Frissons voluptueux/10

La bibliothèque libre.
Éditions Prima (Collection gauloise ; no 76p. 43-48).

x

Tout finit bien


Lorsque l’agent du Bois de Boulogne s’écria « cochons » devant le spectacle offert par le taxi où Pygette et M. de Coucouline se divertissaient, il faut comprendre exactement ce vocable injurieux.

Les deux complices — il faut bien les nommer ainsi — n’offraient aux regards aucune de ces vues obscènes que les photographes spécialistes immortalisent pour les amateurs de postures amoureuses.

Ils se trouvaient évidemment un peu mélangés l’une à l’autre et de façon assez complexe pour rendre subtile l’identification des membres de chacun. Pourtant tous deux étant vêtus et l’espace se trouvant réduit, ils n’exhibaient point de chairs interdites. Le mot cochon était donc employé par le représentant de la force publique comme un symbole. Il se mit d’ailleurs aussitôt à verbaliser.

Pygette était plus morte que vive. Elle se croyait assurée que cet homme à képi tint dans sa poche son nom et son signalement tout prêts et qu’il l’emmènerait illico, dès le nom avoué, vers les geôles les plus profondes et les plus humides. Aussi son hébétement était-il total. Le baron de Coucouline voyait, pour peu que le procès-verbal fût suivi, disparaître son désir d’obtenir les palmes. Il s’en inquiétait peu, étant de ces philosophes campagnards qui tiennent une jolie fille et une bouteille de bon vin pour d’inégalables perfections. Il avait été une fois pris du désir des décorations, soit, mais son renoncement n’était rien moins que douloureux.

Lorsque Pygette dut décliner son nom authentique, sa voix tremblait tellement qu’il lui fallut le répéter plusieurs fois. Elle eut un grand étonnement à constater que l’agent n’en semblait point ému.

Et elle eut de la peine à contenir tout son bonheur lorsque le préposé à la pudeur du Bois laissa, son constat fait, les deux amoureux repartir tranquillement. Alors le baron de Coucouline dit au chauffeur :

— Menez-nous au Ministère de l’Instruction Publique, tout de même, on peut bien être décoré et outrager les mœurs, je pense, dans notre république athénienne.

Et en route, il murmura à l’oreille de Pygette :

— Cet imbécile nous a surpris au moment le plus tendre de notre entretien, de sorte que je n’ai pu vous faire ma péroraison, que j’ai généralement éloquente. Voulez-vous que nous reprenions ?

Pygette, toute à la joie de n’être point arrêtée, accéda en riant et voilà pourquoi un taxi s’arrêta devant le Ministère, rideaux baissés, puis y resta un moment, muet et immobile, avant de déverser ses locataires, ce parce que M. de Coucouline se trouvait en nécessité de terminer cette péroraison à laquelle il tenait et pour laquelle il était de fait magnifiquement enlangagé.

Au surplus, pour éviter toutes surprises, un autre agent veilla, jusqu’à la sortie des personnages, sur cette auto oscillante, car la pudeur de la rue de Bellechasse est bien moindre que celle des Acacias…

— Vous demanderez à parler au ministre, dit M. de Coucouline, et vous insisterez pour le voir. Comme vous êtes charmante et qu’il aime les jolies femmes, il est probable que vous réussirez. Vous lui direz donc mon nom et mes états de service : car j’ai écrit il y a quinze ans, une plaquette sur je ne sais plus quelle question d’histoire locale, et j’ai fait les frais de l’éducation pour trois enfants de mes fermiers qui ont obtenu leur bachot. Vous voyez que je suis pour l’Instruction Publique une recrue de choix. J’attendrai donc votre sortie, et, si besoin est de me voir, vous direz que je me morfonds dans l’antichambre.

Tout se passa bien, c’est-à-dire mal d’abord.

« Le ministre ne reçoit pas, il ne reçoit que sur rendez-vous… il vous recevra la semaine prochaine… demain… etc., etc.

À ces excuses, Pygette opposa un front serein et une obstination pleine de dignité. Agitant ses jambes sous la jupe courte et montrant à point ses cuisses avec leur union, elle réclama obstinément un entretien avec M. le Ministre et fut enfin, après une défense honorable, amenée à faire capituler ce considérable personnage qui décida de l’accueillir. Le Ministre était alors Batastou, grand leveur de jupons et grand fendeur de bois, du bois dont on fait les quilles. Il était certainement surchargé de travail, mais ne put retenir un sourire en voyant entrer Pygette balançant ses larges hanches et mettant en vedette, avec un art infini, tous les charmes opulents que la nature lui avait dévolus.

— Que voulez-vous, mademoiselle, demanda l’Excellence.

— Je voudrais, monsieur le Ministre, vous demander les Palmes Académiques.

— Pour vous, c’est accordé. Cette belle poitrine est même faite pour porter d’autres traces de baisers que ceux de l’Université.

En même temps il passait une main légère, insistante pourtant, sur les seins de Pygette qui trouva qu’un Ministre de la République a vraiment de bonnes façons.

— Ce n’est pas pour moi, monsieur le Ministre, dit-elle avec timidité, c’est pour un de mes parents, le baron de Coucouline.

— De Coucouline, s’exclama le Grand maître des Écoles avec stupeur, c’est un vrai nom, ça ?

— Mais oui !

— Alors, il aura son ruban. Avec un nom aussi significatif on doit être décoré ou la République ne serait qu’un vain mot.

Et il se mit à rire pour inciter Pygette à l’imiter durant qu’il examinait si cette sollicitante méritait, d’un égard esthétique, les faveurs promises. Car chacun sait que les grâces de l’esprit, dans un pays aussi délicat que le nôtre, ne sont rien sans les grâces du corps.

Les investigations ministérielles furent concluantes, la jeune personne possédait de face, de profil et de revers tout le nécessaire pour intéresser un personnage aussi considérable. Aussi commença-t-il, le sang aux joues, à vérifier la qualité de ces formes excellentes. Tout y était, il dut se l’avouer, ferme et dense, de chair solide et copieuse, sans malfaçon apparente.

Il restait à vérifier de visu si la statuaire pouvait se déclarer satisfaite. Gentiment il demanda à la porteuse de placet s’il lui déplairait d’enlever ces vains ornements qui ne permettent même pas de voir si une femme a la peau couleur de marbre ou de basalte, d’albâtre ou d’obsidienne.

Pygette y consentit. Elle retrouva des pudeurs adolescentes pour quitter sa robe et abandonner sa chemise qui n’était d’ailleurs rien moins qu’une double feuille de figuier, opéra, il est vrai.

Et le ministre s’en donna à cœur joie de regarder, de toucher, de contrôler, de vérifier, de connaître « intus e extra ».

Alors, lorsque Pygette eut résigné toutes pudeurs même hypothétiques et qu’elle eût constaté avec certitude la satisfaction de l’Excellence, elle se sentit le courage de dire.

— Monsieur le ministre, je voudrais vous demander autre chose !

— Quoi donc, ma petite chérie (car l’intimité montait en grade).

— Eh bien, ce qu’on a dit sur le journal n’est pas vrai ?

— Qu’a-t-on dit sur le journal et quel journal ?

Paris-Tout.

— On y parle de toi ?

— Oui, c’est moi, Pygette.

— Pygette, je n’ai rien vu. Tiens, le voilà le canard, fais voir ce qu’on dit.

Retenant ses grègues, il vint prendre le Paris-Tout sur son bureau. Pygette lui montra l’entrefilet. Le ministre le lut et le relut, puis il dit :

— Cela doit être une farce qu’on t’a faite. Je crois que l’auteur est ici. Je vais l’appeler.

— Attendez que je me rhabille,

— Non, ça va ! je veux liquider et nous reprendrons,

Il sonna et demanda au téléphone un personnage dont Pygette ne saisit pas bien le nom.

Trois minutes après on frappa à la porte et la jeune femme vit entrer le fameux micheton qui l’avait menacée le matin où elle avait refusé de lui offrir le coup de l’étrier…

— Dites-moi, monsieur, êtes-vous l’auteur de ce petit papier ? dit le ministre à son subordonné en lui montrant sévèrement le journal.

L’autre devint blême et hésita.

— Oui, monsieur le Ministre, finit-il par avouer.

— Et voulez-vous me dire où vous avez puisé ces renseignements ?

L’autre hésita encore, puis dit enfin :

— Ils sont inventés, je voulais me venger de…

— Allez, monsieur, vous êtes indigne et je vais vous faire chasser de ce ministère où vous apportez le mensonge et de basses rancunes à satisfaire.

— Mais, monsieur…

— Faites vos excuses à madame et demain vous enverrez une rectification. Je la veux plate. Merci, monsieur, veuillez vous retirer.

Et le ministre resta seul avec Pygette radieuse, qui en oubliait, dans sa joie, de dissimuler d’elle-même ce pourquoi tant d’hommes s’étaient enflammés.

Et il y eut de nouveau des exercices libertins, salaces, galants, où tour à tour chacun eut le dessus. Enfin fatigués, ils tentèrent de reprendre leur dignité et l’Excellence put dire à l’oreille de Pygette :

— Hé bien, le Théâtre Français, cela te tenterait-il ? ou l’Odéon, ou l’Opéra.

— Oh ! oui, dit Pygette en embrassant le ministre.

— Alors…


FIN