Frissons/Rêve d’amour

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chez l’auteur (p. 17-20).
RÊVE D’AMOUR

Un rêve est un trésor pour tous ceux qui n’ont rien,
En rêve un paria se croit un citoyen ;
Je pourrais, dans un rêve, estimer que le monde
Est rempli de vertu, d’amour, de beau, de bien ;
Je pourrais posséder Visapour et Golconde,
Le fleuve de Lydie où s’est baigné Midas,
Qui sur un sable d’or entend chanter son onde ;
Je pourrais voir de même, abusé par Calchas
Et vidant jusqu’au fond la coupe d’alicante,
Les lauriers couronner ma muse triomphante,
Comme j’ai vu Rose m’aimer.

Eh bien ! sur mon honneur, au moment du réveil,
Quand, ivre de triomphe, et d’or et de bien-être,
Je verrais s’effeuiller les roses du sommeil ;
Quand la réalité soufflerait sur mon être ;
J’oublierais sans regret Golconde et Visapour,
Avec le roi Midas les trésors du Pactole,
Ma muse résignée, au bas du Capitale,
Pleurerait sans médire une larme d’amour…
Mais comment oublier le songe où je vis Rose
M’enivrer du nectar dont seule elle dispose,
La nuit où je la vis m’aimer.


— Charmeuse de ma nuit, exauce mon délire,
Viens rêver avec moi dans la vallée en fleurs,
La campagne déserte a d’immenses splendeurs
Et les pensers brûlants s’y mêlent au zéphyre.


Crois à ma passion, veux-tu m’aimer, dis, Rose,
Veux-tu créer sur terre un autre paradis ?
Pour t’enivrer d’amour, dans les discrets taillis,
Je serai poésie en ce siècle de prose.


Quand nous aurons trouvé l’harmonieux silence
Qui règne sûrement à l’ombre des grands bois,
Nous aurons l’idéal ; c’est ainsi qu’autrefois
Soupirait Jocelyn aux côtés de Laurence.

Je poserai d’abord, comme un prélude ardent,
Frémissant de désir, la poitrine serrée,
Mon âme tout en feu sur ta bouche adorée,
Dans la communion d’un baiser tout puissant.


Tu m’ouvriras ton sein pour que je m’extasie…
Si tu savais le feu qu’attisent mes vingt ans,
Combien il fait pâlir les plus fiévreux romans !
Mon cœur est un volcan d’où jaillit l’ambroisie.


Poursuivant jusqu’au bout nos transports amoureux,
Palpitante et lascive, entre mes bras pâmée,
Tu boiras à longs traits la coupe parfumée
Que versera pour toi l’amant le plus heureux.


Pour entendre chanter son ivresse à ma lyre,
Les insectes de l’air, les herbes du ruisseau,
La joyeuse nichée aux branches de l’ormeau,
La brise et les épis cesseront de bruire ;


La nature prendra de plus riches atours,
Les bois se peupleront d’amoureuses Dryades,
Neptune frémissant baisera les Naïades,
Peut-être le soleil arrêtera son cours.