Fontaine aux Perles/13. Après boire

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Fontaine aux Perles
Legrand et Crouzet (Tome IIIp. 92-99).
XIII
APRÈS BOIRE


Les Carhoat demeurèrent un instant étonnés et muets devant l’arrivée soudaine du chevalier.

Les paroles qu’il avait prononcées en entrant étaient une sorte de défi qui contribuait pour sa part à entretenir le trouble des trois jeunes gens.

Deux d’entre eux, Laurent et Philippe, ne prenaient point la peine de cacher ce qu’il y avait d’hostile et de menaçant dans leur surprise.

Prégent avait haussé les épaules, et s’était assis en disant : Bah !

Le vieux Carhoat avait rejeté en arrière ses longs cheveux blancs comme pour montrer sa belle et noble figure qui n’exprimait rien en ce moment, sinon les sentiments d’une hospitalité franche.

— Soyez le bienvenu, dit-il en remettant son couteau sous sa peau de bique ; — nous n’attendions personne par le chemin que vous avez pris… mais à cela ne tienne !… prenez place, je vous prie, et faites-nous raison…

Le chevalier jeta son manteau à Francin Renard, mit son feutre sur la table et s’assit.

Laurent et Philippe l’imitèrent. — Francin Renard n’osa point reprendre sa place.

— Je suis venu un peu tard pour parler d’affaires, dit le chevalier en regardant les trois fils de Carhoat. — Voici de beaux garçons qui m’ont l’air ivres comme des mariés du pays de Quimper !…

— Nous avons ce qu’il faut de raison. Monsieur de Kérizat, répondit Laurent, pour causer avec vous et vous faire changer d’avis sur ce mariage dont vous parliez tout à l’heure.

— Oui-dà, monsieur le comte ? riposta le chevalier avec raillerie — Je viens de bien loin, savez-vous, pour épouser la comtesse Anne !… et quand il s’agit de cent mille écus de rente, je ne puis avoir qu’un avis.

— La nuit est longue, murmura Philippe ; — et vous avez votre épée, Kérizat. Cette affaire-là peut s’arranger. — Le chevalier s’inclina en souriant.

— Je suis bon, vous le savez, mon jeune maître, dit-il, — à toutes sortes d’arrangements… J’ai mon épée qui ne tient pas plus au fourreau qu’autrefois, je vous jure, et s’il faut se couper la gorge, je n’y vois pas d’inconvénient ; — mais j’ai soif… Francin Renard, apporte-moi un verre !

Le paysan obéit aussitôt.

Le chevalier se versa une rasade et tendit son verre à la ronde. Le vieux Carhoat et Prégent répondirent seuls à son toast.

Philippe et Laurent retirèrent leurs gobelets, en affectant de le regarder en face d’un air provoquant.

— À votre aise, mes jeunes messieurs, se contenta de dire le chevalier.

Puis il reprit en s’adressant au marquis :

— Mon vieux compagnon, voici trois ans bientôt que je ne me suis assis à la même table que vous. Depuis ce temps-là je n’ai pas fait fortune… et vous ?

Un nuage passa sur le front de Carhoat.

— Chaque jour apporte son pain, répondit-il ; — nous sommes plus pauvres que le plus pauvre sabotier de la forêt.

— Diable ! diable ! murmura le chevalier. — Ceci est fâcheux, monsieur le marquis… J’avais l’espérance de rentrer dans quelques petits prêts que j’ai eu l’honneur de vous faire autrefois… Mais ne parlons pas de cela puisque votre bourse est à sec. À Paris, d’où je viens, mon vieux camarade, j’ai entendu parler de vous ainsi que de ces beaux jeunes messieurs qui me regardent comme s’ils voulaient me dévorer. On dit là-bas que vous faites ce que vous pouvez, Carhoat, pour élever votre famille… On dit même que vous ne vous cassez point la tête à choisir vos moyens… Et que parfois, la nuit, au lieu d’être assis joyeusement comme aujourd’hui autour de cette table, vous grelottez sur les grandes routes, attendant quelque gibier au passage.

— Qui dit cela ? murmura rudement Philippe.

— Beaucoup de gens, répliqua le chevalier.

— Ces gens en ont menti… commença le jeune homme.

— La paix, Philippe, interrompit le vieillard. — Ces gens disent vrai, ajouta-t-il en s’adressant à Kérizat. — C’est vous qui m’avez donné la première leçon, mon camarade… Le métier n’est pas bon, et je vous attendais pour que vous m’en montriez un autre…

— Et, en attendant, répliqua le chevalier gaiement, — vous essayez votre imagination… Je vous ai entendu dans l’escalier, mon vieux compagnon, et je dois dire que vous avez eu, un peu tard il est vrai, une excellente idée. Oui, oui… les filles de ce vieux de Presmes, comme vous l’appelez avec raison, possèdent de quoi relever le noble nom de Carhoat… Mais c’est que j’ai à relever moi aussi, le pauvre nom de Kérizat… et vos jeunes gens n’ont pas l’air de vouloir m’admettre au partage.

— Soyez juste, Kérizat ! interrompit le vieillard qui semblait vouloir ménager son hôte et jouer le rôle de conciliateur. — Si mes filsaiment la comtesse…

Le chevalier éclata de rire.

— Vrai Dieu ! s’écria-t-il ; ces messieurs m’ont tout l’air de ne point soupirer trop langoureusement… J’ai entendu leur dispute et ce qui l’a précédée…

— Vous avez fait là, monsieur, dit Laurent, ce que vous ne deviez pas faire.

— Mon jeune maître, répliqua le chevalier, toujours courtois et souriant, — je sais que mon devoir était de frapper à votre porte et non point d’entrer ici à l’improviste comme un espion ou un voleur… Mais, outre que je vous connais bien assez pour n’avoir pas besoin de vous épier, je prétends qu’il faudrait être un larron bien insigne pour s’introduire dans votre cabane avec des idées de rapine… Je ne demande pas mieux, du reste que de vous fournir sur ce sujet, comme sur tous les autres, de loyales explications… Après le souper que m’a donné M. de Presmes, et durant lequel, soit dit sans vous offenser, j’ai eu le bonheur d’entretenir la comtesse Anne.

Laurent et Philippe dressèrent la tête en fronçant le sourcil.

— Ne vous fâchez pas ainsi par avance, mes jeunes maîtres ! interrompit le chevalier ; croyez-moi, je suis homme de bon conseil et de ressource ma venue fait votre partie plus belle, loin de la gâter… et avant qu’il soit un quart d’heure, nous allons nous entendre parfaitement.

Le vieux Carhoat emplit le verre de son hôte.

— Enfants, dit-il, comme s’il eût cru devoir s’excuser vis-à-vis de ses fils de ne point faire au chevalier un pire accueil, — voilà quinze ans que je connais Kérizat, et jamais je ne l’ai vu échouer en aucune entreprise je vous préviens que je ne me mettrai pas contre lui… et, quant à vous, le conseil que je vous donne est de le prendre plutôt pour soutien que pour adversaire.

— Qu’il s’explique, repartit Laurent de mauvaise grâce.

— Vous avez bien parlé, mon vieux camarade, dit le chevalier en tendant son verre. — Je vous disais, mes jeunes messieurs, ajouta-t-il en s’adressant aux trois frères, que monsieur mon ami de Presmes m’a accordé l’hospitalité et que j’ai pu entretenir ce soir sa charmante fille… Je suis pauvre, ma réputation à cet égard est presque aussi bien assise que la vôtre… Malgré la bonne amitié que me témoigne M. de Presmes, je me rends justice et je sais que demander la main de sa fille serait une inutile folie… En conséquence, j’avais pris le parti de l’enlever, et j’avoue franchement que je comptais sur vous, pensant que vous ne refuseriez point de me donner un coup d’épaule…

— Vous voyez que vous vous êtes trompé, interrompit Philippe.

— Du tout, mon jeune monsieur !… je vois seulement qu’il me faudra payer votre aide et rendre service pour service :… Mais laissez-moi poursuivre… En quittant Presmes, j’ai vu des choses qui me donnent à penser que nous ne sommes pas les seuls à prendre des voies expéditives pour en arriver à nos fins… Il y avait, Dieu me pardonne, des galants nocturnes sous le balcon de ces dames… j’ai vu deux hommes s’enfuir et une fenêtre se refermer.

Les figures des trois jeunes gens s’allongèrent.

— Il faut se hâter, murmura le vieux Carhoat, — sinon nous arriverons trop tard !

— Ça se pourrait bien, grommela Francm Renard qui dormait à demi dans un coin.

— Vous avez raison, mon vieux camarade, reprit Kérizat. — Il faut se hâter. Telle était déjà mon idée en enfilant l’avenue de Presmes pour me rendre auprès de vous… Je marchais vite, enveloppé dans mon manteau, et combinant un peu le plan de nos opérations ultérieures, lorsque j’ai entendu un pas très-distinctement derrière moi, dans le taillis… Quand je m’arrêtais, ce diable de pas s’arrêtait aussi… Quand je reprenais ma route, il faisait de même… Ce n’était point un écho, soyez sûrs… Si j’avais pu le voir, et lui mettre mon épée dans le ventre, ç’aurait été assurément le plus simple ; mais joignez donc un homme qui se cache, la nuit dans un taillis !… Vers le milieu de l’avenue, j’ai cessé tout-à-coup de l’entendre ; néanmoins, ma conviction, en arrivant au rocher de Marlet, était qu’il me suivait encore… Dans cette circonstance, entrer chez vous tout bonnement par la porte, c’était trahir une visite que nous avons, vous et moi, un intérêt égal à cacher…

— Pourquoi nous ? demanda Laurent d’un air incrédule.

— Parce que, mon jeune maître, répondit Kérizat, — si vous jouissez jamais d’une part du revenu de Presmes, ce sera par mon entremise… Au lieu donc de frapper à votre porte, j’ai monté le sentier du rocher ; j’ai gagné la plate-forme et je suis entré par le trou…

— S’il vous avait vu ?… dit le vieux Carhoat.

— Attendez donc !… je ne m’étais point trompé, il me suivait de près… À peine avais-je remis en place la bascule, que j’ai entendu des pas sur la plateforme… C’était très-divertissant !… il tournait, tâtait le roc avec son épée, et il disait : « Le malheureux sera tombé en bas du rocher ! » Je crois même qu’il a marmotté un De profundis à mon intention… Pendant cela, vous chantiez à tue-tête un Ann hini goz[1], comme de joyeux vivants que vous êtes… Et maintenant, messieurs, ajouta-t-il, — en s’adressant plus particulièrement aux jeunes gens, — mettons de côté toute discussion et occupons-nous des moyens d’arriver à notre but… Quand nous serons convenus de nos faits, il sera temps de régler la question de savoir qui d’entre nous épousera la comtesse Anne.

Il y avait dans la manière de dire du chevalier un accent de franchise irrésistible et un entrain qui ressemblait à de l’éloquence.

Laurent et Philippe gardaient encore une apparence hostile, mais le vieux Carhoat était convaincu, ainsi que Prégent, son second fils.

— À votre santé, Kérizat ! dit ce dernier. — J’ai toujours soutenu que vous étiez un bon compagnon… Quant à vous céder la comtesse Anne sans ferrailler un peu, je ne le promets point… mais si MM. de Carhoat se mettent contre vous, je vous promets de ne les point soutenir.

Le chevalier s’inclina gracieusement.

— J’espère, répliqua-t-il, que MM. de Carhoat comprendront mieux leur intérêt véritable… En tous cas, MM. de Carhoat sont les maîtres… J’ai vu en ma vie bien des rapières voltiger devant ma poitrine, — et me voilà.

Le chevalier rapprocha son escabelle de la table et prit un air sérieux.

— D’après ce que j’ai entendu de votre entretien, poursuivit-il, vous avez l’intention de faire une seconde fois le siège de Presmes… L’idée n’est pas absolument mauvaise… mais il y a toute une garnison dans ce diable de château… et je parierais dix contre un pour le vieux veneur, dans le cas d’une attaque de vive force.

— Vous perdriez, monsieur de Kérizat, interrompit Laurent. — Avec une trentaine de ces bons garçons qui boivent et qui chantent, tout le jour durant, au cabaret de la Mère-Noire, dans la rue du Champ-Dolent, je vous promets, moi, d’enlever les deux filles de Presmes, de casser le cou à toute sa valetaille de vénerie, et de mettre le feu au château par dessus le marché !

— C’est trop de trente, ajouta Philippe, moi, je n’en demande que vingt.

Le chevalier et le vieux Carhoat échangèrent un regard.

Celui du chevalier voulait dire :

— Ah ! Monsieur le marquis, que vous avez mal élevé votre famille !

Dans celui du marquis il y avait à la fois du dépit et de l’orgueil.

— Ah ! Kérizat, grommela-t-il, c’est que les enfants le feraient comme ils disent, voyez-vous !…

— Le château de Presmes, reprit le chevalier, — vaut six cent mille livres tournois… À vous parler franchement, mes jeunes messieurs, je ne vois point la nécessité de le brûler, puisqu’il fait partie de l’héritage de la comtesse… D’un autre côté, je veux bien admettre que vous êtes très-forts, très-braves et très-invincibles… mais il y a trois ans, nous étions une centaine de bons diables autour de Presmes, et vous savez si nous nous sommes brisé les dents sur ses vieilles pierres !

— Philippe et Laurent sont des fanfarons, dit Prégent. — À votre santé, chevalier !… Avez-vous un moyen de prendre le château, sans trop de fatigue, et du premier coup ?

C’est justement ce dont nous allons causer, répliqua le chevalier.

Laurent et Philippe devenaient involontairement plus attentifs.

— Messieurs de Carhoat, reprit Kérizat en s’adressant justement à eux, — avec vos vingt gaillards du Champ-Dolent, vous aurez ville gagnée, si vous pouvez surpendre Presmes… Mais si vous perdez votre temps à forcer la grille et briser les portes, fussiez-vous deux cents au lieu de vingt, vous serez culbutés… Je vous propose, moi, de vous introduire, sans encombre, et avant qu’il y ait un coup de donné, jusque dans le vestibule de Presmes.

— Bravo ! s’écria le vieux marquis, — voilà qui est d’un digne camarade Kérizat.

— Bravo ! répéta Prégent, — du diable si vous ne devez pas boire à la santé du chevalier, messieurs de Carhoat !

— Un instant, dit Philippe, — nous ne refusons pas de nous entendre avec M. de Kérizat… mais s’il ne nous introduit que pour retirer les marrons du feu et prendre la comtesse à notre barbe…

— Alors comme maintenant, messieurs, vous avez vos épées.

— Sans doute, sans doute, dit le vieux Carhoat : — mais au diable les épées, saint Dieu !… Buvons ferme et causons… Nous nous disputerons quand nous serons riches !

Il cligna de l’œil imperceptiblement en regardant Laurent et Philippe, comme s’il eût voulu leur faire entendre qu’il avait, lui aussi, une arrière-pensée.

Les deux jeunes gens, depuis quelques minutes, hésitaient entre leur rancune et leur intérêt. Ce regard sembla les décider.

— Eh bien, monsieur, dit Laurent, — il se peut que nous nous soyons trop avances… Je conviens que votre aide peut nous être fort utile… mais ne pourrions-nous, avant d’entrer en campagne, régler ce conflit qui s’est élevé entre nous et savoir d’avance à quoi nous en tenir.

— Monsieur le comte, répondit Kérizat, je suis heureux de vous voir en ces dispositions pacifiques… Nous allons revenir à ce sujet tout à l’heure. En attendant, achevons ce qui regarde l’expédition et prenons nos mesures… Je vous dirai tout d’abord que le temps presse… Ces braves garçons du Champ-Dolent, pouvez-vous les enrôler tout de suite ?

— Monsieur mon camarade, répondit le vieux Carhoat, ceci est la chose du monde la plus facile… Tout-à-l’heure, nous étions fort en peine, mais dans la position où nous vous retrouvons, cinquante ou cent écus doivent être pour vous une véritable bagatelle.

Le chevalier, pour toute réponse, frappa sur les poches de sa veste qui sonnèrent le creux.

— Ceci importe peu, reprit le vieux marquis en insistant ; — si votre bourse est vide, vous avez celle de M. de Presmes, et Dieu sait que celle-là est ronde !

Le chevalier secoua la tête.

— Il ne faut point compter là-dessus, répondit-il. — J’ai pris là-bas une position qui me fait le maître du château, mais qui me défend de laisser percer le bout de l’oreille… M. de Presmes me croit venu en Bretagne avec une mission de Sa Majesté pour apaiser les troubles du pays de Rennes.

Carhoat et Prégent éclatèrent de rire ; Laurent et Philippe ne purent eux-mêmes retenir un mouvement d’hilarité.

— Ce diable de Kérizat ! murmura le vieux marquis ; — quel pacificateur !

— Vous sentez très-bien, messieurs, reprit le chevalier, que cette qualité d’agent du roi m’impose une certaine réserve… En bonne conscience, Sa Majesté ne peut pas m’avoir envoyé en Bretagne sans me donner de quoi faire le voyage.

— C’est juste, dit Laurent qui se reprenait sans le savoir à être de bonne humeur, — mais comment faire ?… Un expédient, monsieur le chevalier !

Kérizat réfléchit durant quelques instants.

— Si je pouvais aller à Rennes, reprit-il, un tour de lansquenet ferait l’affaire… mais ce serait dangereux… et, à l’occasion, je dois vous dire, messieurs, que, par respect pour le service du roi, mon patron actuel, j’ai mis de côté le nom de Kérizat, pour m’appeler tout simplement le chevalier de Briant…

— On s’en souviendra, dit le marquis.

Le chevalier réfléchit encore et poursuivit tout à coup :

— C’est misérable, d’attaquer un ami pour cent écus ! sans cela je vous indiquerais bien une aubaine…

— Indiquez ! indiquez, s’écrièrent à la fois les quatre Carhoat.

Et Philippe ajouta :

— On n’est pas forcé de ne prendre que cent écus, s’il y en a davantage.

Le chevalier parut hésiter durant quelques instants.

— Bah ! s’écria-t-il enfin, nous n’avons pas le choix !… Et puis, en définitive, c’est agir en bons citoyens… Notre équipée va peut-être épargner à la Bretagne les horreurs de la guerre civile… Voici ce dont il s’agit… monsieur le chevalier de Talhoët a dû quitter Paris deux jours après moi, porteur de certaine correspondance que les princes entretiennent encore avec les mécontents du pays… Sa valise, je vous le certifie, contient bon nombre de pièces d’or… Il n’a qu’un seul valet à cheval… et, si je ne me trompe, il devra traverser la forêt demain dans la soirée.

— Eh bien ! s’écria le vieux Carhoat, j’aimerais mieux mettre à contribution tout autre qu’un Breton de la vieille roche… mais, après tout, nous ne sommes plus, nous autres, ni pour le roi ni pour le parlement… Le chevalier de Talhoët payera les bons garçons du Champ-Dolent…

Il y avait bien longtemps que la porte conduisant à la ferme de Marlet et par où la vieille Noton Renard avait passé tant de fois cette nuit, restait immobile.

Noton était couchée, et son mari, Francin, sommeillait dans un coin sur son escabelle.

Au moment où le chevalier avait prononcé le nom de M. de Talhoët, la porte remua doucement comme si le vent l’eût poussée.

Mais ce n’était point le vent, puisque la porte entrebâillée, au lieu de retomber, continua de tourner imperceptiblement sur ses gonds.

Au bout de quelques secondes, derrière le battant entr’ouvert, et dans le demi-jour qui éclairait cette partie reculée de la pièce souterraine, apparut un gracieux visage d’enfant, aux traits angéliques et souriants, autour desquels jouaient les anneaux mêlés d’une blonde chevelure.

L’enfant avança doucement la tête. Son regard était sans défiance et n’exprimait que l’innocente curiosité de son âge.

À la vue des figures empourprées des convives, il fit un geste comme pour s’enfuir, mais, en ce moment, il reconnut son père et ses frères, et dans ses grands yeux vint se peindre un étonnement naïf. — Il resta.

  1. Le plus populaire de tous les chants bretons. C’est une naïve satire qui prouve que l’amour de l’or est aussi développé chez les gars en sabots du Finistère que chez nos dandys calculateurs du boulevard de Gand. Un seul couplet, traduit mot à mot, résumera ce chant. Le don Juan armoricain veut faire une fin et dit :

    La jeune est bien jolie :
    La vieille a de l’argent ;
    La vieille est mon amie,
    Ah ! oui vraiment.