Fondements de la métaphysique des mœurs (trad. Lachelier 1904)/S2

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DEUXIÈME SECTION


PASSAGE DE LA PHILOSOPHIE MORALE POPULAIRE
À LA MÉTAPHYSIQUE DES MŒURS


Bien que nous ayons emprunté jusqu’ici notre conception du devoir à l’usage vulgaire de la raison pratique, il ne faut pas conclure de là que nous l’ayons considérée comme un concept empirique. Bien au contraire, si nous examinons ce que l’expérience nous apprend de la conduite des hommes, nous entendrons bien des personnes se plaindre, et justement nous l’accordons, de ne pas pouvoir citer un seul exemple certain de l’intention d’agir purement par devoir. Car quoique beaucoup d’actions soient conformes à ce que le devoir ordonne, on peut toujours douter qu’elles aient été accomplies vraiment par devoir et qu’elles aient ainsi une valeur morale. Aussi y a-t-il eu de tout temps des philosophes qui ont nié purement et simplement l’existence de cette intention dans les actions humaines et qui ont rapporté tous nos actes à un égoïsme plus ou moins raffiné, sans toutefois révoquer en doute la justesse du concept de la moralité. Bien au contraire, ils déploraient profondément la faiblesse et la corruption de la nature humaine, assez noble d’un côté pour emprunter la règle de sa conduite à une idée aussi digne de respect et, de l’autre, trop faible pour la suivre, de cette nature qui n’use de la raison, dont le rôle est de lui donner des lois, que dans l’intérêt de ses penchants, de manière à les satisfaire, soit isolément, soit (et c’est ce qu’elle peut faire de mieux) en les conciliant autant que possible les uns avec les autres.

En réalité[1], il est absolument impossible de trouver dans l’expérience un seul cas où l’on puisse prouver, avec une absolue certitude, que la maxime d’une action, d’ailleurs conforme au devoir, ait reposé uniquement sur des principes moraux et sur l’idée du devoir. Il arrive quelquefois sans doute que, malgré l’examen de conscience le plus attentif, nous ne trouvions, en dehors du principe moral du devoir, aucun motif qui ait pu être assez puissant pour nous inspirer telle bonne action ou tel grand sacrifice. Mais on ne peut conclure de là avec certitude qu’une impulsion cachée de l’amour de soi, dissimulée derrière cette idée, n’ait été la véritable cause déterminante de notre volonté. Nous nous flattons volontiers, en nous attribuant faussement des mobiles plus nobles, mais en réalité, même au prix de l’examen le plus rigoureux, nous ne pénétrons jamais jusqu’aux mobiles secrets de nos actes. Or, quand il est question de valeur morale, il ne s’agit pas des actes extérieurs que l’on voit, mais de leurs principes intérieurs que l’on ne voit pas.

On ne peut rendre de service plus précieux à ceux qui se rient de la moralité comme d’une simple chimère de l’imagination humaine exaltée par la vanité, qu’en leur accordant que les concepts du devoir (et d’ailleurs tous les autres concepts auxquels la paresse nous persuade aisément d’appliquer la même interprétation) doivent être tirés de la seule expérience ; car ainsi on leur prépare un triomphe assuré. Je veux bien accorder, par sympathie pour l’humanité, que la plupart de nos actions sont conformes au devoir, mais, si l’on examine de plus près le but auquel tendent nos pensées et nos efforts, on rencontre partout le cher Moi qui se montre toujours. C’est à lui que se rapportent nos intentions et non au commandement rigoureux du devoir, qui exigerait bien souvent le renoncement au moi. Sans être l’ennemi de la vertu, pourvu que nous observions avec sang-froid et ne prenions pas pour le bien lui-même le vif désir que nous avons de voir le bien réalisé, nous nous surprendrons (surtout si le progrès de l’âge et l’expérience ont mûri notre jugement et aiguisé noire esprit d’observation) à douter que l’on puisse rencontrer dans le monde une vertu véritable. La seule chose alors qui puisse prévenir la ruine complète de nos idées morales et maintenir dans notre âme le respect de la loi du devoir, c’est d’être clairement convaincus que, quand même jamais aucune action n’aurait jailli de cette source pure, la question n’est pas de savoir ce qui peut bien arriver, mais que la raison commande par elle-même et indépendamment de tous les phénomènes ce qui doit arriver ; ainsi des actions dont le monde n’a peut-être fourni encore aucun exemple, dont la possibilité même peut paraître douteuse à celui qui ramène tout à l’expérience, peuvent être obstinément commandées par la raison : par exemple la loyauté parfaite en amitié n’en serait pas moins exigée de chaque homme s’il n’y avait jamais eu jusqu’ici d’ami loyal, parce que ce devoir, comme devoir en général, antérieurement à toute expérience, est impliqué dans l’idée même d’une raison qui détermine la volonté par des principes a priori.

Ajoutons encore ceci[2] : à moins de refuser au concept de la moralité toute vérité et toute valeur objective, on ne peut nier que la loi morale n’ait une portée assez étendue pour s’appliquer nécessairement non seulement aux hommes, mais encore à tous les êtres raisonnables en général et cela, non pas sous telle ou telle condition contingente, avec des exceptions possibles, mais d’une manière absolument nécessaire, il devient alors évident qu’aucune expérience ne peut nous donner l’occasion de conclure même à la possibilité de pareilles lois apodictiques. Car de quel droit pourrions-nous accorder un respect infini à ce qui n’a peut-être de valeur que dans les conditions contingentes de l’humanité, comme si c’était un précepte universel valable pour toute nature raisonnable ? Et comment les lois de la détermination de notre volonté pourraient-elles être considérées comme les lois de la détermination de la volonté de tout être raisonnable en général et comme n’ayant qu’à ce titre la valeur de lois pour notre volonté à nous, si elles étaient purement empiriques et si elles n’avaient pas a priori leur origine dans la raison pure mais en même temps pratique.

Aussi ne pourrait-on rendre à la moralité un plus mauvais service qu’en voulant la tirer d’exemples[3]. Car, quel que soit l’exemple que l’on me propose, il faut le juger d’abord d’après les principes de la moralité, pour savoir s’il est digne de servir d’exemple original, c’est-à-dire de modèle ; il est donc bien impossible d’en tirer comme d’un principe suprême le concept de la moralité. Même le Juste de l’Évangile doit être comparé à notre idéal de perfection morale avant d’être reconnu pour tel ; aussi dit-il de lui-même : pourquoi dites-vous que je suis bon (moi que vous voyez) ? Personne n’est bon (le modèle original du bien) que Dieu seul (que vous ne voyez pas)[4]. Mais d’où tirons-nous le concept de Dieu considéré comme le souverain bien ? De la seule idée que la raison nous propose a priori de la perfection morale et qu’elle unit d’une manière inséparable au concept de volonté libre[5]. L’imitation ne doit jouer aucun rôle en morale ; les exemples ne servent qu’à nous encourager, en mettant hors de doute la possibilité de faire ce que la loi ordonne ; ils rendent visible ce que la règle pratique exprime d’une manière générale ; mais jamais ils ne peuvent nous permettre d’oublier leur véritable original qui réside dans la raison et de nous diriger d’après des exemples.

Si donc il n’y a pas de véritable principe suprême de la moralité qui ne soit uniquement fondé sur la raison pure et indépendant de toute expérience, je crois qu’il n’y a pas même lieu de se demander[6] s’il est bon d’exposer ces concepts d’une manière générale (in abstracto) tels qu’ils existent a priori, avec les principes qui s’y rattachent, en supposant que l’on veuille s’élever à une connaissance qui se distingue de la connaissance vulgaire et que l’on puisse appeler philosophique. Mais de nos jours il est peut-être nécessaire de se poser cette question. En effet, si on allait aux voix sur le point de savoir si l’on doit préférer une connaissance rationnelle, détachée de toute expérience, par conséquent une métaphysique des mœurs, ou bien une philosophie pratique populaire, on devine bien vite de quel côté pencherait la balance.

Sans doute il est très louable de s’abaisser jusqu’à des conceptions populaires, mais il faut que l’on ait commencé d’abord par s’élever jusqu’aux principes de la libre raison, et que l’on ait ainsi donné pleine satisfaction à son esprit. Mais agir ainsi c’est fonder la doctrine des mœurs sur la métaphysique, et, après l’avoir solidement établie, la rendre accessible à tous en la popularisant. En revanche il serait parfaitement absurde de vouloir sacrifier à la popularité dès les premières recherches, desquelles dépend la justesse des principes. D’abord, avec une semblable méthode, on ne pourrait jamais prétendre au mérite si rare d’une véritable popularité philosophique, car c’est un faible mérite d’être compris par tous quand on renonce à toute vue un peu profonde ; de plus on ne mettrait au jour de cette manière qu’un mélange rebutant d’observations glanées çà et là, de principes à demi élaborés par la raison, dont peuvent bien se régaler les esprits vides, qui y trouvent un aliment pour leur bavardage de chaque jour, mais où les clairvoyants ne découvrent que confusion et dont ils détournent les yeux avec humeur, sans savoir quel parti prendre. Quant aux philosophes, qui ne sont pas dupes de ce trompe-l’œil, on ne les écoute guère quand ils veulent nous détourner pour quelque temps de cette soi-disant popularité et qu’ils nous engagent à commencer par nous faire une idée précise des principes, pour avoir le droit de redevenir ensuite populaires.

Que l’on jette un coup d’œil sur les traités de morale composés selon le goût en faveur, on y trouvera tantôt l’idée de la destination particulière de la nature humaine, tantôt l’idée de la nature raisonnable en général, tantôt la perfection, tantôt le bonheur, ici le sentiment moral, là la crainte de Dieu, un peu de ceci, un peu de cela dans un étonnant mélange ; et jamais on ne s’avisera de se demander si c’est bien dans la connaissance de la nature humaine (laquelle ne peut venir que de l’expérience) qu’il faut chercher les principes de la moralité ; — et, dans.le cas où il n’en sérail pas ainsi, et où ces principes ne pourraient être découverts qu’a priori, indépendamment de toute expérience, seulement dans les purs concepts de la raison et sans qu’on puisse les dériver, même pour la moindre pari, d’une autre source, pas un n’aura l’idée de mettre résolument à part celle étude pour en faire une pure science pratique ou (si j’ose employer ce mot si décrié) une Métaphysique’des mœurs* ; et pour la développer en elle-même jusqu’à ce qu’elle ait atteint toute sa perfection et pour prier le public, qui réclame la clarté populaire, de patienter jusqu’à l’achèvement de celle.entreprise….

Une pareille Métaphysique des mœurs, complètement isolée, ne devant rien à l’Anthropologie*, à la Théologie, à la Physique ou à i’Ilyperphysiquc* encore moins à une science des qualités occultes (que l’on pourrait nommer Hypophysique 3) n’esl pas seulement le fondement indispensable de toute théorie un peu précise el un pou sûre des devoirs ; mais elle esl aussi un desideratum de la plus haute importance pour la pratique de leurs prescriptions. En effet, la pure représentation du devoir et en général de la loi morale, à laquelle ne vient s’ajouter du dehors aucun alliait

’On peut, si l’on veut (comme on distingue les mathématiques pures des mathématiques appliquées, la logique pure de la logique appliqué.-) distinguer également la pure philosophie de » tiucurs (Métaphysique) de la morale appliquée (à la nature humaine). Celte terminologie nous rappclle toul de suite que les principes moraux ne sont pas fondés sur la nature particulière de l’humanité, mais qu’ils doivent exister en ruxiin’nies a priori, el que c’est île ces principes qu’il faut lirer tes règle* pratiquas applicables à tonte nature raisonnable, cl par conséquent aussi à la nature humaine IN. de K.).

1. C’est-à-dire k la Psychologie.

2. Ilyperphysique. Science de* principes métaphysiques de la nature.

3. Hypophysique. Ce serait la science des qualités occultes qui se dissimuleraient tous les apparences sensibles. empirique, prend sur le cœur humain, par le moyen de la seule raison (qui se rend compte alors qu’elle peut devenir pratique par tlle-mème), un empire infiniment plus grand que tous les autres motifs que l’on peut rencontrer dans le champ de l’expérience *, à tel point que la conscience de la dignité de relie idée nous inspire le mépris de ces mobiles et nous permet de les dominer peu à peu. Au lieu de cela, soil une doctrine des mœurs bâtarde, mélangeant les mobiles du sentiment et de l’inclinai ion avec les idées de la raison, noire cœur restera hésitant entre des motifs qu’il est impossible de ramener à un principe et qui ne peuvent nous conduire au bien que par hasard s’ils ne nous conduisent pas bien plutôt au mal.

Il résulte clairement de ces considérations que tous, les concepts moraux sont purement a priori et qu’ils ont leur siège et leur origine dans la raison, dans la raison vulgaire aussi bien que dans celle qui s’élève au plus liant degré delà spéculation ; qu’ils ne peuvent être abstraits d’aucune connaissance empirique el, par suite, simplement contingente ; que c’est précisément

  • J’ai une lettre de feu l’excellent SuUer on il me demande : quelle peut bien rire la cause pour laquelle les Doctrines morales, si convaincantes qu’elles puissent être pour la raison, ont si peu d’action pratique. Je retardai ma réponse afin de me mettre en mesure de la donner plus complète. Mais il n’y en a pas d’autre que celle-ci, c’est que les maîtres ne tirent pas n ; i clair Irurs concepts, el que, voulant trop bien faire, rassemblant de tous côtés des mobiles propres à nous exciter au bien, ils gâtent le remède qu’ils voulaient rendre plu* énergique. En effet, l’observation la plus vulgaire montre que si on nous présente un acte de probité, accompli par une Ame courageuse, sans i’esj » ! rance d’aucun avantage dans ce monde ou dans l’autre, et cela malgré les plus fortes tentations de la misère, malgré les séductions de la fortune, cet acte laisse bien loin derrière lui el fait pâlir toute action de même nature à laquelle aurait concouru, pour si peu que ce fûl, un mobile étranger, qu’elle élève l’âme et lui inspire le désir d’imiter un tel exemple. Même des enfants, d’âge moyen, éprouvent ce sentiment, et on ne devrait jamais leur exposer leurs devoirs d’une autre manière (N. de K.).

cette pureté de leur origine qui les rend dignes de nous servir de principes pratiques suprêmes ; qu’on ne peut y ajouter aucun élément empirique sans diminuer d’autant leur pure influence et la valeur absolue des actions ; qu’il est non seulement de la plus impérieuse nécessité au point de vue théorique et en ce qui concerne la pure spéculation, mais aussi de la plus grande importance pratique de puiser ces concepts el. ces lois dans la raison pure, de les présenter purs et sans mélange et même de déterminer exactement le domaine de celle connaissance pratique rationnelle ou pure, c’est-à-dire le pouvoir de la raison pure pratique. On ne devra pas ici, comme la philosophie spéculative le permet et quelquefois la trouve nécessaire, faire dépendre les principes de la nature particulière do l’homme ; mais les lois morales devant être valables pour tout être raisonnable, c’est du concept universel d’un être raisonnable en général, qu’il faillies déduire. De cette manière la Morale, qui, dans son application à l’humanité, a besoin de l’Anthropologie, sera d’abord exposée indépendamment de celle science, comme une pure philosophie, c’est-à-dire comme une métaphysique* et cela d’une manière complète (ce que l’on peut certainement faire dans ce genre de connaissance tout à fait abstraite). 11 faut bien savoir qu’à moins de posséder celte science, non seulement on essaiera vainement de déterminer, avec une exactitude suffisante pour le jugement spéculatif, les éléments moraux contenus dans tous les actes conformes au devoir, niais que de plus on sera tout à fait incapable dans l’usage pratique ordinaire, surtout si l’on donne un enseignemcnl moral, de fonder la moralité sur ses véritables

t. Tout ce passage explique le sens que Kant donne à l’expression Métaphysique des mœurs. La Métaphysique des mœurs, dont il

expose ici les fondements, doit être la science des concepts moraux en tant qu’ils peuvent être déterminés purement il priori. principes et par là de créer des intentions vraiment morales et de les implanter dans les cœurs pour le plus grand bien du monde.

Pour nous élever par une gradation naturelle, dans ce travail, non seulement du jugement moral populaire (très respectable d’ailleurs) au jugement philosophique comme cela a été fait ailleurs, mais encore d’une philosophie populaire qui s’arrête dès qu’elle ne peut plus avancer en tâtonnant (au moyen d’exemples) jusqu’à la Métaphysique (qui ne se laisse arrêter par rien d’empirique et qui, devant mesurer tout le domaine de cette connaissance rationnelle, s’élève en tout cas jusqu’à la région des idées, là où les exemples même nous abandonnent), il nous faut poursuivre l’étude de la faculté pratique de la raison, en partant de ses règles universelles de détermination, jusqu’au point où jaillit de son sein le concept du devoir et en faire une claire description.

Toute chose dans la nature agit suivant des lois. Seul un être raisonnable a le pouvoir d’agir d’après la représentation des lois, c’est-à-dire d’après des principes, seul il a une volonté. Comme pour dériver les actions dos lois, la raison est nécessaire, la volonté n’est autre chose que la raison pratique. Quand la raison chez un être détermine la volonté d’une manière infaillible, les actions de cet être auxquelles on reconnaît une nécessité objective ont également une nécessité subjective, autrement dit la volonté, chez cet être, ne peut plus choisir que cela seulement que la raison, affranchie de la tendance, reconnaît comme pratiquement nécessaire, c’est-à-dire comme bon. Si la raison à elle seule ne suffit pas à déterminer la volonté, si cette volonté reste soumise à des conditions subjectives (à certains mobiles) qui ne concordent pas toujours avec celles qui sont objectives, en un mol, si en soi elle n’est pas absolument conforme à la raison (ce qui est le cas chez l’homme), alors les actions, reconnues objectivement nécessaires, sont subjectivement contingentes et la détermination d’une telle volonté conformément aux lois objectives est une contrainte ; c’est-à-dire que le rapport des lois objectives à une volonté qui n’est pas absolument bonne nous apparaît comme la détermination de la volonté d’un être raisonnable qui obéit sans doute à des principes rationnels mais qui, par sa nature, ne s’y conforme pas nécessairement.

La représentation d’un principe objectif comme contraignant la volonté s’appelle un Impératif.

Tous les impératifs s’expriment par le verbe devoir ; ils marquent ainsi le rapport d’une loi objective de la raison à une volonté qui dans sa nature subjective n’est pas nécessairement déterminée par cette loi (une contrainte). Ils disent qu’il serait bon d’accomplir une action ou d’y renoncer, mais ils le disent à une volonté qui n’agit pas toujours pour cette seule raison qu’elle se représente une action comme bonne à accomplir. Or, cela seul est pratiquement bon qui détermine la volonté par le moyen des représentations de la raison, c’est-à-dire non par des causes subjectives mais d’une manière objective, par des principes valables pour tout être raisonnable en tant que raisonnable. Le bien se distingue de l’agréable, car l’agréable n’influe sur la volonté que par le moyen de la sensation, en vertu de causes purement subjectives, qui n’ont de valeur que pour la sensibilité de tel ou tel, et ne ressemblent en rien au principe de la raison qui est valable pour tous[7].

Une volonté parfaitement bonne serait donc, aussi bien qu’une volonté imparfaite, soumise aux lois objectives (du bien), mais on ne pourrait se la représenter comme contrainte à agir conformément à ces lois, parce qu’en vertu de sa nature subjective, elle se déterminerait d’elle-même, d’après la seule idée du bien. C’est pourquoi il n’y a pas d’impératifs qui s’appliquent à la volonté divine ni en général à aucune volonté sainte. Le mot devoir ne convient plus ici parce que la volonté, par elle-même, est déjà nécessairement conforme à la loi. Aussi les impératifs sont-ils de simples formules qui expriment le rapport des lois de la volonté en général avec l’imperfection subjective de la volonté de tel ou tel être raisonnable, par exemple de volonté humaine[8].

Tous les impératifs ordonnent d’une manière ou bien hypothétique ou bien catégorique[9]. Les impératifs hypothétiques expriment la nécessité pratique d’une action possible comme moyen pour obtenir quelque attire chose que l’on désire (ou qu’il est possible que l’on désire). L’impératif catégorique serait celui qui nous représenterait une action comme objectivement nécessaire en elle-même, indépendamment de toulo autre fin.

Comme toute loi pratique nous représente une action possible comme bonne et par suile comme nécessaire pour un sujet capable d’agir par raison, tous les impératifs sonl des formules déterminant l’action qui est nécessaire d’après le principe d’une volonté bonne en quelque façon. Dans le cas où l’action ne serait bonne que comme moyen pour quelque attire chose l’impératif serait hypothétique. Si clic nous est représentée comme bonne en elle-même et comme devant être le principe nécessaire d’une volonté conforme en ellemême à la raison, alors l’impératif est catégorique.

L’impératif médit par conséquent quelle est celle de mes actions possibles qui sérail bonne ; il représente la loi pratique dans son rapport avec une volonté qui n’accomplit pas immédiatement une action pour cette seule raison qu’elle est bonne, soit que le sujet ne sache pas toujours qu’elle est bonne, soit que le sachant il ait des maximes opposées aux principes objectifs de la raison pratique.

L’impératif hypothétique dit seulement qu’une action est bonne en vue de quelque fin possible ou réelle. C’est un principe pratique problématique dans le premier cas, assertorique dans le second. L’impératif catégorique qui déclare une action objectivement nécessaire on elle même, indépendamment de toute intention el de toulo fin étrangère, quelle qu’elle soit, à la valeur d’un principe pratique apodictique*.

1. Possible ou réelle : t* Dans le 1 cas où vous désireriez atteindre |

telle fin, ce qui esl possible, employé/ tel moyen ; V vous ib’sire*, On peut concevoir que ce qui ne peut être réalisé que par les forces d’un être raisonnable, puisse devenir une fin pour une volonté quelconque et c’est pourquoi les principes qui nous représentent une action comme nécessaire pour réaliser une fin qu’il est possible d’atteindre par leur moyen, sont dans le fail infiniment nombreux. Toutes les sciences ont une partie pratique qui se compose de propositions établissant que telle ou telle fin esl possible pour nous et d’impératifs indiquant la manière île les atteindre. Ces impératifs peuvent être appelés en général impératifs de l’habileté. Il n’est pas question de savoir si le but.en question esl raisonnable et bon, mais de déterminer ce que l’on doit faire pour l’atteindre. Les principes que suit le médecin pour guérir radicalement son homme et ceux que suit un empoisonneur pour le hier sûrement sont d’égale valeur en ce sens qu’ils leur servent également à réaliser complètement leur projet. Comme nous ne savons pas dans la première jeunesse quelles sont les fins que nous pourrons avoir à poursuivre plus lard, nos parents se préoccupent avant tout de nous faire apprendre pendant noire enfance beaucoup de choses et prennent soin de nous faire acquérir de Y habileté, h nous servir des moyens nécessaires pour atteindre toute espèce de fins. Ils ne peuvent savoir sûrement si leurs enfants auront jamais à se proposer aucune de ces fins, mais il est possible que cela arrive ; et ce souci est si grand

en fait, atteindre celte lin, alors prenez tel moyen. Le jugement problématique a pour formule S peut être /’, le jugement asserlorique.S esl /’(en fail), le jugement apodiclique S est nécessairement P. L’impératif de l’habileté, dont Kant « a parler, correspond au jugement problématique : il est possible qu’un homme poursuive une certaine fin : s’il la poursuit, il devra recourir à tel moyen. L’iiiqu’eatif de la prudence

prudence forme île l’impératif hypothétique) s’exprime dans un jugement asserlorique : En fait tous les hommes veulent atteindre te bonheur : pour réaliser le bonheur, il faut s’y prendre de telle façon. Enfin, l’impératif catégorique’se traduit dans un jiigemcnl apodictique. Il est nécessaire, en effet, d’accomplir telle action, pour cette simple raison que te Devoii la commande. qu’il leur fait d’ordinaire négliger le soin de former et de rectifier le jugement de leurs enfants sur la valeur des choses qu’ils pourront se proposer pour fins.

11 y a pourtant une fin dont on peut supposer que tous les êtres raisonnables la poursuivent réellement, (en tant qu’ils subissent des impératifs comme êtres dépendants), une fin dont il ne faut pas dire qu’ils peuvent seulement se la proposer, mais qu’ils se la proposent tous par une sorte de nécessité de la nature, celte fin c’est le bonheur. L’impératif hypothétique qui nous représente la nécessité pratique d’une action co : nm3 moyc-i pour acquérir le bonheur est asserlorique. On ne doit pas présenter cet impératif comme nécessaire seulement pour un but incertain et simplement possible, mais pour un but que l’on peut supposer avec certitude et a priori chez tous les hommes, parce qu’il convient à leur nature. On peut donnera l’habileté dans le choix des moyens propres à nous assurer la plus grande somme possible de bien-êlrc, le nom de Prudence*, dans le sens le plus étroit du mot. Ainsi l’impératif qui se rapporte au choix des moyens pour devenir personnellement heureux, c’est-à-dire le précepte de la prudence est toujours hyimlhêtiqne. L’acte n’est pas ordonné d’une manière absolue, mais seulement comme moyen en vue d’une autre fin.

Enfin il y a un impératif qui nous ordonne immédialemenl une ccrlaine conduite, sans lui donner comme condition une autre fin que cette conduite permettrait

  • Le mol prudence esl pris dans deux sens différents : tantôt il désigne la prudence dans nos rapports avec le monde, tantôt la prudence personnelle. La première esl l’habileté d’un homme à exercer de l’influence sur les autres, de manière à se servir d’eux pour s ? s fins. La seconde est étalent de réunir toutes ces tins en vue d’obtenir un avantage personnel durable. C’est à celle dernière forme de prudence qu’il faut ramener ce qui fail la va’eur de la première ; et de celui qui se montrerait prudent dan3 le premier sens, mais non dans le second, on pourrai ! dire qu’il est avisé, esl rusé, mais qu’en somme il n’est pas prudent (N. de K.).

d’atteindre. Cet impératif esl catégorique. 11 ne se rapporte pas à la matière de l’acte à ce qui peut en résulter, mais à la forme, au principe dont il résulte ; et ce qu’il y a dans cet acte d’essentiellement bon consiste dans l’intention, quel que puisse être le résultat. Cet impératif peut être appelé l’impératif de la moralité.

La manière différente dont la volonté est contrainte dans ces trois cas permet de distinguer nettement les volitions qui suivent ces trois sortes de principes. Pour rendre cette différence sensible, je crois que l’on pourrait, en prenant ces principes dans l’ordre où nous les avons présentés, les appeler : les premiers, règles de l’habileté, l’es seconds, conseils de la prudence cl les troisièmes, ordres (lois) delà moralité. Car seule l’idée de loi implique l’idée d’une nécessité incondilionnellef objective et par suite universelle ; et des ordres sont des lois auxquelles i ! i=tut obéir, c’est-à-dire que l’on doit suivre, même en dépit de l’inclination. Le mot conseil indique, il est vrai, une nécessité, mais une nécessité qui n’est réelle que sous des conditions subjectives et contingentes, suivant que tel homme considère telle ou telle chose comme un élément de son bonheur ; au contraire l’impératif catégorique n’est limité par aucune condition et, comme il est absolument, quoique pratiquement, nécessaire, il peut à bon droit être appelé un ordre. On pourrait encore nommer les impératifs du premier genre techniques (se rapportant à l’art), ceux du second pragmatiques* (se rap’

rap’me semble que le sens propre du mol pragmatique peut être très exactement déterminé par les considérations suivantes. On appelle pragmatiques les sanctions qui ne dérivent pas, à proprement parler, comme des lois nécessaires du droit des états, mais résultent seulement du souci du bien-être général. L’histoire est traitée au point de vue pragmatique quand elle nous rend prudent, c’esl-à-dire quand elle enseigne aux hommes le moyen d’assurer leurs intérêts mieux, ou tout au moins aussi bien que les générations disparues. (N. de K.) portant au bien-être), et ceux du troisième, moraux (se rapportant à la conduite libre en général, c’est-à-dire aux mœurs).

Maintenant se pose la question suivante : Comment tous ces impératifs sont-ils possibles ? La question n’est pas de savoir comment on peut se figurer l’accomplissement de l’action ordonnée par l’impératif, mais seulement comment on peut concevoir la contrainte de la volonté qu’il exprime dans la tâche qu’il propose. Il n’est besoin d’aucune recherche particulière pour expliquer la possibilité de l’impératif de l’habileté. Quiconque veut la fin, veut aussi (si la raison exerce une influence décisive sur sa conduite) les moyens indispensables, nécessaires, qui sont en son pouvoir. Celle proposition, en ce qui concerne la volition, est analytique’, car dans la volition d’un objet qui est l’effet de mon activité, esl déjà contenue ma causalité comme causalité d’une force agissante, c’est-à-dire l’emploi des moyens et l’impératif dégage de l’idée de la volition d’une fin, l’idée des actions nécessaires pour atteindre celte fin. (Il est vrai que pour déterminer les moyens d’arriver à un but proposé, il faut recourir à des propositions synthétiques, lesquelles d’ailleurs se rapportent non au principe, à l’acte même de la volonté, mais à l’objet à réaliser). Que pour partager, d’après un principe certain, une ligne en deux parties égales, je doive des deux extrémités de celte ligne décrire deux

t. Une proposition est analytique quand le prédicat esl contenu virtuellement dans la compréhension du sujet, de sorte qu’on peut l’en tirer par analyse. La proposition « qui veut (a fin veut tes moyens » est analytique, pa, ve que l’attribut » veut tes moyens » est implicitement compris dans le sujet t qui veut ta (tn ». Mais on ne peut pas, au moyen d’une analyse, découvrir que tel moyen est nécessaire

pour atteindre telle fin, parce qu’il ne suffit pas d’analyser l’idée de la fin pour y apercevoir.le moyen convenable pour la réaliser. Cest pour cela que tes propositions qui affirment qu’il faut prendre tel moyen pour arriver à telle lin sont synthétiques. Une proposition synthétique est une proposition dans laquelle l’attribut ne peut pas être tiré par analyse de la notion du sujet. arcs de cercle qui se coupent, c’est ce que les mathématiques m’enseignent au moyen de propositions synthétiques. Mais que, sachant que ce procédé est le seul moyen d’obtenir l’effet proposé, et ayant la ferme volonté d’obtenir cet effet, je veuille aussi le procédé indispensable pour y réussir, c’est bien là une proposition analytique. Car me représenter une chose comme un effet que je peux réaliser d’une certaine manière et me représenter moi-même comme agissant de cette manière, c’est tout un.

S’il était aussi facile de donner une idée déterminée du bonheur, les impératifs de la prudence se confondraient absolument avec ceux de l’habileté 1, et seraient comme eux analytiques. En effet, on pourrait dire, ici comme tout à l’heure : Qui veut la fin veut aussi (nécessairement, s’il est raisonnable) les seuls moyens qui soient en son pouvoir pour y atteindre. Malheureusement le concept du bonheur esl si indéterminé qu’en dépit du désir que nous avons tous d’être heureux, personne ne peut dire avec précision.et sans se contredire ce qu’il désire, à proprement parler, et ce qu’il veut. La raison en est que tous les éléments du concept du bonheur sont empiriques, c’est-à-dire qu’ils doivent être empruntés à l’expérience et que pourtant le concept du bonheur implique l’idée d’un tout absolu, d’un maximum de bien-êlre pour le présent et pour l’avenir entier. Or, il est impossible qu’un être fini, si perspicace cl en même temps si puissant qu’on le suppose, se fasse une idée exacte de ce que comporte un pareil vœu : Est-ce la richesse qu’il veut ? mais que de soucis, d’envie, d’embûches ne risque-t-il pas d’attirer

i. La distinction des deux forme. » de l’impératif hypothétique vient de ce qu’il n’y a pas de règles sûres pour atteindre au bonheur, comme il y en a, par exemple, pour guérir une maladie ou construire une maison.

maison. volonté de réaliser le bonheur ne contient donc pas en ellemême la volonté d’appliquer telle ou telle règle. On ne peut donner à l’homme qui désire être heureux que des conseils généraux de prudence. sur lui ? Est-ce un savoir étendu et de la pénétration ? Mais il n’y gagnera peut-être qu’une vision plus aiguisée de la réalité, qui lui représentera, sous des couleurs d’autant plus effrayantes, des maux encore cachés à ses yeux, mais pourtant inévitables, ou qui rendra plus exigeants encore des désirs qui lui donnent déjà assez à faire. Veut-il une longue vie ? mais qui lui garantit que cette vie ne sera pas une longue souffrance ? Veut-il au moins la santé ? mais combien de fois n’arrive-t-il pas que la faiblesse physique nous préserve des excès dans lesquels une santé parfaite nous eût fait tomber ! Bref, personne n’est capable de déterminer, en parlant d’un principe et avec une parfaite certitude, ce qui peut le rendre vraiment heureux ; il faudrait pour cela une science infinie. Il n’y a donc pas de principes certains que l’on puisse suivre pour se rendre heureux, il n’y a que des conseils empiriques comme, par exemple, de se mettre au régime, d’être économe, poli, réservé, etc., toutes choses dont l’expérience nous apprend que ce sont, tout compte fait, les meilleurs moyens pour s’assurer le bien-être. Il résulte de là qu’à vrai dire les impératifs de la prudence ne peuvent pas ordonner, c’est-à-dire nous représenter d’une manière objective des actions comme pratiquement nécessaires. Il faut y voir des conseils (consitia) plutôt que des commandements (præcepta) de la raison. C’est un problème parfaitement insoluble que de déterminer avec sûreté et d’une manière générale la conduite capable d’assurer le bonheur à un être raisonnable ; il n’y a donc pas, à l’égard d’une telle conduite, d’impératif qui puisse ordonner, au sens strict du mot, de faire ce qui rend heureux, parce que le bonheur est un idéal, non pas de la raison, mais de l’imagination et qu’il repose sur des principes purement empiriques, dont on ne peut attendre qu’ils déterminent la conduite nécessaire pour réaliser la totalité d’une série de conséquences en fait infinie. Mais cet impératif de la prudence, si on admettait la possibilité de déterminer exactement les moyens du bonheur, serait un principe pratique analytique. Il ne diffère en effet de l’impératif de l’habileté que sur un point, c’est que dans celui-ci le but est seulement possible, tandis que dans celui-là il est donné comme réel. Mais comme les deux impératifs ordonnent seulement les moyens à prendre pour atteindre un résultat que l’on suppose être voulu comme fin, l’impératif qui commande à celui qui veut la fin de vouloir les moyens, est dans les deux cas analytique. Il n’y a donc aucune difficulté en ce qui concerne la possibilité d’un impératif de ce genre.

En revanche, la question de savoir comment l’impératif de la moralité est possible, est indubitablement la seule qui réclame une solution 1[10]. En effet, cet impératif n’étant pas hypothétique, la nécessité objective qu’il nous présente ne peut s’appuyer sur aucune supposition, comme il arrive pour les impératifs hypothétiques. Il faut bien considérer ici que l’on ne peut démontrer par aucun exemple, c’est-à-dire par aucune expérience, qu’il y ait nulle part au monde un impératif de ce genre ; il ne faut pas, en effet, perdre de vue que tous ceux qui paraissent catégoriques, peuvent être des impératifs hypothétiques déguisés. Par exemple soit le précepte : Tu ne dois pas faire de promesse trompeuse, admettons que la nécessité de cette défense ne se réduise pas à un simple conseil à suivre pour éviter quelque autre mal, comme si l’on disait : Tu ne dois pas faire de promesses trompeuses afin de ne pas perdre ton crédit si ta déloyauté est dévoilée ; admettons qu’une action de ce genre doive être considérée comme mauvaise en elle-même et que l’impératif de la défense soit catégorique ; je prétends que l’on ne pourra cependant trouver aucun exemple qui prouve avec certitude que, dans ce cas, la volonté est déterminée par la loi et n’obéit à aucun autre mobile, quoiqu’il semble en être ainsi. Car il est toujours possible que la crainte d’avoir à rougir de sa conduite, peut être aussi quelque sourde appréhension d’autres dangers aient secrètement-influé sur la volonté. Comment démontrer par expérience la non existence d’une cause, puisque l’expérience nous apprend seulement que nous ne la percevons pas. Dans ce cas le soi-disant impératif moral, qui, comme tel, paraît catégorique et inconditionnel, ne serait plus en fait qu’un précepte pragmatique, attirant notre attention sur nos intérêts et nous enseignant à les prendre en considération.

Nous aurons donc à rechercher purement a priori comment peut être possible un impératif catégorique, puisque nous n’avons pas ici l’avantage de trouver cet impératif réalisé dans l’expérience, de telle sorte que nous n’ayons à en rechercher la possibilité que pour l’expliquer et non pour l’établir 1[11]. En attendant remarquons bien, provisoirement, que seul l’impératif catégorique a le caractère d’une loi pratique, tandis que tous les autres impératifs ensemble peuvent bien être appelés des principes, mais non des lois de la volonté ; en effet ce qu’il est nécessaire de faire uniquement en vue d’atteindre un but quelconque qui m’agrée, peut être considéré en soi comme contingent, car nous pouvons toujours nous affranchir du précepte en renonçant à la fin ; au contraire, l’ordre inconditionnel ne laisse en aucune façon à la volonté la liberté de choisir à son gré le contraire de ce qu’il commande ; seul donc il implique cette nécessité que nous cherchons dans une loi.

En second lieu, le principe de la difficulté que soulève cet impératif catégorique ou loi de la moralité (la difficulté d’en apercevoir la possibilité) est très grave. Il constitue, en effet, une proposition pratique synthétique a priori *[12] 1[13] ; or la difficulté que nous avons trouvée à expliquer la possibilité des propositions de ce genre dans la connaissance théorique peut nous faire prévoir qu’en matière pratique notre tâche ne sera pas beaucoup plus facile.

Pour remplir celle tâche, nous allons chercher d’abord si par hasard le simple concept d’impératif catégorique n’en donnerait pas aussi la formule, formule contenant la proposition qui peut seule être un impératif catégorique ; car le problème de la possibilité d’un pareil ordre absolu exigera de nous un effort tout particulier et difficile que nous remettrons à la dernière section de cet ouvrage 2[14]. Quand je conçois en général un impératif hypothétique, je ne sais pas d’avance ce qu’il pourra contenir, je ne le sais que lorsque la condition m’est donnée 1[15]. Au contraire, dès que je conçois un impératif catégorique je sais aussitôt ce qu’il contient. Car l’impératif ne contenant outre la loi que la nécessité de la maxime *[16], à savoir de se conformer à cette loi, et cette loi n’étant subordonnée à aucune condition qui la détermine, il ne reste plus que l’universalité d’une loi en général à laquelle la maxime de l’action doive être conforme et c’est celle conformité, à vrai dire que 2[17], l’impératif nous représente comme nécessaire.

Il n’y a donc qu’un impératif catégorique et en voici la formule : Agis toujours d’après une maxime telle que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle.

Si maintenant de cet impératif unique nous pouvons déduire, comme de leur principe, tous les impératifs du devoir, bien que nous laissions provisoirement sans réponse la question de savoir si ce que l’on appelle devoir n’est pas un concept vide, au moins pouvons-nous expliquer ce que nous pensons par ce concept et ce qu’il veut dire. S’il est vrai que l’universalité de la loi suivant laquelle certains effets se produisent constitue ce que l’on appelle proprement la Nature, dans le sens le plus général de ce mot (quant à la formc), c’est-à-dire la réalité extérieure, en tant qu’elle est déterminée par des lois universelles, peut-être pourrait-on aussi exprimer l’impératif universel du devoir ainsi qu’il suit : Agis comme si la maxime de ton action devait, par la volonté, être érigée en loi universelle de la nature 1[18].

Nous allons maintenant prendre pour exemples quelques devoirs en suivant la classification habituelle en devoirs envers soi-même et envers les autres hommes, en devoirs parfaits et devoirs imparfaits 2[19] *[20].[21]

1. Un homme, à la suite d’une série de malheurs qui l’ont réduit au désespoir, n’éprouve plus que du dégoût pour la vie, mais il est encore assez maître de sa raison pour se demander s’il peut, sans manquer à ses devoirs envers lui-même, attenter à ses jours. Il cherche alors si la maxime de son action peut devenir une loi universelle de la nature. Sa maxime est la suivante : J’admets en principe, par amour pour moi-même, que, si la vie, en se prolongeant, me menace plus de maux qu’elle ne promet de joies, je puis l’abréger. Je demande maintenant si ce principe de l’amour de soi peut devenir une loi universelle de la nature. Mais je m’aperçois bien vite qu’une nature dont la loi serait de détruire la vie, en vertu de ce même sentiment dont l’objet est précisément de nous exciter à la conserver, se contredirait elle-même et par suite n’existerait pas comme nature. La maxime en question ne peut donc en aucune façon être érigée en loi universelle et par conséquent elle répugne absolument au principe suprême du devoir.

2. Un autre se voit réduit parle besoin à emprunter de l’argent ; il sait bien qu’il ne pourra pas le rendre, mais il voit bien aussi qu’on ne lui en prêtera pas, s’il ne promet pas formellement de s’acquittera une époque déterminée. Il est tenté de faire celle promesse, mais il est encore assez consciencieuxpourse demander s’il n’est pas défendu et contraire au devoir de se tirer d’embarras par un tel moyen. Supposons qu’il s’y décide, la maxime de son action pourrait alors s’exprimer ainsi : quand je crois avoir besoin d’argent, j’en emprunte et je promets de le rendre, tout en sachant très bien que je no le ferai jamais. Ce principe de l’amour île soi ou de la convenance personnelle peut bien pettl-èlre s’accorder avec mon bonheur futur, mais la question est de savoir si il est juste. Je convertis donc celle exigence de l’amour de soi en loi universelle el je pose la question suivante : qu’arriverait-il si ma maxime devenait une loi universelle ? je vois aussitôt qu’elle ne pourrait jamais prendre la valeur d’une loi universelle de la nature et s’accorder avec elle-même ; que, bien au contraire, elle se contredirait nécessairement. Car l’universalité d’une loi qui permettrait à tout homme se croyant dans le besoin de promettre n’importe quoi, avec l’intention de ne pas tenir sa promesse, rendrait impossibles les promesses elles-mêmes el l’objet que l’on se propose d’atteindre par leur moyen ; personne en effet ne considérerait plus une promesse comme telle et l’on rirait de ces déclarations, comme d’un vain simulacre.

3. Un troisième possède un talenl naturel qui, cultivé, pourrait faire de lui un homme utile à tous les points de vue. Mais, se trouvant dans une situation aisée, il aime mieux se livrer au plaisir que de s’efforcer d’élendrcet de perfectionner ses heureuses dispositions naturelles. Cependant il se demande si sa maxime, à savoir de négliger les facultés dont la nature l’a doué, s’accorde aussi bien avec ce que l’on nomme devoir, qu’avec sa tendance au plaisir. Il voit bien qu’à la vérité une nature, qui aurait une loi universelle de ce genre, pourrait encore subsister, même si l’homme, (comme certains indigènes des mers du Sud), laissait en friche tous ses talents el se résignait à donner sa vie à l’oisiveté, aux divertissements, à la débauche, en un mot au plaisir ; mais il est impossible qu’il veuille que cette maxime devienne une loi universelle de la nature, ni qu’elle existe en nous à ce litre en vertu d’un instinct naturel. En effet, en sa qualité d’être raisonnable, il veut nécessairement que toutes ses facultés atteignent leur plein développement parce qu’elles lui ont été données el lui servent pour lotîtes sortes de fins possibles.

Enfin un quatrième, dont les affaires sont prospères, voyant d’autres hommes aux prises avec de grandes difficultés (et pouvant fort bien les aider) se dit : que m’importe après tout ? que chacun jouisse du bonheur que le ciel lui accorde ou qu’il peut lui-même se procurer, je ne lui en retirerai aucune parcelle, je ne l’envierai même pas. Mais quant à contribuer à son bonheur, quant à le secourir dans le malheur, je ne m’en soucie nullement. Supposons maintenant que cette manière de penser devienne une loi universelle de la nature, l’espèce’humaine subsisterait sans doute et bien mieux, certes, que si chacun parlait de sympathie el « le bienveillance, s’empressait même à l’occasion d’exercer ces vertus, mais en revanche ne se faisait pas faute de tromper quand’il le pourrait, île vendre les droits d’aulrui ou de les violer. Mais quoiqu’il soit possible qu’une loi de la nature conforme à celle maxime puisse subsister, on ne peut pourtant lias vouloir qu’un pareil principe ail partout In valeur d’une loi de la nature. Car une volonté qui voudrait une telle chose se contredirait elle-même : il peut en effet se présenter bien des circonstances où nous ayons besoin de l’affection el de la sympathie des autres et alors, en vertu de celle même loi née de noire volonté, nous nous enlèverions toute espérance’d'obtenir le secours que nous désirerions pour nous-mêmes 1.

Voilà quelques-uns de nos nombreux devoirs réels ou du moins considérés par nous comme tels ; il est clair qu’on peut les ramener au principe que nous avons posé. Il faut que nous puissions vouloir que toule maxime de notre action devienne une loi universelle : Tel est le canon du-jugement moral que nous portons sur elle. Il y a des actions dont la nature est telle que leur maxime ne peut même pas être conçue sans contradiction comme-loi universelle de la nature, bien loin que l’on puisse vouloir qu’elle doive prendre un tel caractère. Dans d’autres cas on ne se heurte pas, il est vrai, à celte impossibilité interne, et pourtant il est impossible de vouloir que la maxime des actes en questionacquière l’universalité d’une loi de la rr hire, parce qu’une telle volonté se contredirait elle-même. On voit facilement que le premier genre d’actions est contraire au devoir strict et étroit (dont on ne peut se dispenser), le second au devoir large (méritoire). Ainsi

t. Dans les deux premiers exemples, la maxime universalisée se détruit immédiatement elle-même et ne peut pas même être conçue comme loi de la nature. Dans les deux derniers on pourrait à la rigueur concevoir une nature dont la maxime égoïste universalisée serait la loi, néanmoins la volonté raîsonnablequi adopterait cette maxime aboutirait encore à se contredire. Dans le premier cas en effet, elle voudrait une chose qui l’empêcherait d’atteindre 3on plein développement,.elle se nierait donc en quelque sorte elle-même. Dans le second, en refusant île s’intéresser aux

malheureux, elle s’exposerait à ne plus trouver chez les autres, en cas de besoin, la pitié que l’on aurait en vain cherchée chez elle-même : or la volonté de l’être raisonnable ne peut pas, sans se contredire, vouloir une chose qui pourrait avoir un jour pour conséquence de rendre son propre développement, difficile, sinon impossible. Kant dit dans la Doctrine de la vertu (2* partie de ltk : Métaphysique des mœurs) : « Je’veux que chacun soit bienveillant à mon égard, je dois donc être bienveillant pour chacun ». Cf., Doctrine de la vertu, livre 11, cli. i, Du devoir de bienfaisance. les exemples que nous avons pris montrent bien comment tous lès devoirs, en ce qui concerne la nature de l’obligation qu’ils nous imposent (et non l’objet do l’action), apparaissent comme réductibles au seul jiriucipeque nous avons posé.

Taisons bien attention à ce qui passe en nous chaque fois que nous manquons à un devoir ; nous découvrirons qu’en réalité nous ne voulons pas que notre maxime dcvienno une loi universelle, parccquc cela nous esl impossible ; loin de là, nous prétendons que le contraire de celle maxime continue à passer pour une loi universelle, nous prenons seulement la liberté d’y faire une exception pour nous (ou pour cette fois seulement) en faveur do notre inclination. Par suite, si nous voulions considérer les choses d’un seul et mémo point de vue, je veux dira du point do vue de la raison, nous apercevrions une contradiction dans notre propre volonté : en effet nous voulons qu’un certain principe soit objectivement nécessaire comme loi universelle et que subjectivement il n’ait aucune valeur universelle mais souffre des exceptions. Mais, comme en réalité nous nous plaçons à deux points de vue différents pour considérer une seule et même action, d’un côté au point do vue. d’une volonté entièrement conforme à la raison.cl de l’autre au point de vue d’une volonté affectée par l’inclination, il n’y a pas ici de véritable contradiction, il n’y a qu’une opposition entre l’inclination et les.préceptes de la raison (antagonismus), opposition par laquelle l’universalité du principe (universalitas) se transforme en une simjilo généralité (generalilas) de telle manière que le principe pratique de la raison et et la maxime doivent se.rencontrera moitié chemin’. Or quoique ce compromis ne se justifie guère si nous

t. La maxime attribue à la règle I une valeur, sinon universelle, au moins générale, tout en donnant |

satisfaction à l’inclination égoïste, elle est donc une sorte de compromis entre l’inclination et le devoir. voulons le juger impartialement, il prouve seulement une chose à savoir que nous reconnaissons vraiment la valeur do l’impératif catégorique, mais qu’en dépit du respect que nous professons pour lui, nous nous permettons d’y faire seulement quelqu-s exceptions insignifiantes, à ce qu’il nous semble, el que la nécessité nous impose.

Nous avons, semble-l-il, au moins réussi à prouver que, si le devoir est un concept ayant une signification et contenant uno véritable législation pour notre conduite, il no peut s’exprimer que dans des impératifs catégoriques et nullement dans.dcs impératifs hypothétiques ; en même temps nous avons déterminé clairement, et c’est un grand point, le contenu de l’impératif catégorique qui doit renfermer le principe île tous les devoirs (s’il y a vraiment des devoirs), el cela pour toutes ses applications. Mais nous ne sommes pas parvenus à démontrer a priori qu’un tel impératif existe réellement, qu’il y a une loi pratique qui commande par elle-même d’une manière absolue et indépendamment de tout mobile et que l’observation de cette loi est le devoir*.

Si nous voulons arriver à ce but, il est de la plus haute importance d’être bien averti d’une chose, c’est qu’il ne faut pas songer à vouloir dériver la réalité de ce principe de la constitution particulière delà nature humaine. Car le devoir doit être la nécessité pratique

i. Nous avons déjà expliqué la marche de la démonstration de Kant : S’il y a un devoir, ce ne peut être qu’un impératif catégorique, et s’il y a un impératif catégorique, ce ne peut être qu’une loi universelle. Mais y a-t-il vraiment un devoir, un impératif catégorique ? Kant n’abordera de front cette question que dans la troisième section. Dans les pages qui suivent il va revenir sur celte idée que le principe

principe la morale doit être absolument pur de tout élément empirique ; il sera ainsi amené à se demander quelle peut être la lin d’une volonté vraiment raisonnable, c’esl-à-dire absolument dégagée de tout motif empirique, et il découvrira que cette lin ne peut être que la volonté, c’est-à-dire la personne raisonnable elle-même. Ce sera la deuxième formule île l’impératif catégorique. inconditionnée de l’action ; il doit donc être valable pointons les êtres raisonnables (les seuls auxquels un impératif puisse s’appliquer), et e’ealpourceln seulement qu’il peut être une loi pour toute volonté humaine ; au contraire toul ce qui dérive de la constitution particulière de l’humanité, de certains sentiments ou penchants, ou même, en supposant que cela soit possible, d’une « lisposition particulière qui serait propre à la raison humaine el ne s’appliquerait pas nécessairement à la volonté de tout être raisonnable,’tout’cela peut bien donner lieu à une maxime valable pour nous seuls, mais non à une loi ; à un principe subjectif que nous sommes peut-être inclinés à suivre, mais non à un principe objectif d’après lequel nous sommes tenus d’agir en dépit de tous nos penchants, tendances et dispositions naturelles. Bien plus la sublimité, la dignité intime du commandement du devoir éclate d’autant plus que nous sommes moins aidés par les motifs subjectifs, que nous sommes davantage contrariés par eux, sans qu’ils réussissent pourtant à affaiblir le moins du monde la nécessité de la loi ni à rien enlever à sa valeur.

La philosophie nous apparaît ici dans une fâcheuse situation : cherchant un point d’appui solide, elle ne peut ni trouver dans le ciel un point où se suspendre ni prendre pied sur la terre 1 [22]. Il faut donc qu’elle montre toute sa pureté en tirant d’elle-même ses propres lois au lieu de se faire le héraut de celles que lui suggère un sens inné ou je ne sais quelle nature tutélairc ; car toutes celles-ci ensemble, quoique valant sans tloute mieux que rien, seraient incapables de fournir des principes que puisse dicter la raison et auxquels leur origine purement a— priori puisse assurer cette autorité impëral’ive, par laquelle ne demandant rien à l’inclination « le l’homme,.ils attendent toul de la puissance suprême de la loi el « lu respect que nous lui devons el condamnent l’homme en cas contraire au mépris et à l’horreur « le lui-même.

Ainsi tout élément empirii|iie ajouté au principe « le la moralité n’est pas seulement inutile mais encore dangereux pour la pureté des mœurs ; car ce qui fait la valeur toute particulière el inappréciable d’une volonté absolument bonne, c’est justement l’indépendance du principe de l’action à l’égard-do toulcsl.es influences « les principes contingents que l’expérience peut fournir.’On ne saurait trop ni trop souvent mettre l’homme en garde « outre cet abandon « le soi-même, contre celle bassesse « le la pensée qui l’invite à chercher le principe de sa conduite parmi les motifs et les lois empiriques. Car la raison humaine se repose volontiers « le ses fatigues sur cet oreiller et, dans ses rêves, trompée par do. douces illusions, —qui an lieu de Junon, lui font embrasser un nuage, elle substitue à la moralité une sorte « le monstre bâtard, composé de membres hétérogènes, qui ressemble à tout ce que l’on voudra sauf à la vertu,.pour celui-là’du moins qui l’a une fois contemplée sous sa véritable forme *.

La question « jui se pose est donc la suivante : Est-ce une loi nécessaire pour tous les êtres raisonnables de juger toujours leurs actions d’après des maximes telles qu’ils puissent vouloir qu’elles servent de lois universelles ? S’il existe une telle loi, elle doil être liée (enlic’

(enlic’la vertu sous sa forme véritabl.*, ce n’est pas autre chose que se représenter la moralité pure de tout mélange d’éléments sensibles, el dépouillée de toute la vaine parure que peuvent lui prîter des récompenses et l’amour de soi. Combien alors elle obscurcit tout ce qui parait si charmant à l’inclination, c’est ce dont chacun pourra se rendre compte s’il essaie le moins du monde de sonder sa raison, et si cette raison n’a pas perdu tout son pouvoir d’al striction (N. dcK.). rement a priori) au concept « le la volonté d’un être raisonnable en général *. Mais pour découvrir ce lien, il faut bien, malgré qu’on en ail, l’aire un pas vers la Métaphysique, vers une partie « le la Métaphysique, il est vrai, <|ui est bien différente « le la philosophie spéculative, je veux dire vers la Métaphysique des mœurs*. Comme il s’agil maintenant d’une philosophie pratique « lans laquelle nous n’avons pas à déterminer les principes de ce qui arrive mais les lois « le ce qui IJOIV arriver, quand même cela n’arriverait jamais, c’est-à-dire des lois pratiques objectives, nous n’avons pas besoin de nous mettre à chercher pourquoi une chose plaît ou déplaît, en quoi le plaisir « le la simple sensation diffère du goût et si celui-ci est autre chose qu’une satisfaction’universelle « le la raison ; sur quoi repose le’sentiment du plaisir el « le la peine el comment de ce sentiment naissent des désirs et « les tendances, lesquelles avec le concours de la raison engendrent des maximes : car toutes ces recherches appartiennent-’à' nue science empirique de l’âme », laquelle constituerait la seconde partie de la science de la nature, si on voulait considérer celte science comme une Philosophie de la nature, qui se fonderait sur des lois empiriques. Ici au contraire c’est « le lois pratiques objectives qu’il est question, c’esl-à-dire du rapport-de la ■ volonté avec elle-même en tant que celle volonté se détermine par la seule raison, et tout ce qui a quelque rapport avec l’expérience disparait « le soimême ; car si la raison détermine à elle seule la conduite (ce dont nous allons maintenant examiner la possibilité), elle doit le faire nécessairement « priori*.

i. C’est, en effet de l’idée de la volonté de l’être qui est une pure raison, affranchie de tout mobile sensible, qu’il faut partir pour démontrer l’universalité de la loi morale.

2. La Métaphysique des nueurs est ici la science qui découvre le principe même de la moralité.

3. Cette science est l’.tn//iro ; >fllogie.

4. Il ne peut y avoir de principe La volonté* esl conçue comme la faculté « lèse déterminer soi-même à agir conformément à la représentation de certaines lois. Une telle faculté ne peut se trouver que chez les êtres raisonnables. Or ce qui sert à la volonté de principe objectif « le sa détermination c’est la fin el celte fin, si elle est posée par la seule raison, doit être valable pour tous les êtres raisonnables. Au contraire ce qui ne contient que le principe do la possibilité de —l’action dont reflet est un but s’appelle le moyen. Le principe subjectif du désir esl le mobile, le principe objectif du vouloir le motif ; do là laditïérenco entre les fins subjectives, qui reposent sur. des mobiles, el les fins objectives, qui se rapportent à « les motifs valables pour toul être raisonnable. Les principes pratiques sont formels s’ils font abstraction « le toutes les lins subjectives ; ils sont matériels s’ils donnent comme principe à l’action des fins subjectives et par suite certains mobiles. Les fins qu’un êlre raisonnable se propose à son gré comme effets de ses actes (fins matérielles) sont toujours relatives ; car ce qui leur donne leur valeur c’est seuleincnt’hnr rapport ; vec un état particulier de la faculté ■do désirer du sujet, aussi ne peuvent-elles fournir des principes universels valables et nécessaires pour tous les êtres raisonnables, ni même pour toutes les volitions d’une même personne, c’esl-à-dire des lois pratiques. Toutes ces fins relatives ne donnent donc lieu’qu’à'des impératifs hypothétiques.

Mais admettons qu’il y ait une chose dont l’existence ait par elle-même une valeur absolue cl qui, comme fin en soi, puisse devenir le fondement de certaines lois, c’est dans cette chose et dans elle seulement que pourrait résider le principe de la possibilité

pratique suprême différent des lois | de la nature, que s’il y a des êtres ayant une valeur absolue. |

I 4. Kant arrive ici à l’exposition de la deuxième formule de l’impératif. d’un impératif catégorique, c’est-à-dire d’une loi pratique 1 [23].

Or je dis : L’homme, el, d’une manière générale, lotit être raisonnable, existe comme fin en soi cl non pas — seulement— comme moyen pour servir à l’usage arbitraire de telle ou telle volonté. Dans toutes ses actions, qu’elles se rapportent à lui-même ou à d’autres êtres raisonnables, il doit toujours être en même temps considéré comme fin. Tous les objets de l’inclination ont seulement une valeur conditionnelle, car, si nos inclinations et les besoins qui en dépendent n’existaient pas, leurs objets seraient sans valeur. Mais les tendances, sources du besoin, sont si loin d’avoir la valeur absolue qui les rendrait désirables en elles-mêmes, que, bien au contraire,’le souhait général de tous les èlres raisonnables doit être de s’en trouver entièrement délivrés. Ainsi-la valeur de tous les objets que nous pouvons nous procurer pat ; olre activité est toujours conditionnelle. Les êtres dont l’existence dépend, non pas il est vrai de notre volonté, mais de la nature n’ont également, s’ils sont privés, de raison, qu’une valeur relative comme moyens. Qes êtres s’appellent à cause de cela des choses, tandis « pie les êtres raisonnables s’appellent des personnes, parce que leur nature même les dislingue et en fait des fins en soi, c’est-àdire quelque chose qui ne doit pas être employé comme un simple moyen, et qui, par conséquent, impose une limite au bon plaisir de chacun (et est un objet de respect). Ces êtres raisonnables ne sont donc pas simplement des fins subjectives dont l’existence, résultat de notre activité, n’a « le valeur (\ucpour nous, ce sont des fins objectives, c’est-à-dire des choses dont l’existence esl en elle-même Une fin el une fin telle, à vrai « lire, qu’on ne peut lui en substituer aucune autre par rapport à laquelle elle servirait seulement de moyen ; car autrement on ne trouverait jamais rien qui eût une valeur absolue ; mais si toute valeur était conditionnée et par suite contingente, la raison no pourrait plus trouver nulle part île principe.pratique-suprême.

Si donc il exisle un principe pratique suprême, el, en ce qui concerne la volonté humaine, s’il y a un impératif catégorique, cet impératif doit s’appuyer sur la représenlalion île ce qui est fin en soi, de ce qui par suite est’.nécessairement une fin pour chaque homme, afin d’en faire le principe" objectif de la volonté ; c’est à celle condition qu’il pourra devenir une loi pratique universelle. Le fondement de ce principe est que la nature raisonnable existe comme fin en soi ; c’èsl ainsi que nécessairement l’homme se représente sa propre existence, et, en ce sens, ce principe est un principe subjectif de l’activité humaine.Mais tout autre être raisonnable se représente aussi de la même manière sa propre existence, en vertu du même principe rationnel, qui m’a guidé moi-même* ; par conséquent ce principe est en même temps un principe objectif dont toutes les lois delà volonlé doivent être dérivées commode leur source suprême. L’impératif pratique s’exprimera donc ainsi y Agis toujours de manière à traiter l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne des attires, comme une fin et à ne t’en servir jamais comme d’un simple moyen. Nous allons voir s’il est possible d’appliquer celle formule. Pour nous en tenir aux.exemples déjà employés plus.

  • J’avance cette proposition comme un postulat. On trouvera dans la dernière section les raisons sur lesquelles elle s’appuie. (N. de K.)

haut, et en commençant par les devoirs nécessaires envers soi-même : Premièrement, celui qui médite lo suicide devra se demander si une telle action peut s’accorder avec l’idée de l’humanité conçue comme fin en elle-même. Si pour échapper à une situation difficile, il se détruit lui-même, il se sert d’une personne comme d’un simple moyen pour conserver jusqu’à la fin « lésa vie un état supportable*. Mais l’homme n’est pas une chose dont on puisse user seulement comme d’un moyen, il doit dans toutes ses actions se considérer comme fin en soi. Je ne peux donc pas disposer de l’humanité dans ma personne, la mutiler, la dégrader, la détruire (Il serait nécessaire de déterminer exactement ce principe pour éviter tout malentendu, par exemple dans le cas où pour sauver mes jours je consens à l’ampulalion d’un membre, où j’expose ma vie à un danger en vue do la conserver* ; mais je passe maintenant sur ces difficultés qui regardent la moralo proprement dite).

Secondement, pour ce qui est du devoir nécessaire ou strict envers autrui, celui qui songe à faire aux autres une promesse trompeuse s’apercevra tout do suite qu’il veut se servir d’un autre homme comme d’un simple moyen, comme si cet homme no contenait pas en lui-même une fin en soi ; car cet homme que je veux faire servir à mes desseins, au moyen d’une telle

1. Singulier raisonnement^ Il faut, pour comprendre la pensée de Kant, distinguer en nous deux personnes : la personne humaine considérée comme ayant une valeur absolue, c’est-à-dirê la personne raisonnable qui conçoit le devoir (ce que Kant appelle l’humanité en nous), et la personne physique ou empirique (1 animal en nous). Or l’homme qui se suicide sacrifie les fins de la personne raisonnable aux lins de la personne empirique

empirique veut cesser de souffrir. Voir Doctrine de la vertu, l" Division (Devoirs envers soimême).

2. Dans la Doctrine de la vertu, Kant autorise ces suicides partiels quand ils sont nécessaires [tour atteindre un but moral, par exemple sauver mes jours ; il les défend quand ils ont pour but un vil intérêt, par exemple : se frire arracher une dent, couper les cheveux, pour les vendre promesse, ne pouvant en aucune façon consentir aux procédés que je veux employer à son égard, ne contient donc pas en lui-même la fin de cette action. Celte violation du principe « le l’humanité chez autrui est encore plus frappante si l’on prend pour exemples des attentats contre la liberté ou la propriété des autres. Car alors, il esl « ’vident que celui qui viole les droits îles hommes a l’intention de se servir de la personne des autres comme d’un simple moyen, sans considérer que des personnes raisonnables doivent —toujours être traitées aussi comme des lins, c’est-à-dire’-doivent pouvoir contenir en ellesmêmes la fin de celte même action*.

En troisième lieu, pour ce qui esl du devoir contingent (méritoire) envers soi-même, il ne suffit pas que notre action ne soit pas on contradiction avec l’idéo de l’humanité dans notre personne considérée comme fin en soi, il faut encore qu’elle s’accorde avec celte idée. Or, il y a dans l’humanité des dispositions à une plus grande perfection’, lesquelles se rapportent aux fins que la nature poursuit-’"relativement— à-l’humanité dans

  • On ne doit pas imaginer ici que le précepte vulgaire:quod tibi non vis ficri [ce que tu né veux pas que l’on te fasse, etc.], puisse servir de règle directrice. Car ce précepte ne peut dériver que du nôtre, et encore avec différentes restrictions ; il ne peut devenir loi universelle, car il ne contient pas le principe des devoirs envers soi-même ni celui des devoirs de charité envers autrui (car bien des personnes renonceraient volontiers à la bienfaisance des autres hommes, à la condition d’être dispensées de se montrer bienfaisantes pour eux), il ne conlienl pas non plus le principe des devoirs de justice envers autrui ; car le criminel pourrait en tirer argument contre le juge qui le punirait. (N. de K.)

t. Kanl parle ici un langage qui ressemble singulièrement à celui des moralistes de la perfection. La (in de noire activité doit être le plus grand développement possible de la personne raisonnable en nous. Mais pour lui cette perfection est une fin qui n’a rien d’empirique, rien de naturel, comme dans la morale de

Il perfection; ce n’est pas l’épanouissement de l’ensemble de nos facultés pour elles-mêmes, c’est l’affranchissement de lonl ce qui est empirique, afin de réaliser ce qu’il appellera, dans la Critique de la Raison pratique, la sainteté de la volonté. Voir Doctrine de la vertu, i" Division. notre personne. En les négligeant, nous pourrons sans doute respecter le devoir de conserver l’humanité, conçue comme fin en soi, mais non celui de développer l’accomplissement de celte fin.

En quatrième lieu, en ce qui concerne le devoir méritoire envers autrui, nous savons que la fin naturelle que poursuivent tous les hommes esl leur propre bonheur. Or l’humanité pourrait à vrai dire subsister si personne ne travaillait au bonheur « les autres, à la condition de ne porter aucune atteinte intentionnelle à ce bonheur. Mais si chacun ne s’efforçait’pas do contribuer autant qu’il le peut aux fins « lèses semblables, l’accord d’une telle conduite avec l’idée de l’humanité comme fin en soi sérail seulement’négative et non positive. Car si un sujet est fin en soi, l’idée de celte finalité ne peut acquérir en moi toute son efficacité que si les fins « le ce sujet deviennent autant que possible les miennes*.

Ce principe suivant lequel l’humanité et toute nature raisonnable en général sont conçues comme fins en soi (el là est— la condition suprême qui limite la liberté des actes de chaque homme), ce principe n’est pas emprunté à l’expérience, d’abord parce qu’il est universel ; il s’applique en’.effet à tous les êtres raisonnables, or aucune expérience ne suffit à légitimer un tel caractère ? en second lieu parce qu’il nous fail voir dans l’humanité non pas une fin purement humaine (subjective), c’est-àdire un objet qu’en fait on prend comme fin, mais une fin objective que nous nous représentons, quelles que puissent être nos lins particulières, comme une loi ou condition suprême, limitant toulcs les fins subjectives.

1. Si je me pénètre de l’idée de l’humanité lin en soi, je ne peux pas me contenter de ne pas porter atteint.’à la personne humaine chez autrui, je dois renoncer à me séparer du reste de l’humanité et m’elforcer de concevoir l’identité des fins des autres hommes avec

les miennes. Kant dit dans la Doctrine de la verlu, livre 11, ch. i" : du Devoir de bienfaisance : Etant tous hommes, nous devons tous nous considérer comme des êtres raisonnables réunis par la nature dans une demeure unique, pour nous aider réciproquement. Or une pareille idée ne peut dériver que de la raison pure. En effet, le principe de toute législation pratique réside objectivement dans la règle et dans la forme « le l’universalité, qui en fait un système de lois véritables (lois do la nature) d’après le premier principe ; subjectivement il réside dans le but. Mais le sujet de toutes les fins c’est, d’après le second principe, chaque être raisonnable comme fin en soi. De là résulte le Iroisièmo principo pratique « le la volonté, comme condition suprême de l’accord de celte mémo volonté avec la raison pratique universelle, à savoir l’iïtVe de la volonté de chaque être raisonnable conçue comme volonté législatrice universelle*.

D’après ce principe nous rejetons toutes les maximes qui ne peuvent s’accorder avec la législation universelle propre à chaque volonté. La volonté n’est donc pas simplement soumise à la loi, elle y est soumise de telle façon qu’elle soit législatrice* et c’est dans ce sens seulement qu’elle doit être regardée comme subordonnée à cette loi (dont elle peut so considérer comme l’auteur).

Les impératifs, tels que nous venons de. les représenter, c’est-à-dire constituant une législation pratique semblable en général à l’ordre de la nature 3, ouaccor1.

ouaccor1. avons expliqué dans l’Introduction comment cette troisième formule de l’Impératif se déduit des deux premières par une sorte de synthèse, procédé cher à Kant.

2. Cette idée de volonté législatrice va conduire Kanl à un principe qu’il déclare fondamental et nui est, en effet, pour lui la clef de toute la moralité, le principe de iVtufoiiotnfe, identique à la liberté.

3. Kant assimile volontiers les lois de la morale aux lois de la nature, par exemple quand il dit :

« Toute chose dans la nature agit suivant des lois, seul un être raisonnable agit d’après la représentation des lois. • (P. 40). Dans son esprit les lois morales constituent la législation naturelle des Noumènes, comme les lois physiques constituent la législation naturelle des phénomènes, et même les deux systèmes des lois pourraient avoir, quoi qu’on ne puisse pas le démontrer, la même origine dans le principe transcendant de l’unité universelle. Seulement, tandis que la volonté phénomène obéit nécessairement a la législation empirique, dant aux’êtres raisonnables, considérés en eux-mêmes, le privilège de la finalité en soi, ces impératifs" excluaient du principe do leur autorité tout mélange de mobiles intéressés, par cela même qu’on les concevait comme catégoriques ; mais si nous les avons reconnus comme catégoriques, c’est que nous avions besoin d’impératifs de ce genre pour expliquer le concept du devoir. Quant à démontrer qu’il y a réellement des principes pratiques ordonnant d’une manière catégorique, c’est ce qui n’était pas possible et nous ne pouvons même pas entreprendre celte démonstration dans cette section. Mais il y avait une chose à faire:indiquer dans l’impératif même, au moyen de quelque détermination qui y fût contenue, le principo de ce renoncement à tout intérêt dans la volonté obéissant ■au, devoir et en faire lo caractère spécifique distinguant l’impératif catégorique de l’impératif hypothétique. Or c’est justement ce que fait cette troisième formule du principo moral, c’est-à-dire l’idée de la volonté do chaque être raisonnablo conçue comme volonté législatrice universelle*.

En effet, si nous concevons cette idée, bien qu’il soit vrai qu’une volonté subordonnée à des lois puisse être attachée à ces lois par quelque intérêt, néanmoins quand la volonté est elle-même législatrice suprême, il n’est pas possible qu’elle dépende d’un intérêt quelconque. En effet, une volonté dépendante aurait besoin d’une autre loi pour limiter son égoïsme, en lui imposant comme condition d’avoir la valeur d’une loi universelle.

elle peut désobéir à la législation

nlelligible. 4. La première formule établit

’universalité de la loi ; la deuxième donne pour objet à cette loi le respect de là personne humaine fin en soi; la troisième, en établissant que

c’est la personne humaine, en tant que personne intelligible, c’est-àdire détachée de tout intérêt sensi. ble, qui est l’auteur de cette loi, découvre le principe du renoncement de l’individu à lui-même, qui eslessence de l’impératif catégorique. Ainsi le principe en vertu duquel chaque volonté humaine nous apparaît, comme fondant par toutes ses maximes une législation universelle*, si sa justesse était bien établie, conviendrait parfaitement à l’impératif catégorique,’en ce.sens que, précisément à cause « le l’idée de législation universelle, cet impératif ne sefonde sur aucun intérêt et qu’ainsi, de tous les impératifs possibles, il est le seul qui puisse être inconditionnel. Mais, mieux encore, renversons noire’proposition, nous dirons : S’il y a un impératif’catégorique (c’est-à-dire une loi applicable à la volonté de tout être raisonnable), il ne peut ordonner qu’une chose, à savoir d’agir-toujours suivant la maxime « l’une volonté qui, en ni-Mne temps qu’elle poursuit tel ou lelbut, se prend elle-même pour objet en tant que législatrice universelle ; car c’e3t ainsi seulement que le principe pratique et l’impératif auquel la volonté obéit peuvent être inconditionnels, parce qu’il n’y a aucun intérêt sur lequel ils puissent se fonder…..’..

Si maintenant nous jetons "un coup d’œil sur toutes les tentatives qui ont été laites jusqu’ici pour-découvrir le principe de. la. moralité, , nous, ne nous étonnerons plus qu’elles aient toujours nécessairement échoué. On voyait l’homme lié par son devoir à une loi, mais il ne venait à la pensée do personne qu’il n’était soumis qu’à sr* propire législation et que Celte législation élait pourtant universelle, el qu’il il’était obligé qu’à une chose, à savoir d’agir conformément à sa volonté, mais à sa volonté législatrice universelle, suivant su destination naturelle. Car, si on se bornait à concevoir l’homme comme soumis à une loi (quelle qu’elle pûl être), celle loi devrait le stimuler on le contraindre par le moyen de quelque inlérèl, parée que, n’émanant

" On me dispensera ici deciler des exemples pour éclaircir ce principe, car tous ceux qui ont servi à expliquer toul à l’heure l’impératif ealégogor.iqiie el sa formule pi-uvent être utilisés en vue de celte fin. (X, de K.) pas, comme loi, du sein même de sa volonté, elle devrait recourir à quelque moyen étranger pour le contraindre à tenir une certaine conduite*. Par suite de cette conséquence inévitable, tous les efforts tentés pour trouver un principe suprême du devoir étaient, irrémédiablement perdus ; car ce que l’on obtenait, ce n’était pas le devoir, mais la nécessité d’agir en vue d’un certain intérêt, intérêt qui pouvait être d’ailleurs personnel ou étranger. Mais alors l’impératif devait toujours être conditionné et ne pouvait avoir la valeur d’un commandement moral. J’appellerai donc ce principe fondamental le principe « le l’Autonomie « le la volonté, par opposition à tous les autres que je rapporte à l’Hétéronomie.

Le concept suivant lequel toul être raisonnable doit se considérer comme fondant par lotîtes les maximes de sa volonté une législation universelle, afin de juger de ce point de vue et sa propre personne et sa conduite, nous conduit à une autre idée éminemment féconde qui sy rattache, celle d’Un’Règne des fins.

J’entends par ce mot règne l’union systématique de différents êtres raisonnables sous des lois communes. Or, comme des lois.déterminent les fins, quant à leur valeur universelle, si l’on fait abstraction, et « les « lillërences personnelles qui existent entre les êlres raisonnables, et de tout ce que contiennent leurs fins particulières, on pourra concevoir une liaison systématique, dans un toul, « le l’ensemble des fins (système dans lequel entreront aussi bien les lins des êtres raisonnables conçus comme fins en soi, que les lins propres que chacun en particulier peut se proposer), le tout pourra

4. t)i deux choses l’une : mi bien la volonté obéit h une loi qu’elle pose elle-même, ou bien elle obéit à une loi qui lut esl imposée

du dehors, et dans ce dernier cas il faut qu’elle soit déterminée par quelque mobile intéressé, par exemple, la crainte ou l’espérance. être conçu comme un règne des fins, règne qui, d’après les principes posés, est possible*.

Car des êtres raisonnables sont toujours soumis à celle loi de ne jamais traiter ni leur personne ni celle « (’autrui comme de simples moyens, mais de les traiter en même temps comme des fins en soi. Mais ainsi se produit une liaison systématique des êtres raisonnables par des lois objectives communes, c’est-à-dire un règne, et comme ces lois ont précisément pour objet le rapport de ces êtres les uns à l’égard des autres comme fins-et moyens, on peut l’appeler règne des fins (règne qui à la vérité n’est qu’un idéal).

Un être raisonnable appartient au règne des fins comme membre, lorsque tout en y donnant des lois universelles, il est soumis pourtant lui-même à ces lois. Il y appartient comme chef* lorsque, donnant des lois, il n’est subordonné à aucune volonté étrangère.

L’être raisonnable doit toujours se considérer comme législateur dans un règne des fins rendu possible par la liberté de la volonté, qu’il y figure comme membre ou comme chef. Mais les maximes de sa volonté ne suffisent pas pour lui assigner ce dernier rang, il no peut le revendiquer que s’il est un être absolument indépendant, sans besoins, sans rien qui limite son pouvoir d’agir et l’empèchc d’être adéquat à sa volonté*.

La moralité consiste donc dans le rapport de tous nos actes à la législation qui seule rend possible un règne des fins. Cette législation doit se trouver dans

4. Le règne des fins de Kanl, c’est-à-dire le règne des volontés fins en soi, affranchies de la nature, rappelle la Cité de Dieu, dont parle Leibniz dans sa Monadologie (£. 81), et qui est l’assemblage de tous les esprits, c’està-dire des Monades capables de réfléchir et d’acquérir une valeur

morale. Kant fait allusion dans la Critique de la Raison pure (Méthodologie transcendantale) a ce royaume de la Grâce, opposé par Leibniz au royaume de la Nature.

2. Ulicd elOberhaupt.

3. Ainsi, en ce monde, nous ne pouvons nous considérer que comme membre » du règne des fins. chaque être raisonnable et jaillir de sa volonté dont le principe sera alors : Ne jamais agir que d’après des maximes que l’on soit certain de pouvoir ériger en lois universelles, c’est-à-dire de telle manière que la volonté par sa maxime puisse en même temps se considérer comme posant des lois universelles. Si maintenant les maximes ne sont pas déjà, par leur nature même, dans une harmonie nécessaire avec ce principe objectif des cires raisonnables considérés comme législateurs universels, la nécessité d’accomplir l’action d’après ce principe, s’appelle alors obligation pratique, c’est-à-dire Devoir. Le devoir n’existe pas pour le chef dans le règne des fins, mais il s’applique à chaque membre el également à tous.

La nécessité pratique d’agir d’après ce principe, c’est-à-dire le devoir, ne repose pas sur des sentiments, ni sur des penchants, ni sur des inclinations, mais seulement sur le rapport des êtres raisonnables entre eux, rapport suivant lequel la volonté d’un être raisonnable doit toujours être regardée en même lemps comme législatrice, parce qu’autrement il ne pourrait pas se considérer comme fin en soi. La raison rapporte ainsi chacune des maximes de la volonté conçue comme.-législatrice universelle à toutes les autres volontés el aussi à lotîtes nos actions envers nous-mêmes, et cela non pas en verlu de quelque mobile pratique ou en vue de quelque avantage ultérieur, mais en vertu de l’idée de la dignité d’un être raisonnable qui n’obéit à d’autre loi qu’à celle qu’il se donne à lui-même.

Dans le règne des fins tout a un prix ou bien une dignité. Quand une chose a un prix, elle peut être remplacée par une autre comme équivalente. Mais quand une chose est au-dessus de toute espèce « le prix el que par suite elle n’admet pas d’équivalent, elle a de la dignité.

Ce qui se rapporte aux tendances et aux besoins généraux de l’homme aiinpm’vénal 1 ; ce qui, même sans supposer aucun besoin, est conforme à un certain goût, c’est-à-dire à celte satisfaction qui s’attache au jeu libre et sans but do nos facultés a un prix de sentiment, mais ce qui constituera condition grâce à laquelle une chose peut devenir fin en soi, n’a pas seulement une valeur relative, c’est-à-dire un prix, mais une valeur intrinsèque, c’est-à-dire une dignité.

Or la moralité est justement la condition qui seule peut faire d’un être raisonnable une fin en soi, parce qu’elle seule permet à cet être de devenir membre législateur dans le règne des fins. La moralité et l’humanité, en tant qu’elle est capable de moralité, sont donc les seules choses qui aient de la dignité. L’habileté et le zèle dans le travail ont un prix vénal ; l’esprit, une vive imagination, l’enjouement*’ont un prix de sentiment ; au contraire, la loyauté dans les promesses, la bienveillance fondée sur des principes (et non sur l’inslincl) ont une valeur-intrinsèque. Ni la nature ni l’art ne contiennent rien qui puisse suppléer, au.défautde ces vertus, car leur’valeur ne vient pas des effets qui en résultent, des avantages et de l’utilité qu’elles procurent, mais des intentions, c’est-à-dire des maximes « le la volonté toujours prêtes à se manifester’de celte manière par des actes, même quand le succès ne devrait

1. Les mènies expressions (.Va rklpreis, prixsur le marché, prix vénal, et Affektionspreis, prix de sentiment) se retrouvent dans Y Anthropologie (Y part., A. III). Le talent, c’est-à-dire l’habileté dans un métier, n un prix vénal ; le tempérament, par exemple la bonne humeur, a un prix Je sentiment, parce qu’on l’aime, sans pouvoir l’évaluer en argent, comme l’habileté dans un initier. Kanl explique l’expression Marktpreis par l’anecdote suivante : Un voyageur assiste à une

discussion entre des professeurs sur le rang qu’il convient d’attribuer à chacune des facultés dont se compose une université. Si je veux vendre, dit-il, sur le marché d’Alger les professeurs de chacune des facultés, je ne pourrai tirer aucun argent du juriste et du théologien : mais le médecin a un métier, toujours, el parloul utile « nnd kann fur bnar ge’.len », et peut être vendu argent comptant.

2. Dans le texte : Witz, lebhafte Einbildungskraft mit Launen. pas les couronner. Ces actions ne réclament aucune recommandation de la part de quelque disposition ou de quelque goût subjectifs, propres à nous les faire envisager immédiatement avec plaisir el avec faveur ; elles ne supposent aucun penchant immédiat, aucun sentiment qui jiorte à les accomplir, elles nous représentent la volonté qui les accomplit comme l’objet d’un respect immédiat* ; la raison seule suffit pour les imposer à notre volonté et non pour les obtenir jxtr flatterie, ce qui en outre, quand il.s’agit de devoirs, serait contradictoire. Cette estimation nous fail considérer la valeur « le celle manière de penser comme une dignité, qui l’élève infiniment au-dessus « le tout prix. On ne pourrait d’ailleurs la mettre en balance et la comparer avec ce qui a un prix sans porter atteinte à sa sainteté.

Mais qu’est-ce donc qui autorise l’intention moralement— bonne ou la vertu à élever de si hautes prétentions ? Ce n’est rien de moins que le droit qu’elle donne à.l’être raisonnable de participer à lit législation universelle et de mériter ainsi le rang « le membre dans un règne possible des fins. Il y était d’ailleurs prédestiné par sa propre nature, comme fin en soi, et, juste ment pour celte raison, comme législateur dans un règne des fins, comme libre à l’égard de toutes les lois de la nature et n’obéissant qu’à celles qu’il s’impose à luimême, à celles qui donnent à ses maximes le caractère d’une législation universelle (à laquelle il se soumet lui-même). En effet, la seule valeur qu’une chose puisse posséder esl celle que la loi lui confère. Mais la législation qui détermine toute valeur doit avoir, à cause de cela même, une dignité, c’esl-à-dire une valeur inconditionnelle à laquelle rien ne peut se comparer, et seul lemol’de respect peut exprimer l’estime qu’un être

4. Le mot unmittelbar, (rois fois répété par Kant. raisonnable doit faire de cette valeur. L’Autonomie esl donc le principe de la dignité de la nature humaine et de toute nature raisonnable.

Les trois manières d’exprimer le principe de la moralité, que nous avons exposées plus haut, ne sont au fond qu’autant de formules d’une même loi ; chacune d’elles contient en elle, par elle-même, les deux autres’. Pourtant il y a entre ces formules une « lilTércnce, qui est à la vérité plutôt subjective qu’objectivement pratique cl qui consiste en ceci : qu’elles rapprochent de plus en plus l’idée de la raison de l’intuition (d’ajirès une certaine analogie) et par là du sentiment*.

Toutes les maximes ont en effet :

1) Une forme, qui consiste dans l’universalité, et, à ce point de vue la formule de l’impératif moral s’exprime « le la manière suivante : on doit choisir sos maximes comme si elles devaient avoir la valeur de lois universelles « le la nature.

2) Une matière 3, c’est-à-dire une fin ; et la formule dit alors : que l’être raisonnable, étant fin par sa nature, par conséquent fin en soi, doit, par sa nature même, imposer à toute maxime une condition qui serve à limiter toutes les fins purement relatives el arbitraires.

1. En ce sens que, l’une d’elles étanldonnée, on pourrait par simple analyse en faire sortir logiquement les lieux autres.

2. La première formule est purement abstraite. La seconde et la troisième font apparaître des hommes, fins de notre activité, et entre ces hommes, des rajqiorts, par suite (lesquels ils forment un règne des lins. Or, ces hommes et les rapports qui existent entre eux, peuvent être obiels d’intuition et de sentiment. D après vne certaine analogie. Celte analogie va s’expliquer

s’expliquer ce qui suit. Il y a, pour Kant, une analogie entre’les formules de l’impératif et les catégories de la quantité, et par suite entre le règne des lins et le règne de la nature. Cette analogie nous permet de nous représenter le règne des lins el de nous y intéresser.

3. Rien que le texte allemand porte dans toutes 1rs éditions Maxime, flous traduisons, avec Ilarni, comme s’il y avait Materie. Maxime n’offre en effet aucun sens. Voir plus loin, p. 80, noie l. 3) Une détermination complète* qui, pour toutes les maximes, s’exprime dans celte formule : que toutes les maximes émanant de notre propre législation doivent s’accorder avec l’idée d’un règne possible des fins conçu comme un règne de la nature*. Nous procédons ici en quelque sorte suivant les catégories de l’Unité de la forme de la volonté (universalité de celle volonté), de la Pluralité de la matière (des objets, c’est-à-dire des fins) et de la Totalité, c’est-à-dire du système des fins pris dans son ensemble*. Mais lorsqu’il s’agit déjuger moralement, on fera mieux de suivre toujours la méthode la plus rigoureuse et de partir toujours de la formule universelle de l’Impératif catégorique : Agis iVaprès une maxime qui puisse d’elle-même se transformer en loi universelle. Mais, pour donner à la loi morale un accès plus facile dans nos cœurs, il est très utile de faire passer une seule et même action par les

  • La li’léologie Considère la nature comme un règne des fins ; la morale considère un règne possible des fins comme un règne de la nature. D’un coté le règne des fins est une idée théorique pour expliquer ce qui est, de l’autre c’est une idée pratique pour réaliser ce qui n’est pis, mais peut devenir réel par notre conduite, el cela d’une manière conforme à celle conception même s. (N. de K.)

1. Ce mot s’explique par ce qui suit : l’idée de la totalité des fins, r’est-à-dire du système des êtres lins en soi, pris dans son ensemble, détermine complètement le devoir. Celle détermination complète correspond à la troisième formule de l’impératif catégorique.

2. Ici apparaît une préoccupation tout à fait caractéristique chez Kant, celle d’établir mi parallélisme entre les catégories de la quantité et les formules de l’impératif catégorique. Nous ne pouvons, suivant Kanl, penser une chose de la nature qu’aux conditions suivantes : que nous puisions ! • la concevoir

comme une unité (catégorie de Yunilê) ; V y discerner une pluralité de parties (catégorie de la pluralité) ; 3’rassembler ces parties dans un tout, en en faisant la synthèse, et reconstituer l’unité primitive (catégorie de la totalité). De même, pour penser l’Impératif catégorique, nous le concevons d’abord comme unité (première formule), ensuite comme pluralité, en considérant toutes les fins auxquelles il s’applique (deuxième formule), enfin, — comme totalité, en rassemblant ces lins, dans ce tout que Kanl appelle le règne des lins (troisième formule). 3. Cette idée que l’humanité, trois concepts indiqués et de la rapprocher ainsi, autant que faire se peut de’l'intuition.

Nous pouvons maintenant finir par l’idée même qui nous a servi de point de départ, en commençant, je veux dire par l’idée d’une volonté absolument bonne. La volonté est absolument bonne quand elle ne peut pas être mauvaise, c’esl-à-dire quand sa maxime, transformée en loi universelle, ne peut jamais se contredire. Sa loi suprême est donc ce principe : agis toujours d’après une maxime telle que tu puisses vouloir qu’elle soit une loi universelle’. Telle est la seule condition qui permette à une volonté de ne jamais tomber en contradiction avec elle-même et un.tel impératif est catégorique. Comme il y a une certaine analogie entre ce caractère que possède la volonté de devenir une loi universelle pour des actions possibles et la liaison universelle des choses dans la réalité d’après des lois universelles qui sont comme l’élément formel de la nature, l’impératif peut encore s’exprimer de la manière suivante : Agis ifaprès des maximes telles que l’jobjet de ton vouloir puisse être’^ériger ces maximes mêmes en lois universelles de la nature. Telle esl donc la formule d’une volonté absolument bonne.

La nature raisonnable se dislingue de toutes les autres en ceci qu’elle se pose à elle-même une fin. Cette fin doit être la matière* de loulc bonne volonté. Mais comme pour concevoir une volonté absolument

considérée connue l’ensemble des personnes raisonnables, esl la lin dernière de l’univers, se retrouve dans la Critique du Jugement, Rami. p. t ?.3.

4. Telle est, en somme, la vraie formule de l’Impératif catégorique, celle qui exprime le mieux lé formalisme de Kant. Les deux autres, comme Kant l’a dit tout 4 l’heure,

donnent une forme plus sensible au devoir, niais elles sonl dérivées et moins pures.

2. Le texte porte bien ici.Valérie, et cela prouve, une fois de plus, qu’il faut lire plus liant également Materie, car ce paragraphe correspond an second alinéa du pas-age où Kant expose le contenu des maximes. bonne, sans aucune condition qui la limite (atteindre tel ou tel but), il faut faire abstraction de tout résultat à obtenir (car alors la volonté ne serait que relativement bonne), la fin dont nous parlons ici ne doit pas être conçue comme un effet à obtenir, mais comme une fin ayant sa valeur en elle-même, et, par conséquent, c’est d’une manière négative que nous la concevons. Je veux d’re par là qu’il ne faut jamais agircontre celte fin, qu’il ne faut jamais la considérer comme un moyen, mais toujours comme une fin dans toutes nos volitions. Or celle fin ne peut être autre chose que le sujet de toutes les fins possibles, parce que ce sujet est en même temps le sujet de la possibilité d’une volonté absolument bonne, volonté que l’on ne peut sans contradiction faire passer après aucun autre objet. Le principe : agis à l’égard de tout être raisonnable (loi et autrui) de manière à lui reconnaître, dans ta maxime, la valeur d’une fin en soi est au fond identique au principe : agis d’après une maxime qui contienne en elle-même le principe de sa valeur universelle pour tout être raisonnable*. Car dire que, dans l’usage des moyens pour atteindre une fin quelconque, je dois subordonner ma maxime à une condition, à savoir qu’elle puisse s’appliquer à tout sujet comme loi universelle, cela revient à dire que le sujet des fins, l’être raisonnable lui-même, ne doit jamais être considéré comme un moyen, mais comme la condition suprême qui limite l’emploi des moyens, c’est-à-dire qu’on doit se le proposer comme fin dans lotîtes les maximes de ses actions*. Or il suit de là incontestablement que l’être raison4

raison4 précise l’idée qui domine sa déduction des trois formules de l’impératif. Il s’efforce de bien établir que la deuxième el la troisième ne contiennent rien qui ne soit implicitement compris dans

la première, iiui est la vraie. 2. Voici en deux niots l’idée de Kant : Si l’être raisonnable était traité comme moyen, je ne pourrais plus appliquer à tout être raisonnablc fa maxime de mon action. nable, étant fin en soi, doit pouvoir se considérer, relativement à toutes les lois auxquelles il peut être soumis, comme législateur universel. ¥A\ effet, c’est justement cette aptitude « lèses maximes à former une législation universelle qui le-distingue comme fin en soi*. Il suit encore de ce qui a été dit que la dignité de cet être (prérogative) qui l’élève au-dessus des simples êlres « le la nature, entraîne pour lui la nécessité de choisir toujours sa maxime en se plaçant à un point de vue qui soit à la fois le sien et celui de tous les autres êtres raisonnables considérés comme tëgislateurs (et que l’on peut à cause de cela appeler personnes). C’est de celte manière que devient possible un monde des êtres raisonnables {mundus intclligibilis), comme règne des fins et cela grâce à la législation propre de toutes les personnes qui en sont les membres. D’après cela, tout être raisonnable doit agir comme s’il était toujours, par ses maximes, un.nicmbrc législateur dans le règne universel des fins. Le principe formel de ces maximes est : agis comme si la maxime devait servir de loi universelle (pour tous les êtres raisonnables). Un règne des fins n’est donc possible que par analogie avec un règne île la nature ; mais le premier repose seulement sur des maximes, c’est-à-dire sur des règles que l’on s’impose à soimême, le second sur « les lois causales imposant aux choses une nécessité extérieure. Malgré cela on donne aussi à l’ensemble de la nature, que l’on considère pourtant comme une machine, le nom de règne de la nature, parce qu’il se rapporte à des êtres raisonnables dans lesquels on voit ses fins*. Un tel règne des fins

4. Si l’être humain esl vraiment fin en soi, il doit pouvoir se considérer comme législateur universel, car c’est justement parce qu’il peut ériger ses maximes en lois universelles

universelles est fin en sol. Ainsi la troisième formule revient à la deuxième, qui revient à la première. 2. Il résulte de ce passage que ne pourrait être vraiment réalisé que par ces maximes dont l’impératif prescrit la règle à tous les êtres raisonnables, à condition qu’elles fussent universellement suivies. Mais, bien que l’être raisonnable ne puisse guère espérer que tous les autres soient fidèles à cette maxime,.encore qu’il l’observe lui-même ponctuellement, ni que le règne de la nalure, avec l’ordre de finalité qui s’y manifeste, se mette enharmonie avec sa propre personne, de manière à réaliser un règne « les fins qu’il rendrait possible et dont il serait le digne membre, c’est-à-dire lui donne le bonheur qu’il attend, malgré tout cela celte loi : agis d’après les maximes qui conviennent à un membre législateur dans un règne seulement possible « les fins, conserve la plénitude de sa force, parce qu’elle ordonne d’une manière catégorique. Et c’est en cela précisément que consiste ce paradoxe : que la simple dignité de l’humanité consiilérée comme nature raisonnable, indépendamment de toul résultat avantageux que l’on puisse obtenir, et, par suite, que le respect pour une simple idée doive servir de règle inviolable à la volonté ; que l’indépendance de la maxime à l’égard de tous les penchants de cette espèce soil justement ce qui en fait la sublimité, ce qui rend tout être raisonnable « ligne de devenir membre législateur dans un règne « les fins ; car autrement on ne

l’idée de règne implique l’idée de finalité, et même que, si le règne de la nature est analogue au règne des fins, ce n’est pas seulement parce qu’il est soumis à des règles, mais surtout parce qu’il a une lin qui est, en somme, la même que celle du règne des volontés pures, cette lin, c’é.-t l’ensemble des êtres raisonnables, qui semblent être considérés ici comme la raison d’être de celle machine qu’est la nature. Dans la Critique du jugement, Kant déclare que « sans les hommes toute

la création serait déserte, inutile el sans but final ». Or, ce qui peut faire de l’homme le but final de la nature.ee n’est passon intelligence, en tant qu’elle peut contempler le monde ; ce n’est pas non plus sa sensibilité, en tant qu’elle peut être satisfaite par la nature, c’est la faculté qu’il a d’agir en être libre, c’est sa bonne volonté, • la seul » chose qui puisse donner à l’existence de l’homme une valeur absolue et à celle du monde un but final. » (liarni, p. ÎM-Iii.) pourrait se le représenter que comme soumis à la loi naturelle « le ses besoins. Quand même nous supposerions le règne de la nature et le règne des fins réunis sous un mailre suprême, el quand même le second de ces règnes obtiendrait ainsi une réalité véritable au lieu d’être une simple idée, sans doute un mobile puissant viendrait s’ajouter à l’idée, mais sans eh■. accroître en rien la valeur intrinsèque. Car, malgré tout, on devrait se représenter ce législateur unique cl illimité comme jugeant de la valeur des êtres raisonnables d’après la conduite désintéressée prescrite parcelle idée. L’essence des choses ne se modifie pas sous l’influence de leurs rapports avec le dehors ; et ce qui, abstraction faite de ces rapports, constitue seul lavaleurabsolùe del’homme, reste la seule chose d’après laquelle il doive èlre jugé, quel que soit son juge, ce juge fût-il même l’Etre suprême. La moralité est donc le rapport des actions à l’autonomie de la volonté, c’esl-à-dire à la législation universelle que les maximes de cetle volonté doivent rendre possible. L’acte qui peut s’accorder avec l’autonomie de la volonté est permis, celui qui y répugne est défendu. La volonté dont les maximes s’accordent nécessairement avec les lois de l’autonomie est une volonté sainte, c’est-à-dire absolument bonne. La dépendance d’une volonté qui n’est pas absolument bonne à l’égard du principe de l’aulonomie (la nécessité morale) est YoUigation. L’obligation ne peut donc s’appliquer à un être saint. La nécessité objective d’un acle, fondée sur l’obligation est le devoir*.

On s’expliquera sans peine, d’après le peu qui précède, comment il arrive que tout en concevant sous l’idée du devoir une sujétion à la loi, nous trouvions en même temps une certaine sublimité et une di4.

di4. avons déjà vu que le devoir n’existe que pour une volonté mpaifaite, et que ce mol n’a plus 1

I Je sens pour la volonté sainte qu se conforme naturellement à I loi. gnitê* chez la personne qui accomplit tous ses devoirs. En effet elle est sublime, non pas en tant qu’elle est soumise à la loi morale, mais en tant qu’elle se donne celle loi par une législation propre et lui obéit seulement pour celle raison. Nous avons aussi montré plus haut comment ce n’est ni lacrainte ni l’inclination, mais seulement le respect delà loi qui constitue le seul mobile capable de donner à l’action une valeur morale. Notre propre volonté, supposé qu’elle n’agisse que sous la condition d’obéir à une législation universelle rendue possible par ses maximes, celte volonté idéalement possible est l’objet propre du respect et la dignité de l’humanité consiste justement dans cette aptitude à fonder des lois universelles, — mais à la condition de se soumettre en même temps à cette législation.


L’AUTONOMIE DE LA VOLONTÉ
comme principe suprême de la moralité.


L’autonomie de la volonté est cette propriété qui lui apparlicnl d’être à elle-même sa loi (abstraction faite de la nature des objets du vouloir). Le principe de l’autonomie est donc : do choisir toujours de telle manière que les maximes de notre choix constituent, dans noire vouloir même, des lois universelles. Pour démontrer que cette règle pratique esl un impératif, c’est-à-dire que la volonté de toul être raisonnable est liée nécessairement à une telle condition, il ne peut pas suffire

i. Le sublime est pour Kant ce qui est absolument grand. Or, le véritable sublime ne sa trouve pas dans la nature extérieure, niais in nous-mêmes. La nature n’esl.sublime que pour notre imagination. Ce qui est vraiment sublime pour la raison, c’est ce qui dépasse infiniment

infiniment nature sensible, c’est noire raison elle-même, et dans notre raison, l’idée du devoir el la volonté de l’accomplir malgré toutes les tentations ou les résistances de la nature. (Voir à ce sujet la Critique du Jugement, analytique du sublime, llarni, I. I, p. 71.) de décomposer celte volonté en se3 éléments parce qu’il s’agit d’une proposition synthétique’;, il faudrait dépasser la connaissance des objets et entrer dans une critique du sujet, c’est-à-dire faire une critique de la raison pure pratique ; car ce principe synthétique qui ordonne d’une manière apodicliqtie doit pouvoir être reconnu a priori ; mais ce travail n’appartient pas à la présente section. En revanche on peut fort bien établir par une simple analyse des concepts de la moralité que le principe susmentionné de l’autonomie est le seul véritable principe do la morale. Car on découvre par celte méthode que ce dernier principe doit être un impératif catégorique et que cet impératif no commando ni plus ni moins que celte autonomie même.


L’HÉTÉROXOMlË DE LA VOLONTÉ
comme source de tous les faux principes de la moralité.


Quand la volonté cherche-la loi qui doit la déterm’mcr ailleurs que dans l’aptitude de ses maximes à la rendre elle-même législatrice universelle, quand, sortant d’elle-même, elle cherche cette loi dans la nature de l’un quelconque de ses objets, il so produit une hêtéronomie. Alors la volonté ne se donne plus à ellemême sa loi, c’est l’objet qui la lui donne, en vertu du rapport qu’il a avec elle. Ce rapport, qu’il repose sur l’inclination ou sur des représentations de la raison, ne peut donner lieu qu’à des impératifs hypothétiques : je

i. Cette proposition : que la volonté raisonnable obéisse à des maximes qui puissent être érigées en lois universelles.est synthétique, parce que l’idée de volonté raisonnable n’implique pas en elle-même l’idée d’obéissance à une législation

universelle. Pour démontrer celte proposition, il faut pénétrer jusqu’à l’essence intime du sujet et faire la critique de la Raison pure pratique, kant abordera tout à l’heure celle démonstration, dans la troisième section. dois faire une chose parce que j’en veux quelque autre. Au contraire l’impératif moral, c’est-à-dire catégorique, dit : je dois agir de telle ou telle façon, même si je ne veux rien d’autre. Par exemple, le premier dit : je ne dois pas mentir, si je tiens à ma considération ; le second : je ne dois pas mentir, quand même il n’en résulterait pas la moindre honte pour moi. L’impératif catégorique doit faire abstraction de tout objet, de manière que l’objet n’ait aucune influence sur la volonté ; il ne faut pas en effet que la raison pratique (la volonté) se borne à administrer un intérêt étranger, mais qu’elle prouve son droit à être considérée comme législatrice suprême. Par exemple je dois m’efforcer de contribuer au bonheur d’autrui, non pas comme si j’avais quelque intérêt à ce bonheur (soit en vertu d’une inclination immédiate, soit, indirectement, en vue de quelque satisfaction conçue par la raison), mais uniquement parce que la maxime qui exclut ce bonheur ne peut pas subsister dans un seul et même vouloir comme loi universelle[24].


CLASSIFICATION
de tous les principes possibles de la moralité
d’après le concept fondamental que nous avons adopté
de l’hétêronomie.


Ici, comme partout ailleurs, la raison humaine, dans son usage pur, tant que la critique lui a fait défaut, a essayé toutes les fausses routes possibles avant de réussir à trouver la seule qui soit bonne.

Tous les principes que l’on peut admettre de ce point de vue sont empiriques ou rationnels. Les premiers, tirés du principo du bonheur, s’appuient sur la sensibilité physique on morale ; les seconds, empruntés au principo do \a perfection, reposent, ou bien surlo concept rationnel do cette perfection, considérée comme effet possible do notre volonté, ou bien sur le concept d’uno perfection existant en soi (sur la volonté do Dieu) commo causo déterminante do notre volonté.

Les principes empiriques no sont jamais propres à fonder des lois morales. Car l’universalité’qui rend ces lois valables pour tous les êtres raisonnables sans distinction, la nécessité pratique inconditionnelle qui leur est attribuée par là même, s’évanouissent des qu’on les fonde sur la constitution particulière île la nature humaine ou sur les circonstances contingentes où cette nature se trouve placée. Mais lo principe qu’il faut rejeter avant tous les autres, c’est le principe du fco>iheur personnel*, et cela non seulement parce qu’il est faux et que l’expérience contredit celle proposition que le bien-être correspond toujours h la bonne conduite, non seulement parce qu’il ne fournil aucune base a la moralité, car autre chose est de rendre un homme heureux ou de le rendre bon, d’en faire quelqu’un d’avisé et d’attentif à ses intérêts ou quelqu’un de vertueux ; mais encore parce qu’il donne comme fondement à la morale des inclinations qui la minent bien plutôt et détruisent toute sa sublimité, car elles rangent dans la même classe les mobiles de la vertu et ceux du vice et nous apprennent seulement à mieux calculer, détruisant toute distinction spécifique entre ces deux espèces de mobiles*. Pour ce qui est du sentiment moral 5,

1. L’utilitarisme a toujours été pour Kant la négation même de la morale.

3. En effet, si le bonheur est le but, il n’y a que des calculs bien ou mal faits, il n’y a plus d’intentions bonnes ou mauva ises etf elles-mêmes.

3. Sbafteshury (1671-1713, Recherches tur la terlu et le mérite admet des sentiments rationnels parmi lesquels se trouve le sentiment du bien et du mal, tout a fait analogue au sentiment du beau et du laid. ce prétendu sens spécial*, il est moins éloigné do la moralité et de la dignité qui lui appartient (quoiquo ce soit la marque d’un esprit bien superficiel d’en appeler à co sens, car ce sont ceux qui sont incapables do’penser qui espèrent se tirer d’affaire avec l’aido du sentiment même la où il s’agit de lois universelles, et d’autre part les sentiments, qui, par leur nature, diffèrent infiniment les uns des autres, quant au degré, no peuvent fournir une mesure fixe du bon et du mauvais, sans compter que l’homme qui juge par sentiment no peut avoir la prétention d’imposer son jugement a autrui). Mais lo sens moral fait au moins a la vertu l’honneur de lui attribuer immédiatement la satisfaction cl lo respect qu’ello nous inspire, il no lui dit pas en face que ce n’est pas sa beauté mais seulement l’intérêt qui nous attache à elle.

Parmi les principes intelligibles ou rationnels do la moralité, le meilleur est le concept ontologique do la Perfection (il est pourtant bien vide, bien indéterminé et par suite bien peu utilisable pour découvrir, dans lo champ immense de la réalité, la plus grande somme de perfection qui puisse nous convenir, sans compter que, lorsqu’il s’agit de distinguer spécifiquement la réalité, dont il est ici question, de toute autre, il montre une tendance irrésistible à tourner dans un cercle

  • Je rattache le principe du sentiment moral au principe du bonheur, parce que tout intérêt empirique causé par l’agrément qu’une chose nous procure, soit immédiatement, et abstraction faite de toute espérance d’un avantage ultérieur, soit au contraire en vue de cet avantage, promet d’ajouter quelque chose a notre bien-être. De même on doit, avec Jlutcheton’, rattacher le principe de la participation sympathique au bonheur des autres a ce même sens moral admis par ce philosophe. (N. de K.)

1. Ilut-heson (né en 1691, professeur à Glasgow) admet un sens moral sur lequel repose le jugement moral, comme le jugement esthétique repose sur un sens particulier.

particulier. ce sens moral n’est pas suflisant pour nous déterminer a l’action. Pour agir il faut l’appoint d’autres sentiments, comme la sympathie. et n’évite guère de supposer tacitement celto moralité qu’il doit expliquer *)• I-oconcept do la perfection n’en est pas moins préférable au concept théologique qui fait dériver la moralité do la volonté infiniment parfaite de Dieu et cela pour deux raisons : d’abord, parce que, n’ayant pas l’intuition de la perfection divine, nous ne pouvons en dériver l’idée que do nos propres concepts, parmi lesquels se trouve au premier rang celui « le la moralité*, ensuite parce que, si nous ne procédons pas ainsi (ce qui serait commettra un cercle grossier dans notre explication), le seul concept qui nous reste, celui de la volonté divine, que nous nous représentons mue par l’amour do la gloire et de la domination et à laquelle nous associons l’image terrible de la passioii, de la puissance et de la jalousie*, nous conduirait a un système de morale absolument opposé à la moralité. Si j’avais à choisir entre lo concept du sens moral et celui de la perfection en général (concepts qui au moins ne causent aucun préjudice a la moralité, bien qu’ils ne suffisent guère à lui fournir une base solide), je me déciderais pour le dernier parce qu’il porte devant le tribunal de la raison pure la question morale, enlevant à la sensibilité lo droit de la trancher, et que, s’il n’arrive parcelle loi à aucune solution et laisse dans l’indétermination’l’idée (d’une volonté bonne en

i. Le bien, dit-on, c’est la perfection, par exemple l’épanouissement de nos facultés, mais d’après quel principe déclarez-vous que cet achèvement de l’être est le bien ? évidemment d’après un principe supérieur à la perfection elle-même. Dans la Métaphysique tien mteur*, Kant fera de la perfection l’objet des devoirs envers nous-mêmes, en appelant perfection le développement des facultés qui rendent possible la bonne volonté. L’idée de perfection s ? ra ainsi fondée sur celle de devoir

et non l’idée de devoir sur l’idée de perfection.

8. Le bien est ce que Dieu veut, mais qu’est-ce que Dieu veut ? Pour répondre à celte question nous partons d’une certaine idée que nous avons du bien. Dieu, par exemple, ordonne la charité, disons-nous, mais c’est que d’après l’idée que nous nous faisons du bien, nous jugeons la charité bonne.

3. Le texte porte Xacheifer », jalous : e : liacheifer », désir de vengeance ferait peut-être un meilleur sens. soi), il la conserve sans la fausser jusqu’à ce qu’ello puisse être déterminée avec plus’de précision •.

D’ailleurs je crois pouvoir ino dispenser d’entreprendre une réfutation développée de toutes ces doctrines. Celte réfutation est si facilo et ceux-là mémo que leur profession oblige a so déclarer pour l’une de ces théories (parce que les auditeurs ne souffrent guère que l’on suspende son jugement) la conçoivent si bien que ce serait un travail superflu d’y insister. Ce qui nous intéresse ici davantage, c’est de savoir que ces systèmes no donnent à la morale d’autre principe que l’Iietéronomie de la volonté et que, précisément’pour cela, ils manquent nécessairement leur but.

Toutes les fois que, pour prescrire a la volonté la règle qui doit la déterminer, on s’adresse à l’objet de celte volonté, cette règle n’est qu’hétéronomio ; l’impératif est subordonné à une condition ; c’est si ou jmrce que l’on veut tel objet que l’on doit agir do telle façon ; aussi cet impératif ne peut-il jamais être moral, c’està-dire commander catégoriquement. Que l’objet détermine la volonté pir lo moyen de l’inclination, comme dans le système du bonheur personnel, ou par l’intermédiaire de la raison appliquée aux objets possibles de notre volonté en général, comme dans lo système de la perfection, la volonté, dans tous les cas, ne se détermine pas immédiatement par la seule idée de l’action, mais.par l’influence qu’exerce sur elle l’idée anticipée de l’effet de l’action : je dois faire une chose parce que j’en veux une autre, et alors il faut qu’en moi-même so pose une autre loi, en vertu de laquelle je veux nécessairement cette autre chose et cette loi à son tour suppose un impératif qui détermine cette maxime à un objet défini. En effet,.comme’l'attrait que la représenta1.

représenta1. que, pour déterminer’idée du bien (sans ramener le bien au bonheur), il faut, suiI

suiI Kant recourir aux runepts d’autonomie et d’impératif catégo| rique. tion d’un objet possible de notre activité doit exercer sur lo sujet, en vertu de sa constitution, dépend de la nature de ce sujet, soit de sa sensibilité (inclination et goûts), soit do son entendement et do sa raison qui, en vertu des dispositions particulières de leur nature, s’appliquent avec plaisir à un objet, ce serait donc à proprement parler la nature qui donnerait la loi ; et alors, non seulement cette loi, comme telle, ne pourrait être connue et démontrée que par l’expérience et, par suile, serait contingente, donc incapable de fonder une règle pratiquo apodictique, comme doit êlre la règle morale, mais encore elle ne serait jamais qu’héléronomie do la volonté. Ce ne serait pas la volonté qui se donnerait a elle-mèmo sa loi, mais elle la recevrait d’une impulsion étrangère, par l’intermédiaire d’une certaino constitution du sujet qui la disposerait à en subir l’action., >

La volonté absolument bonne, dont le principe doit être un impératif catégorique, reste donc indéterminée à l’égard de tous les objets et ne contient que la forme du vouloir en général, et c’est en cela que consiste l’autonomie ; c’est-à-dire que l’aptitude de la maxime de toute bonne volonté à se tranformer en loi universelle est la seule loi que s’impose à elle-même la volonté de tout être raisonnable, sans y ajouter aucun autre principo lire de l’inclination ou de l’intérêt.

Mais, comment une jxtreiUe proposition pratique, synthétique a priori est-elle possible’, pourquoi est-elle nécessaire ? voilà une question dont la solution dépasse les limites de la Métaphysique des mœurs*, aussi n’avons-nous pas affirmé ici la vérité de cette propo1.

propo1. revient encore a cette question qu’il a déjà posée plusieurs lais, mais qu’il n’a pas encore essayé de résoudre.

2. L’objet de la Métaphysique des mœurs (en y comprenant les fondements de cette science) « st de

déterminer le principe suprême de la morale et d’en déduire les règles de la conduite. Pour ce qui est d’établir la valeur objective de ce principe, c’est un problème qui ne pourrait être résolu qne par une critique de la Raison pratique. sition ni prétendu quo nous eussions entre, les mains le moyen do la prouver. Nous avons seulement montré en développant le concept do la moralité tel qu’il est universellement admis, qu’une autonomie do la volonté se liait inévitablement à co concept ou plutôt lui servait de base. Quiconque lient la moralité pour quelque chose de réel et non pour uno idée chimérique sans vérité, doit admettre lo principe do la moralité que nous avons proposé. Cetto seconde section adonc été, comme la première, purement analytique’. Pour établir maintenant quo la moralité n’est pas uno chimère, idée qui s’impose si l’impératif et avec lui l’autonomie do la volonté sont des vérités et sont nécessaires comme principes a priori, il faut admettre la possibilité d’un usage synthétique de la raison pure pratique* ; mais nous no pouvons tenter cette voie sans commencer par faire la critique de cetto faculté de la raison. Nous exposerons dans la dernière section les grandes lignes de cetto critique autant qu’il est nécessaire pour atteindre notre but.

i. Ce passage résume nettement la méthode que Kant a suivie dans toute cette seconde partie : S’il y a une moralité, elle ne peut consister que dans l’Impératif catégorique et 1 autonomie de la volonté, mais y a-t-il une moralité, eu l’idée même de moralité est-elle chimérique ? Kant va indiquer dans la troisième section la solution de ce problème.

3. De même que la fonction de la

pensée théorique est d’établir a priori certaines synthèses, par exemple, celle de la cause et de l’effet. Nous savons que la proposition : La bonne volonté est la volonté autonome, obéissant à des lois universelles qu’elle pose ellemême, est une proposition synthétique. Il faut pouvoir démontrer a priori, la nécessité de cette synthèse..


Notes de Kant[modifier]

  1. 1er argument : l’expérience, par laquelle on pourrait essayer de prouver l’existence d’actions accomplies par pur devoir, serait une expérience psychologique. Mais cette expérience est à peu près impossible à faire, parce que nous ne pénétrons jamais complètement les mobiles de nos propres actions, encore moins les mobiles des actions des autres.
  2. 2e argument: la loi morale est universelle, c’est-à-dire qu’elle est valable non seulement pour l’homme mais encore pour tout être raisonnable : elle est de plus nécessaire, donc il n’est pas possible de la fonder sur une expérience limitée à l’humanité.
  3. 3e argument : la preuve que l’on ne peut pas partir des faits particuliers, ou exemples, pour démontrer la loi morale, c’est que ces exemples, avant d’être utilises, doivent être jugés, et que ce jugement suppose un principe nécessairement antérieur à tout exemple.
  4. Cf. St Mathieu, XIX, 17.
  5. L’idée même de Dieu, c.-à-d. d’un être absolument bon, suppose l’idée de l’absolue perfection morale.
  6. Parce que la réponse (affirmative) est évidente.
  7. On appelle inclination la faculté de désirer, en tant qu’elle dépend des sensations ; l’inclination est par conséquent toujours la preuve d’un besoin. On appelle intérêt la dépendance d’une volonté qui se détermine d’une manière contingente par rapport à des principes rationnels. Cet intérêt ne se trouve par conséquent que dans une volonté dépendante qui n’est pas par elle-même toujours conforme à la raison ; on ne peut concevoir dans la volonté divine aucun intérêt. Mais la volonté humaine elle-même peut prendre un intérêt à quelque chose sans agir pour cela par intérêt. D’un coté il s’agit de l’intérêt pratique que l’on prend à l’action, de l’autre il s’agit de l’intérêt pathologique que l’on prend à l’objet de l’action. La volonté apparaît comme dépendante dans le premier cas des principes de la raison considérée en elle-même, dans le second des principes de la raison considérée comme l’esclave de l’inclination ; en effet, la raison ne fait, dans ce second cas, que nous donner une règle pratique pour satisfaire le besoin de l’inclination. Ici c’est l’action qui m’intéresse, là c’est l’objet de l’action (en tant qu’il m’est agréable). Nous avons vu dans la première section, que dans une action faite par devoir il ne faut pas envisager l’intérêt qui peut s’attacher à l’objet, mais seulement l’action elle-même et son principe rationnel (sa loi) (N. de K.).
  8. Kant veut dire qu’il n’y a d’impératif catégorique que pour une volonté qui reste sujette à l’influence de mobiles subjectifs. Une Volonté sainte, c’est-à-dire affranchie de toute tendance naturelle, se conformerait d’elle-même à la loi, sans hésitation et sans effort ; il n’y aurait donc pas d'impératif, c’est-à-dire de devoir, pour elle. On peut rapprocher cette idée de celle de Mill et de Spencer qui, bien que se plaçant à un point de vue tout différent de celui de Kant, ont pensé que le devoir était une notion transitoire, qui s’efface à mesure que la volonté devient meilleure. Voir Spencer, Morale évolutionniste, Ch. VII, p. 110.
  9. Sur la distinction des deux impératifs, voir l’Introduction.
  10. 1. Kant se pose la question suivante : L’impératif catégorique n’est pas un fait que l’on puisse établir par l’expérience (comme c’est un fait, par exemple, que tout le monde veut être heureux. Comment donc établir qu’un tel impératif est réel ? Evidemment c’est a priori qu’il faut procéder.
  11. 1. L’impératif n’étant pas un fait il faut l’établir en partant de l’idée que nous en avons a priori. S’il était donné dans l’expérience, nous nous servirions seulement de cette idée pour en expliquer la nature.
  12. * Sans supposer aucune condition venant de quelque inclination, je relie l’acte à la volonté, a priori, par conséquent d’une manière nécessaire (mais objectivement, c’est-à-dire en partant de l’idée d’une raison qui exercerait un empire absolu sur tous les mobiles subjectifs). C’est bien là une proposition pratique, qui ne déduit pas analytiquement la volition d’un acte d’une autre volition déjà supposée (car nous n’avons pas une volonté si parfaite), mais qui l’unit Immédiatement à l’idée de la volonté d’un être raisonnable, comme quelque chose qui n’y est pas contenu (N. de K.).
  13. 1. L’impératif catégorique est une proposition synthétique a priori, c’est-à-dire une proposition, nécessaire et dans laquelle pourtant le prédicat ne peut être dégagé par analyse de la notion du sujet. Ainsi : la volonté d’un être raisonnable voudra être sincère. Il est nécessaire que l’être, raisonnable soit sincère, et pourtant la sincérité n’est pas impliquée dans l’idée de volonté raisonnable, pas plus que l’idée de cause n’est impliquée dans celle de phénomène, et c’est pourquoi la proposition nécessaire : tout phénomène à une cause, est synthétique.
  14. 2. Kant, au lieu de répondre tout de suite à l’embarrassante question qu’il vient de poser, va d’abord développer le concept d’Impératif catégorique et chercher les formules dans lesquelles cet impératif, s’il existe, doit nécessairement s’exprimer.
  15. 1. Par exemple, quand je sais que vous désirez la santé, je vous commande la tempérance.
  16. * La maxime est le principe subjectif de l’action ; elle doit être distinguée du principe objectif, à savoir de la loi pratique. La maxime exprime la règle pratique qui détermine la raison conformément aux conditions du sujet (souvent conformément à son ignorance ou à ses inclinations) ; c’est donc le principe d’après lequel le sujet agit ; la loi, au contraire, est le principe objectif valable pour tout être raisonnable, principe d’après lequel il doit agir, c’est-à-dire un impératif (N. de K.).
  17. 2. Le texte porte : welche gemässheit allein den Imperativ als nothwendig vorstelli. Le sens semble exiger der au lieu de den : C’est cette conformité que l’impératif nous représente comme nécessaire.
  18. 1. Kant appelle Nature, dans la Critique de la Raison pure, un système de choses obéissant à des lois universelles et nécessaires. Ce mot ne s’applique pas seulement au monde physique, il peut aussi s’appliquer à un monde supra-sensible, au monde des purs noumènes. La pensée de Kant est que la loi morale n’est autre chose que la loi des volontés noumenales, c’est-à-dire de la nature intelligible, mais il croit que cette loi peut être en même temps la loi des volontés phénoménales et du monde sensible (cf. Critique de la Raison pratique : Déduction des principes de la raison pure pratique, Barni, p. 194 Picavet p. 72).
  19. 2. Les devoirs parfaits sont les devoirs de stricte justice, devoirs nettement déterminés, sans exceptions et exigibles. Les devoirs imparfaits sont des devoirs indéterminés, n’ayant pas le caractère de stricte rigueur des premiers. Dans les quatre exemples qu’il va donner, Kant se propose de montrer qu’une maxime immorale ne peut être érigée en loi universelle de la nature sans se contredire.
  20. * On remarquera ici que je me réserve absolument de classer les devoirs dans une future Métaphysique des mœurs, et que je n’adopte ici cette division que parce qu’elle est commode (pour classer mes exemples). D’ailleurs j’entends ici, par devoir parfait, celui qui n’admet aucune exception en faveur de l’inclination, et j’obtiens ainsi des devoirs parfaits non seulement extérieurs mais intérieurs, ce qui est contraire à la terminologie acceptée dans les écoles ; mais je n’ai pas ici l’intention de justifier cette conséquence, car il est indifférent pour le but que je me propose qu’on y souscrive ou non 3 (N. de K.).
  21. 3. Dans la Métaphysique des mœurs, Kant classe les devoirs de la manière suivante : 1° Devoirs de droit, susceptibles de s’exprimer dans des lois (par exemple le respect de la vie et de la propriété d’autrui=, et Devoirs de vertu, non susceptibles de s’exprimer dans des lois. Les premiers sont des devoirs stricts, exigibles, donc parfaits, les seconds des devoirs larges, laissant une certaine latitude à notre initiative, non exigibles, donc imparfaits.
    Les devoirs de vertu se rapportent à nous-mêmes ou aux autres. Nous devons travailler à nous perfectionner (c’est-à-dire à développer les facultés qui font de nous des personnes morales, et à rendre les autres heureux. En effet, nous ne devons pas nous proposer le bonheur comme fin personnelle, ce serait retomber dans l’utilitarisme : d’autre part, ne pouvant pas perfectionner nos semblables, nous devons lâcher de leur procurer le bonheur, en pensant que le bonheur est une condition favorable à leur perfectionnement.
    Les devoirs personnels se divisent eu devoirs de l’homme envers lui-même en tant qu’animal, c’est-à-dire être physique, et devoirs de l’homme envers lui-même en tint que personne raisonnable.
    Les devoirs envers nos semblables se classent en devoirs d’amour (par exemple être bienfaisant) et devoirs de respect (par exemple ne pas mépriser, calomnier, etc., autrui).
  22. 1. Unerachtet er werder im Himmel, noch auf der Erde an et was gehängt oder woran gestützt wird.
  23. 1. La troisième section établira que le principe sur lequel repose la irnssibilité de l’impératif catégorique, c’est notre nature d’être intelligible, c’est-à-dire absolument affranchi des lois de la nature, sensible dons absolument libre. Kant va montrer îpje c’est en somme celte nature intelligible, notiniénale, conçue par la raison comme ayant une’valeur absolue, qui est la" lin de la volonté raisonnable. Que fautil que veuille une volonté raisonnable ? Réponse : elle-même.
  24. 1. Voir ci-dessus les notes p. 57 (I) et p. 67 (I).

Notes du traducteur[modifier]