Fragments d’histoire/05

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Imprimerie officielle (p. 26-30).

RUE AMIRAL-DE-GUEYDON


La Savane est bornée au nord par la rue Amiral de Gueydon, du nom d’un Gouverneur de la Martinique à qui l’on doit notamment le premier aqueduc d’eau potable de Didier et qui avait fait construire l’ancien hôpital civil.

Cette rue s’appelait précédemment rue du Gouvernement parce qu’elle longe le Palais du Chef de la colonie. Sur un plan de la Ville de 1784 elle figure sous le nom de rue Saint-Antoine[1] et ce nom n’a été donné que plus tard à la rue qui s’est appelée ensuite Dupont de l’Eure, puis Galliéni.

La rue du Gouvernement n’arrivait qu’à la rue Galliéni[2]. Elle a été prolongée jusqu’à la rue François Arago vers 1840 et le terrain séparé alors du Presbytère par la nouvelle portion de rue a été mis en vente par la commune, le 5 février 1840[3].

Aux nos 10 et 12, le patronage Saint-Louis (section des apprentis). Ce patronage a été fondé en 1906 par M. Adolphe Trillard. Le premier Directeur a été le Père Bioret, mais à l’origine l’œuvre avait été confiée à la sœur Isabelle et ensuite au Frère Gérard.

De la maison qui occupait le terrain antérieurement l’on a conservé la pierre qui est au-dessus de l’entrée et qui porte le millésime de 1811.

Au n° 20, l’hôtel du Conseil général, où était précédemment une Loge Maçonnique.

N° 22. — Inspection du Travail et Service de conditionnement des bananes.

Le Consulat général de Panama, n° 32.

C’est dans la rue Amiral de Gueydon, et près du Carénage, que la Compagnie générale transatlantique établit sa première agence.

Aux nos 70 et 72 ont été deux grands immeubles qui étaient bornés aussi par la rue Lazare Carnot et qui avaient été légués aux pauvres de Fort-de-France par l’abbé Bouvier, ancien curé de la Ville, décédé à Genève en 1887.

Le grand hôtel Ivanès ou l’hôtel du Vénézuéla a occupé ces maisons qu’un récent incendie a détruites.

Deux présidents de la République du Vénézuéla s’y arrêtèrent : Gusman Blanco et Castro, celui-ci après sa chute du pouvoir.

« On voyait dans le salon de l’hôtel Ivanès un petit homme sec, au teint olivâtre, coiffé d’un bonnet de velours et chaussé de mules garnies de pierres précieuses. Il avait toujours un journal à la main et souvent il froissait le papier avec rage[4]. »

C’était Castro. Il fut décidé qu’il serait expulsé de la Martinique, mais il refusa de s’embarquer et c’est manu militari que, placé sur une civière, il a été transporté de l’hôtel au courrier, à 21 heures.

N° 74, le Consulat de la République Dominicaine.

À l’un des angles des rues Armand Marrast et Amiral de Gueydon, l’hôtel du Gouvernement et les bureaux du Secrétariat général. Ils ont remplacé un bâtiment en bois qui a été pendant longtemps affecté au logement et aux bureaux du Gouverneur.

Cette modeste construction ou peut-être une moins convenable encore que le Chef de génie Garin signalait dans un rapport du 20 décembre 1814 comme n’étant pas habitable, avait été cependant le témoin de bien des évènements importants. Associée à l’histoire de la Martinique, elle avait perçu l’écho de somptueuses réceptions et avait enregistré des phases intéressantes de notre vie sociale.

Nous citons au hasard deux pages de cette histoire :

« C’était en 1782. L’île voyait alors « réunis sur son sol, dit Sidney Daney, tous ceux que la France comptait déjà de célèbres dans la marine et tous ceux qui devaient plus tard devenir l’ornement et l’illustration de celle arme. Dans les salons du Gouverneur de la Martinique et à côté de cette brave et ardente jeunesse créole, on remarquait ce comte de Grasse, de taille colossale, qui conservait dans ses soixante-trois ans toute la verdeur de l’âge mûr, le marquis de Vaudreuil, aussi habile marin que courtisan aimable et dévoué, Bougainville déjà navigateur savant, du Petit Thouars encore garde de la Marine, du Pavillon, Émeriau, Descars, Willaumez, le comte de Marigny et son frère le chevalier de Marigny, commandant un vaisseau qu’il avait lui-même conquis sur les Anglais, Decrès, qui ne sait pas quel maître il doit servir un jour, l’Hermitte, Bruix, Martin, Condé, Truguet, Maison, Vaugirard, major général du comte de Grasse à bord de la Ville-de-Paris, et d’autres encore qui étaient de grands hommes ou apprenaient à le devenir un jour[5]. »

Tournons la page. Celle qu’on va lire n’existe que dans je ne sais quel carton poudreux, et tous l’ignorent.

Nous sommes en 1811. La Martinique appartient à l’Angleterre et une insurrection vient d’éclater dans l’île. Un noir nommé Jean Kina, qui était revêtu du grade de Colonel, va se poster inopinément au pied des montagnes centrales et appelle les affranchis et les esclaves à se joindre à lui pour opérer la révolution. Ses adversaires estimant qu’il s’agit d’une conspiration ourdie dans l’obscurité et menaçant leur existence, courent aux armes et investissent le repaire du chef avant que la foule de ses partisans ait pu se réunir à ceux qu’il a déjà rassemblés. Il est placé dans une position telle qu’il va être enlevé de vive force s’il ne se rend immédiatement.

Mais le général Maitland qui gouvernait la Colonie au nom de l’Angleterre intervient, ouvre une négociation avec Kina et, pour lui servir de sauvegarde l’accompagne lui-même à cheval depuis son camp des montagnes jusqu’au Fort Royal où il le loge… au Gouvernement.

Combien de temps Jean Kina séjourna-t-il au palais du Chef de la Colonie ? On ne le sait. Le général Maitland le fit embarquer, peu après sans doute, sur un navire anglais qui le conduisit sain et sauf aux États-Unis, en exécution de la convention mystérieuse qui avait eu lieu entre eux.

Et c’est ainsi que la vieille et illustre demeure officielle abrita aussi cet homme d’origine humble, qui avait certainement une valeur personnelle, à en juger par le grade auquel il était parvenu, par la hardiesse de son initiative, et par l’attitude du Gouverneur envers lui, mais dont nos annales n’ont même pas conservé le nom tombé dans l’oubli, ce nom que ses compatriotes fredonnaient longtemps encore après 1811 dans les chansons populaires des Antilles et qui aujourd’hui figure seulement dans un document inconnu remontant à 1816[6].

Sur le terrain contigu étaient l’Intendance et le bureau du Domaine[7]. Le terrain de l’Intendance a été mis en vente en 1834 sur la mise à prix de 10,000 francs.

À l’angle Nord-Est des rues de Gueydon et Schœlcher, au n° 40 de celle-ci, a été le Trésor, et, avant le Trésor, le Petit Génie qui est indiqué dans un plan du 1er  mai 1826 comme étant en ruines[8].

La rue Amiral de Gueydon longe aussi l’Hôtel de Ville, n° 116, la Maison centrale, n° 118, et le Presbytère.

  1. Archives ministère des colonies, n° 407.
  2. Archives ministère des colonies, 379, 380 bis, 407, 486 et 487.
  3. J. O. Martinique 15 janvier 1840.
  4. Sur le chemin de la Vie Martiniquaise, par M. Paul Boye, p. 100.
  5. Histoire de la Martinique, par Sidney Daney, tome 4, page 165.
  6. Arch. Ministère Col. n° 517. Recherches historiques par Moreau de Jonnès 1816.
  7. Plan du 1er  mai 1826. Arch. Ministère Col. n° 661.
  8. Arch. min. col. n° 659.