Fragments (Salluste)
Collection des auteurs latins, Firmin Didot, , 15 (p. 131-145).
FRAGMENTS.
DISCOURS DU CONSUL M. .«MILIUS LEPIDUS
AU PEUPLE BOMilN COSTBE SÏLL.l (().
M. .^îrniliiis Lcpidus , pire du triumvir L( ?pidc, avait été édilt’ sous le septième consulat de Marius. 11 passa plus tai’d dans le parti de Sylla et s’y fit remarquer par i ardeur avec laquelle il achetait les biens des proscrits. En 675 il fut désigné consul, avec l’aide de Pompée, et nialgi’é l’opposition de Sylla, alors encore dictateur, ilais des que celui-ci eut alidiqué, Lépidus travailla à recomposer l’ancienne faction de Jlarius. Il ambitionnait la puissance de Sylla, mais n’avait rien de son g’iiic : c’était un homme léger, turbulent, ayant phis de ruse que de prudence, et sans aucun talent militaire. — De Brosses pense que ce discours fut adressé par Lépiilus à ses partisans qu’il avait assembles en secret ; et, selon cet écrivain, le titre ait peuple romain aurait été ajouté par une main moderne : mais rien ne justifie cette supposition. Au reste, il parait qu’à cette époque Sylia, bien que rentré dans la vie privée, était encore tout puissant par ses satellites, auxquels il avaitconlié la plupart des niagislratures.
Romains, votre clémence et votre prol)ilé, auxquelles vous devez chez les nations clrangères votre gfaiideur et votre gloire , ne me font que redouter davantage la tyrannie de Sylfa. Je crains qu’en vous refusant a croire les :i !itres capables d’actions qui vous paraisseiit ciiuincllcs, vous ne vous laissiez surprendre, alors surtout qu’il s’agit d’un homme qui n’a d’espiiir que dans le crime et dans la |>erfidie , et qui ne peut s’estimer en sûreté qu’en se montrant méchant et déleslahle au delà de vos craintes, atin de vous ôter, par l’excès de vos maux, à vous ses esclaves, jusqu’au souci de voire liberté : ou . si vous êtes sur vos gardes , je ci ains que vou.î ne soyez plus occupés à vous garantir de ses atleLtals qu’à vous en venger. Ses satellites, des hommes d’un grand nom et illustrés par les belles actions de leurs ancêtres, ce dont je ne puis assez iî ; étonner , achètent par leur propre servitudi> lô droit de vous tyranniser ; ils préfèrent cette double abjection a l’exercice d’une liberté légitime. Glorieux rejetons des Brutus , des yEtuiiiUs, des Lutatius , enfantés pour détruire ce que k’urs ancêtres avaient édilié par leur valeur ! Car enlin , que prétendions -nous défendre coittro Pyrrhus, et Annibal, et Pliilippe, et Antioilius, sinon la liberté, nos foyers à cliacuii, et le liroit le n’obdir qu’aux lois ? Tous ces biens, ce cruel Uomulus les relient comme s’il les avait ravis à des étrangers. Ni le sang de tant d’armées, ni la mort d’un consul et de nos premiers citoyens qui furent moissonnés par la guerre , ne l’ont rassasié ; loin de là , sa cruauté s’accroît dans la prospérité qui, d’ordinaire, change la fureur en compassion. Que dis-jel il est le seul, de mémoire d’homme, qui ait prononcé des supplices contre des enfants qui n’étaient pas encore nés (2), et qui ainsi connurent l’Injustice avant d’être assurés de l’existence ; et maintenant , protégé par l’atrocilé même de ses crimes, il se livre à ses fureurs ; tandis que vous , par crainte de voir s’appesantir votre joug, vous n’osez ressaisir la liberté. Il faut agir , il faut le prévenir , Romains , si vous ne voulez pas que vos dépouilles lui appartiennent à jamais. Il n’est plus temps de différer , ni de demander des secours aux dieux ; a moins, peut-être , que vous n’espériez qu’un jour , par dégoût ou par honte de la tyrannie, il n’abdique, h ses risques et périls , un pouvoir usurpé par le crime. Mais, au point où il en est, il n’y a pour lui rien de glorieux que ce qui est sûr, rien d’honorable que ce qui peut maintenir sa domination. Ainsi donc ce repos, ce loisir avec la liberté, que tant d’honnêtes citoyens préféraient aux honneurs, au prix du travail, n’existent plus. Aujourd’hui, Romains, il faut servir ou commander, trembler ou se faire craindre.
En effet, sur quoi comptez -vous encore ? Quelles lois humaines vous restent ? et parmi les lois divines, lesquelles n’ont pas été violées ? Le peuple romain, naguère l’arbitre des nations, maintenant dépouillé de sa puissance , de sa gloire, de ses droits, n’ayant pas de quoi vivre, Qu<B cuncta sœvus iste Romulus, quasi ab externis rapta, tenet : nontotexerciluuinclade.ncquc consulis etaliorum principuin , <|uos forluna belli consumserat, satiatus ; sed tum crudelior, quum plerosque secundae rcs inniiserationcm ex ira vertunt. Quin solus omnium, post raeraoriamliominum, supplicia in post futuros composuit, quis prius injuria, quam vita cerla esset ; prarissuraeque per sMieris irainanitatem adhuc tutus furit , dum vos , melu gravioris servitil , a repetunda liberlate terrenrini.
Agendura atque ebviam eundum est, Quirites, ne spolia veslra pênes illum sint ; non |>rolatanduni, neque votls paranda ausilia ; nisi forte speralis, per tœdiuni jara aut pudorem tvrannidis, esse eum per scelus occupata periculosius dimissurum. At illc oo processif, uli nihil gloriosum, nisi tuluni, et omnia letinendce dominatioais bonesta esistumet. Ilaqueilla qiues et otium cum liberlate, ipiie multi probi potins, quam laborem cum bonoribus, capessebaul, uulla suât. Hac tempestate serviuDdum.aut imperitandum ; habendusnietus, aut faciundus, Quirites. Piam quid ultra ? qua :ve huniana suncrant, aut diviua méprisé , manque même des aliments qu’on donne aux esclaves (3). Une grande partie de nos alliés et des habitants du Latium, à qui, pour tant de glorieux services, vous aviez accordé le droit de cité , en sont privés par le caprice d’un seul homme ; et quelques sicaires ont envahi l’héritage d’un peuple paisible, pour se payer par-là de leurs crimes. Lois, jugements, trésor public, provinces, royaume, tout, jusqu’au droit de vie et de mort sur les citoyens, tout est dans les mains d’un seul ; et vous avez vu aussi des victimes humaines, et les tombeaux souillés de sang romain (4).
Que vous reste-t-il, si vous êtes des hommes, sinon de vous affranchir de l’oppression ou de mourir avec courage ? Car enfln la nature a prescrit à tous les hommes , même a ceux que protègent mille glaives , un terme fatal ; et, à moins d’avoir un cœur de femme , nul n’attend le dernier coup sans rien oser pour sa défense. Mais, au dire de Sylla, je suis un séditieux, parce que je me plains des récompenses accordées aux fauteurs des troubles ; je suis un ami de la guerre , parce que je réclame les droits de la paix. C’est-à-dire, sans doute, que vous ne trouverez dans l’empire ni bien-être ni sûreté , à moins que le Picentin Vettius et le greffier Cornélius ne puissent dissiper follement les biens acquis légitimement par autrui ; à moins que vous n’approuviez les proscriptions de tant d’innocents dont les richesses ont fait le crime, les exécutions des personnages les plus illustres , Rome dépeuplée par l’exil et le meurtre , et les biens des malheureux citoyens donnés ou vendus à l’encan comme le butin pris sur les Cimbres.
Mais Sylla m’objecte que je possède des biens des proscrits. Ali ! c’est I» ftii effet le plus grand de ses crimes qu’il n’y ait eu, ni pour moi , ni pour personne, de sAretû a n’écouter que la justice. Et cependant, ces biens qu’alors j’ai achetés par crainte, que j’ai payés , j’offre de les rendre à leurs légitimes maîtres , et ne veux pas qu’il soit rien gardé par personne de la dépouille des citoyens.
C’est bien assez d’avoir supporté les maux qu’ont engendres nos fureurs ; c’est bien assez d’avoir vu les aimées romaines en venir aux mains, et tourner contre nous-mêmes les armes destinées à l’ennemi. Il est temps que tous ces crimes , que tous ces égarements aient une fin ; encoreque Sylla, loin de s’en repentir, les compte parmi ses titres de gloire, et qu’il soit prêt, si vous le lui permettez , à recommencer avec plus d’emportement.
Et ’a présent ce n’est plus sur l’opiuion que vous avez de lui, mais sur ce que vous pouvez avoir d’audace, que j’ai des doutes. Je crains qu’en attendant tons que l’un de vous donne l’exemple, vous ne vous laissiez surprendre, non par ses forces, qui sont peu considérables et bien affaiblies , mais jiar votre mollesse , dont il lui est si facile de proliter, pour monlrtr au monde qu’il n’a pas moins de bonheur que d’audace. Eu effet, excepté quelques satellites couverts de honte, qui est de son parti ? ou bien qui ne désire de voir tout changer, hormis la victoire ? Seraient-ce les soldats qui ont payé de leur sang les richesses d’un Tarrula, d’un Scyrrus, les plus pervers des esclaves ? Sont-ce les citoyens auxquels on a préféré, pour les magistratures, un Fusidius, un infâme prostitué, l’opprobre de tous les honneurs ?
Je place donc la plus entière confiance dans une armée victorieuse , à qui tant de blessures et de travaux n’ont valu qu’un, tyran. A moins, peut-être , que nos soldats n’aient pris les armes que pour renverser cette puissance tribuniticunc , fondée par leurs ancêtres, et pour s’enlever à eux-mêmes leurs droits avec leurs tribunaux : dignement payés, sans doute, lorsque, relégués dans les marais et dans les bois, ils verront que l’ignominie et la haine sont pour eux , et les récompenses pour une poignée d’hommes.
Pourquoi donc marche-t-il toujours avec un si nombreux cortège, et avec tant d’assurance ? C’est que la prospérité est pour les vices un voile merveilleux ; mais, qu’un revers survienne, et autant il était craint auparavant, autant il sera méprisé. Peut-être aussi compte-t-il sur ces prétextes de concorde et de paix dont il colore sou crime et son parricide ; car , à l’entendre, nous ne verrons la Un des troubles que quand les plébéiens seront chassés des terres qu’ils possitHent, inhumainement dépouillés par leurs concitoyens, et qu’il aura en son pouvoir les lois , les tribunaux et tout ce qui a jadis aiipartenuau peuple romain. Mais , si c’est là ce que vous entendez par les mots de paix et de concorde, approuvez donc lo bouleversement et la destruction de la république ; souscrivez aux lois qu’on vous impose ; acceptez le repos avec la servitude , et montrez h la postérité comment on pourra asservir les Romains par le sang même qu’ils auront versé. Pour moi , bien que la dignité suprême dont je suis révolu siifflse h raa tonsidéralioii et même à nia sûreté, je n’ai pas rintenlion de séparer mes intérêts des vôtres ; et la liberté avec ses périls m’a semblé préférable "a la paix dans Tesciavage. Si vous pensez comme moi, levez-vous, Romains, et aveele secours des dieux , suivez M. jEmilius, votre consul, voire chef, qui veut vous meucr reconquérir la liberté.
DISCOURS DE L. PHILIPPE CONTRE LÉPIDUS (5).
Cette harangue ne fut pas prnr.ouct’e inimcdiatement après celle qui précède. 11 faut la rapporter à l’époque où Catulus, consul avec Lépidus, s’opposait de toutes ses fdfces aii entreprises do ce dernier, et où le sénat leur avait r.rilonné à tous les deux de se rendre au plus tôt fheeun dans sa province, après avoir pris d’eux le serment de ne pas se faire la guerre l’un à l’aulre. ÎSéanmoins , i.épidus élait allé en Élrurie, et, après y avoir compose une armés des débris de la faciion de Marius, s’était avancé jusque sous les murs de Home. Repoussé par Catulus et Pompée, il était retourné en Elrurie où il avait levé d’autres troupes, et se préparait de nouveau il marcher sur Rome en demandant un second consulat. C’est alors (en 677, Tcrs la fin de janvier) (|uc L. Philippe aurait prolioncé ia harangue qu’on va lire. Lu sénalus-consuUe fut rédigé conformément à son avis. Catulus, alors proconful, allaiiua Lépidus eu Elrurie ; et celui-ci, vaincu, se réfugia en Sardaigne où il mourut.
Je voudrais avant tout, pères conscrits, voir la république tranquille, ou du moins, dans ses périls, les plus braves citoyens courir h sa défense ; je viiulrais voir les entreprises coupables tourner contre leurs auteurs. Mais, loin de là, tout est en proie à des séditions qu’ont excitées ceux l’a même qui devaient le pins les cmpijelier ; et, ce qui est le coiiible, c’est que les liiwumes vertueux et sages soat forcés d’exécuter les mesures prises par USTE.
les plus détestables insensés. Ainsi, malgré votre éloigiiemeut pour la guerre, il vous faut cependant prendre les armes, parce que tel est le bon plaisir de Li’pidus ; à moins que, par hasard , on ne soit disposé à lui laisser !a paix en lui permeltant la guerre. Grands dicnx, qui gouvernez encore celte ville, mais qui avez cessé de veiller sur elle (6)1 quoi ! M. ^milius, le dernier des scélérats, lui dont on ne saurait dire s’il rst plus lâche que méchant , est à la tète d’une armée pour opprimer la liberté ; de méprisé qu’il élait, il est devenu redoutable : et vous, sénateurs, contents de murmurer et de flotter irrésolus, pleins de confiance dans les paroles et les prédictions des augures, vous aimez mieux souhaiter la paix que la défendre ; et vous ne voyez pas (]ue la mollesse de vos décrets vous fait perdre toute dignité et à lui toute crainte. Au reste cela est juste ; puisque ses rapines lui ont valu le consulat, et la sédition une province avec une armée, qu’aurait-il gagné h vous bien servir , lui dont vous avez si bien récompensé les crimes (7) ?
Mais, sans doute, ceux qni, jusqu’à la fin, n’ont fait que voter des ambassades, la paix, la concorde , et autres choses semblables , auront trouvé grâce devant lui ? Loin de là , il les méprise, ne les juge pas dignes d’être des hommes publics , et ne voit en eux qu’uue proie, parce qu’ils redemandent la paix aussi lâchement qu’ils l’ont perdue.
Pour moi , dès l’origine , voyant l’Etruric soulevée, ses proscrits rappelés, et la république dévorée par de folles largesses, je pensais qu’il fallait se hâter , et je suivis avec un petit nombre l’avis de Catulus. Au reste , ceux qui vantaient les services do la famille Émilienne, et qui prétendaieut que le peuple romain devait son agrandissement à la clémence, disaient aussi que Lépidus n’avait pas encore remué, lorsque, de si m autorité privée, il avait déjîi pris les armes pour opprimer la liberté ; et tous, en secliercbant des prolecteurs ou des appuis, ont perverti l’esprit public. Cependant Lépidus n’était alors qu’un brigand qui n’avait sous ses ordres que des valets d’armée cl quelques sicaires, tous prêts à donner leur vie pour une journée de paie. Aujourd’hui c’est un proconsul revêtu d’un commandement , non plus acheté (8) , mais conféré par vous ; il a des lieutenants que la loi oblige à lui obéir. En outre, vers lui sont accourus les hommes les plus corrompus de chaque ordre , enflammés par l’indigence et par leurs passions, tourmentés par la conscience de leurs crimes, pour qui il n’est de repos que dans les séditions , et de troubles que dans la paix. Ces gens-là font naître le désordre du désordre et la guerre de la guerre : autrefois satellites de Saturninus , ensuite de Sulpicius, puis de Marins et de Damasippe , maintenant de Lépidus.
Que dis-je ? l’Étrurie et tout ce qui reste des partisans de la guerre lèvent dt^a la tête ; les Espagues sont excitées à la révolte , et Mitbridate, sur les frontières des seuls peuples dont les tributs alin)entent encore notre trésor, épie le moment de la guerre ; enûn , hormis un cl’.ef habile, rieu ne manque pour bouleverser l’empire.
Je vous en prie, je vous en conjure, pères conscrits, faites-y attention ; ne souffrez pas que la licence du crime atteigne comme une rage contagieuse ceux qui y ont échappé jusqu’ici. Car , lorsque les récompenses appartiennent aux méchants, on a bien de la peine à rester gratuitement homme de bien.
Attendez-vous donc que , reparaissant avec une armée, Lépidus envahisse Rome, le fer et la flamme à la main ? Il y a beaucoup moins loin da l’état actuel des choses "a cet attentat, qu’il n’y avait de la paix et de la concorde ’a la guerre civile qu’il a commencée contre toutes les lois divines et humaines, non pour venger ses injures ou celles de ses prétendus amis, mais pour renverser le» lois et la liberté. En effet, l’ambition et la crainte du châtiment le tourmentent et le déchirent ; irrésolu, inquiet, ne sachant s’arrêter "a rien, il craint le repos, il redoute la guerre ; il se voit contraint de renoncer ’a son luxe , à ses dissolutions ; et , en attendant , il abuse de votre indolence.
Pour moi , je ne saurais dire si c’est de voire part crainte, faiblesse ou folie ; car chacun do vous , ce me semble , demande à n’être pas atteint des maux qui vont tomber sur nous comme la foudre ; mais, pour les écarter, aucun ne fait le moindre effort. Et, je vous prie, considérez combien la nature des choses est changée. Autrefois les complots se tramaient en secret , et on les réprimait ouvertement ; et alors les gens de bien déjouaient les méchants sans peine : aujourd’hui la paix et la concorde sont troublées à ciel ouvert, et l’on se cache pour les défendre ; les amis du désordre sont en armes, et vous dans la crainte.
Qui vous arrête ? à moins peut-être qfio vous n’ayez hocle ou regret de bien faire. Seriez-vous ébranlés par les injonctions de Lépidus , qui veut , dit-il, qu’on restitue "a chacun son bien, et qui retient celui d’autrui ; qu’on abroge les lois dictées par la violence, et qui nous le commande les armes à la main ; qu’on rende leurs droits aux citoyens , qui , selon lui , ne les ont point perdus, et que, pour ramener la paix, on rétablisse en faveur du peuple celte puissance tribuaitienDe par laquelle ont été allumées toutes nos discordes ?
le plus mccliaDt et le plus impudent des honuncs ! la misère et les larmes de les conciloyens pourraient -elles le toucher, loi qui ne possèdes rien dans la patrie que tu ne doives à la violence ou a l’injustice ? Tu brigues un second consulat , comme si lu l’étais démis du premier : lu prétends rétablir la concorde par les âmes ; nous l’avions, et c’est toi qui l’as détruite ! Traître envers nous, infidèle ’a les complices, ennemi de tous les gens de bien , tu te joues des hommes et des dieux offensés par les perfidies ou par tes parjures ! Eli bien ! puisque tel est ton caractère, persévère dans ta résolution , et ne dépose point les armes, je t’y engage , de peur qu’en suspendant les entreprises séditieuses. Ion humeur inquiète ne nous tienne sans cesse en alarmes. Ni les peuples , ni les lois , ni les dieux ne te veulent pour citoyen. Continue comme tu as commencé, aûn /le trouver au plus tôt la récompense qui l’est due.
Mais vous, pères conscrits, jusques à quand par vos délais laisserez-vous la république sans défense , et n’opposerez- vous aux armes que des paroles ? Des troupes ont été levées contre vous ; de l’argent a été enlevé de force au trésor et aux particuliers ; on a placé et déplacé des garnisons ; on impose arbitrairement des lois ; et cependant vous préparez des députations et des décrets I Mais, croyez-moi, plus vous demanderez la paix avec instance, plus la guerre sera poussée avec ardeur, car notre ennemi verra bien qu’il est plutôt protégé par votre crainte que par votre amour de la justice (9). Alléguer l’horreur des troubles et de la guerre civile, pour qu’en présence de Lépidus en armes vous restiez désarmés , c’est vouloii- qut vous vous soumettiez d’avance au sort des vaincus quand vous pouvez l’iuOiger à d’autres : et c’est ainsi qu’en vous conseillant la paix avec lui, un lui conseille la guerre contre vous.
Mais si ces conseils vous plaisent , si vous êtes plongés dans un tel engourdissement qu’oubliant les crimes de Cinna, dont le retour ’a Kome avilit à jamais notre ordre , vous vous livriez encore ù Lépidus avec vos épouses et vos enfants, qu’avez-vous besoin de décrets ? pourquoi recourir "a Catulus ? C’est en vain que lui et d’autres gens de bien veillent au salut de la république.
Conduisez-vous a votre gré ; ménagez-vous le patronage de Céthégus et des anlres traîtres qui brûlent de recommencer les (lillagcs, les incendies, et de s’armer de nouveau contre nos pénales. Mais si la liberté et la guerre vous paraissent préférables , prenez des résolutions dignes de voire gloire, et relevez le courage des braves citoyens. Vous avez pour vous une armée nouvelle ; do plus , les colonies des vétérans , toute la noblesse , et les meilleurs généraux. La fortune se range toujours du parti des gens de bien ; bientôt ces forces, que notre indolence a rassemblées, se dissiperont.
Voici donc mon avis : puisque Lépidus a de son autorité privée levé une armée , composée de scélérats et d’ennemis de la république, et qu’à sa tète, au mépris de vos décrets, il s’avance vers Rome ; je propose qu’Appius Claudius, inter-roi, avec le proconsul Q. Catulus et les autres magistrats en exercice, soient chargés de la sûreté de la ville , et veillent ’a ce que la république ne reçoive aucuu dommage.
LETTRE DE CN. POMPEE AU SÉNAT(1O).
L’aa6"9, sons le consulat de C.Cotta et de L.Octa^’ius, le lik’ manqua à Rome et l’on fut obligé d’employer à l’approvisionneniont de la ville l’argent destiné à Métellus chargrdcla guerre d’Espagne. Il parait que Pompée, qui eorninandait aussi une armée en Espagne, ne reçut pas plus de secours (|ue son coll’-Rne Métellus. L’année suivante, il sévit absolument sans ressources, sans vivres et sans argent. Aprésavoir, à plusieurs reprises cl sans succès, prie le sénat de venir à son aide, Pomix’c finit par lui écrire cette lettre dans laquelle il le menace assez clairement de revenir en Italie avec son armée. Cette menace effraya d’aillant plus le peuple que l’on craignait queSertorius ne vint à la suite de Pompée : aussi se hâla-tH)n d’accorder à ce dernier tout ce qu’il avait demandé.
Si c’était on coniijallant contre vous , contre la patrie et les dieux pénates, que je me fusse exposé "a toutes les fatigues, h tous les périls au prix desquels j’ai , dés ma première jeunesse , dis|iersé vos ennemis les plus coupables et assuré votre salul, vous n’auriez pas , pères conscrits, fait pis conlre moi en mon absence, que vous ne faites maintenant ; car, après m’avoir jelé, malgré mon âge (II), au milieu dos dangers d’une si rude fiMorre, vous me condamnez, autant qu’il est en Vous, avec mon armée, qui a si bien méiilédc la patrie, a mourir de la plus cruollc mort, ii nmurir de faim. Est-ce dans cot espoir que le peuple romain a envoyé ses enfants à la guerre ? Esl-ce la la récompense de nos blessures , et de tant de sang versé pour la républiiiuo’ !* Fatigué d’écrire et d’envoyer des messages , j’ai épuisé loutes mes ressources, toutes mes espérances personnelles, tandis que vous, dans un espace de trois ans , vous nous avez donné à peine la subsistance d’une année. Par les dieux immortels ! pensez-vous que je puisse suppléer au trésor, ou entretenir une armée sans vivres et sans argent ?
J’avoue d’ailleurs que je suis parti pour cette guerre avec plus de zèle que de réflexion ; car, sans avoir reçu de vous autre chose que le titre de mon commandement , j’ai su en quarante jours me former une armée ; j’ai , du pied des Alpes , refoulé en Kspagnc l’ennemi déjà maître des délilés qui mènent en Italie ; je me suis ouvert, N travers ces montagnes , une roule différente de celle d’Annibal et plus commode pour nous ; j’ai reconquis la Gaule, les Pyrénées, la Lalétanie, les Indigètos ; j’ai soutenu , avec dos soldais de nouvelle levée et de beaucoup les moins nombreux, le premier choc de Sortorius vainqueur ; et ce n’est pas dans les villes, pour m’attaclior les troupes, c’est dans les camps , cl au milieu d’ennemis acharnés, que j’ai passé l’hiver.
A quoi bon , après cola , énumérer nos combats, nos expéditions d’hiver, les villes que nous avons détruites ou reprises, quand les faits en disent plus que les paroles ? Le camp ennemi enlevé près de Sucron , la i)alaillo livrée près du fleuve Durius ’ , le général ennemi C. Iléronnius battu avec son armée, et Valence emportée, tout cela vous est assez connu ; et, en retour de ces services, ô sénateurs reconnaissants ! vous nous donnez l’indigence et la faim. Ainsi vous traitez do la môme façon mon arméeol colle des ennemis ; vout ne donnez pas plus de solde ’a l’une qu’a l’autre ; et quelque soit le vainqueur, il peut venir en Italie. C’est pourquoi je vous avertis et vous conjure d’y réfléchir, ne me forcez pas, pour ce qui me regarde, "a ne prendre conseil ipie de la nécessité. L’Espagne citérieurc, qui n’est pas occupée par l’ennemi , a été dévastée de fond en comble par nous ’ Aiijourd hui le Douro, fleuve d’Espagne et de Portugal ou par Seitoiius , à l’exception des villes maritimes quincsoni pour nous qu’un surcroit décharges et de dépenses. La Gaule , l’an dernier , a fourni à l’armée de Métellus les vivres et la solde ; maintenant, après une mauvaise récolte , "a peine a-t-elle pour ses besoins. Pour moi, j ai non-seulement épuisé ma fortune, mais moaciédit. Vous seuls me restez , et si vous ne venez à mon aiJc , malgré moi , je vous le prédis , mon armée et , avec elle , toute la guerre d’iispagne passeront en Italie.
DISCOURS DE LICINIUS, TRIBUN DU PEUPLE, AU PEUPLE (12).
Il faut se rappeler que Sylla avait enlevé aux tribuns la plupart de leurs préroKatives. Le consul Lcpidus tenta le premier, niais inutilement, de rétablir leur ancienne puissance ; et plus tard, enC"8, le tribun Sicinius échoua dans le mcme dessein. Cependant l’année suivante le consul C. Aurélius Ciitta rendit aux tribuns le dniit de parvenir aux autres magistratures. Enlin, m l’année 681, sous le consulat de L. Cassius Varus et de M. Térentius LucuUus, M. Liciuius Macer fit une nouvelle tentative en faveur du tribunal, et c’est à cette époque qu’il prononça ce discours dont nous ignorons le rcsullat. C. Liciuius Macer était de la même famille mais non du même parti que M. Licinius Crassus qui fut plus tard iriunnir avec César et Pompée. Valère-Maxime (livr. ix, cb. 12) raconte sa mort qui est assez remarquable.
Si vous ne coraprcniiz pas suffisamment , Romains , la différence qui existe entre les droits que vous ont laissés vos ancêtres et celte servitude (Hie nous a imposée Sylla , je vous ferais un long discours où je vous apprendrais pour quelles injures et combien de fois le peuple s’est séparé en armes du sénat, et de quelle sorte il a étiibli pour défenseurs de tous ses droits les tribuns du peuple ; mais je n’ai aujourd’hui qu"a vous exhorter et à voirs inonticr d’abord le chemin par lequel il vous faut, selon moi. ressaisir la liberté El je n’ignore pas de quelles ressources dispose la noblesse, que , seul, sans pouvoir, avec une vaine ombre de magistrature, j’entreprends de déposséder de la domiualion ; et, non plus corn bien une faction d’hommes malintentionnés agit plus sûrement que tous les honnêtes gens isolés. Mais , outre le bon espoir (]ue vou-. m’inspirez el qui chasse ma crainte , je suis persuaié qu’il vaut mieux pour un homme de cœur combattre même sans succès pour la liberté que de n’avoir ])as essayé le combat. Je parle ainsi, bien que tous les autres magistrats qui avaient été institués pour défendre vos droits , gagnés par la faveur, les promesses ou les récompenses , aient tourné contre vous leur influence et leur autorité, et qu’ils ainienl mieux prévariqueravec profit que faire le bien gratuitement. Tous se soni rangés sous la domination dequelqucs hommes qui, sous le proteste d’une guerre, se sont emparés du trésor, de l’armée, des royaumes , des provinces, el se font un rempart de vos dépouilles ; et cependant, ainsi qu’un vil bétail, vous, mullilude, vous vous livrez à chacun d’eux , comme une propriété dont ils peuvent u^er el abuser ’a le ;ir funlaisie , dépouillés de lout ce que vous ont hissé vos pères , exccplé ponriaiit du droit de suffi âge qui autrefois vous domiail des chefs et qui aujourd’hui vous donne des n :aîti es. Aussi tous se sont-ils rangés du côté de ceux-ci ; mais bientôt si vous recouvrez ce qui vous appartient , la plupart reviendront ’a vous : car bien peu d’hommes ont le courage de défendre le parti qui leur plaît ; le plus grand nombre suit celui du plus fort.
Pensez-vous que vous puissiez trouver devant vous le moindre obstacle , si vous marchez dans un même c-prit , vous que l’on redoute quoique Ianguiss ;;iits et liiuides ? à moius peul-Olie que C. Cotta, élevé par un liers parti au consulal (15). ail eu d’aulres motifs ipie la craintt’ (]iiaucl il a roii duquel(|iios droits aux triliuiisdii ))cupli’. Et quoique I,. Liciniiis , pour avoii- lo picniicr osé pailcr cie la puissance des tribuns, ait, lualgié vos iriurmures, péri victime des patriciens ; cependant ils outciaint votre courroux avantquc vous n’eussiez lessenii leur injure. C’est de quoi je ne puis assez m’étonner , Romains ; car vous avez reconni combien vaines étaient vos espérances. Dès que fiii mort Sylla,qui vousavait imposé une odieuse servitude, vous vous flattiez d’être à la lin de vos maux ; mais il s’est élevé un tyran bien plus cruel , Calulus. Une sédition a éclaté sous le consulat de Brutus et d’vEmilius Mamercus , et puis C. Curion a abusé de son pouvoir jusqu’à faire mourir un tribun innocent. Vous avez vu l’anniie dernière , quelle animosité Lucullus à montrée contre L. Qninclius ; enûn , quelles tempêtes ne soulève-t-on pas aujoiirdluii contre moi ! Assurément ce sei ait bien en vain (lu’on les exciterait, s’ils devaient lenonrer à leur domination , plus tut que vous "a votre esclavage ; surtout (juand il est vrai que. dans le cours de nos guerres civiles , on n’a fait des (Ituv côtés, sous d’autres prétextes, que coiubattrc à qui vousasservirait. Ainsi les autres luttes nées de la licence, ou delà liaine, ou de l’avidité n’ont produit qu’un embrasement passager, une seule chose est demeurée constamment, qu’on s’est disputée des deux côtés, et qu’on vous a enlevée pour l’avenir, la puissance tribunitiennc , cette arme offensive que vous avaient léguée vos pères pour maintenir la liberté.
Je vous en avertis et vous en conjure , faites-y bien attention : n’allez pas , cLangeant le nom des choses au gré de votre lâcheté , appelei repos ce qui est servitude. iNe comptez pas sur ce repus si le crime l’emporte sur le droit et sur l’honneur ; vous l’auriez eu si vous fussiez toujours restés calmes. Songez-y bien luamteuant ; et si vous n’êtes vainqueurs , comme toute oppression s’affermit à mesure qu’elle est plus pesante , ils serreront vos chaînes encore plus fort.
Quel est donc votre avis’i* me dira quelqu’un devons.... qu’avant tout vous renonciez à vos manières d’agir , hommes ’a la langue active, au cœur lâche , qui une fois sortis de cette enceinte, n’avez plus souvenir de la liberté. Knsuite (et devrais-je avoir besoin de vous inviter à ces actes virils, par lesquels vos ancêtres, en conférant aux tribuns du peuple une magistrature patricienne , affranchirent vos élus de l’investiture des patriciens’ ?) puisque toute force réside en vous, Romains, je voudrais qu’il vous lut possible d’exécuter ou de n’exécuter pas, selon votre gré et votre prolit, ces commandements auxquels vous obéissez pour le proht d’antrui. Attendez-vous donc que Jupiter ou quelcjne autre dieu vous protège’ ? Celte magnihque autorité des consuls et ces décrets du sénat, vous les ratiflez , Romains, en vous y soumettant ; et toute licence qu’on se permet contre vous , vous y ajoutez, vous la secondez avec empressement.
Je ne vous engage donc pas a venger vos injures , mais plutôt à chercher le repos. Je n’excite pas non plus la discorde, ainsi qu’ils m’en accusent ; mais voulant y mettre fin , je demande satisfaction au nom du droit des gens, et s’ils s’obstinent à retenir ce qui est "a nous , ne vous arhalwtis, mezpas, ne vous relirez pas , conteniez- vous de ne plus donner voire sang : voilà mon avis. Qu’ils possèdent, qu’ils exploitent à leur manière les commandements, qu’ils clierclient des triomphes , qu’ils poursuivent, avec les images de leurs ancêtres , Mithridate, Sertorius , et les débris des exilés ; mais point de dangers ni de travaux pour ceux qui n’ont aucune part dans les avantages I A moins , toutefois , que cette loi soudaine sur les subsistances ne soit une compensation pour vos services ! mais cela n’est pas ; car par elle , votre liberté à chacun a été estimée à cinq mesures de blé, ce qui est ’a peu près la ration d’un prisonnier. Or, de même que cette nourriture avare sutûtlout juste "a empêcher de mourir et qu’en attendant les forces vieillissent, de même un si faible secours ne vous délivre pas des embarras domestiques ; et pourtant les plus lâches se laissent prendre par l’espérance la plus chétive. Mais si abondante que fût cette largesse que l’on vous montrerait comme le l)rix de votre servitude, quelle lârheté ne serait-ce pas de vous laisser abuser, et de croire que vous devriez de la reconnaissance à ceux qui vous rendraient insolemment ce qui vous appartient ? En effet, ils n’ont pas d’autre moyen pour établir leur pouvoir sur les masses , et ils n’en tenteront pas d’autre.
Prenez garde cependant "a leur ruse ! Ainsi tout en cherchant ’a vous apaiser , ils vous remettent au retour de Pompée, ce même Pompée qu’ils ont redouté tant qu’ils l’ont vu, pour ainsi dire, sur leurs lêtes, et qu’ils déchirent depuis qu’ils n’ont plus peur. Et ils n’ont pas bonle, ces vengeurs de la liberté , ainsi qu’ils se nomment , eux qui sont si nombreux, de ne pas oser , faute d’un homme, mettre un terme à leur injustice, ou défendre ce qu’ilsappellent leur droit. Pour moi, il m’est sufûsamment démontré que Pompée , ce jeune homme de tant de gloire , aimera mieux être le chef de voire choix que le complice de leur tyrannie , et qu’il sera , avant tout , le restaurateur de la puissance tribunilienne. Mais autrefois , Romains, chaque citoyen trouvait protection chez tous les autres , et non pas tous chez un seul ; et nul mortel , quel qu’il fût , ne pouvait seul donner ou ôter de tels biens.
Au reste, c’est assez de paroles ; car ce n’est pas par ignorance que vous manquez. Mais je ne sais quelle torpeur vous a gagnés, qui vous empêche d’être mus soit par la gloire, soit par la honte ; et, charmés de votre inertie présente, vous avez tout livré en retour , vous imaginant que vous avez une complète liberté , parce qu’on ménage votre dos et que vous pouvez aller ici ou l’a , par la grâce de vos riches maîtres (M) . Et encore telle n’est paslacondilion de ceux de la campagne : ceuxlà sont mis à mort dans les querelles des grands et sont donnés en présent aux magistrats des provinces. Ainsi , l’on se bat et l’on remporte la victoire au profit d’un petit nombre : le peuple , quoi qu’il arrive , est traité en vaincu , et ce sera pire chaque jour, si les nobles mettent plus d’ardeur à garder le pouvoir, que vous à recouvrer la liberté.
LETTRE DU ROI MITHRIDATE AU ROI ARSACE (15).
Milhridate , obligé de quitter son royaume par suite des victoires de Lucullus, s’était réfugié eu Arménie auprès du roi Tigrane qui, sur ses instances, avait fait la guerre aux Kimiains et avait été également vaincu. C’est alors que l’alliance d’Arsace, roi des Parthes, fut recherchée par Lucullus d’un coté, et do l’autre par Mithridate et Tigrane. 11 parait qu’Arsace ne lut pas sans émotion la lettre de Mithridate : cependant il ne s’allia point avec les deui rois contre les Romains ; il se contenta de demeurer neutre.
Le roi Milhridate au roi Arsace , salut. Tous ceux qui , daus la prospérité, sont invités à concourir a une guerre, doivent considérer s’il leur est permis alors de conserver la paix ; ensuite, si ce qu’on leur demande est légitime, sûr, glorieux ou désbonorant. Si tu pouvais jouir d’une paix perpétuelle ; si tu n’avais pas sur tes frontières des ennemis exécrables , mais faciles à vaincre ; si tu ne devais pas, par la ruine des Romains , illustrer ton nom , je n’oserais pas réclamer ton alliance, et je me flatlerais vainement d’unir ma mauvaise fortune à ta prospérité. Toutefois, les raisons qui semblent pouvoir t’arrêter, le ressentiment qu’une guerre récente l’a inspiré contre Tigrane , et la position fàcbcuse où je suis , si tu veux bien apprécier les choses , sont précisément ce qui doit l’encourager. En effet, Tigrane qui est à ta merci , acceptera toute alliance que lu lui offriras : pourmoi, la forlunecpii m’a ravi taulde biens m’a du moins donné l’expérience avec laquelle on conseille sagement ; et , ce qui est désirable à un prince dont les affaires sont florissantes, je t’enseignerai , par cela même que je ne suis plus très-puissant , à te conduire ayec plus de prudence. Car pour les Romains, l’uuique et ancienne cause de faire la guerre à toutes les nations, à tous les peuples, à tous les rois, c’est un désir profond de la domination et des richesses. Voilà pourquoi ils ont d’abord pris les armes contre Philippe, roi de .Macédoine. Pendant qu’ils étaient pressés par les Carthaginois , tout en feignant de l’amitié pour Philippe ( 1 6), ils détachaient frauduleusement de lui Antiochus qui venait à son secours, en faisant ’a ce dernier des concessions en Asie ; et peu après, Philippe une fois asservi , Antiochus fut dépouillé de tontes ses possessions en-deç’a du mont Taurus , et de dix mille talents. Ensuite Persée, fils de Philippe, après des combats nombreux et divers, s’étant abandonné h leur foi , à la face des dieux de Samothrace , eux , pleins de ruse et grands inventeurs de perfidies, comme ils lui avaient promis la vie sauve par traité, ils le firent mourir d’insomnie. Eumène, dont ils vantent fastueusemenl l’amitié, ils avaient commencé par le livrer à Antiochus comme prix de la paix. Puis Allale, gardien d’un royaume qui ne lui appartenait plus , fut, "a force d’exactions et d’outrages, réduit par eux, de roi qu’il était , ’a la condition du plus misérable des esclaves ; et , après avoir supposé un testament impie , ils s’emparèrent de son fils Aristonicus, qui avait réclamé le trône paternel , et le traînèrent en triomphe comme on eût fait d’un ennemi. L’Asie a été assiégée par eux ; enfin , après la mort de Mcomède , ils ont envahi toute la Bilhynie, quoique l’existence d’un fils de Nusa, à qui ils avaient donné le titre de reine, ne pût être mise eu doute. Et moi , ai-je besoin de me citer ? Bien que je fusse de tous côtés séparé de leur pire par des royaumes et des t(îlrarcliies , cppeiidant , sur le bruit de mes richesses et de ma résolutiou de ne jamais servir, ils m’excitèrent à la guerre par le moyeu de Nicomède , lequel connaissait leurs desseins criminels , et avait déjà déclaré, ce que l’événement conlirma, qu’il n’y avait alors de libres au monde que les Cretois et le roi Ptoléraée. Je vengeai mon injure ; je chassai Nicomède de la Bithynie ; je recouvrai l’Asie, cette dépouille du roi Aniiochus , et délivrai la Grèce d’une pesante servitude. Ce que j’avais si bien commencé, le dernier des esclaves, Archélaùs l’a détruit en livrant mon armée ; et ceux qui, soit par lâcheté, soit par une politique perverse, refusèrent de me seconder, me laissant le soin de les défendre , en sont cruellement punis : Ptolémée n’a réussi "a force d’argent qu’à éloigner la guerre ; et les Cretois , déj’a vaincus une fois , ne verront finir la lutte qu’avec leur ruine. Pour moi , ayant bien compris que le repos que je devais aux divisions intestines dos Romains était plutôt une trêve qu’une paix véritable, malgré ce refus de Tigrane qui reconnaît aujourd’hui, mais trop tard, la justesse de mes prédictions, malgré l’éloignement où jo me trouve de toi et la soumission de tous les rois mes voisins , je recommençai la guerre : je battis sur terre , auprès de Ciialcédoine, le général romain Marcus Colta, et sur mer je leur détruisis la pins belle flotte. Devant Cyzique , que j’assiégeai avec une armée nombreuse, les vivres me manquèrent, et personne des pays environnants ne vint à mon secours ; en môme temps l’hiver me fermait la mer. Forcé par là, sans que d’ailleurs l’ennemi en eût la gloire, de rentrer dans le royaume de mes pères , je perdis par des naufrages, auprès de Paros et d’Héraclée , l’élite de mes soldais avec ma flotte. Ayant ensuite rerais sur pied une armée h Cabire , après divers combats entre Lucullus et moi , la famine vint encore nous assaillii’ tous les deux. Mais lui, il trouvait des ressources dans le royaume d’Ariobarzane, où la guerre n’avait pas pénétré : autour de moi, au contraire, tout était dévasté ; je nve relirai donc en Arménie. Les Romains m’y suivirent, ou, pour mieux parler, ils suivirent leur coutume de détruire tous les royaumes ; et, pour avoir empêché d’agir une multitude resserrée par eux dans d’étroits délités , ils se glorifient de l’imprudence do Tigrane comme d’une victoire. Maintenant, considère, je te prie , si , quand nous serons accablés, tu auras plus de force pour résister, ou si, "a Ion avis, la guerre finira. Tu possèdes, je le sais , de grandes ressources en hommes , en armes et en aigent ; et c’est pour cela même que nous désirons . moi ton alliance , et les Romains ta dépouille. Tu n’as d’ailleurs qu’un parti à prendre. Le royaume de Tigrane est encore intact ; mes soldais ont appris a combattre les Romains ; loin de toi , sans beaucoup d’efforts de ta part, avec nos corps et nos bras , je saurai Icrniincr la guerre : mais songe que nous ne pouvons ni vaincre ni être vaincus sans danger pour toi. Ignores-tu que les Romains portent ici leurs armes parce que l’Océan les a arrêtés du côté de l’occident ?
que, depuis leurs commencements, ils n’ont
rien acquis que par le vol , maisons , femmes , territoire, empire ? qu’autrefois, vil ramas de vagabonds sans patrie, sans famille, ils ne se sont réunis que pour être le fléau de l’univers ? qu’enfin , il n’est aucune loi humaine ou divine qui les empêche d’asservir, de sacrifier amis et alliés, éloignés ou proches, faibles ou puissants , et de li’ailer (ont ce qui ne leur obéit pas, el principalemeut 1rs rois, comme ennemis ? En effet, si quelques peuples, en petit nomlire, tiennent à la liberté, !a plupart veulent des maîtres légitimes (17) ; et voilà pourquoi les Romains voieut en nous des rivaux suspects , et dans l’avenir des vengeurs, lit toi , qui as sous tes ordres Séicucie, la première ville du monde, ainsi que le noble et riche empire des Perses, que peux-tu attendre d’eux , sinon perfidie aujourd’hui et guerre ouverte demain ? Les Romains, toujours armés contre tous , sont principalement redoutables à ceux dont la défaite leur promet le ])lus de butin. C’est par l’audace, par la perfidie, c’est en !-emant guerre sur guerre , qu’ils se sont faits si ( ;rands. Avec cette coutume, ils anéantiront tout ou succomberont. Alais il ne sera pas difficile de les réduire, si toi, par la Mésopotamie, et moi par l’Arménie, nous enveloppons leur armée qui n’a ni vivres ni secours , et qui ne doit son salut jusqu’ici qu’il la fortune ou ii nos fautes. Pour toi , en venant au secours de rois puissants, tu recueilleras la gloire d’avoir fait Justice de ces spoliateurs des nations. N’hésiic donc pas, je te le conseille , je t’y exhorte ; à moins que tu n’aimes mieux retarder ta perle par la noire, que de vaincre en étant notre allié.
DISCOURS DU CONSUL C. COTTA AU PEUPLE (18).
.Ce (lisci)uis fui adressa au peuple par C. Aurélius Colla, l’an ilell. C79. 11 parait d’après le (ii^collrs même de Colla, que le peuple sVlail soulevé par suile de la disette et lueuaçait les jours du cmisnl, el que celui-ei s’olfiil eouiageusenienl .’l sa fureur, loul en clierthaul à l’apaiser et ! l’adoucir.
Romains, j’ai traversé ici bien des périls, éprouvé à la guerre bien des revers ; j’ai supporté les uns et détourné les autres par le secours des dieux et par mon courage ; et , dans toutes ces circonstances , ni la force d’àme ne m’a manqué pour prendre mes résolutions , ni la constance pour les exécuter. L’adversité et la prospérité changeaient mes ressources, non mou caractère. Mais ’a présent , dans les malheurs qui m’accablent, tout m’abandonne avec la fortune ; de plus la vieillesse, par elle-même pesante, aggrave mes chagrins ; et j’ai la douleur sur la lia de mes jours (19), de ne pouvoir même espérer une mort honorable. En effet , si je suis envers vous un parricide ; si , après avoir reçu deux fois ici l’existence (20) , je compte pour rien mes dieux pénates, et ma patrie, et mon autorité suprême, quelle torture pendant ma vie serait assez cruelle pour moi ! ou quel châtiment après ma mort, puisque tons les supplices connus aux enfers sont au-dessous do mon crime !
Dès ma première jeunesse , j’ai vécu sous vos yeux comme particulier et dans les emplois publics : quiconque a eu besoin de ma voix , de mes conseils , de ma bourse , en a usé ; et je n’ai employé ni les ressources de l’éloquence ni mes talents h nuire. Rien que fort jaloux de la faveur de chaque citoyen , j’ai bravé pour la république les haines les plus puissantes , et lorsque , vaincu avec elle et réduit "a invoquer les secours d’aulnii, je m’attendais à de nouveaux malheurs, vous, Romains , vous m’avez rendu une patrie , des dieux pénates, et la plus haute dignité. Pour tant de bienfaits, c’est ’a peine si je me croirais assez reconnaissant , quand même je pourrais donner ma vie h chacun de vous. Car la vie et la mort sont les droits de la nature : mais une existence honorable parmi ses concitoyens , mais une réputation et une fortune intactes , voilà des choses qui ne se donnent et ne se reçoivent qu’à titre de dons.
Vous nous avez faits consuls, Romains, dans un moment où la république avait les plus grands embarras au-dedans et au-dehors. En effet , nos généraux en Espagne demandent de l’argent , des soldats , des armes , du blé : l’clat des affaires les y contraint , car, par suite de la défection des alliés et de la retraite de Sertorlus dans les montagnes , ils ne peuvent ni combattre, ni se pourvoir de ce qu’il leur faut. Nous sommes obligés, à cause des forces immenses de Mitbridate, d’entretenir des armées en Asie et en Cilicie ; la Macédoine est pleine d’ennemis ; il en est de même des côtes de l’Italie et des provinces : en même temps les impôts diminués et rendus incertains par la guerre couvrent à peine une partie des dépenses : de sorte que la flotte qui portait nos approvisionnements est devenue moins nombreuse que par le passé. Si ces maux ont été le résultat de notre trahison ou de notre négligence, suivez l’inspiration de votre colère, livrez-nous au supplice : mais si c’est la même fortune qui nous est contraire , pourquoi vous porter à des actes indignes de vous , de nous et de la république ? Pour moi, celte mort dont mon âge me rapproche , je ne la refuse pas, si par elle je puis en quelque chose alléger vos maux ; et , comme je suis prêt à le faire , je ne saurais mieux terminer une vie irréprochable qu’en la donnant pour votre salut. Me voici donc , moi, C. Cotta, votre consul : je fais ce qu’ont fait souvent nos ancêtres dans des guerres difficiles ; je me dévoue , je me sacrifia pour la république. A vous ensuite de voir autour de vous à qui vous la confierez : car nul homme de bien ne voudra d’un tel honneur, lorsqu’il faudra qu’il réponde et de la fortune, et de la mer, et d’une guerre dirigée par d’autres, ou qu’il meure dans la honte. Seulement rappelez-vous que moi , ce ne sera point pour un crime ou pour des malversations que j’aurai été mis à mort , mais parce que , de mon plein gré , j’ai voulu donner ma vie en retour des plus grands bienfaits.
Par vous-mêmes , Romains, et par la gloire de vos ancêtres , je vous en conjure, supportez l’adversité et pensez à la république. A l’empire du monde sont attachés bien des soucis , de nombreux et d’immenses travaux ; et c’est en vain que vous voudriez vous y soustraire et que vous demanderiez les jouissances de la paix , lorsque toutes les provinces , tous les royaumes , toutes les terres et toutes les mers sont dévastés et épuisés par nos guerres.
NOTES
DES FRAGMENTS.
(1) Ce discoui-s faisait partie du livre premier de la Graiidf Histoire de Sallusle. Il lut prononcé du vivant même de Sylla, lorsque Lépidus eut été désigné con&ul , l’an de Rome 675.
(2) Sylla avait ôté aux enfants et anspetits-fils des proscrits le droit de posséder aucune magistrature. N’est-ce pas par une exagération de langage que Lépidus qualifie de supplice une mesure qui n’attentait pas à la vie de ceux qui en étaient l’oliiet ? Mais cette mesure, toute tyranniquc qu’elle est , ne nous semble pas juslilier le mot 4ii}) ;)(ifia (|ne nous avons reproduit litléialement.
(5) On distribuait aux esclaves cinq boisseaux de blé par mois pour leurnourrilcne.
(J) Allusion au supplice de M. Gralidianus, que Sylla lit périr parce qu’il appartenait à la famille de Marins. Ou peut consul :er sur ce point d’histoire ; Séyi-QW, de Ira, lib. m, c. 18 ; V4i.éiie-Màxi>ie, lib. ix, c. I ; Lrcjus, Phfirsale, liv. ii.
(3) Ce discours appartenait, comme le précédent, au livre premier de la Grande Hiitoire. Il dut être prononcé vers l’an 676.
(6) Les traducteurs de Salluste ne sont pas d’accord sur le sens de cette phrase. A l’exemple de M. Dureau Delamalle nous avons pris qui pour quomndo et fait rapporter oniissa CJira aux sénateurs.
(7) En effet , pour l’éloigner de Rome , un sénatus-consulte venait rie lui confier le gouvernement de la Gaule cisalpine, en l’autorisant à lever une aimée. (8) Lépidus, enrichi par ses concussions, avait acheté le consulat.
(9) La plupart des traducteuis ont fait rapporter les nwls œqiio et lono a la c^use de Lépidus. ÎSous avons préféré, avec M. Dureau Dilamalle, les rapporter aux sénateurs. Lesensque nous donnons à ces mots nous a paru mieux convenir au caractère général du discours et à l’intention ie la phrase oii ils se trouvent. (10) Cette lettre faisait partie du livre troisième de la Grande Iliitoire. Elle aurait été écrite vers l’an de Kome 679.
(11) Pompée n’avait alors que trente-deni ans. y 2) Ce discours faisait également partie do livre troisième de la Claude iliatoire. Il dut être prononcé l’an de RomeCKI.
(I.ï) MM. Burnouf et Duieau Delamalle ont entendu ■. de la faction même de los ennemis. Pom’ nous, nous avons compris, avec le président de Brosses, un [arti qui s’elait interposé entre celui des uobles et ctlui du peuple, c’est-à-dire un tiers -parti. Il est très-facile decomprendre comment une fraction de la noblesse, plus modérée ou plus habile, pouvait l’obligera faire des concessions au peuple. Du reste, le mot Miedia pris dans le sens que nous lui dounons est de la meilleure latiuité. (U) On Siiit que la loi Porcia défendait de battre do verges un citoyen romain.
(15) Celte lettre appartenait au livre qualrièrac de la Grande Histoire. Milhridate est censé l’écrire ù l’époqu» où, dépouillé de son royaume lar les victoires de Lucullus, il s’était réfugié en Arménie auprès du roirigrane, lequel avait été pareillement vaincu par les Koniaius. (I(i) M. Durozoir a applique à Anliochiis ces mots : niuiii(ia»i simii/nnies. INous avons cru devoir, avec MM. Burnouf et Dureau De am ;dle, les appliquer à Philippe. 11 nous a semblé qu’ainsi conçue la phrase avait nu sens plus plein, et que Mithridate peignait avec plus de force la perfidie de la politique romaine. L’histoire d’ailleurs autorise cette interprétation. (17) Ici, observe avec beaucoup de raison M. Burnouf, Mithridate exprime les sentiments qui animaient les Asiatiques. En effet, les Cappadociens, après l’exliiiclion de la race de leurs rois, ayant clé déclarés libres par le sénat de Rome , avaient refusé la liberté.
(18) Ce fragment faisait partie, à ce que l’on suppose, du livre troisième de la Grande Histoire. Selon Salluslo C. Colla l’aurait adressé, en l’an de Rome 679, au peuple qui s’était mutiné à cause de la disette. (I9| Quelques textes perlent : Senecla jam œtate. La version que nous donnons a été aussi adoptée par M. Burnouf.
(20) A Rome, un citoyen rappelé de l’exil renaissait pd quelque sorte à la vie ; car l’exil entraînait la privation des droits de citoyen, que nous appelons en français (a mort citile.