Français, reprenez le pouvoir !/Partie 3/Chapitre 9

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Pour éviter le morcellement du pays et restaurer les conditions de l’unité républicaine, l’école du mérite et l’État de droit conforté ne suffiront pas. Il nous faut aussi raccommoder nos territoires, permettre à chaque Français, qu’il habite Brest, Toulon, Limoges ou Ajaccio, de bénéficier des mêmes chances!

Aimer la France, en effet, c’est aimer ses territoires, tant leur diversité et leur beauté ne lassent jamais. Il suffit de se déplacer à travers le pays pour comprendre la chance que nous avons. Serions-nous d’ailleurs toujours la première destination touristique mondiale sans cette extraordinaire palette de terroirs, de paysages, de traditions, de modernité aussi? Longtemps, nous en avons pris soin, l’ordonnant comme un jardin à la française. Infrastructures de transport uniques au monde, modernité de notre agri­culture, valorisation de notre patrimoine, nouveaux gestes architecturaux.

Mais si l’on s’écarte des circuits touristiques, des endroits à la mode, on découvre la face cachée de notre douce France. Les ghettos urbains aux portes des villes, souvent sur un plateau un peu à l’écart, là où on ne passe jamais et d’où on peut aussi difficilement sortir, les anciens bassins industriels où les friches demeurent les témoins des forces passées, les zones rurales oubliées, désertées, qui se meurent en silence.

À chaque époque ses cicatrices. Souvenons-nous de Paris et le désert français, que décrivait Jean-François Gravier dès 1947, puis de la coupure entre les métropoles régionales et leur environnement immédiat. Aujourd’hui, les déséquilibres sont plus complexes. Les dernières statistiques révèlent des zones démographiques de trop-plein et de vide, qui d’ailleurs ne se recoupent pas toujours avec celles de la richesse par habitant.

Les zones littorales, le Sud et l’Ouest attirent toujours plus d’habitants alors que le Nord et l’Est en perdent; le Languedoc-Roussillon est la plus pauvre et l’Alsace la plus riche de nos régions.

Celles qui perdent de la population comme celles qui en gagnent doivent gérer de redoutables contradictions.

Des Ardennes aux Hautes-Pyrénées en passant par le Morvan, il faut lutter contre le terrible cercle vicieux qui s’accélère en dessous d’un certain seuil démographique: la diminution des services et des commerces qui implique des départs, et ainsi de suite. Mais, dans les régions côtières qui concentrent toujours plus d’habitants, il faut gérer les problèmes de banlieue autrefois réservés à la région parisienne: logements aux prix exorbitants, circulation entre le domicile et le travail de plus en plus difficile, parfois même développement du chômage, etc.

L’Île-de-France qui rassemble, ne l’oublions pas, plus de onze millions d’habitants perd désormais une population fuyant les problèmes d’engorgement, alors même que les emplois à haute valeur ajoutée tendent à s’y regrouper!

Les inégalités territoriales en Île-de-France constituent un résumé exemplaire des disparités françaises. Les villes qui accumulent des emplois bénéficient d’une taxe professionnelle leur permettant de modérer la fiscalité, à la fois vers leurs entreprises et vers leurs habitants, ou de multiplier les dépenses parfois inutiles. Les communes qui ne perçoivent pas ces recettes accueillent souvent les populations les plus difficiles, avec les impôts les plus forts, dissuadant l’implantation des entreprises. Le système fiscal est, certainement, l’une des premières injustices entre collectivités locales.

D’un côté, des communes qui bénéficient des rentrées de taxe professionnelle tellement importantes qu’elles pourront quasiment exonérer leurs citoyens d’impôts locaux; de l’autre, des agglomérations qui se voient réclamer légitimement par leurs habitants un haut niveau de services publics, sans disposer de ressources pour cela.

Malgré quelques mécanismes de péréquation, la situation se dégrade chaque année. Les bureaux s’entassent à l’ouest ou en petite couronne autour de Paris, les individus s’exilent toujours plus loin, où les transports en commun sont plus rares et plus chers. Ce développement en tache d’huile laisse totalement indifférents bon nombre de responsables politiques régionaux, de gauche ou de droite, la plupart issus de zones aisées. Les investissements publics sont concentrés là où on en a le moins besoin, selon des logiques particulièrement discutables: l’exemple du tramway des boulevards des Maréchaux à Paris est à cet égard emblématique. Son principe était tout d’abord contestable, visant à empêcher les automobilistes de banlieue d’entrer dans Paris. Mais fallait-il y engloutir la totalité des crédits régionaux affectés aux transports, privant ainsi les communes franciliennes de tout réseau de banlieue à banlieue?

De même, en ce qui concerne le projet de couverture de l’avenue de Neuilly-sur-Seine pour 800 millions d’euros, financée par la construction de mètres carrés supplémentaires de bureaux à la Défense: est-il si prioritaire quand on sait que c’est exactement la somme qu’il faudrait pour rénover la ligne D du RER? Une ligne en triste état, qui transporte à Paris depuis le sud-est au nord de l’Île-de-France près de quatre cent soixante mille habitants par jour, soit 15 % du trafic national de la SNCF.

En régions, de fortes inégalités subsistent également: si certains territoires s’en sortent remarquablement bien (par exemple le Choletais, la Vendée, la Haute-Savoie), d’autres révèlent leurs faiblesses. Sans la présence publique (hôpitaux, services de l’État, casernes), ils seraient devenus de vraies zones sinistrées. Les jeunes partent, les écoles ferment. Un air de fin du monde y règne et les maigres dépenses d’équipement des collectivités n’y changent rien. Une salle de classe rénovée, un rond-point flambant neuf ne remplaceront jamais la vie, tout simplement.

D’un côté l’entassement, de l’autre le vide. Pour y porter remède, allons à l’origine de ces déséquilibres croissants entre la France qui gagne et celle qui perd.

Cette vie qui disparaît et qui se déplace, là où l’on n’a d’ailleurs pas les moyens de l’accueillir, s’explique en grande partie par la violence du choc économique de la mondialisation, ainsi que par le reflux discret, mais inexorable, de toute politique nationale d’aménagement du territoire digne de ce nom.

Le bouleversement du secteur primaire, tout d’abord, avec la mise en pièces progressive de la Politique agricole commune, explique la paupérisation de beaucoup de zones rurales. L’agriculture est devenue une activité marginale dans beaucoup de campagnes françaises, alors même que les conditions de notre autonomie alimentaire sont menacées.

La revitalisation de nos espaces ruraux passe pourtant par la redynamisation de pans entiers de notre agriculture. Outre une meilleure défense de nos intérêts à Bruxelles et à l’OMC (j’y reviendrai), l’intervention plus audacieuse de l’État dans certaines filières malgré les oukases de la Commission, il est urgent de relancer notre tissu agricole, menacé par la jachère et les faillites des petites exploitations. La première priorité est d’aider vraiment à l’installation des jeunes agriculteurs, main dans la main avec les organisations professionnelles.

Ensuite, il faudra encourager à la diversification des cultures, pour favoriser les productions de proximité (notamment maraîchères) et les nouvelles cultures comme celles des biocarburants. Il faudra aussi veiller à mettre un terme au scandale des décalages de prix criants entre le producteur et le distributeur: pourquoi, par exemple, ne pas favoriser la création d’un réseau de distribution national coopératif? Sur la question des OGM, n’en déplaise à Bruxelles, le gouvernement devra directement interroger les Français par référendum et, tout en préservant les champs expérimentaux strictement contrôlés par l’INSERM, faire une chasse sans merci aux produits OGM qui pourraient s’inviter dans nos assiettes à cause d’une réglementation européenne trop complaisante. Ce redéploiement de l’agriculture française devra également tenir compte d’une meilleure préservation de l’environnement grâce à l’évolution des modes de production et à la nature des productions elles-mêmes.

Au même moment, le choc de la concurrence des nouveaux pays de l’Union, du bassin méditerranéen et même de la Chine, raye de la carte toute une petite industrie qui avait été installée dans les années 1960 à force de primes d’aménagement du territoire dans les villes moyennes.

Effondrement du secteur textile, puis de l’équipement automobile: les conséquences sont douloureuses. Des villes comme Épinal par exemple, dans les Vosges, ou Saint-Dizier en Haute-Marne, ont subi de vrais chocs économiques et sociaux. Je pourrais malheureusement en citer des dizaines d’autres à travers tout le pays.

Dans ce contexte, totalement passé sous silence au sein du microcosme parisien, la réponse des pouvoirs publics a été quasiment inexistante pour les territoires ruraux et souvent inefficace pour les quartiers sensibles.

Au moment où le choc était le plus violent, la puissance publique s’est évanouie. Trois tendances se sont conjuguées, ajoutant à la désespérance de nos concitoyens:

  •  la paupérisation de l’État tout d’abord, avec des investissements en chute libre et des services de plus en plus démunis;
  •  la décentralisation dans le désordre ensuite, avec un mélange de saupoudrage de l’État central et de résurgence des féodalités locales. Ainsi l’action publique se disperse-t-elle, elle doublonne, elle bégaie, elle végète, en allant rarement à l’essentiel. L’aide économique aux PME-TPE, transférée aux régions à partir de 1982, s’est enlisée dans les méandres de commissions d’évaluation aux critères parfois obscurs, sans que les chefs d’entreprise puissent y défendre leurs projets dans des délais raisonnables;
  •  enfin, la privatisation des services publics qui, sous la pression de la rentabilité, aboutit à réduire les services à la population, a parachevé ce mouvement de recul et de déprise.

Au moment où, dans les zones rurales en perdition, il fallait faire le choix d’une retraite en bon ordre et prévoir la contre-offensive, on a cultivé la « réunionite » sans stratégie globale. Multiplication des contrats en tous genres, incohérence des décisions, concurrence fiscale pour l’accueil des entreprises, la liste est longue des gaspillages et des enlisements. Les chambres régionales des comptes, pour leur part, sont bien à la peine pour exercer leur contrôle!

Dans les zones urbaines dites difficiles, la problématique est différente. Le choc économique hors de l’Île-de-France a été tout aussi fort mais s’y est ajouté le problème d’une immigration non maîtrisée. En l’absence d’une école qui intègre et d’une justice qui passe, l’État a cru bien faire en inventant la fameuse « politique de la ville ».

Ce n’est toutefois qu’un palliatif, une politique de bouts de ficelle souvent organisée autour d’un verbiage socioculturel incompréhensible pour le commun des mortels! La tâche, il est vrai, n’est pas aisée pour l’État qui, faute de simplifier l’organisation des collectivités locales, ou des ministères, s’évertue depuis vingt ans à coordonner l’ensemble de leurs actions.

Depuis deux ans, dans la communauté d’agglomérations que je préside, j’essaye de simplifier les choses. J’ai eu le plus grand mal à faire comprendre qu’il ne servait à rien de recenser quinze priorités en organisant pour chacune dix réunions par an regroupant vingt-cinq interlocuteurs, chacun ne mettant sur la table que trois francs six sous. J’ai découvert, en creusant le sujet, le caractère parfois ridicule des moyens accordés. Par exemple, une « fiche action » au titre ronflant d’« insertion des populations difficiles » permettait, grâce à un cofinancement entre l’État, la région, le département, la communauté d’agglomérations et la ville, de financer pour trois mille euros des stages de quinze demandeurs d’emploi. En vérité, la politique de la ville en zone urbaine, tout comme la décentralisation en milieu rural, apparaissent trop souvent le cache-sexe d’un État démissionnaire et velléitaire.

Heureusement, un sursaut a eu lieu. Jean-Louis Borloo, qui fut maire de Valenciennes, a réussi à mettre en action une vraie politique de la ville, en débloquant des crédits considérables pour démolir tours et barres. De même, le gouvernement Juppé avait pris une mesure efficace, exonérant de charges les entreprises qui s’installent dans les zones franches urbaines.

Pour autant, il nous faut une vision d’ensemble pour lutter contre les déséquilibres des territoires français.

Il faudra enfin aller à la racine des problèmes. Sont en cause les systèmes publics traditionnels allant de l’emploi au logement, en passant, comme on l’a vu, par l’école et la justice. Mais au-delà, si l’on veut être certain que les efforts irriguent les quatre coins du pays permettant à chacun de vivre sur la terre qu’il aime, ancestrale ou d’adoption, il faudra bien réinventer une nouvelle politique d’aménagement du territoire.

Cette politique, pour être efficace, impose une bonne coordination entre l’État, les collectivités et les services publics. Pour redonner de l’unité au pays, c’est-à-dire renforcer notre cohésion nationale, il faut relever l’État et relancer les services publics.