Français, reprenez le pouvoir !/Partie 4/Chapitre 10

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S’il est normal de favoriser les emplois aidés, comme l’a fait Jean-Louis Borloo pour réinsérer des populations privées d’activité depuis des années, il est encore plus urgent et utile d’aider les entreprises françaises à naître, se développer, investir, innover et donc recruter.

Or, comment pourraient-elles y réussir dans un environnement économique impitoyable, alors que leurs marges de financement sont trop faibles et leurs charges tellement lourdes qu’elles ont un effet dissuasif pour l’emploi? Et lorsque les entreprises peuvent embaucher, il faut les inciter à le faire sur le territoire national en respectant les normes sociales et environnementales.

Quand le pouvoir politique comprendra-t-il qu’il faut savoir amorcer la pompe si l’on veut obtenir des résultats? Le plan Dutreil en faveur de la création d’entreprises a coûté 350 millions d’euros, somme à rapprocher du coût du plan en faveur des buralistes s’élevant à 150 millions d’euros! Quand la politique économique de la France sera-t-elle enfin faite pour les 2,5 millions d’entreprises dont 96 % ont moins de vingt salariés, plutôt que pour les sociétés du CAC 40?

Afin d’aider ces entreprises qui créent de l’emploi, je propose deux réformes clés: l’orientation de l’épargne vers le risque et vers l’entrepreneur et la réforme des charges avec la création d’une TVA sociale.

Il faut d’abord orienter l’épargne française, particulièrement abondante, par la fiscalité et par les financements en faveur des créateurs et développeurs d’emplois. Des études remarquables menées par Bernard Zimmern (iFRAP) montrent que les États-Unis depuis les années 1960, la Grande-Bretagne depuis les années 1980, ont mis en place des dispositifs fiscaux qui incitent les plus riches à financer des projets de créateurs au tout début de leur activité, là où les banques et les sociétés de capital ne veulent pas s’engager. Il explique ainsi: « Ce succès de leurs économies vient tout simplement du fait que les Anglais, et encore davantage les Américains, ont compris de longue date que le dynamisme d’une économie, son rajeunissement, dépendent de la quantité de jeunes pousses, qui émergent du terreau entrepreneurial chaque année et de la vigueur avec laquelle ce terreau nourrit leur développement. Certes, beaucoup de facteurs jouent sur ce terreau, la paperasserie bureaucratique, les aberrations du Code du travail, les charges sociales. Maisles visionnaires qui sont au départ de toutes nos grandes entreprises, de l’Air Liquide à Radial en passant par Business Objects, Gemplus, etc., peuvent les surmonter en travaillant plus; ils ne peuvent rien faire s’ils ne trouvent pas l’argent qui leur permet de matérialiser leur rêve. L’absence de capitaux est un obstacle absolu. »

Ces jeunes entreprises appelées « gazelles » embauchent chaque année en Angleterre cent mille personnes de plus qu’en France, car elles sont tout simplement dopées. Elles reçoivent 10 milliards d’euros contre 1,5 milliard pour leurs homologues françaises en nombre insuffisant. Les Américains investissent quant à eux 20 milliards d’euros. Cet argent ne vient, ni des banques ni des sociétés de capital-risque, mais d’investisseurs individuels qui analysent et portent les projets des chercheurs, des jeunes sortis de l’enseignement supérieur, inventeurs de produits innovants.

La France a le privilège de recéler autant d’inventeurs, de chercheurs, de créateurs qu’ailleurs. Elle a aussi la chance de disposer d’une épargne considérable. Les deux ne se rencontrent pas. En effet, sous la pression des lobbies, les exonérations fiscales françaises ne favorisent pas la meilleure orientation de cette épargne. Des éoliennes aux bateaux de luxe dans les DOM-TOM, il existe des dizaines de niches fiscales! Sans parler de l’ISF qui entraîne la sortie de France de milliards d’euros de capitaux, notamment ceux qui sont engendrés par la vente d’entreprises patrimoniales. Non seulement notre pays perd l’argent, mais il perd aussi le talent des créateurs qui, après avoir placé leur fortune à l’étranger, y vivent et y développent de nouveaux projets.

C’est pourquoi je propose de déduire de l’ISF la moitié des sommes que le contribuable aurait investies dans des entreprises de moins de trois ans non cotées. Cela représenterait environ 60 % de l’ISF (1,6 milliard d’euros) affectés au soutien des créateurs et plus de 3,2 milliards d’euros investis dans les « gazelles ». Une telle mesure serait susceptible d’apporter rapidement à l’économie française, ainsi qu’aux comptes publics (impôts et prélèvements sociaux), des ressources supplémentaires.

À ceux qui critiqueront cette mesure pour des raisons de justice sociale, je répondrai que l’emploi en France vaut autant que les tableaux de maîtres qui sont exonérés d’ISF.

L’orientation d’une partie des fonds collectés pour l’assurance vie vers les PME permettrait également de les aider à s’imposer sur le marché mondial. Aujourd’hui, moins de 1 % des 800 milliards d’euros perçus vont vers les PME, au lieu de 4 à 10 % des fonds de pension dans les autres pays. Si nous passions seulement à 2 %, cela suffirait à insuffler un nouveau dynamisme à notre économie.

La deuxième réforme fondamentale que je propose pour muscler nos entreprises et les rendre plus compétitives consiste à égaliser les conditions de concurrence avec l’étranger, en transformant notre système de prélèvements sociaux. À l’heure actuelle, ce système pénalise l’emploi et favorise les importations, ce qui équivaut à imposer à notre économie de véritables droits de douane à l’envers.

Comment s’étonner de voir les entreprises françaises supprimer des emplois et les importations prospérer, quand on sait que les cotisations sociales, parmi les plus élevées au monde, pèsent uniquement sur le travail? Depuis plus de dix ans, politiques, experts, syndicalistes, militent pour la TVA sociale.

Le principe en est simple. La protection sociale, au lieu d’être totalement financée par les cotisations des entreprises et des salariés, pourrait l’être partiellement par la consommation (sur le modèle de la TVA). Cela n’aurait aucune influence sur les prix au consommateur, car l’augmentation de la fiscalité sur la consommation ne ferait que compenser une baisse correspondante des charges sociales qui pèsent sur les salaires, donc du prix de revient, par un jeu de vases communicants. Seul le prix des produits importés augmenterait, finançant ainsi notre protection sociale. En revanche, cela représenterait un avantage majeur pour nos exportations, qui ne seraient plus handicapées comme aujourd’hui par la charge des cotisations sociales.

Cette mesure existe déjà au Danemark, où j’ai pu l’étudier, et elle fonctionne très bien, permettant aux entreprises de recruter davantage. Malheureusement, les services de Bercy ont toujours été hostiles par principe à cette réforme sur la base de modèles économétriques qui donnent toujours de mauvais résultats, à la différence des expériences grandeur nature réalisées à l’étranger.

Pour aller plus loin encore, l’économiste Gérard Lafay a proposé une contribution sociale sur la valeur ajoutée. Il s’agit simplement de mesurer l’ensemble des cotisations sociales de la même façon que la TVA[1].

Les entreprises françaises doivent avoir davantage intérêt à investir en France, à développer l’emploi. Bien évidemment, l’État, à leurs côtés, doit aussi pouvoir contribuer à la puissance du pays.


  1. On remplacerait ainsi « un système complexe de cotisations multiples, qui sépare fictivement les cotisations employeurs et les cotisations salariales, qui distingue sept types de cotisations (maladie, vieillesse, veuvage, familles, FNAL, CSG, CRDS) et trois types différents d’assiette, rien que pour l’URSSAF, sans compter les régimes multiples d’assurances complémentaires ARCCO, et AGIRC, l’ASSEDIC, l’APEC et diverses taxes. Ce système résulte d’une série de strates successives, décidées de façon concertée avec les partenaires sociaux, de même que la multiplication des formes de contrat de travail. Quel chef d’entreprise ne rêverait pas de simplifier ce système inextricable qui, à lui seul, freine l’embauche ! » Ce système permettrait d’opérer un calcul sur le chiffre d’affaires de l’entreprise, avec déductibilité des achats de biens intermédiaires et des investissements productifs (calcul effectué, par conséquent, sur une valeur ajoutée nette des investissements productifs de l’année) ; d’assurer une neutralité parfaite vis-à-vis de l’étranger, puisque les produits importés supporteraient un prélèvement équivalant aux produits fabriqués en France, tandis que le montant de la CSVA serait, comme pour la TVA, déduit des produits exportés.