Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques/2e éd., 1875/Apathie

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Dictionnaire des sciences philosophiques
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APATHIE (de privatif et de πάθος, pas­sion) signifie littéralement l’absence de toute passion. Et comme les passions sont, aux yeux du vulgaire, le principe même ou du moins le mobile le plus ordinaire de nos actions, on en­tend généralement par apathie une sorte d’inertie morale, l’absence de toute activité, de toute éner­gie, de toute vie spontanée. Dans la langue phi­losophique, l’acception de ce mot n’est pas tout à fait la même. Là il exprime seulement l’anéan­tissement des passions par la raison, une insensibilité volontaire qui, loin de nuire à l’acti­vité, en est, au contraire, le plus beau triomphe. C’est ainsi que l’entendaient les stoïciens, pour qui toute passion et toute affection, même la plus noble, était une maladie de l’âme, un obstacle au bien, une faiblesse indigne dont le sage doit être affranchi. Dans leur opinion, l’homme cessait d’être vertueux et libre aussitôt qu’à la voix de la raison venait se joindre pour lui une autre influence. Par suite du même prin­cipe, tout ce qui n’est pas le mal moral était regardé comme indifférent ; ils n’accordaient pas que les plus vives douleurs du corps ou les plus cruelles blessures de l’âme puissent nous arra­cher un soupir ou une plainte. L’apathie stoï­cienne est donc tout autre chose que la résigna­tion, c’est-à-dire la patience dans le mal, par le motif de quelque noble espérance ou d’une sainte soumission à des décrets impénétrables : c’est la négation même du mal et de notre faiblesse à le supporter. Cependant il ne faudrait pas croire que l’apathie ne fût qu’un précepte stoïcien ; elle était également recommandée par d’autres philosophes, mais dans un but différent. Pyrrhon la regardait comme le souverain bien, comme le but même de la sagesse, dont le scepticisme, à ses yeux, n’était que le moyen (Cic., Acad., lib. II, c. xxxxii ; Diogène Laërce, liv. IX, c. xxxxii). Une fois convaincus que le bien et le mal, le vrai et le faux, ne sont que des apparences, nous ar­riverons infailliblement, pensait-il, à ne plus nous émouvoir de rien et à goûter cette tran­quillité parfaite au sein de laquelle doit s’écouler la vie du sage. Stilpon, l’un des plus brillants disciples de l’école mégarique, avait la même opinion sur le souverain bien. N’admettant pas d’autre existence réelle que celle de l’Être ab­solu, un et immuable de sa nature, il voulait que l’homme s’efforçât de lui ressembler, ou


plutôt qu’il s’identifiât avec lui par l’absence de toute passion et de tout intérêt (Senec., Epist.). Enfin, si nous en croyons Cicéron (Tusc., lib. V, c. xxvii), la règle de l’apathie était non-seulement recommandée en théorie, mais rigoureusement suivie en pratique par les gymnosophistes de l’Inde. Cependant il est permis de supposer que Cicéron ne possédait sur ce point que des connaissances incomplètes ; car, dans la morale des Hindous, il s’agissait plutôt de l’extase, de l’absorption de l’âme en Dieu, dont l’apathie, ap­pliquée aux choses de la terre, n’est qu’une simple condition. Voy. Extase.

L’apathie, surtout l’apathie stoïcienne, a été traitée séparément dans les dissertations sui­vantes : Niemeieri (Joh. Barth.), Dissert. de Stoi­corum άπαθεία, exhibens corum de affeclibus doctrinam, etc., in-4, Helmst., 1679. —Beenii, Dispp., lib. III, άπαθεία sapientis stoici, in-4, Co­penhague, 1695. — Fischeri (Joh. Henr.), Dissert de stoicis άπαθεία ; falso suspectis, in-4, Leipzig, 1716. — Quadii, Disputatio tritum illud stoicorum paradoxon περί τήζ άπαθειας expendens, in-4, Sedini, 1720. — Meiners, Mélanges, t. II, p. 130 (all.).