uniquement à lui. Elle a fait un compliment très obligeant, qu’on lui avait conseillé, à Mme de Pompadour[26]. » Aucune de ces agitations souterraines de l’intérieur royal, de ces chiffonages de cours, comme il les appelle, n’échappait à Maurice. Chargé, par les parens de sa nièce, de veiller sur les premiers pas de la princesse, il la regardait comme sa pupille et s’était fait le confident de ses peines secrètes. Mais il avait su réussir également à mettre le roi lui-même sur le pied de lui parler avec une ouverture peu conforme à sa nature défiante et dissimulée ; devant ce censeur si peu rigoureux, le prince, désormais livré sans combat à tous ses penchans, ne rougissait d’avouer aucune de ses faiblesses. Ainsi consulté de part et d’autre, ami et conseiller de tous, Maurice intervenait avec une bonhomie pleine de finesse, sinon pour déjouer toutes les intrigues, ou concilier tous les différends, au moins pour en prévenir l’éclat. Jusqu’où cette intimité était poussée ; avec quel détail, par exemple (et de quelle nature ! ) Louis XV le mettait au courant de ce qui pouvait l’inquiéter dans les premières relations des jeunes époux, c’est ce que non-seulement les lettres de Maurice à son frère, mais même les dépêches officielles de l’ambassadeur de Saxe nous rapportent avec une exactitude qui ne permet vraiment pas de les reproduire. L’imagination du lecteur s’en fera peut-être quelque idée par la pièce suivante dont le ton lui paraîtra déjà assez étrange ; il m’excusera si nos habitudes actuelles sont un peu surprises du spectacle qui était donné, il y a cent cinquante ans, sans étonner personne, à toute la cour assemblée.

« — Je n’aurai pas, écrit Maurice à Auguste III, de peine à dire des vérités agréables à Votre Majesté sur le compte de Mme la dauphine : cette princesse a réussi on ne peut mieux… elle s’est démêlé de tout ceci avec toute l’adresse imaginable. Je n’ai su que l’admirer. A quinze ans, il n’y a plus d’enfans dans ce monde-ci, à ce qu’on dit, et en vérité elle m’a étonné… M. le dauphin paraissait un écolier auprès d’elle. Aucune faiblesse, ni enfanterie n’a paru dans aucune de ses actions, et certes, il y a des momens où il faut toute l’assurance d’une personne formée pour jouer avec dignité ce rôle. Il y en a une entre autres, celle du lit où on ouvre les rideaux lorsque l’époux et l’épouse ont été mis au lit nuptial, qui est terrible, car toute la cour est dans la chambre, et le roi me dit, pour rassurer Mme la dauphine, de me tenir auprès d’elle. Elle soutint cela avec une tranquillité qui m’étonna. M. le dauphin se mit la couverture sur le visage, mais ma princesse ne cessa de me parler avec une liberté d’esprit charmante, ne faisant pas plus attention à ce peuple de cour que s’il n’y avait eu personne dans la chambre. Je lui dis en m’approchant que le roi m’avait ordonné de m’approcher d’elle pour rassurer sa contenance et que cela ne durerait qu’un petit moment. Elle me dit que je lui faisais plaisir, et je ne l’ai quittée et ne lui ai souhaité la bonne nuit que lorsque ses femmes eurent refermé les rideaux et que la foule fut sortie. Tout le monde sortit avec une espèce de douleur, car cela avait l’air d’un sacrifice, et elle a trouvé le moyen d’intéresser tout le monde pour elle. Votre Majesté rira peut-être de ce que je lui dis là, mais la bénédiction du lit, les prêtres, les bougies, cette pompe brillante, la beauté, la jeunesse de cette princesse, enfin le désir qu’on a qu’elle soit heureuse, toutes ces choses ensemble m’inspirent plus de pensées que de rire. Il y avait dans la chambre tous les princes et les princesses qui composent cette cour, le roi, la reine, plus de cent femmes couvertes de pierreries et d’habits brillans. C’est un coup d’œil unique et je le répète, cela a plus l’air d’un sacrifice. »

Et quelques jours après : — « Je fus au souper où Mme la dauphine ne mangea pas… C’est la grande fatigue qui en est cause, et j’ai dit au roi que si on ne lui procurait pas de repos elle tomberait malade. J’en suis sur les dents de l’avoir suivie. Il fait une si forte chaleur dans les appartemens qu’il y a de quoi mourir, par la grande quantité de monde et de bougies le soir, avec cela ses habits ont été d’un poids que je ne sais comment elle a pu les porter… Le roi me fit prendre l’autre jour sa jupe, qui était sur un canapé, pendant que Mme la dauphine était à sa toilette, elle pesait bien soixante livres ; il n’y a aucune de nos cuirasses qui pèse autant. Je ne sais pas comment elle a pu tenir huit ou neuf heures sur ses pieds avec ce poids énorme[27]. »

« Il faudra donc que tout vous cède ! » disait Louis XV à Maurice, après quelque scène pareille ; et, de fait, il n’y avait moyen de rien refuser à un ami qu’on laissait entrer si avant dans ses secrets de famille, surtout quand cet ami était en même temps un grand serviteur de l’État, qui ne demandait que la liberté de rendre ses services plus glorieux encore et plus efficaces. Maurice obtint donc, avant de repartir pour la Flandre, ce qu’il désirait le plus au monde, la permission de conduire ses opérations à son gré et de les presser jusqu’où lui conviendrait. Mais rien ne prouve mieux combien son intervention était nécessaire pour vaincre la mollesse et l’incertitude des conseillers de Louis XV que les précautions de langage qui furent employées en lui faisant connaître une décision aussi sensée pourtant que virile. Ce fut le maréchal de Noailles qui, après l’avoir chaudement appuyée dans le conseil, fut chargé de la lui transmettre en l’accompagnant des recommandations suivantes : « En attaquant les Hollandais, lui disait-il, on est ici cependant dans la résolution d’user de beaucoup de ménagemens à l’égard du pays et des peuples, on ne veut principalement que faire sentir au gouvernement les suites et les funestes conséquences de se laisser dominer par des influences étrangères, et l’obliger enfin à concourir sincèrement à des vues de paix pour assurer la propre conservation de la république. C’est un remède extrême qu’on veut administrer avec douceur, sans néanmoins préjudicier à la fermeté et à la vigueur de l’exécution. J’ai cru qu’il était important que vous fussiez informé des véritables dispositions du conseil du roi sur cet objet[28]. »

Ces paroles étaient à peu près textuellement reproduites dans la déclaration que Chiquet, l’agent resté chargé des affaires de France à La Haye, reçut l’instruction de porter aux États généraux, pour les préparer à l’approche imminente des armées françaises. Les preuves de modération données par la France depuis le commencement de la guerre y étaient rappelées et énumérées : la présence constante et l’accroissement prochain des troupes hollandaises dans les rangs ennemis ne justifiaient-elles pas toutes les mesures défensives ? et si la victoire avait favorisé les années des alliés, les soldats de la république auraient-ils respecté le territoire français ? Du reste, ajoutait le document, tout serait conduit avec une extrême modération. Une sévère discipline serait imposée aux troupes. La religion des populations serait respectée, nulle atteinte ne serait portée à la liberté des consciences, et, pour qu’on ne pût douter du désintéressement du roi de France, il s’engageait à ne considérer les places qu’il occuperait que comme un dépôt qui serait rigoureusement restitué dès que la guerre serait terminée ou que les Hollandais auraient cessé d’y prendre part. Cette argumentation ne souffrait pas de réplique ; on peut s’étonner cependant qu’une justification quelconque fût nécessaire. Tel était toutefois le respect qu’inspirait à l’Europe entière cette petite, mais sage république, — qui, par ses capitaux, fournissait des écus aux trésors de tous les états obérés, et dont les gazettes étaient les seuls organes libres de l’opinion, — qu’au premier moment l’étonnement, j’ai presque dit l’indignation, fut encore, plus que la peur, le sentiment dominant dans l’assemblée, véritablement stupéfiée. A force de servir de refuge aux proscrits de tous les pays, la Hollande s’était accoutumée à se regarder elle-même comme un territoire d’asile inviolable où le bruit des armes ne devait jamais se faire entendre et dont la force, même victorieuse, devait respecter le seuil. « Tous les membres qui composaient l’assemblée, écrit Chiquet, furent tellement consternés qu’aucun d’eux n’ouvrit la bouche, soit pour, soit contre, soit même pour aviser aux moyens de détourner le coup dont cet état est menacé, et l’on se contenta de mettre l’affaire en commission et d’ordonner que lesdites pièces seraient envoyées aux provinces respectives de l’union[29]. »

L’impression fut bien plus vive encore et plus générale lorsque l’effet vint, sans tarder, suivre la menace. Une fois en liberté d’agir, Maurice se mit à l’œuvre avec son énergie et sa promptitude accoutumées. Ce fut sur la province maritime de Zélande et sur les places fortes bordant le cours inférieur de l’Escaut jusqu’à son embouchure qu’il dirigea sa première attaque. En partant de Versailles, le 30 avril, il avait annoncé que tout serait fini en quinze jours, et personne ne le voulait croire, car on avait peine à comprendre comment une armée, embarrassée d’un matériel de siège, pourrait manœuvrer sur un sol mouvant, coupé de mille canaux et détrempé par de constantes inondations. Mais il ne voulait pas même avoir l’air de prendre la difficulté au sérieux. « Soyez le bienvenu, monseigneur, écrivait-il au comte de Clermont, qui lui demandait ses ordres et le lieu où il devait le rejoindre, nous ferons de la bonne besogne, s’il plaît à gott, ce dieu des Allemands. Ces messieurs voulaient nous manger avant que nous pussions être rassemblés : il faut les gruger par détail, et puis leur donner des coups comme à Rocoux… Les Hollandais crieront : Aïe ! aïe ! mais qu’ils crient ou ne crient pas, il n’importe guère[30]. »

La gageure fut tenue ; et, entre le 1er et le 17 mai, les citadelles de l’Écluse, de Sas, de Gand, d’Hulst et d’Axel avaient successivement capitulé, et tout le cours du fleuve, jusqu’à la mer, était sous la possession des armes françaises. C’était justement parce qu’on avait trop compté sur les défenses naturelles et sur la longanimité du gouvernement français que les garnisons, partout surprises, n’étaient nullement prêtes à la résistance. Lowendal portait les coups que Maurice dirigeait de son quartier-général, qu’il avait transporté à Anvers. Il put croire un instant que le duc de Cumberland, encore occupé à La Haye à rassembler les troupes alliées, allait venir l’y chercher. Mais les succès furent si rapides, que le temps manqua même pour donner à cette menace un semblant d’exécution.

Chacun de ces brillans faits d’armes était annoncé par Maurice avec sa verve railleuse accoutumée. — « Je vous envoie la capitulation de l’Ecluse, écrit-il le 22 avril ; elle est, comme on dit, au gros sel. Donnez une commission de colonel à celui qui vous l’apporte, c’est un de mes meilleurs marmitons. » — Et le 4 mai : — « Je tiens maintenant le loup par les oreilles ; il ne me reste plus qu’Hulst, dont je viendrai à bout dans quatre jours. »

Puis le 12 : « M. Delaroque (le commandant d’Hulst) m’a fait dire que le cadre d’or qu’il avait l’intention de mettre à mon portrait serait plus ou moins large, suivant la capitulation que je lui accorderais. » — Enfin, le dernier jour annonçant la chute d’Axel : — « Tout est fini ; je crois que cela s’appelle viser juste, vu les difficultés qu’il y avait à surmonter[31]. »

Cette dernière conquête était de toutes la plus singulière, car la forteresse d’Axel, élevée sur une des îles de l’Escaut, semblait par là même à l’abri d’une attaque improvisée : elle se rendit cependant sans qu’il fût même tiré un coup de canon. Ce fut l’œuvre d’un très jeune officier, le comte de Broglie, second fils du dernier maréchal et frère du nouveau duc ; son supérieur, M. de Contades, lui en faisait honneur dans les termes suivans : — « On a raison de dire que les moyens qui paraissent le plus éloignés de la vraisemblance réussissent quelquefois. Je voyais des difficultés sans nombre pour pénétrer dans l’île d’Axel, séparée du continent par un bras de mer, ne pouvant cependant me flatter de se rendre maître d’Axel qu’après avoir débarqué dans l’île. Quelque extraordinaire que cette proposition me parût, j’ai envoyé un officier à Axel pour porter une lettre à l’officier qui y commande : je lui mandais que j’avais des choses à lui proposer qui lui seraient utiles à la ville et à sa garnison, et que, s’il l’approuvait, je lui enverrais un officier principal pour lui en faire part ; il y a consenti, j’y ai envoyé le comte de Broglie, qui a trouvé moyen de lui persuader que je lui donnais une grande marque de bonté en lui permettant d’évacuer le pays d’Axel et de sortir de la ville avec les honneurs de la guerre. Il a signé la capitulation, que j’envoie à M. le maréchal de Saxe par M. le comte de Broglie. Je ne doute pas que M. le maréchal ne le charge de vous la porter ; il est certain que j’avais remis cette importante négociation en bonnes mains et que je dois à son éloquence de n’être pas obligé d’entreprendre une besogne dont la réussite était fort incertaine[32]. »

Maurice chargea en effet le jeune comte d’aller porter à Versailles cette nouvelle, qui complétait une série de prodiges, non sans exprimer pourtant quelque regret que, même à ce prix, la garnison d’Axel eût obtenu sa liberté : — « Je vous envoie, écrivait-il, le petit comte de Broglie, qui a eu l’éloquence de persuader au commandant d’Axel de rendre la place et tout ce qui restait. Nous voilà quittes de ces gens-là jusqu’au revoir ; le procès est gagné. J’aurais bien voulu avoir les six bataillons ; ils me tiennent un peu au cœur. » — A Versailles, on était trop satisfait pour se montrer si difficile. — « M. de Broglie, écrivait le comte d’Argenson, est venu me dénicher à Neuilly, où je ne m’attendais pas à recevoir sitôt les nouvelles de la prise d’Axel et de son territoire. Il n’y a personne, à commencer par le roi, qui n’ait été saisi d’étonnement en apprenant cette nouvelle, et il ne faut pas avoir regret de voir échapper une garnison qui vous a cédé à si bon marché le pays qui était confié à ses soins. A l’égard de M. de Broglie, je le garderai jusqu’à ce que le roi m’ait donné des ordres sur les grâces que Sa Majesté jugera à propos de lui accorder[33]. »

« Il faut avouer, s’écriait le maréchal de Noailles, que nous avons affaire à des gens bien obligeans. » Et, ravi des succès de son ami, il se mettait lui-même en route pour la Flandre, sous prétexte de faire une tournée d’inspection, en réalité pour le féliciter lui-même et se placer, comme il le lui écrivait, à l’ombre de ses lauriers. — « Ce que je vois ici, s’écriait-il en arrivant, est incroyable à qui ne le vérifierait pas de ses propres yeux. » — Il était heureux de lui annoncer en même temps que le roi portait son traitement de maréchal-général à 30,000 francs par an, somme supérieure à celle qui avait été accordée à Turenne et à Villars, qui n’en avaient jamais reçu que 24,000[34].

(1) C’était toucher Maurice à un point très sensible, car il n’était, on le sait, nullement indifférent à ce genre de récompense, et le profit lui semblait un juste complément de la gloire. Il avait même songé un instant (c’est la correspondance de Noailles lui-même qui nous l’apprend) au début de la campagne, à profiter de l’occasion et de la victoire pour se procurer une source de gains qui, moins honorable que les grâces royales, eût été plus lucrative. On avait, suivant lui, un moyen d’atteindre les marchands de Hollande à un point qui leur tenait plus au cœur même que l’intégrité de leur territoire : c’était de donner à l’entrée de leurs ports la chasse aux navires qui leur rapportaient les richesses du monde entier. L’exécution eût été confiée à des bâtimens armés en course dont Maurice aurait eu lui-même l’entreprise. C’était s’adjuger d’avance une part de prise dont, vu l’étendue du commerce hollandais, le montant aurait pu être assez élevé. Malheureusement l’intention était trop évidente et tout le monde y aurait vu clair. Ce furent les conseils de l’amitié éclairée de Noailles qui le détournèrent de ternir ainsi, par un bas calcul d’intérêt, tout l’éclat de sa renommée : — « L’amitié que je vous ai vouée, mon cher maréchal, lui avait-il écrit, veut et exige que je vous écrive en particulier sur le projet d’envoyer en votre nom des vaisseaux en mer pour courir sus aux Hollandais. — Je crains l’abus que vos envieux et vos ennemis en pourraient faire contre vous. Vous êtes l’objet de l’amour et de l’admiration du public, il faut éviter toute démarche qui pourrait tendre à altérer des sentimens qui doivent vous être d’autant plus agréables qu’ils sont l’effet et le fruit des services que vous avez rendus à la nation. L’entreprise de courir sus aux vaisseaux hollandais peut avoir de grandes suites, elle peut être une occasion de perpétuer la guerre. Vous connaissez le désir de toute la France, c’est de vous qu’elle en attend la fin et non la continuation : ne trompez pas son attente, vos propres réflexions suppléeront à tout ce que je pourrais vous marquer sur la couleur noire et odieuse que nombre de gens que votre mérite efface, ne manqueraient pas de donner à cette entreprise. Défendez-vous des mauvais conseils qui vous sont donnés et ne souffrez jamais qu’on donne atteinte à votre gloire. — D’ailleurs, ajoutait-il, ne poussez pas trop fort les Hollandais : on peut réduire les gens au désespoir et ils usent de tous les moyens ; regardez ce qui s’est passé à Gênes. »

C’était parler avec autant de noblesse que de raison, et le dernier conseil en particulier ne manquait pas de prudence, car l’événement ne tarda pas, ce semble, à le justifier. L’opération, si vivement menée par Maurice, n’avait qu’un tort qui ne lui était pas imputable : c’était d’arriver trop tard et de manquer par là l’effet principal qu’elle aurait dû produire. Si l’exécution eût eu lieu à pareille date, une année auparavant, quand l’Angleterre retenait chez elle toutes ses troupes et son meilleur général pour tenir tête à l’insurrection écossaise, quand l’armée autrichienne, concentrée tout entière au fond de l’Allemagne, n’était pas encore remise de l’humiliation que lui avaient imposée les armes victorieuses de Frédéric, la république délaissée et prise à la gorge sans trouver un défenseur n’aurait eu de ressources que de demander grâce par la plus humble et la plus prompte soumission. Mais les dispositions avaient changé avec les événemens ; la partie, presque gagnée par l’Autriche au midi de l’Europe, était redevenue, malgré la stérile victoire de Rocoux, incertaine ou du moins possible encore à disputer au nord, et le duc de Cumberland était présent de sa personne à La Haye, entouré de généraux et des ministres de toutes les puissances alliées : une convention militaire qui venait d’être signée lui assurait la disposition de 130,000 hommes (60,000 Autrichiens, 40,000 Hollandais, le reste composé d’Anglais, d’Hanovriens ou de Hessois à la solde britannique). Céder ou même reculer d’un pouce avec une pareille force en main, c’était une humiliation inacceptable pour un jeune prince, très fier de son renom militaire. Rien d’étonnant qu’il mît tout en œuvre pour s’en épargner le dégoût ; et un conseiller aussi bien armé ne manquait pas d’argumens pour faire agréer, même aux plus timides, des partis de résistance et d’énergie. Aussi l’idée de défendre à tout prix la patrie et la religion menacées se répandit-elle bientôt dans les masses populaires, toujours d’autant plus promptes à braver le péril qu’elles sont plus incapables d’en mesurer la portée. L’esprit de parti et le fanatisme se réunirent pour exploiter ce réveil du patriotisme. Tandis que, du haut des chaires, les prédicateurs (surtout ceux qui, de race française, se rappelaient les rigueurs de la révocation de l’édit de Nantes) alarmaient les consciences et excitaient à courir sus à l’oppresseur papiste, les partisans de la maison de Nassau faisaient entendre plus haut que jamais leur éternelle complainte sur l’incapacité des magistrats républicains et la nécessité de concentrer tous les moyens de la résistance nationale entre les mains d’un chef unique. Ainsi fomentée et entretenue, la fermentation devint en peu de jours extrême d’un bout à l’autre des Provinces-Unies. A chaque fois que les courriers apportaient la nouvelle d’un nouveau succès de l’armée française, c’étaient dans les cités populaires des explosions d’indignation publique, et la faiblesse trop visible de la défense était taxée de lâcheté et de trahison. Des bandes furieuses parcouraient la rue, portant des étendards aux couleurs de la maison de Nassau et faisant entendre le cri de : « Vive le prince d’Orange ! » Serrés ainsi entre deux craintes égales, se sentant même plus menacés dans leurs personnes par la violence populaire que par l’invasion étrangère, les pauvres magistrats républicains perdaient véritablement l’esprit : leur imagination était hantée par le souvenir des scènes sanglantes dont, au siècle précédent, tout le courage des deux Witt n’avait pu les préserver. Dans leur désespoir, ils s’en prenaient, eux aussi, à la France qui les jetait sans pitié dans de tels embarras : — « Vous nous perdez, disait Wassenaer à Dutheil, c’est vous qui allez faire le stathoudérat. » — « Je vois bien, écrivait Chiquet, le chargé d’affaires de France, que cet épouvantail commence à ne plus les effrayer[35]. »

Dans leur perplexité, un dessein étrange paraît même leur être venu à la pensée ; c’était d’envoyer à Berlin offrir à Frédéric ce pouvoir du stathoudérat, illustré par de si grands souvenirs, pour lui-même ou pour un prince de sa maison. Et pourquoi non ? Guillaume III n’avait-il pas été stathouder de Hollande en même temps que roi d’Angleterre ? Pourquoi le roi de Prusse ne serait-il pas, à son exemple, investi d’une double qualité qui ferait de lui le champion armé des intérêts protestans et de la résistance à l’oppression française ? Ils espéraient détourner par cet artifice le mouvement qu’ils ne pouvaient plus contenir, et échapper à l’humiliation de subir le joug de leur ennemi héréditaire. C’était pour un jeune vainqueur un grand rôle à jouer : aussi le ministre de Prusse à La Haye, Ammon, parut-il flatté de cette perspective et ne se cacha pas de l’encourager. Mais en fait de projets de grandeur, Frédéric ne prenait conseil que de lui-même. Il n’avait nulle envie de quitter le poste d’observation où il restait juge des coups pour se mêler de nouveau aux conflits européens, avant l’heure qu’il aurait choisie et dans d’autres conditions que celles qu’il aurait fixées lui-même. Il repoussa la proposition aussi bien pour lui-même que pour les siens. — « Je suis bien aise, écrivait-il à son envoyé, de voir que j’ai encore des partisans en Hollande, et qu’on y est revenu des préjugés qu’on avait à mon égard… Mais ceci ne m’aurait pas accommodé du tout : mon état ne trouverait aucun avantage d’un pareil établissement, cela me brouillerait également avec la France et avec l’Angleterre[36]. » Et pour ne laisser aucune incertitude sur ses intentions, il dit tout haut, en pleine table, devant le marquis de Valori, que le roi de France faisait très bien d’agir résolument avec les Hollandais, et que la paix serait déjà faite, si on n’avait pas usé de tant de ménagemens[37].

En attendant, le flot qui grossissait d’heure en heure devenait irrésistible. Celui qui portait par héritage le titre de prince d’Orange n’était que le parent éloigné des grands stathouders : c’était, de plus, un petit homme chétif, difforme et n’ayant donné aucun signe qu’il fût digne de sa race. Peu importe, il portait le même prénom que le Taciturne et, comme l’adversaire heureux de Louis XIV, il avait épousé une fille du roi d’Angleterre. Dans les jours de crise, l’imagination populaire n’est pas difficile : les ressemblances extérieures et nominales lui suffisent ; on se plut à décorer Guillaume IV du nom de tous les talens de ses ancêtres, et on le porta sur le pavois sans lui en demander davantage[38].

La province de Zélande, où la maison de Nassau possédait de grands biens, et qui souffrait la première de l’invasion française, fut aussi la première à donner le signal. Une émeute força les bourgmestres républicains à se démettre, et l’assemblée provinciale proclama le pouvoir du prince. La même scène fut bientôt suivie de ville en ville, jusqu’à ce qu’enfin, le 15 mai, l’idole populaire fît son entrée triomphale à La Haye, au milieu des acclamations d’une foule enivrée, et les états-généraux, subissant docilement la contrainte, lui décernèrent, avec le titre de stathouder, celui de capitaine général et d’amiral, et la pleine disposition de toutes les forces de terre et de mer. — « Je doute, écrivait Chiquet, qu’on en ait jamais plus fait pour aucun monarque. La populace l’a fait stathouder, et les bourgeois, pour ne le céder à personne, le traitent en souverain ; peu s’en faut qu’il ne le soit. » Il ajoutait qu’on ne pouvait plus sortir dans les rues sans porter la cocarde de la maison d’Orange : ceux qui ne la prenaient pas couraient risque d’être jetés dans les canaux. Quant à lui, il n’osait plus mettre le pied hors de sa demeure, personne ne voulait plus le connaître, pas même les ministres étrangers, ses collègues, et d’heure en heure il pouvait voir sa maison pillée ou détruite.

Le premier acte du nouveau stathouder fut d’ordonner une levée supplémentaire de trente mille hommes, et de rappeler van Hoey, qui était encore à Versailles le représentant nominal de la République[39].

Quand la nouvelle de cette soudaine révolution arriva en France, d’Argenson en triompha dans sa retraite, rappelant qu’il avait toujours dit qu’en poussant à bout les Hollandais, on ne réussirait qu’à les exaspérer et non à les faire capituler. Il oubliait que le tout en politique est de saisir le moment opportun, et que, faite à temps, la même entreprise aurait eu probablement un résultat opposé. Quant à Puisieulx, son successeur, il affecta de n’éprouver ni surprise, ni désappointement. — « Je serais fâché, écrivait-il à Chiquet, que la République prît des partis violens : mais nous nous y attendions, et malheur aux vaincus. » — « Les Hollandais, disait Louis XV, avec un sang-froid peut-être plus naturel, sont de bonnes gens : on dit qu’ils vont nous déclarer la guerre, ils y perdront plus que nous[40]. »

A Bréda, ville hollandaise, le plénipotentiaire français ne pouvait plus rester en sûreté pour sa personne. Dutheil reçut l’ordre de rejoindre sans délai le quartier-général du maréchal de Saxe pour y attendre que la délibération pût être reprise dans un lieu où on jouirait de plus de liberté. Au fond, personne n’était fâché de trouver, pour interrompre indéfiniment une conversation si mal engagée, une raison qui ne fût pas un prétexte[41].


Duc DE BROGLIE.

  1. Voir, sur les causes et les circonstances de la disgrâce du marquis d’Argenson, la Revue du 1er mai.
  2. Journal de Luynes, t. VII, p. 380. — Tron, ambassadeur de Venise à Paris, 30 janvier 1747. (Bibliothèque nationale.)
  3. Frédéric à Chambrier, 31 janvier, 10 février 1747. — Pol. Cor., t. V, p. 280-317.
  4. D’Arneth, t. III, p. 265. — Cette proposition de Marie-Thérèse, dont j’ai trouvé la trace aussi dans d’autres documens, ne me paraît pas avoir été faite sérieusement. C’était, à mes yeux, une manière de faire entendre à l’Angleterre ce qu’elle pensait de l’attitude louche gardée à Turin par le ministre anglais pendant la défaillance de Charles-Emmanuel.
  5. Le chevalier d’Orléans à Belle-Isle, décembre 1746. — Marcieu à Belle-Isle ; Grenoble, 24 décembre 1746. (Ministère de la guerre, partie supplémentaire.)
  6. Belle-Isle au comte d’Argenson, 1er, 17, 31 décembre 1746 5 janvier 1747. (Ministère de la guerre.) — Il y a ici, comme pour toutes les campagnes auxquelles le maréchal de Belle-Isle a été mêlé, deux séries de correspondances au ministère de la guerre, l’une officielle et l’autre plus mélangée de lettres et pièces d’un caractère privé. Ce sont les papiers laissés par le maréchal au département, quand la mort l’y surprit.
  7. Le maréchal de Noailles au maréchal de Belle-Isle, 14 janvier 1747. (Ministère de la guerre, partie supplémentaire.)
  8. D’Argenson à Belle-Isle, 25 janvier 1747. (Ministère de la guerre. — Partie supplémentaire, papiers de Belle-Isle.)
  9. Noailles à Belle-Isle, 15 février. — Vauréal à Belle-Isle, 20 février. — Paris-Duvernay à Belle-Isle, 22 février 1747. (Ministère de la guerre, partie supplémentaire.)
  10. Chambrier à Frédéric, 26 avril 1717. (Ministère des affaires étrangères.)
  11. Maurice de Saxe au comte de Brühl, 13 février 1747. — Vitzthum. p. 170. — Une des idées exprimées dans cette lettre, c’est que, si Louis XV persistait dans son système de renoncement personnel, il pourrait au moins établir l’infant dans les Pays-Bas et poser ainsi une barrière entre la France et la république de Hollande. — Le comte de Loss s’était aperçu de la froideur du maréchal, car, en envoyant cette lettre avec celle de Richelieu au comte de Brühl : « Nous avons, dit-il, eu une longue conversation sur ce grand objet cher le maréchal de Saxe, qui n’a abouti à rien et dont je ne suis guère content. » — (Loss à Brühl, 13 février 1747. — Archives de Dresde.)
  12. La correspondance de Richelieu avec Brühl se poursuit pendant les mois de février, mars et avril, jusqu’à la reprise des hostilités, en tournant en quelque sorte dans un cercle. Un point surtout parait faire une difficulté qui ne peut être levée. Marie-Thérèse refuse obstinément de comprendre, dans un arrangement avec la France, aucune convention relative à l’Espagne, avec qui elle se réserve de traiter directement par l’intermédiaire du Portugal. Elle demande aussi l’envoi d’un négociateur à Vienne, tandis que Richelieu insiste pour que, si on traite directement, ce soit à Paris que les conférences aient lieu. Le renouvellement de la guerre au printemps met fin à ces communications, qui ne présentaient plus d’intérêt.
  13. Chambrier à Frédéric, 18, 21 mars 1747. (Ministère des affaires étrangères.)
  14. Puisieulx à Valori. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  15. Puisieulx à Des Issarts, 11 avril 1745. (Correspondance de Saxe. — Ministère des affaires étrangères.)
  16. Voltaire à Frédéric, 9 mars 1747. (Correspondance générale.)
  17. Pol. corr., t. V, p. 310 et 324.
  18. Pol. corr., t. V, p. 325.
  19. Wassenaer à Puisieulx, 3 janvier. — L’abbé de Laville à Wassenaer, 6 février 1747. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)
  20. D’Argenson à Vauréal, 21 décembre 1747. — Vauréal à d’Argenson, 10 janvier 1747. — D’Arneth, t. III, p. 170-172. — Sur le rôle de Macanaz, sous le règne de Philippe V, consulter Baudrillart : Philippe V et la Cour de France, p. 225-230. — instruit par l’expérience d’Argenson parle de Macanaz dans ses mémoires autrement que dans sa correspondance. « C’est un vieux fou, » dit-il.
  21. Dutheil à Maurepas, 16 mars 1747. (Correspondance de Hollande. — conférences de Bréda. — Ministère des affaires étrangères.) Quand l’incident éclata, Maurepas gérait encore l’intérim des affaires étrangères.
  22. Paris-Duvernay à Dutheil, 14 mars 1747. (Correspondance de Hollande. — Conférences de Bréda. — Ministère des affaires étrangères.)
  23. D’Arneth, t. IV, p. 278-280. — Dutheil à Maurepas et à Puisieulx, passim. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)
  24. Vitzthum, Maurice, comte de Saxe, et Marie-Josèphe, p. 158, 160, 180. — Chambrier à Frédéric, 20 février 1747. — Ministère des affaires étrangères.) — Loss au comte de Brühl, février 1747. (Archives de Dresde.)
  25. « Les fêtes, écrit à Belle-Isle un de ses correspondans de la cour, sont finies sans aucune aventure ; les bals, que bien des gens croyaient devoir être le tombeau du crédit de Mme de Pompadour, ont été son triomphe. Le roi ne l’a presque pas quittée et a passé des heures à côté d’elle : on n’a rien remarqué qui ait donné le moindre soupçon d’un changement de goût ; il n’a paru à personne rien qui pût donner de l’ombrage. »
  26. Loss à Brühl, 10 mars 1747. (Archives de Dresde.) « Le Dauphin, écrit Chambrier, appelle Mme de Pompadour : maman p… » D’Argenson affirme que le prince avait défendu à sa femme d’assister aux spectacles des Petits-Cabinets. Cette assertion n’est pas confirmée par d’autres témoignages.
  27. Maurice à Auguste III, 12 février 1747. Cette lettre a déjà été citée dans la Vie de Maurice de Saxe, par M. Saint-René Taillandier. Pour l’ensemble de ces détails, voir l’ouvrage déjà cité : Vitzthum, Maurice de Saxe et Marie-Josèphe, p. 160 à 190. — Voir aussi : le comte de Loss au comte de Brühl, 18 février 1747. (Archives de Dresde.)
  28. Noailles à Maurice, 1747. (Papiers de Mouchy.)
  29. Chiquet, chargé des affaires de France, à Puisieulx, 21 avril 1747. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)
  30. Maurice de Saxe au comte de Clermont, 10 avril 1747. (Papiers de Condé. — Ministère de la guerre.)
  31. Maurice de Saxe au comte d’Argensor. (Ministère de la guerre.)
  32. Contades au comte d’Argenson, 17 mai 1747. (Ministère de la guerre.) — Le comte de Broglie dont il est ici question est le même qui fut, quelques années après, ambassadeur en Pologne et chargé de la mission confidentielle que j’ai racontée dans le Secret du roi. Né en 1719, il avait alors vingt-huit ans.
  33. Maurice de Saxe au comte d’Argenson, 17 mai. — Le comte d’Argenson à Maurice de Saie, 19 mai 1747. (Ministère de la guerre.) — Voici comment l’ambassadeur de Venise à Paris raconte cet incident : Le comte de Broglie, jeune homme plein d’esprit et de vivacité, est monté en bateau, accompagné seulement d’un tambour ; s’approchant de la forteresse, il a crié à haute voix qu’un officier de distinction voulait parler au gouverneur au nom du roi de France.
  34. Noailles à Maurice de Saxe et au comte d’Argenson, 11 avril-17 mai 1747. — — D’Argenson à Maurice, 27 mai 1747. (Ministère de la guerre.)
  35. Chiquet à Puisieulx, 27, 29 avril-9 mai 1747. — Dutheil à Puisieulx, 21-30 avril 1747. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)
  36. Frédéric à Ammon, ministre à La Haye. (Pol. corr., t. V, p. 395.) — Droysen, t. III, p. 336. — L’attitude du ministre de Prusse à La Haye est signalée par Chiquet (25 avril) en termes assez nets pour que Puisieulx, alarmé, croie devoir l’engager à surveiller avec soin la conduite de cet envoyé (29 avril). — L’ambassadeur de Venise à Vienne affirme aussi (17 mai) qu’aussitôt que la déclaration de la France fut connue, les magistrats hollandais en ont fait part au roi de Prusse en invoquant son assistance.
  37. Valori à Puisieulx, 29 avril 1747. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  38. Voici le portrait que fait le duc de Luynes du prince d’Orange : « Il a trente-six ans, il est petit et bossu ; d’ailleurs, il a de l’esprit. On prétend que le caractère de son esprit est d’être porté à la critique. Voici le moment que la scène s’ouvre pour juger de lui. Ce qui est certain, c’est qu’il n’est point militaire et qu’il n’a aucune expérience des troupes. » (Journal de Luynes, t. VIII, p. 216.)
  39. « J’ai toujours dit la vérité, disait le brave homme au désespoir en s’en allant ; mais les rois d’Israël disaient aux voyans : Ne nous dites pas des visions de droiture, mais des choses qui nous seront agréables, des paroles de moquerie.
  40. Journal et Mémoires de d’Argenson, t. IV. — Puisieulx à Chiquet, 3 mai 1747. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.) — Louis XV au maréchal de Noailles, 19 mai 1747. Rousset, t. II, p. 278.
  41. Puisieulx à Dutheil, 10 mai 1747. (Correspondance de Hollande, — conférences de Bréda. — Ministère des affaires étrangères.)