Friedrich Lohmann. Vauban

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Revue historiquetome 64 (p. 392-393).
Vauban. Seine Stellung in der Geschichte der Nationalœkonomie und sein Reformplan, von Dr Friedrich Lohmann. Leipzig, Duncker et Humblot, 1895. In-8o, 172 pages.


Un ouvrage allemand sur Vauban envisagé comme économiste ne peut manquer de piquer la curiosité du public français. Nous signalons avec d’autant plus de plaisir la remarquable étude de M. L. qu’elle rectifie sur plusieurs points l’opinion qu’on se faisait généralement des idées économiques du célèbre maréchal. Elle complète en tout cas d’une façon fort utile le travail de MM. Michel et Liesse, auxquels d’ailleurs l’auteur rend pleinement hommage.

La première partie du volume est consacrée à l’exposition des idées qui ont eu cours jusqu’ici parmi les économistes, depuis Blanqui et Daire jusqu’à Rochas, Michel ou Espinas. C’est à tort que Vauban a été regardé comme un adepte de l’économie politique libérale et qu’on lui a supposé les mêmes opinions, ou à peu près, qu’à Boisguillebert, Locke, Cantillon, Gournay. On s’est borné, trop exclusivement à le juger d’après la « Dîme royale, » mais il faut rapprocher ce livre de ses autres écrits, de ses « Oisivetés, » et surtout des « Pensées et Mémoires politiques inédits » qui ont été publiés en 1882 dans le « Journal des Économistes » et trop peu remarqués jusqu’ici.

Vauban est en effet l’auteur d’une centaine de mémoires qui peuvent être divisés en deux grands groupes : Mémoires politiques et Mémoires militaires ; presque tous se rapportent aux occupations professionnelles du maréchal, mais quelques-uns renferment çà et là des aperçus originaux et des vues ingénieuses sur beaucoup d’autres questions. Cet ingénieur, cet officier, qui a passé la plus grande partie de sa vie en voyage ou dans les camps, ne pense pas uniquement, en effet, à ses travaux techniques ou aux admirables fortifications dont il veut doter son pays. Les questions économiques et sociales qui nous préoccupent nous-mêmes aujourd’hui tiennent déjà une grande place dans ce lumineux esprit. Il nous apparaît au fond comme un mercantiliste, ayant à peu près les mêmes idées que Colbert, et nullement comme un précurseur des libéraux du XVIIIe siècle.

Quand on étudie de près ses projets de réforme des impôts et des finances, on voit qu’il ne cherche en définitive qu’à affermir la puissance de l’État et celle du roi en développant la force économique du « menu peuple, » dans lequel il voit la base de l’organisation sociale et la force principale du royaume. Il est hostile aux hommes de finance comme à la noblesse de robe, il croit la propriété temporelle du clergé funeste à l’État et à la nation, il proteste contre les exemptions et les privilèges dont jouissent les classes supérieures. Mais il entend du moins dédommager la noblesse de la perte de ses privilèges en matière d’impôt par un accroissement notable de ses pouvoirs administratifs et judiciaires.

M. L. a réuni dans son étude, bien composée et écrite avec clarté, des citations intéressantes très propres à jeter une lumière nouvelle sur les idées de Vauban. Son travail fait partie de la collection, déjà parvenue à son treizième volume, des Staats- und socialwissenschaftliche Forschungen, publiée sous la direction de Schmoller. Il fait le plus grand honneur à l’élève comme au maître.


G. Blondel.