Fleurs de rêve/Superstition

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)
Boehme et Anderer (p. 27-28).



SUPERSTITION


Araignée du soir
Espoir…


Je ne t’assomme point, araignée du soir,
Non, tu ne mourras pas, je te laisse la vie.
Et puisqu’œil pour œil et que dent pour dent, ma mie,
Demande à Dieu pour moi la vie de l’espoir.

Je n’aime pas ton monde au gris squelette frêle
Se cramponnant à l’aube à l’ombre des rideaux ;
Je le hais. On le dit porteur d’affreux cadeaux :
Et l’heure de la crainte est heure solennelle.

Car nous les ignorons, nous, les secrets destins
De l’homme et de la vie, et notre âme alarmée
Recherche les signaux de ceux qui l’ont aimée
Jadis et fouille les replis des lendemains.


Et quand nous te voyons, fleur de silence et d’ombre,
Immobile, le soir, rêver sur nos blancs murs,
Nos pauvres cœurs souffrants trop mous pour être mûrs
Sentent frémir l’espoir dans leur être en décombre…

Mais dis-le moi, petite, à quoi peux-tu rêver ?
Est-ce que tu te sens un esprit raisonnable,
Ou bien entrevois-tu quelqu’ astre connaissable
Du bout de tes noirs yeux que tu ne peux lever ?

Dans ton squelette affreux sans couleur et sans forme
Y a-t-il donc un cœur qui souffre, un cœur qui bat ?
Éprouves-tu l’amour, ne l’éprouves-tu pas ?
Quel est cet élément dont ton rêve se forme ?

Ah ! rêve sur nos murs, araignée du soir,
Car tu ne mourras pas, je te laisse la vie ;
Mais puisqu’œil pour œil et que dent pour dent, ma mie,
Demande à Dieu pour moi la vie de l’espoir !