Français, reprenez le pouvoir !/Partie 4/Chapitre 12

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Pour être capable de relever de front ces multiples défis, l’État doit complètement changer de politique économique. Si le fameux rapport Pébereau, de décembre 2005, présente des propositions très utiles, il fait en revanche fausse route sur l’ordre dans lequel elles doivent être mises en œuvre. En préconisant une réduction brutale du déficit public pour diminuer la dette, il aboutira aux mêmes échecs que par le passé. En effet, cette diminution cassera un peu plus la croissance, limitera les recettes, dissuadera l’investissement, augmentera l’épargne privée et creusera les déficits. Et en fin de cycle, la dette aura encore progressé[1]!

Comme le dit depuis quinze ans Henri Guaino: « À vrai dire, avec une épargne élevée, une consommation relativement faible, une main-d’œuvre largement sous-employée, un taux de croissance inférieur à son potentiel, la France vit plutôt au-dessous de ses moyens qu’au-dessus. La crise française n’est pas dans l’endettement de l’État, mais dans la faiblesse de la croissance et dans le chômage de masse qui sont les principales causes des déficits. »

Pour réduire durablement la dette à long terme, nous devons savoir patienter. L’exercice est délicat, et doit être fait en douceur. Il implique de freiner d’un côté les dépenses inutiles de fonctionnement (mécontentant ainsi beaucoup de gens), de l’autre d’augmenter les investissements, sans obtenir de résultats immédiats. Afin d’accroître le potentiel de croissance, l’enjeu d’aujourd’hui consiste à restructurer les dépenses publiques. Il faut diminuer celles qui sont inefficaces et accentuer la productivité des services, réduire celles dont l’objet est de satisfaire les lobbies, augmenter l’investissement public là où la France est en retard (recherche, université, etc.).

Bien entendu, nous devons être certains qu’à moyen terme les fruits de la croissance ne seront pas gaspillés et seront affectés à la réduction de la dette. C’est pourquoi un contrat de dix ans doit être conclu entre le pouvoir et les Français. Ce contrat de confiance devra déterminer les secteurs à développer et ceux qui doivent diminuer. Entre le rapport Pébereau, qui propose une saignée de plus, et le laxisme des vingt dernières années, il y a la voie de la raison.

À ma très modeste mesure, j’ai expérimenté cette situation en tant que maire. J’ai été, en effet, élu en 1995 à la tête d’une ville en faillite. Pour surmonter le fiasco d’un centre aquatique qui n’avait jamais fonctionné et coûtait 60 millions de francs, elle s’était engagée dans une politique malthusienne sans fin. Hausse des impôts à répétition, mais qui ne suffisaient pas à combler la dette, et réduction drastique de toutes les dépenses d’inves­tissement. Cela entraînait en contrepartie l’augmentation des dépenses d’entretien et la démoralisation des citoyens qui, lassés de ce climat, vendaient leur maison, faisant ainsi chuter les prix de l’immobilier. Après mon élection, nous avons choisi une politique de sortie par le haut. Elle impliquait des coupes drastiques dans les frais de fonctionnement, une hausse des impôts en une fois et l’augmentation de l’investissement, pour accueillir des entreprises, embellir la ville et effectuer des gains de productivité dans les services. Le démarrage fut délicat (trois mille manifestants dans la rue), mais après quelques semaines d’explications la population a admis la cohérence du plan. Dix ans après, la dette est réduite du tiers, la commune fonctionne aussi bien avec cent agents de moins, l’investissement a été triplé, la valeur des biens a doublé.

Si cet exemple semble un peu facile, il y en a un autre encore plus pertinent: celui de la Grande-Bretagne de Tony Blair, qui a fait un effort de productivité dans les administrations parallèlement à une relance financière typiquement keynésienne. Il s’appuyait sur une politique monétaire accommodante, différente de celle de la Banque centrale européenne, et sur une politique budgétaire intelligente. Contrairement à ce qui est souvent dit, la moitié des créations d’emplois a été due au secteur public, réformé et assoupli. De plus, l’investissement a été massif. Le déficit budgétaire lui était réservé, comme pour les collectivités locales en France.

La France pourrait adopter la règle simple selon laquelle les recettes fiscales doivent couvrir les dépenses de fonctionnement. Le déficit servirait à l’investissement et pourrait être utilisé de manière contre-cyclique. Notre pays devrait surtout s’inspirer de l’action du gouvernement japonais, dont les entreprises s’imposent sur les marchés extérieurs, grâce à l’excellence de leurs produits et à leur coût relativement modéré. Mais aussi, grâce à la protection du marché intérieur, assurée par une foule de règles aussi discrètes qu’efficaces. Surtout, le Japon s’appuie sur un double atout: le patriotisme économique de ses habitants, qu’il nous faudrait développer pareillement en France, et l’investissement massif dans la recherche et l’industrie, aussi bien par la mobilisation de l’épargne domestique que par la dépense publique.

Concernant la réforme de l’État, il faut cesser de culpabiliser des millions de fonctionnaires honnêtes, qui s’acquittent correctement de leur mission, mais sont montrés du doigt par certains discours ultralibéraux, à cause de vices du système, qui ne dépendent pas d’eux.

Certains, à droite, promettent de réduire de six points le taux des prélèvements obligatoires dans notre pays, afin de l’aligner sur les standards européens. Relevons tout d’abord l’absurdité d’une telle approche arithmétique, qui ignore complètement les réalités nationales et s’appuie sur des moyennes. De telles réductions auraient des effets cataclysmiques et ceux qui les préconisent se gardent bien de dire quels postes budgétaires seraient touchés par ces économies radicales. Des gains de productivité dans la fonction publique sont possibles. Certaines mesures engagées ces dernières années, comme la prise en compte du mérite, vont dans le bon sens et mériteraient d’être amplifiées.

Il faut surtout ne pas se tromper de débat: on ne réduira pas significativement par décret le nombre de fonctionnaires, en dehors des gains à réaliser à l’occasion du départ en retraite des baby-boomers, lorsque c’est possible. Le redéploiement des fonctionnaires doit être notre boussole, ce qui implique la formation et la mutation de certains d’entre eux, pour les faire passer d’une administration à une autre. Bien sûr, cela suscitera des résistances dans les corps pléthoriques de Bercy et de l’Éducation nationale, où les syndicats ont parfois tendance à faire du corporatisme. La chasse aux gaspillages, la réalisation d’économies d’échelle par une meilleure gestion des ressources humaines et des approvisionnements publics, une nouvelle répartition des effectifs, constituent des pistes raisonnables. Elles auront un effet à terme, très éloigné du « grand soir » que nous promettent les avocats du « moins d’État ». Avec une telle politique, qui ne braquera pas les fonctionnaires, on pourra réellement progresser et maîtriser peu à peu les dépenses de fonctionnement de l’État. L’objectif raisonnable me paraît être la stabilisation des prélèvements obligatoires et leur légère diminution, de deux à trois points maximum, d’ici à quelques années.

Cela dit, la clé de l’assainissement de nos finances publiques réside d’abord dans le rétablissement d’une croissance forte, génératrice de recettes fiscales plus abondantes.


  1. Ancien commissaire au Plan.