Frérot et Sœurette
Kinder und hausmärchen, volume 1, Dieterich, , 1 (p. 57).
Frérot et Sœurette
Frèrot prit sa sœurette par la main et lui déclara :
« Depuis que notre mère est morte nous n’avons plus de bon temps ; notre marâtre nous frappe chaque jour, et lorsque nous nous approchons d’elle, elle nous chasse d’un coup de pied. Les dures miettes de pain qui nous sont laissées sont notre pitance, même le chien sous la table se porte mieux que nous : elle lui lance parfois quelques bons morceaux. Que Dieu nous prenne en pitié, si notre mère l’eût su ! Viens, partons à la découverte du vaste monde. »
Quand vint le jour, ils allèrent par champs, prairies, carrières et lorsqu’il plut, sœurette déclara : « Dieu et nos cœurs pleurent ensemble ! »
Le soir, ils arrivèrent dans une grande forêt et étaient si fatigués de gémissements de faim et du long chemin, qu’ils s’assirent et s’endormirent dans le creux d’un arbre. Le lendemain, lorsqu’ils s’éveillèrent, le soleil était déjà haut dans le ciel. Frèrot dit :
« Sœurette, j’ai soif, si je connaissais une source, j’irais m’y désaltérer ; je veux dire, je pense que j’en entends une gargouiller. » Frèrot se leva, prit la main de sa sœur et ils partirent à la recherche de la source. Mais la cruelle marâtre était une sorcière et avait bien vu que les deux enfants étaient partis et elle s’était faufilée à leurs trousses ainsi que les sorcières se faufilent et avait ensorcelé toutes les sources de la forêt.
Lorsqu’ils eurent trouvé la petite source, qui scintillait en frappant la roche, Frèrot voulut s’y désaltérer : mais sœurette perçut un murmure qui lui disait ;
« Qui boit de mon eau, sera transformé en tigre, qui boit de mon eau sera transformé en tigre ! » Sœurette cria alors ; « Je t’en prie Frèrot, ne boit pas sinon tu seras transformé en animal féroce et tu me pourrais me déchiqueter ! » Frèrot ne se désaltéra point, bien qu’il eut une grande soif et déclara :
« J’attendrai jusqu’à la prochaine source ! »
En arrivant à la seconde source, sœurette entendit aussi comment celle-ci parlait ;
« Qui boit de mon eau, sera transformé en loup, qui boit de mon eau sera transformé en loup ! » Alors Sœurette supplia ; « Frèrot, je t’en prie, ne bois pas, sinon tu seras transformé en loup et tu me mangerais ! » Frèrot ne se désaltéra point, et déclara :
« J’attendrai jusqu’à la prochaine source mais là je devrai boire, tu pourras dire ce que tu voudras, ma soif est trop grande ! »
Et lorsqu’ils arrivèrent à la troisième source, Sœurette entendit murmurer :
« Qui boit de mon eau deviendra un chevreuil, qui boit de mon eau deviendra un chevreuil. » Sœurette implora ;
« Ah, Frèrot, je t’en prie, ne bois pas, sinon tu seras transformé en chevreuil et tu t’enfuiras ! » Mais, Frèrot n’eut pas tôt fait de s’agenouiller, de se pencher et de boire à la source qu’il fut à la première goutte, transformé en chevreuil.
Sœurette fondit en larmes après la transformation de Frèrot tandis qu’en pleurant le chevreuil vint s’assoir tristement près d’elle. La fillette confia enfin ;
« Calme, cher Chevreuil, jamais je ne te quitterai. » Puis elle dénoua le ruban doré de ses soquettes et le lui mit autour de l’encolure, arracha quelques joncs les tressa pour en faire une cordelette qu’elle attacha à l’animal puis le guida plus profondément dans la forêt. Lorsqu’ils eurent marché longuement, très longuement, ils parvinrent à une maisonnette, la fillette regarda à l’intérieur, et comme elle était vide, elle pensa :
— « Ici, nous pourrons nous installer et habiter ! » Puis elle alla ramasser de la mousse des feuille pour lui préparer une litière.
Chaque matin elle sortait et rapportait des racines des baies et des noisettes et pour le chevreuil, elle ramenait de l’herbe fraîche et grasse qu’il lui mangeait dans la main, c’était un plaisir et il jouait autour d’elle. Le soir, lorsque sœurette était fatiguée et après avoir dit ses prières, elle posait sa tête sur le dos du chevreuil, cela faisait comme un coussin sur lequel elle pouvait paisiblement s’endormir. Si seulement Frèrot avait eu une apparence humaine, ç’aurait été une vie magnifique.
Ils restèrent isolés très longtemps.
Lorsqu’il advint que le roi de ce pays entreprit une grande chasse dans la forêt. Les cors se mirent à retentir, les chiens à aboyer et les cris joyeux des chasseurs à se répandre.
Le chevreuil les entendant ressentit l’envie d’en être aussi.
« Hélas ! » dit-il à sœurette, « laisse moi y aller aussi, je n’en puis point tenir » et la pria jusqu’à ce qu’elle s’y résolût.
"Mais, lui dit-elle, revient à moi ce soir, car avec ces chasseurs sauvages, je m’enfermerai ; et pour que je puisse te reconnaître, frappe et dit :
— « Chère sœurette, laisse moi entrer ; et si tu ne me répète pas cela ainsi, je n’ouvrirai pas la porte. »
Alors le chevreuil bondit et s’égaya joyeusement dans la nature.
Le roi et ses chasseurs voyant le bel animal se mirent à sa poursuite, mais ne purent l’encercler, et lorsqu’ils pensèrent y être parvenus, il bondit et disparut dans les taillis et disparut.
Lorsque la nuit fut venue, il s’en retourna à la maisonnette, et frappa à la porte en déclarant :
« Chère Sœurette, laisse moi entrer ! » Alors la porte s’ouvrit, et il s’engouffra à l’intérieur et se reposa toute la nuit sur une couche douillette. Au petit matin la chasse reprit et lorsque le chevreuil entendit le son du cor et les ho ho ! des chasseurs il ne tint plus en place et demanda :
— « Chère Sœurette, ouvre moi, je dois sortir. » La sœur ouvrit la porte et lui redit :
— « Mais ce soir, tu devras de nouveau être là et prononcer la phrase convenue. »
Quand le roi et ses chasseurs virent le chevreuil et sa chaîne en or, ils se mirent à sa poursuite, mais il était trop preste et agile. Cela dura tout le jour, enfin le soir, les chasseurs le cernèrent et l’un d’eux le blessa légèrement à la patte. Il s’échappa en boitant. Un des chasseurs réussit à le suivre jusqu’à la maisonnette et entendit comment il s’annonçait :
— « Chère Sœurette, laisse moi entrer ! » et vit comment la porte s’ouvrait pour se refermer brusquement sur lui. Le chasseur ayant bien tout compris se rendit chez le roi et lui raconta ce qu’il avait vu et entendu. Le roi dit alors :
— « Demain nous chasserons à nouveau ! »
Mais Sœurette s’effraya lorsqu’elle vit que son frère était blessé. Elle essuya le sang et le pansa avec des herbes et lui dit :
— « Vas sur ta couche, cher chevreuil, afin que tu guérisses vite. »
La blessure était si légère qu’au lendemain, le chevreuil ne ressentait plus rien. Et quand il entendit dehors la chasse reprendre, il déclara :
— « Je ne peux plus tenir, il faut que j’y sois, et personne ne pourra m’avoir. »
Sœurette fondit en larmes et dit :
—"Ils vont te tuer et je resterai, ici, seule dans la forêt, abandonnée du monde, je ne te laisserai pas sortir.
— « Et je mourrai d’ennui » répondit le chevreuil, « quand j’entends le son du cor, je dois sauter dans mes bottes ! » Alors Sœurette ne put rien n’y faire et referma la porte sur lui avec le cœur gros. Le chevreuil en pleine forme, bondit joyeusement vers la forêt.
Lorsque le roi l’aperçut, il ordonna à ses chasseurs :
— « Poursuivez le tout le jour, jusqu’à la nuit, mais sans le blesser. »
Quand le soleil eut disparu sous l’horizon, le roi demanda à son chasseur,
—"Maintenant, montre moi la maisonnette dans le bois.
Quand il fut devant la petite porte, il frappa et annonça :
« Chère Sœurette, laisse moi entrer. »
La porte s’ouvrit alors et le roi entra, devant lui se tenait debout une jeune fille d’une beauté telle qu’il n’en avait jamais auparavant. La jeune fille était effrayée lorsqu’elle vit que ce n’était pas le chevreuil mais un homme qui était entré, et qui portait une couronne d’or sur la tête. Mais le roi était amical, elle lui tendit la main et proposa :
— « Veux tu venir avec moi au château et devenir mon épouse ? »
— « Oui, répondit la jeune fille, mais le chevreuil devra venir aussi, je ne veux pas le laisser. »
— « Il pourra rester près de toi, aussi longtemps que tu vivras et rien ne lui manquera. »
Là dessus, le chevreuil bondit dans la maison, Sœurette lui passa la laisse, et ensemble ils quittèrent la maisonnette…
Le roi prit la belle jeune fille sur son destrier et la mena en son château, où les noces furent fêtée en grandes pompes, elle était maintenant la Reine, et ils vécurent de longues années de plaisir ensemble ; le chevreuil était entretenu et soigné, il bondissait ici et là dans le parc du château…
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