Frissons voluptueux/05

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 76p. 19-23).
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L’exigence anglaise


Il faut respecter les bienséances. Mais entendez-moi ici ! Sous le prétexte captieux que séant est le synonyme de croupe ou d’arrière-train, je ne veux aucunement dire qu’il faille respecter seulement les séants bien faits. D’abord comment saurait-on qu’ils sont tels ? Ah ! Voilà le hic… Si afin de les mieux respecter, vous prétendiez vous livrer à des investigations sur le séant des femmes qu’il vous advient de rencontrer, on ne manquerait pas de dire que vous commencez par leur manquer fâcheusement de respect. Voyez comme il serait malséant, en tel cas d’observer les bienséances… Notez que je ne parle pas des conséquences pénales de cette étude des callipygies féminines.

On me dira sans doute, car il y a des gens têtus qui tiennent à l’acception donnée aux mots par eux, que les robes modernes, courtes et collantes, avec même souvent une petite ceinture trop basse et caressant les hémisphères dont nous parlons, sont faites pour permettre si j’ose dire, d’asseoir son jugement sans autre examen que visuel.

J’y accède. Pourtant que de malformations peut cacher encore la plus mince des jupettes. Songez aux eczémas et aux nœvus, aux vergetures, rides et mauvaises colorations dont la plus transparente des robes est l’inconsciente complice. Les enquêtes faites à l’œil nu sont décidément insuffisantes. Puis, enfin, même si vous vous obstinez à croire que respecter les bienséances, c’est respecter les beaux séants, je vous le redis, vous verrez. Les bienséances c’est la pudeur supposée du lecteur et le sentiment de mesure et de retenue qu’elle peut vous inspirer.

Oui !… Oui !… bien entendu, le lecteur possède au fond de son âme un porc qui ne dort même pas d’un œil. Mais il y a sa pudeur imposée comme une clause de style, sa pudeur d’homme qui est censé ne savoir les choses du sexe qu’aux heures désignées par les usages pour cela. Il faut avoir aujourd’hui pour cette pudeur une dévotion prudente. Et voilà pourquoi, de peur de l’irriter, je ne décrirai pas les acrobaties et les divertissements de Pygette et de Syphone.

Au surplus, il ne faut pas croire que mes circonlocutions cachent rien de rare et de mystérieux. Par peur de sembler évoquer des vices hors la simple nature et ses lois, je vais même donner l’idée de ce qui se passait. Une idée, bien entendu, chaste et pure. Voyez comme semble laisser entendre des actions démoniaques et d’une hideur sans seconde, mais si, pour prouver que mes héros et moi-même sommes gens sains et normaux, j’entre dans les détails délicats, on va crier que je blesse la virginale pensée des adolescents. Cruel dilemme !

Hé bien, Pygette, Syphone et l’amant de celle-ci je vais le reconnaître tout à trac, s’amusaient galamment, L’homme était robuste et il avait, ce qu’on nomme en guerre, le cran, chose qui n’est pas inutile en amour.

Il sut donc donner à chacune de ses partenaires une série de preuves péremptoires qu’il n’avait pas tous les caractères du fameux Origène, lequel dignitaire de l’église primitive s’était émasculé afin d’éviter les tentations. C’était (je parle de l’amant de Syphone) un homme parfaitement homme et qui savait le faire voir. La douce Pygette bien partie ne se tint bientôt plus de plaisir et, durant les intermèdes, en arrivait par la simple contemplation des activités d’autrui, à redonner le ton à ses désirs. Il est bien certain d’ailleurs que ce jeu en partie triple n’aurait pu, même soutenu d’expédients propres à en prolonger ses grâces, durer fort longtemps. Il était donc à ses derniers feux lorsque la sonnette de l’entrée retentit.

— Tiens ! dit Syphone, qui peut donc venir si matin.

— Ça doit être ce farceur de Percefesc, dit l’homme dont une vraisemblable lassitude commençait de tirer les traits.

— Tant mieux, si c’est lui, dit Syphone, il te remplacera. Tu sembles flapi, mon vieux Geo.

— Ça va ! approuva l’autre en riant.

Alors Syphone dit à Pygette :

— Allons le recevoir ensemble, c’est un copain.

Elles allèrent, nues comme des déesses, jusqu’à la porte derrière laquelle on entendait grogner.

Soudain, au lieu de tirer la sonnette, le survenant frappa vigoureusement et hurla :

— Au nom de la loi, ouvrez !

Syphone se mit à rire. Elle s’en tenait le ventre à pleines mains tant la farce lui semblait bonne.

— Ce sacré Percefesc, il en a toujours d’épatantes.

Et elle ouvrit.

Un grand gaillard, barbu comme Jupiter, entra en s’esclaffant :

— Hein ! je vous ai fichu la venette ?

— Pas beaucoup avoua Syphone, qu’on émouvait difficilement partout ailleurs qu’au lit.

Et se tournant vers le lieu où quelques secondes plus tôt se tenait Pygette, elle dit en riant.

— N’est-ce pas, ma chérie, qu’il ne nous a pas fait peur. Il se figure que ses blagues sont terribles et spirituelles. Hé bien, vieux frère, elles ne sont ni l’un ni l’autre.

Mais soudain elle ouvrit de grands yeux.

Plus de Pygette…

— Tiens, elle est revenue au pieu. C’est ma petite amie que je voulais te présenter. Tu vas voir si elle est jolie et bien pourvue pour emplir les mains d’un honnête homme.

Et elle revint vers la chambre où son amant dormait déjà.

— Hé bien, et Pygette ?

L’homme s’éveilla.

— Quoi, Pygette : Tu l'as perdue. Vous êtes parties toutes deux ouvrir.

— Oui, hé bien, elle est disparue. On ne la voit plus.

— Bah ! elle est allée aux water ou à la cuisine.

— J’y vais, dit Syphone ahurie.

Elle se hâta de vérifier toutes les pièces de l’appartement mais ne trouva personne. Seule, la chambre, salle à manger avec sa fenêtre ouverte sur une verrière, semblait témoigner du passage de la disparue.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Lorsque Pygette entendit la voix caverneuse disant derrière la porte : « Ouvrez au nom de la loi », son sang ne fit qu’un tour. Elle contempla stupidement l’huis derrière lequel la justice arrivait avec ses gendarmes, ses juges, ses prisons et tout son bataclan, puis, d’instinct, rapide comme une biche pourchassée, revint en arrière, prit sur un fauteuil le kimono bleu de Syphone, le mit et se sauva par la salle à manger.

Elle courut à la fenêtre, l’ouvrit, aperçut une verrière portée par des poutrelles de fer sur lesquelles on pouvait marcher et s’y aventura sans plus attendre. Elle traversa ainsi toute la cour, muette, silencieuse et sentant son cœur battre désordonnément. Enfin elle se trouva devant une autre fenêtre, et, après un coup d’œil, pénétra audacieusement dans le local ouvert.

Elle se vit en une salle de bains encore pleine de vapeur d’eau, et dont le propriétaire venait certainement de sortir à l’instant. Elle hésita à aller plus loin, puis, pensant de deux portes offertes que l’une — la bonne — allait vers la cuisine et le service, décida de la choisir Elle entrebâilla. C’était la chambre à coucher. Comme il lui semblait qu’elle fût vide, elle entra avec épouvante, mais fermement. Elle avait le buste passé déjà quand une voix sèche l’immobilisa.

— Entrez plus vite !

Ces mots étaient dits avec un accent anglais des plus rauques.

Pygette obéit.

Sur le lit, un homme était étendu, en pyjama, la face longue, les dents apparentes et un poil jaune clair répandu sur le front. Il dit :

— Venez ici !

Pygette s’approcha.

— Quittez cette robe !

Elle laissa tomber le kimono.

— Aoh, vous êtes très gentille.

Il lui tapota les hanches.

— Étendez-vous à côté de moi,

Elle continua à obéir.

— Et maintenant…

Avouons-le, cet Anglais était terriblement exigeant.