Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques/2e éd., 1875/Allemande (philosophie)

La bibliothèque libre.
Dictionnaire des sciences philosophiques
par une société de professeurs et de savants

ALLEMANDE (Philosopiiie). La philosophie allemande commence avec Kant. Leibniz appar­tient au cartésianisme dont il est le dernier re­présentant. La philosophie française du xvm° siè­cle, accueillie à Berlin à la cour de Frédéric, exerça peu d’influence sur l’Allemagne et ne jeta pas de profondes racines dans cette terre classique du panthéisme et de l’idéalisme. Kant opéra en philosophie la même révolution que Klopstock, Goethe et Schiller en littérature. Il fonda cette grande école nationale de profonds penseurs qui compte dans ses rangs Jacobi, Fichte, Schelling et Hegel. En même temps, il ferme le xviiic siècle et ouvre le xix°. Pour com­prendre sa réforme, il faut la rattacher à ses antécédents ; car, loin de renier ses devanciers et l’esprit des écoles qui l’ont précédé, Kant ra­mène la philosophie moderne dans la voie d’où elle n’aurait pas dû sortir ; il la repla e à son point de départ, et s’il a été surnommé le se­cond Socrate, on aurait pu l’appeler le second Descartes.

Descartes avait donné pour base à la philoso­phie l’étude de la pensee ; mais, infidèle à sa propre méthode, au lieu de faire l’analyse de l'intelligence et de ses lois, il abandonna la psychologie pour l’ontologie, l’observation pour le raisonnement et l’hypotlièse. En outre, parmi les idées de la conscience, il en est une qui le préoccupe et lui fait oublier toutes les autres, l’idée de la substance. Ce principe développé par Spinoza engendre le panthéisme et devient la théorie de la vision en Dieu de Malebrauche, ce

panthéisme déguisé. Une autre branche de la philosophie du xvue siècle, l’école de Locke, s’attachant au côté de la conscience négligé par Descartes, à l’élément empirique, et méconnais­sant le caractère des idées de la raison, produit le sensualisme. Leibniz se place entre les deux systèmes, combat leurs prétentions exclusives, et faisant la part de l’expérience et de la raison, essaye de les concilier dans un système supé­rieur. Mais il ne maintient pas la balance égale:il incline vers l’idéalisme, et s’abandonne lui— même à l’hypothèse. Le système des monade* et de l’harmonie préétablie, malgré la notion su périeure de la force et de la multiplicité dans l’unité, a l’inconvénient de reproduire quelques— unes des conséquences de l’idéalisme cartesien et de revêtir une apparence hypothétique, ce qui le fait rejeter sans examen par le xvme siè­cle. Wolf a beau lui donner une forme régu­lière et géométrique, aux yeux d’hommes tôut préoccupés danalvse et d’expérience, il n’est que le rêve d’un nomme de génie. Cependant le sensualisme de Locke, développé et simplifié par Condillac, porte ses fruits, le matérialisme et le scepticisme. En Angleterre, Berkeley, par­tant de l’hypothèse de la sensation et de l’idée représentative, nie l’existence du monde exté­rieur. Hume, plus conséquent encore et plus hardi, attaque toute vérité et détruit toute exis­tence ; il anéantit à la fois le monde extérieur et le monde intérieur, pour ne laisser subsister que de vaines perceptions sans objet ni réalité. 11 essaye d’ébranler en particulier le principe de causalité qui est la base de toute croyance et de toute science. L’école écossaise proteste au nom du sens commun et de l’expérience contre tous ces résultats de la philosophie du χντΓ et du xvine siècle. Elle s’efforce de ramener la phi­losophie à l’observation de la conscience et à la psychologie expérimentale ; mais elle montre dans cette entreprise plus de bon sens que de génie, plus de sagesse que de profondeur. Elle s’épuise dans l’analyse d’un seul fait interne, ce­lui de la perception. Elle effleure ou néglige les idées de la raison, qu’elle se contente d’éri— er en principes du sens commun. Refusant’aborder les grandes questions qui intéressent l’homme, elle se confine dans les régions infé­rieures ae la psychologie, et par là se sent in­capable, non-seulement de faire faire un grand pas à la science, mais de juger les systèmes du passé.

Tel était l’état de la philosophie en Europe, au moment où parut Kant; ce grand penseur, voyant l’incertitude et la contradiction qui ré­gnaient entre les systèmes des philosophes, en rechercha la cause, et la trouva dans la mé­thode qu’ils avaient suivie. Tous, s’attachant à

  1. 'objet de la connaissance et poursuivant la so­lution des plus hautes questions que puisse se

3DICT PHILOS[toser l’intelligence humaine, telles <jue celles de’existence de Dieu, de la spiritualité de l’àme et de la vie future, ont oublié le sujet même qui donne naissance à tous ces problèmes, savoir:l’esprit humain, la faculté de connaître, la rai­son. Us ont négligé de constater ses lois, les conditions nécessaires qui lui sont imposées par sa nature, les limites qu’elle ne peut franchir, les questions qu’elle doit s’interdire, afin de s’é­pargner de vaines et stériles recherches. Voilà ce qui a perpétué sans fruit les débats et les dis­putes entre les philosophes. Il faut donc rame­ner la philosophie à ce point de départ, abandon­ner l’objet de la connaissance pour s’attacher à la connaissance elle-même; analyser sévèrement ses formes et ses conditions, determiner sa por­tée et ses véritables limites. Pour cela on doit écarter avec soin tout ce qui n’est pas la con­naissance elle-même, tout élément étranger. Par là on pourra fonder une science indépen­dante de toutes les autres sciences, une science qui ne reposera que sur elle-même, et dont la certitude sera égale à celle des mathématiques, puisqu’elle ne renfermera que les notions pures de l’entendement. La métaphysique sera enfin assise sur une base solide, et, les conditions de la certitude étant fixées, le scepticisme sera dé­sormais banni de la philosophie. Cette méthode renversera bien des prétentions dogmatiques, elle détruira bien des opinions et des arguments célèbres, mais elle les remplacera par des prin­cipes inébranlables, à l’abri des attaques du doute et du sophisme.

Tel est le projet hardi que conçut Kant et qu’il réalisa dans son principal ouvrage dont le titre seul annonce l’esprit et le but de cette ré­forme:la Critique de la raison pure.

Dans la Critique de la raison pure, Kant pro­cède d’abord à l’analyse des notions de l’espace et du temps, qu’il appelle les formes de la sensi­bilité. Il es separe avec une admirable rigueur de toutes les perceptions sensibles avec lesquel­les on les a confondues ; il fait ressortir leur ca­ractère de nécessité et d’universalité; puis, ap­pliquant la même méthode à la faculté de juger et aux principes de l’entendement, il fait l’ana­lyse de nos jugements. Il reprend le travail d’A­ristote sur les catégories, il le complète et le simplifie, lui donne une" forme plus systémati­que ; enfin, il aborde la raison elle-même, la fa­culté qui conçoit l’idéal. Après l’analyse vient la critique. Ces idées et ces principes de la raison une fois énumérés et classés, Kant se demande quelle est leur valeur objective. Ces idées ont-elles hors de notre esprit un objet réel qui leur corres­ponde, ou ne sont-elles que les lois de notre in­telligence, lois nécessaires, il est vrai, qui gou­vernent nos jugements et nos raisonnements, mais n’existent qu’en nous et sont purement subjectives ? C’est dans ce dernier sens que Kant résolut le problème. Selon lui. les objets de toutes ces conceptions, l’espace, le temps, la cause éternelle et absolue, Dieu, l’âme humaine, la substance matérielle même, ne sont que de simples formes de notre raison et n’ont pas de réalité hors de l’esprit qui les conçoit. Ainsi, après avoir si victorieusement réfuté le sensua­lisme, après avoir fondé un idéalisme qui re­pose sur les lois mêmes de l’intelligence hu­maine, Kant aboutit au scepticisme sur les objets qu’il importe le plus à l’homme de connaître, Dieu, l’âme humaine, la liberté ; il se plaît à mettre la raison en contradiction avec elle— même sur toutes ces questions, dans ce qu’il ap­pelle les antinomies de la raison. Lui enfin qui avait entrepris sa réforme pour s’opposer au progrès du scepticisme et le bannir pour ja­mais de la science, il se trouve qu’il lui a con­struit une forteresse inexpugnable dans la science même. Kant vit bien ces conséquences, et il re­cula effrayé devant son œuvre ; son sens moral surtout en fut révolté. Aussi, changeant de point de vue et se plaçant sur un autre terrain, il cherche à relever tout ce qu’il a détruit, à l’aide d’une distinction qui a fait plus d’honneur à son caractère qu’à son génie. Il distingue deux rai­sons dans la raison:l’une théorique, qui s’oc­cupe de la vérité pure et engendre la science ; l’autre pratique, qui gouverne la volonté et pié— side à nos actions. Or, tout ce que la raison spéculative révoque en doute ou dont elle nie l’existence, la raison pratique l’admet et en af­firme la réalité. Kant, sceptique en théorie, re­devient dogmatique en morale ; il y a en lui deux philosophes, dans sa philosophie deux sys­tèmes. Dieu est révélé par la loi du devoir, il apparaît comme le représentant de l’ordre moral etie principe de la justice. La liberté de l’homme et l’immortalité de l’âme sont également deux postulais de l’idée du devoir.

On sent bien qu’une pareille doctrine avec les conséquences qu’elle renferme, et qui ne pou­vaient manquer d’être dévoilées, ne devait pas se faire admettre sans combat et sans essuyer de vives attaques. A la tête des adversaires de Kant se placèrent trois hommes d’un esprit supérieur et dont le nom est illustre dans la science et dans la littérature, Hamann. Hcrder et Jacobi.

La philosophie de Kant, qui repose sur l’ana­lyse des formes de la pensee, a son point de dé­part dans la réflexion ; mais, antérieurement à toute pensée réfléchie, la vérité se révèle à nous spontanément ; l’intuition précède la réflexion, le sentiment, la pensée proprement dite, et la foi la certitude. Toute science, en dernière analyse, re­pose sur la foi qui lui fournit ses principes. Ha­mann entreprend une polémique contre tous les systèmes qui ont pour base la réflexion et le rai­sonnement. 11 démontre que cette méthode con­duit inévitablement au scepticisme, et il en con­clut qu’il n’y a qu’un moyen d’éviter l’écueil, c’est d’admettre la foi, la révélation immédiate de la vérité dans la conscience humaine. Hcrder oppose également à la connaissance abstraite que donne le raisonnement, l’idée concrète qui est le fruit de l’expérience; il veut que l’on réunisse ce que Kant a séparé:l’élément empirique et l’élé­ment rationnel dans la connaissance. Kant, selon lui, a trop abusé de 1 abstraction et de la logique. Mais c’est surtout Jacobi qui a développé ce prin­cipe et a su en tirer un système ; aussi doit— il être regardé comme le chef de cette école. Il signale aussi l’abus de la logique et du raisonne­ment qui, selon lui, ne peut que diviser, distin­guer et combiner les connaissances et non les engendrer, opérations artificielles qui s’exercent sur les matériaux antérieurement donnés. Jacobi accorde à Kant que la raison logique est inca­pable de connaître les vérités d’un ordre supé­rieur, qu’elle reste dans la sphère du fini et ne peut atteindre jusqu’à l’absolu. Le principe de toute connaissance et de toute activité est la foi, cette révélation qui s’accomplit dans l’âme hu­maine, sous la forme du sentiment, et qui est la base de toute certitude et de toute science.

Ce principe est éminemment vrai, mais Jacobi l’exagère. 11 est bien d’avoir reconnu le rôle né­cessaire de la spontanéité et de la connaissance intuitive comme antérieures à la réflexion et au raisonnement; mais Jacobi va plus loin, il dé­précie la raison et ses procédés les plus légitimes, il méprise la science et ses formules, il tombe dans le sentimentalisme, et tous ces aéfauts lui ont été reprochés:le vague, l’obscurité, la faci­lité à se contenter d’hypothèses, l’absence de mé­thode et la prédominance des formes empruntées à l’imagination. Le sentiment est un phenomène mixte qui appartient à la fois au développement spontané de l’intelligence et à la sensibilité. Ja­cobi ne se contente pas de sacrifier la réflexion à la spontanéité, il accorde aussi trop à la sensa­tion. De là une confusion perpétuelle qui se fait sentir surtout dans la morale. La loi du devoir, si admirablement décrite par Kant, fait place au sentiment, à un instinct vague, au désir du bon­heur, à une espèce d’eudémonismequi flotte entre le sensualisme et le mysticisme. On chercherait là vainement une règle fixe ou un principe inva­riable pour la conduite humaine.

La doctrine de Jacobi fut une protestation élo­quente contre le rationalisme sceptique de Kant, mais elle lui était inférieure comme œuvre phi­losophique. C’était déserter le véritable terrain de la science. Il fallait attaquer ce système avec ses propres armes et le remplacer par un autre qui, sans offrir ses défauts, conservât ses avantages. Aussi la philosophie de Kant, après avoir rencon­tré d’abord de nombreux obstacles, se répandit rapidement parmi les savants et dans les univer­sités. Elle pénétra dans toutes les branches de la science et même de la littérature. On vit paraître une foule d’ouvrages animés de son esprit et de sa méthode. On s’occupa avec ardeur de combler ses lacunes, de la perfectionner dans ses détails, de lui donner une forme plus régulière, de l’ex­poser dans un langage plus clair et plus accessi­ble à toutes les intelligences. Il suffit de citer ici les noms des hommes qui se signalèrent le plus dans cette entreprise. Schulz, Rcinholz, lie k. Abicht, Boulerweck, Krug.— Mais il était réservé à un penseur du premier ordre de donner la der­nière main au système de Kant, de l’élever à sa plus haute puissance et en même temps d’en dé­voiler le vice fondamental. Métaphysicien pro­fond, logicien inflexible, Fichte était un de ces hommes qui font avancer la science en dégageant un système de toutes les réserves et les contra­dictions que le sens commun y mêle à l’origine, et qui, épargnant ainsi de longues discussions, préparent l’avénement d’une idée nouvelle. Fichte s’attache d’abord à donner à la science un prin­cipe unique et absolu. Ce principe est le moi, à la fois sujet et objet, qui, en se développant, tire de lui-même l’objet de la connaissance, la nature et Dieu. Le moi seul existe^ et son existence n’a pas besoin d’être démontree ; il est parce qu’il est. Tout ce qui est, est par le moi et pour le moi ; c’est là l’idée que Fichte a développee avec une grande force de dialectique et en déployant toutes les ressources d’un esprit fécond et subtil. Au fond c’est le système de Kant dans sa pureté et dégagé de toute contradiction. Du moment, en effet, que les idées nécessaires par lesquelles nous concevons Dieu ne sont que des formes de notre raison, Dieu est une création de notre esprit, et il en est de même du monde extérieur ; c’est encore le sujet qui se pose hors de lui et se donne en spectacle à lui-même ; reste donc un être so­litaire, à la fois sujet et objet, qui, en se dévelop­pant, crée l’univers, la nature et l’homme.

Le système de Fichte est une œuvre artificielle de raisonnement et de dialectique, d’où le senti­ment de la réalité est banni et qui contredit le bon sens et l’expérience. On arrive ainsi aux con­séquences les plus étranges et les plus para­doxales. Mais Fichte n’a pas épuisé tout son gé­nie à construire cet échafaudage métaphysique ; il a su, tout en restant fidèle à son principe, dé­velopper des vues originales et fécondes dans plu­sieurs parties de la philosophie, particulièrement dans la morale et le droit. Il a fait du droit une science indépendante qui repose tout entière sur le principe de la liberté et de la personnal té. Il a renouvelé la morale stoïcienne, et nul n’a ex­posé avec plus d’éloquence les idées du devoir pur et désintéressé, de l’abnégation et du dévoue­ment.

Cette noble et mâle doctrine fut prêchée dans les universités à une époque où l’Allemagne se leva tout entière pour secouer le joug de la domi­nation française ; elle eicita un vif enthousiasme et enflamma le courage de la jeunesse. Les Dis­cours de Fichte à la nation allemande sont un monument qui atteste que les plus nobles pas­sions, et en particulier le plus ardent patriotisme, peuvent se rencontrer avec l’esprit métaphysique le plus abstrait. Cependant l’idéalisme subjectif de Fichte faisait trop ouvertement violence à la

nature humaine et aux croyances du sens com­mun, pour être longtemps pris au sérieux ; il ne pouvait être qu’une réduction à l’absurde du sys­tème de Kant. Son auteur lui-même, dans les der­nières années de sa vie, reconnut ce que sa doc­trine avait de contraire à la raison et au bon sens, et il essaya de la modifier. Il eut recours aussi à la distinction de la foi et de la science, mais sans montrer le lien qui les unit. En outre, après avoir fait sortir du moi la nature et Dieu, il nt rentrer le moi humain dans le moi divin infini et absolu. Cette conception devait être la base d’un nouveau système, celui de Schelling.

Fichte ne pouvait fondfer une école ; mais sa philosophie n’en exerça pas moins une grande in­fluence, qui se fit sentir non-seulement dans la science, mais dans la littérature. L’école humo­ristique de Jean Paul, celle qui développa le prin­cipe de Yironie dans l’art, Solger, Frédéric de Schlegel se rattachent à l’idéalisme subjectif ; tandis que d’un autre côté l’effort que fait le moi pour sortir de lui-même, l’aspiration de l’âme vers l’infini et l’absolu engendrent le mysticisme de Novalis.

Après Fichte commence une nouvelle phase pour la philosophie allemande. L’idéalisme trans— cendantal de Kant et de Fichte abandonne la forme subjective pour prendre avec Schelling le caractère objectif et absolu. Schelling fut d’abord disciple de Fichte ; peu à peu il s’éloigna de sa doctrine et s’éleva par degres à la conception d’un nouveau système qui prit le nom de système de Yidentité. Kant, niant l’objectivité des idées de la raison, ramène tout au sujet, à ses formes et à ses lois. Fichte fait du moi le principe de toute existence, il tire l’objet du sujet. Schelling s’élève au-dessus de ces deux termes et les identifie dans un principe supérieur, au sein duquel le su­jet et l’objet s’unissent et se confondent. A ce point de vue la différence entre le moi et le non— moi, le fini et l’infini s’efface ; toute opposition disparaît ; la nature et l’homme, sortant du même principe, manifestent leur confraternité, leur unité et leur identité. De même au-dessus de la réflexion, qui n’atteint que le fini, se place un autre mode de connaissance, la contemplation intellectuelle, Yintuition, qui saisit immédiate­ment l’absolu. L’absolu n’est ni fini ni infini, ni sujet ni objet, c’est l’être dans lequel toute dif­férence et toute opposition s’évanouissent, Y Un, qui, se développant, devient l’univers, la nature et l’homme.

Il suit de laque la nature n’est pas morte, mais vivante. Dieu est en elle; elle est divine, ses lois et celles du monde moral sont identiques. Nous ne pouvons donner ici même une légère esquisse de ce système. Il est impossible de méconnaître ce qu’il renferme d’élevé et d’original, la fécondité et la richesse de ses résultats. Schelling avait su s’approprier les idées de plusieurs philosophes, de Platon, de Bruno, de Spinoza, et y rattacher les découvertes plus récentes de Kant, de Jacobi et de Fichte. A l’aide d’un principe supérieur, il en avait composé un système séduisant, surtout ar la facilite avec laquelle il expliquait les pro— lèmes les plus élevés, jusqu’alors insolubles. Ce panthéisme allait d’ailleurs si bien au génie alle­mand, qu’il ne pouvait manquer d’être accueilli avec enthousiasme. Schelling fut le chef d’une grande école, et l’on peut compter parmi ses prin­cipaux disciples Oken, Stefens, Goerres, Baader, Hegel lui-même, qui devait bientôt fonder une école indépendante.

Quoique la philosophie de Schelling embrassât l’objet entier de la connaissance, il l’appliqua principalement au monde physique. Elle prit le nom de philosophie de la nature : son influence ne s’exerça pas seulement sur les sciences natu­relles, elle s’étendit à la théologie, à la mytho­logie, à l’esthétique et à toutes les branches du savoir humain. Mais, malgré ses mérites et le gé­nie de son auteur, elle présentait des lacunes et de graves défauts qui, tôt ou tard, devaient frap­per les regards et provoquer une réaction.

Schelling n’a jamais exposé son système d’une manière complète et régulière ; il s’est borné à des esquisses, à des vues générales et à des tra­vaux partiels ; il ne sait pas pénétrer dans les détails de la science, en coordonner toutes les parties, former sur chaque question une solution nette et positive. La faculté qui domine chez lui est l’intuition ; il n’a pas au même degré l’esprit logique qui analyse, discute, démontre, qui dé­veloppe une idée et la suit dans toutes ses appli­cations ; son exposition est dogmatique et sa mé­thode hypothétique. Il s’abandonne trop à son imagination, son langage est souvent figuré ou poétique. En outre, il a plusieurs fois modifié ses opinions, et il n’a pas toujours su établir le lien entre les doctrines qu’il voulait réunir et fondre dans la sienne. Ces défauts devaient être exagérés par ses disciples. Ceux-ci se mirent à parler un langage inspiré et mystique, à dogma­tiser et à prophétiser, au lieu de raisonner et de discuter. Le mysticisme et la poésie envahirent la science ; la philosophie entonna des hymnes et rendit des oracles. Ce fut alors que parut Hegel.

ALLE— 36= ALLE = Esprit sévère et méthodique, logicien et dialec­ticien avant tout, Hegel vit le danger que courait la philosophie, et il entreprit de la ramener aux procédés et à la forme qui constituent son es­sence. Son premier soin fut de bannir de son domaine tout élément étranger, d’écarter la poésie de son langage, d’organiser la science dans son ensemble et toutes ses parties, de créer des for­mules exactes et précises. Dans ce but, il donna pour base à la philosophie la logique : c’est là ce qui constitue principalement l’originalité de son système ; mais il faut bien saisir son point de vue. La logique d’Aristote est une analyse des formes de la pensée et du raisonnement, telles qu’elles sont exprimées dans le langage. La lo­gique de Kant reprend et continue l’œuvre d’Aris­tote, c’est une analyse des formes de l’entende­ment et de la raison, considérées dans l’esprit humain lui-même ; mais ces formes et ces lois sont celles de la raison humaine, elles n’ont qu’une valeur subjective. Pour Hegel, au contraire, ces idées et ces formes, au lieu d’être de pures con­ceptions de notre esprit, sont les lois et les formes de la raison universelle. Elles ont une valeur absolue, c’est la pensée divine qui se développe conformément à ces lois nécessaires. Les lois de l’univers sont leur manifestation et leur-réalisa­tion ; le monde est la logique visible. Hegel refait donc le travail d’Aristote et de Kant, mais dans un autre but, celui d’expliquer, à l’aide de ces formules, Dieu, la nature et l’homme. D’un autre côté, la logique de Hegel n’est pas, comme celle d’Aristote et de Kant, une simple juxtaposition et une succession d’idées et de formes ; elle repré­sente le développement de la pensée universelle dans son évolution et son mouvement progressif, comme constituant un tout organique et vivant. Il part de Yidée la plus simple et la suit à travers ses oppositions, dans tous ses développements, jusqu’à ce qu’elle atteigne à sa forme dernière. Ainsi ces formules abstraites contiennent le secret de l’univers, c’est la science a priori et en abrégé. Toutes les parties du système de Hegel ont pour base et pour lien la logique et elles sont enchaî­nées avec un art et une vigueur d’esprit admira­bles. D’ailleurs, indépendamment du système, les ouvrages de Hegel abondent en vues aussi neuves que profondes sur tous les points qui intéressent la science, la religion, le droit ? les beaux-arts, la philosophie de Fliistoire et l’histoire de la phi­losophie.

La philosophie de Hegel est loin de pouvoir remplir les hautes destinees qu’elle s’est promises, et de mettre fin aux débats qui ont divisé jus­qu’ici les écoles philosophiques. Elle est loin de répondre aux besoins de l’âme humaine et même de satisfaire complètement la raison. On lui a jus­tement reproché d’avoir son principe dans une ab­straction logique, de mépriser l’expérience et la méthode expérimentale, de vouloir tout expliquer a priori, de faire violence aux faits et à l’histoire, d’avoir une confiance exagérée dans ses formules souvent vides et dans ses principes hypothétiques, d’affecter un ton dogmatique, de s’envelopper dans l’obscurité de son langage. On a surtout at­taqué ce système par ses conséquences religieu­ses et morales. Un Dieu, qui d’abord n’a pas con­science de lui-même, qui crée l’univers et l’ordre admirable qui y règne, sans le savoir, qui suc­cessivement devient minéral, plante, animal et homme, qui n’acquiert la liberté que dans l’hu­manité et lesindividusqui la composent, qui souffre de toutes les souffrances, meurt et ressuscite de toutes les morts, de celle de l’insecte écrasé sous l’herbe comme de celle de Socrate et du Christ, n’est pas le Dieu qu’adore le genre humain. L’im­mortalité de l’âme, quand la mort anéantit la personne et fait rentrer l’individu dans le sein de l’esprit universel, est une apothéose qui équivaut pour l’homme au néant. Le fatalisme est égale­ment renfermé dans ce système, qui confond la liberté avec la raison et qui d’ailleurs explique tout dans le monde par des lois nécessaires, qui n’établit pas de différence entre le fait et le droit, entre ce qui est réel et ce qui est rationnel. Avec de pareils principes, il est inutile de vouloir ex­pliquer les dogmes du christianisme, et de cher­cher l’alliance de la religion et de la philosophie. Aussi ; après la mort de Hegel, la division a éclaté au sein de son école, et plusieurs de ses disciples, tirant les conséquences que le maître s’était at­taché à dissimuler, se sont mis à attaquer ouver­tement ie christianisme.

Qu’on ne s’imagine pas cependant qu’il suffit, pour renverser un système, de l’accabler sous ses conséquences. Ce droit est celui du sens com­mun, mais la position des philosophes est tout autre : un système ne se retire que devant un système supérieur, et encore faut-il que celui-ci lui fasse une place dans son propre cadre. Pour le remplacer, il faut le dépasser, et, avant tout, comp­ter avec lui, le juger ; or jusqu’ici un semblable jugement n’a pas été porté sur la philosophie de Hegel. En Allemagne, toutes les tentatives qui ont été faites pour y substituer quelque chose qui eût un sens et une valeur philosophiques ont été impuissantes. Un seul homme pouvait l’entre­prendre, et sa réapparition sur la scène du monde philosophique a excité la plus vive attente. Mais on ne joue pas deux grands rôles ; ce serait là en particulier un fait nouveau dans l’histoire de la philosophie. Schelling. avant de condamner son ancien disciple, a été obligé de se condamner lui— même, puis il lui a fallu se recommencer, ce qui est plus difficile, pour ne pas dire impossible. D’ailleurs la méthode qu’il a choisie ne pouvait lui assurer un triomphe légitime. Ce n’est pas avec des phrases pompeuses et de magnifiques paroles que l’on, réfuté une doctrine aussi forte­ment constituée que celle de Hegel. Les anathè— rnes ne sont pas des arguments. Ces foudres d’é­loquence ont frappé à côté, et le monument est resté debout. Il fallait se faire logicien pour atta­quer la logique de Hegel, qui est son système tout entier.

Schelling, cependant, a touché la plaie de.a philosophie allemande, l’abus de la spéculation et le mépris de l’observation. Il a reconnu le rôle nécessaire de l’expôrien c et de la méthode expé­rimentale ; mais, au lieu d’entrer dans cette voie et de montrer l’exemple après avoir donné le pré­cepte, il s’est mis à faire des hypothèses et à con­struire de nouveau un système a priori, dont malheureusement les conséquences ne sont pas plus d’accord avec la religion et les croyances mo­rales du sens commun, que celles de la doctrine qu’il a voulu remplacer. L’école hégélienne peut lui renvoyer ses accusations de fatalisme et de panthéisme.

Dans cette revue rapide, bien des noms ont dû être omis. Nous ne pouvons cependant refuseï une place à quelques esprits distingués, qui ont su se faire un système propre, sans parvenir à fonder une école. Parmi eux nous rencontrons en première ligne, Herbart et Krause. Le pre­mier, d’abord disciple de Kant, puis de Fichte, chercha ensuite à se frayer une route indépen­dante. Il entreprit d’appliquer les mathématiques à la philosophie, et de soumettre au calcul les phénomènes de l’ordre moral. Il part de cette hypothèse, que les idées sont des forces, et réduit la vie intellectuelle à un dynamisme : pensée fausse et arriérée, méthode stérile, dernier abus de l’abstraction dans un successeur de Kant et de Fichte. Cependant Herbart a développé son prin­cipe avec beaucoup d’esprit et un remarquable talent de combinaison. Ses ouvrages contiennent des observations fines et des vues ingénieuses. Pour ce qui est de Krause, quoiqu’il n’ait pas manqué d’originalité sur un grand nombre de points, son système se rapproche beaucoup de ce­lui de Schelling. Il partage l’univers en deux sphères, qui se pénètrent mutuellement : celle de la nature excelle de la raison, au-dessus desquelles se place l’Être suprême, l’Éternel. On reconnaît là une variante du système de l’identité. Krause d’ailleurs, pas plus que Schelling, n’a donné une exposition régulière et complète de sa philoso­phie.

Des excès de la spéculation devait naître une réaction dans la philosophie allemande ; après le règne de l’idéalisme, qui est le caractère de tous ces systèmes, un retour au réalisme et à l’empi­risme était inévitable. L’école de Herbart marque déjà cette tendance. Mais c’est surtout un philo­sophe, dont le système longtemps oublié apparaît tardivement sur la scène, qui obtient cette vogue qu’explique l’état général des esprits. Schopen— hauer se distingue d’abord par sa violente polé­mique contre tous les systèmes précédents. Lui— même propose le sien ; il proclame l’observation et l’induction la seule vraie méthode. Comme Herbart, il se prétend disciple de Kant et veut ramener la philosophie allemande à son point de départ. On peut voir en effet dans Kant aussi bien le père du réalisme que de l’idéalisme. Sa distinction des noumènes et des phénomènes ou­vre cette double voie ; l’objet des noumènes étant inaccessible à notre raison, restent les phéno­mènes. Schopenhauer l’a compris. Il réduit le monde à n’être qu’un ensemble de représentations sensibles. Ce qui ne l’empêche pas d’admettre l’absolu (l’en soi) comme force universelle qui, sous le nom de volonté, espèce de fatum aveugle, crée l’univers physique et moral d’une façon in­consciente. En pratique, son nihilisme le conduit au pessimisme. La verve humoristique de ses écrits et son talent d’exposition ne peuvent mas­quer l’incohérence de sa doctrine, mélange de Kantisme de Platonisme et de Spinosisme, etc., ui faire passer sur l’étrangeté révoltante de ses conclusions.—Un retour plus sérieux à l’observa­tion éclairée par la raison se manifeste chez des esprits très-distingués qui joignent à un rare ta­lent philosophique des connaissances positives dans fes sciences ou se sont fait un nom par leurs travaux de critique et d’érudition, tels que 11er— mann, Fichte, Lotze, H. Ritter, etc. Ceux-ci se sont donné pour tâche principale de rétablir les vérités niées ou compromises dans les systèmes précédents, de démontrer l’individualité des êtres, la personnalité humaine et divine, la liberté, l’immortalité, comme conciliables avec la science aussi bien que conformes aux croyances de l’hu­manité. On ne peut que désirer vivement le suc­cès d’une telle entreprise*.

Que conclurons-nous de cet exposé général ? D’abord nous reconnaîtrons l’importance du mou­vement philosophique qui s’est accompli en Alle­magne depuis un siècle. On ne peut nier que tous les grands problèmes qui intéressent l’huma­nité n’aient été agités par des hommes d’une haute et rare intelligence ; que des solutions nou­velles et importantes n’aient été proposées, des \ues fécondes émises, des travaux remarquables exécutés sur une foule de sujets et dans toutes sortes de directions ; que ces idées n’aient exercé une grande influence sur toutes les productions de la pensée contemporaine. Mais ces systèmes sont loin de satisfaire les exigences de l’esprit humain et les besoins de notre époque. Une admiration aveugle seraitaussi déplacée qu’un injuste dédain ; il nous siérait mal, à nous particulièrement, de nous laisser aller à l’engouement et à une imita­tion servile, quand l’insuffisance de ces doctrines est reconnue par les Allemands eux-mêmes. Il faut donc que la philosophie se remette en mar­che, attentive à éviter les écueils contre lesquels elle est venue tant de fois échouer, et qui sont, pour la philosophie allemande en particulier, l’a­bus des hypothèses, de la logique et du raisonne­ment a priori, le mépris de l’observation et de l’expérience. Dans l’avenir philosophique qui se prépare, il est permis d’espérer qu’un rôle impor­tant est réservé à la France. Le génie métaphy­sique n’a pas été refusé aux compatriotes de Des­cartes et de Malebranche. En outre, pourquoi la sévérité des méthodes positives, pourquoi les qua­lités qui distinguent l’esprit français, la justesse, la netteté, la sagacité, l’éloignement pour toute espèce d’exagération, le sentiment de la mesure, c’est-à-dire du vrai en tout, l’amour de la clarté, ne seraient-elles pas aussi, dans la philosophie, les véritables conditions de succès ? L’opinion contraire tournerait contre la philosophie elle— même. Mais nous répéterons, au sujet de la phi­losophie allemande en général, ce que nous avons dit plus haut du dernier de ses systèmes : pour la depasser il faut la connaître, et par conséquent l’étudier sérieusement ; il faut se placer au point où ces philosophes ont conduit la science.

L’ouvrage le plus important qui ait été écrit dans notre langue sur la philosophie allemande est celui de J. Wilm : Histoire de la philosophie allemande depuis Kant jusqu’à Hegel, 4 vol. in-8, Paris, 1846-1849. On peut consulter aussi le rapport de M. de Rémusat sur le concours académique d’où est sorti l’ouvrage de M. Wilm : de la Philosophie allemande, in-8, 1845. — En allemand, un des meilleurs ouvrages sur le même sujet est celui de Charles-Louis Michelet : Histoire des derniers systèmes de la philoso­phie en Allemagne depuis Kant jusqu’à Hegel,

  1. vol. in-8, Berlin, 1837-1838. — Nous citerons encore le livre plus agréable que profond de Chalybœus : Développement historique de la philosophie spéculative depuis Kant jusqu’à

Hegel, in-8, Dresde et Leipzig, 1839. — Parmi les histoires plus récentes, nous signalerons, outre le grand ouvrage de Kuno Fischer, His­toire de la philosophie modeime (non terminé), une Histoire de la philosophie allemande depuis Leibnitz, par Ed. Zeller, Munich, 1873. Ch. B.

ALSTEDT (Jean-Henri), en latin Alstedius, né à Herborn en 1588, enseigna la philosophie, les belles-lettres, les sciences et la theologie, d’abord dans sa ville natale, puis à Carlsbourg (Alba Ju­lia) en Transylvanie, où il mourut en 1638. Il fut, dans le premier tiers du xviie siècle, un des représentants quelque peu attardés du ramisme et même du lullisme. Doué d’un esprit conciliant, mais de peu de portée, cet écrivain infatigable et qui justifia pleinement l’anagramme de son nom (Alstedius, Sedulitas), s’efforça de mettre d’ac­cord la dialectique de Raymond Lulle et celle de Ramus avec la logique d’Aristote, sinon avec la scolastique, qu’il n’aimait pas. Son commentaire sur l’Ars magna de Lulle (Clavis artis Lullianœ et verœ Logicæ, Argentorati, 1609, in-8) est peut— être le plus utile à consulter pour ceux qui veu­lent saisir sur tous les points le véritable sens du curieux et obscur travail par lequel le philosophe de Majorque préluda à la Renaissance à la fin du xiiic siècle. Alstedt est compté par Brucker (t. V, p. 584) parmi les semi-ramistes ou Arislotelico— Ramei, c’est-à-dire les logiciens éclectiques qui, vers la fin du xvie et au début du xvne siècle, ten­tèrent en Allemagne une sorte de fusion entre la demi-scolastique de Mélanchthon et la réforme plus radicale inaugurée par Ramus dans l’ensei­gnement de la logique. Ce savant érudit avait, on peut le dire, la passion de la logique et de la mé­thode. Par méthode il entendait surtout, comme Ramus et les ramistes, l’ordre dans les idées, la bonne division d’un sujet, la distribution régu­lière des parties de chaque science. Il porta cette préoccupation dans toutes les études qu’embras­sait sa riche et patiente érudition, et dont il fit tour à tour la matière de son enseignement. 11 écrivit dans cet esprit sur la rhétorique, sur la logique et sur les mathématiques qu’il voulait or­ganiser d’après un plan nouveau (voy. son Ele— mentale mathematicum, in quo Mathesis metho­dice traditur, 1615, in-8). Des arts libéraux pas­sant à la théologie^ Alstedt n’essaya pas seule­ment, dans une Logica theologica, de disposer les parties de cette science dans l’ordre le plus mé­thodique ; il entreprit encore, avec une entière bonne foi et pour travailler à la pacification des esprits, de montrer que la philosophie et toutes les sciences ont leurs principes et leurs éléments dans les Écritures. C’est l’objet de l’ouvrage inti­tulé : Triumphus biblicus, sive Encyclopædia biblica, exhibens triumphum philosophiæ, juris­prudentiae et medicinæ sacræ, itemque sacræ theologiæ, quantum illarum fundamenta ex Scrip­toribus sacris Veteris et Novi Testamenti colligun­tur (Francofurti, 1641, in-8). Il y déploya plus de connaissances que de jugement, et le mauvais suc­cès du livre donna lieu à un critique de faire re­marquer que ce n’était pas pour l’auteur un triom­phe. mais un désastre. Aussi bien le principal mérite d’Alstedt est-il ailleurs. Outre les ouvrages spéciaux où il traitait de chaque science à part, il conçut le projet de rédiger un système de toutes les connaissances humaines. Au moyen âge il eût écrit une somme ; homme de la Renaissance, il se conforma au goût de son temps en composant une encyclopédie générale et méthodique des arts libéraux, qui jouit de quelque estime dans le monde lettré et dont le P. Lami, de l’Oratoire, a dit avec indulgence dans ses Entretiens sur les sciences qu’Alstedt « est presque le seul d’entre tous les faiseurs d’encyclopédies qui mérite d’êtrelu