Français, reprenez le pouvoir !/Partie 3/Chapitre 3

La bibliothèque libre.
◄  L’école du mérite La fausse monnaie Le maître et l’élève  ►


Laurent Lafforgue, médaille Fields 2002 et mathématicien de réputation mondiale, nommé au Haut Conseil de l’éducation par le président de la République et démissionné pour « mauvais esprit », décrit avec force, dans une lettre de protestation adressée au président du HCE, cette inversion des valeurs qui mène à la tragique baisse du niveau. Une baisse qui s’accélère: « D’ores et déjà, des générations entières ont été sacrifiées: privées d’instruction de qualité, de maîtrise de la langue, de culture, de science et même de formation du caractère puisque l’école a été pour elles une longue garderie. Ces générations n’ont reçu que la fausse monnaie, distribuée largement, de diplômes qui ne représentent plus l’acquisition de connaissances solides et approfondies. D’autre part, l’école elle-même a été profondément pervertie. Cette perversion est venue de la tête, c’est-à-dire des instances dirigeantes qui ont agi et parlé comme si le savoir n’avait aucune valeur et que l’école n’existait pas pour instruire et transmettre des connaissances. Elle se répand en particulier par les IUFM où les futurs instituteurs et professeurs subissent une formation absurde et nuisible. »

Il suffit de visiter quelques classes d’écoles ou de collèges pour comprendre combien Laurent Lafforgue a raison. On constate alors le recul du niveau moyen des connaissances et des savoirs fondamentaux: recul de l’orthographe, de la grammaire, de la rigueur de la langue, de la rhétorique et donc de la pensée elle-même!

Combien de fois ai-je croisé des enseignants désabusés? Je me souviens ainsi de ce professeur de français d’un collège rencontré à Lille, au printemps, qui m’apprend que la moitié de ses élèves de sixième sont incapables d’écrire quelques lignes dans un français correct. Elle me révèle d’ailleurs qu’elle a passé l’été à faire des dictées à son fils pour le remettre à niveau. Je lui demande si elle a pu, en début d’année, faire de même avec ses élèves! Elle me répond, désarçonnée, qu’elle n’en a malheureusement pas le droit et qu’il n’y a personne de disponible pour le faire à sa place. Le proviseur, qui assiste à l’entretien, m’indique avoir voulu organiser une réunion entre les professeurs de français de son collège et les directeurs d’écoles primaires de la circonscription pour les sensibiliser à la question. Mais la réunion fut interdite par l’inspectrice de secteur. La dégradation, pour ne pas dire l’effondrement des résultats en français, est un sujet tabou. Dans ma ville, d’ailleurs, j’ai mis plusieurs années à obtenir les résultats des évaluations de l’Inspection académique, école par école.

Le comble du ridicule a été atteint par la dernière trouvaille d’un agrégé de mathématiques, André Antibi, qui dénonce les notations frustrantes et propose de donner à l’avance aux élèves les corrigés des contrôles et un panel rétréci des sujets possibles.

Ne parvenant plus à instruire, le système a déjà cédé à la tentation du nivellement par le bas et du décervelage!

Depuis toujours existent des commissions de barème des examens, réunissant des professeurs de chaque discipline pour préciser les notations et proposer des harmonisations, ce qui est souhaitable. La nouveauté réside aujourd’hui dans le ton impératif des consignes d’indulgence de l’inspection, et dans la part de plus en plus prépondérante de la centralisation informatique des données, qui permet toutes les falsifications des notes afin d’améliorer artificiellement le taux de réussite. Il est tellement plus facile de remonter les notes plutôt que le niveau des connaissances!

Comment s’étonner, dans ces conditions, que 60 % seulement des entrants à l’université obtiennent un diplôme d’enseignement supérieur? Doit-on être surpris par la fuite vers les établissements privés, par le détournement systématique de la carte scolaire ou par l’explosion du marché des cours à domicile désormais défiscalisés!

Je ne peux m’empêcher de penser à l’un des seuls déjeuners auxquels j’ai été convié par le président de la République à l’Élysée. C’était quelques mois seulement avant l’élection de 2002. Le thème était l’éducation. Chacun des invités donnait son sentiment dans une langue de bois du plus bel aloi. Quand vint mon tour, je décrivis à Jacques Chirac cette baisse généralisée du niveau. Il m’écouta de plus en plus exaspéré et conclut mon propos d’un ton cassant: « Vous savez, monsieur le député, depuis que je suis gamin, j’entends dire que le niveau baisse, alors cela ne m’inquiète pas trop. Vous cédez à la dramatisation ambiante! » Fermez le ban. J’ai compris ce jour-là qu’on ne risquait pas de réformer quoi que ce soit à l’Éducation nationale, ni dans le pays d’ailleurs!

La décomposition de notre système éducatif a des effets très graves, non seulement sur le niveau scolaire et culturel des jeunes générations, mais aussi sur le goût de l’effort et le respect des autres, en un mot: l’aptitude à vivre en société.

Comme disait Montesquieu: « Les lois de l’éducation sont les premières que nous recevons. » Or, si on ne les reçoit plus, ou beaucoup moins, on imagine sans peine ce qui les remplace.

On ne laisse pas sans conséquences les enfants passer dix ans de leur vie dans une institution où les adultes ne se font pas respecter, où la violence et la loi des bandes s’imposent, où le sexisme règne, où tout est relativisé, où le mérite n’est pas vraiment récompensé.

En visitant un jour un lycée professionnel, j’ai été stupéfait d’apprendre que les élèves venaient quand bon leur semblait. J’ai demandé alors pourquoi on ne les excluait pas après un trop grand nombre d’absences. On me répondit que la procédure avait été centralisée au niveau départemental, qu’elle était donc complexe et que de toute façon si ces élèves quittaient un établissement pour un autre, ils recommenceraient dans le suivant. Un professeur ajouta avec un grand sourire: « Ne sommes-nous pas là avant tout, monsieur le député, pour les aider? » Avec ce type de raisonnement, on comprend pourquoi l’absentéisme scolaire est si élevé. D’ailleurs, il n’est pas sanctionné dans le contrôle continu des examens professionnels, alors pourquoi se gêner?

Pour mettre fin à cette démission permanente, il est plus que temps de remettre sous tension le ministère de l’Éducation nationale et de reprendre à la base l’œuvre de Jules Ferry! Je suis convaincu qu’il est possible pour cela de s’appuyer sur bon nombre d’enseignants, principaux, proviseurs, coincés entre la pression délirante de cette nomenklatura de la rue de Grenelle et des sauvageons qui ne respectent rien ni personne.

Une nomenklatura qu’il faut enfin oser mettre au pas ou à la porte. La réforme Fillon s’est ainsi enlisée comme les autres, car le ministre s’est appuyé sur une « élite » qui était responsable des échecs auxquels il voulait s’attaquer!