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Funérailles, Crépuscule, Le Jardin, Ode...

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POÉSIES


FUNÉRAILLES


Oh ! quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule !
VICTOR HUGO.

Le bûcher, dressé là pour ce nouvel Hercule,
Emplit l’horizon rouge et le ciel empourpré ;
Et la nuit s’illumine et tout entière brûle
A l’ardente splendeur de ce couchant sacré.

Au brasier fraternel où se tordent ensemble
Le laurier odorant et le chêne fumeux,
Une foule sans cris se hâte et se rassemble
Afin d’en emporter le reflet en ses yeux ;

Et quelques-uns, penchés sur la flamme féconde,
Y viennent allumer leur torche et leur flambeau,
Pour éclairer encor les ténèbres du monde
Quand le bûcher noirci ne sera qu’un tombeau.

Et c’est ainsi qu’ayant emprunté l’étincelle
A l’énorme incendie en sa gloire écroulé
Ils s’en repasseront la clarté mutuelle,
Et l’une brillera quand l’autre aura brûlé,

Jusqu’à l’heure où ce feu vacillant et débile
Ne soit plus au regard du passant incertain
Que le dernier rayon de la lampe d’argile
Que ménage le pas et que couvre la main.


Qu’il éblouisse l’ombre ou couve sous la cendre,
Au geste de l’Amour comme aux doigts de Psyché,
Qu’il monte la montagne ou qu’il la redescende,
Qu’il soit lampe, foyer, flambeau, torche ou bûcher,

Sa flamme inextinguible, éternelle et divine,
Ira jusques au fond des siècles à venir,
Que le souffle la courbe ou que le vent l’incline,
Car elle est immortelle et ne peut pas finir ;

Puisque l’âme de l’homme en elle se consume
Et qu’elle est née en lui de ce jour enchanté
Où sereine et debout devant son amertume
Apparut à ses yeux ton image, ô Beauté !

Ton doigt blanc s’est posé sur son cœur qui palpite
Et qui bat à jamais et qui brûle en son sein,
Et depuis lors un Dieu mystérieux l’habite,
Et l’éclair a jailli qui ne s’est pas éteint.


Et maintenant bûcher, gronde, rougeoie, éclate.
Change la feuille en flamme et la branche en tison
Et dresse les cent nœuds de ton hydre écarlate
Dont les langues d’or clair dévorent l’horizon !

Celui qui rassembla ta masse formidable
A détourné le fleuve à travers la forêt
Et comme au seuil des temps son frère de la Fable.
Une course éternelle a tendu son jarret.

Le lion a rugi sous sa massue ardente ;
Il empoigna le noir sanglier par son crin
Et, du fauve farouche à la bête fumante,
Ses pieds nus ont rejoint la biche aux pieds d’airain ;

Mais, au lieu de percer de sa flèche intrépide
L’engeance aux rauques cris du lac aux noires eaux
Et de saisir, fougueux, l’étalon par la bride,
Il a forcé les Sons, il a dompté les Mots.

Ils ont autour de lui dansé comme des Faunes.
Les Nymphes ont souri de sa témérité
Et, grave, il a tressé d’immortelles couronnes
Et des guirlandes d’or au front de la Beauté.

Sa main forte a cueilli les pommes à la branche
Du jardin bien gardé par le Dragon rampant.
La neige de l’hiver fleurit sa barbe blanche,
Et sa lyre d’ivoire a des cordes d’argent.

Plutôt que de dormir sous le marbre et sous l’herbe,
O flamme, prends sa chair et consume ses os ;
Donne à cet autre Hercule et qui dompta le Verbe
Le bûcher mérité par ses Mille Travaux !


CRÉPUSCULE


C’est un jour dont le soir a la beauté d’un songe,
Tant l’air que l’on respire est pur en ces beaux lieux ;
Et, sous le doigt levé du Temps silencieux,
La lumière s’attarde et l’heure se prolonge…
Gardes-en longuement la mémoire en tes yeux.

Si la source a la voix de sa Nymphe limpide,
Le frêne sous l’écorce étire son Sylvain ;
Un lent souffle palpite au feuillage incertain ;
Le ruisseau qui s’esquive est comme un pas rapide,
Et, nocturne, le bois va s’éveiller divin !

Mais nous, nous n’avons pas en cette nuit mortelle
Qui déjà nous entoure et qui rampe à nos pieds
De fontaine éloquente et de dieux forestiers ;
Nous avons peur de l’ombre, et nous redoutons d’elle
L’impassible sommeil qui nous prend tout entiers.


LE JARDIN


Tu m’as vu bien souvent, de ton verger voisin
Où le pampre vineux annonce le raisin,
Bien souvent, tu m’as vu, par-dessus cette haie
Que l’épine hérisse et que rougit la baie,
Tout un jour, de l’aurore au soir, en mon enclos…
Il est humble, petit, mélancolique et clos ;
Sa porte à claire-voie ouvre sur la grand’route ;
Une fontaine au fond s’épuise goutte à goutte
Et ne remplit jamais qu’à demi le bassin ;
La ruche, dans un coin, bourdonne d’un essaim
Qui rentre sous son toit dès que les fleurs sont closes.
Tout est calme. Un rosier balance quelques roses
Qui s’empourprent dans l’ombre auprès d’un vieux laurier.
Il fait beau. Sur la route, avec son chevrier,
Le troupeau qui piétine en la poussière chaude ;
Son bâton à la main, un mendiant qui rôde ;
Une femme qui rit et que l’on ne voit pas ;
Quelqu’un qui passe : rien, ni la voix, ni les pas
Ne te semblent pouvoir de lui-même distraire
Cet hôte, aux yeux baissés, du jardin solitaire.
Ai-je l’air de vouloir être ailleurs qu’où je suis ?
Le jour s’en va, rayon à rayon, bruit à bruit ;
Et la ruche incertaine et la rose indistincte
Sont l’une d’or pâli, l’autre de pourpre éteinte ;
Le crépuscule est à genoux devant le soir ;
Le laurier lentement se bronze et devient noir,
Et je reste debout dans l’ombre, et c’est à peine
Si l’on entend tout bas un peu plus la fontaine,
Et j’écoute à mon cœur en larmes dans mes yeux
L’éloquente rumeur de mon sang furieux.

ODE


O vous que j’ai aimée aux jours de ma jeunesse
D’un sombre amour,
O Forêt, vous étiez la sœur de ma tristesse
Et son séjour !

Lorsque le renouveau de vos feuilles naissantes
Chantait au vent,
Que l’Automne parait vos cimes bruissantes
D’un or mouvant,

Quand, fraîche d’espérance et lourde encor de gloire,
Votre beauté
Paraissait tour à tour l’annonce ou la mémoire
De votre Eté,

Au lieu d’unir mon cœur à votre âme profonde
Mêlée en lui,
Je vous portais mes pleurs et ma peine inféconde
Et mon ennui.
 
Je ne respirais pas votre odeur saine et forte,
A plein poumon ;
Il me semblait partout traîner des feuilles mortes
A mon talon.

Vous étiez patiente au bruit sous la ramée
De mon pas lourd ;
Pardon de vous avoir, ô ma Foret, aimée
D’un sombre amour !

Ce n’est plus celui-là maintenant que j’éprouve,
Ce n’est plus lui,
Et, lorsque dans votre ombre encor je me retrouve,
Comme aujourd’hui,

Je sens votre vigueur, vos baumes et vos foi ces
Entrer en moi,
Et le Dieu qui l’habite entr’ouvre votre écorce
Avec son doigt.

Comme vous, chêne dur, je garde dans la terre
Qui la nourrit
Ma racine secrète, obscure et nécessaire ;
Mais mon esprit,

Au-dessus de mon corps qui pousse son tronc rude,
Balance au vent
Sa ramure déjà que l’automne dénude…
Arbre vivant,

Qu’importe que le temps, ou l’hiver, ou la hache,
Par son milieu,
L’attaque, si déjà sous l’écorce se cache,
En l’homme, un Dieu !


LE CENTAURE BLESSÉ


Le cri qu’il nous arrache est un hennissement
J. M. DE HEREDIA.


Je t’ai vu devant moi surgir. Tu étais beau.
Le soleil au déclin, de la croupe aux sabots,
T’empourprait tout entier de sa splendeur farouche.
Ardent de ta vitesse et cabré de ta course,
Tu dressais, sur le ciel derrière toi sanglant,
Homme et cheval, le double effort de ton élan
Où le poitrail de bête et la poitrine humaine
Respiraient d’un seul souffle et d’une seule haleine.
Alors, dans ce ciel rouge où tu m’es apparu,
Comme un fatal présage, ô Centaure, j’ai cru
Voir monter tout à coup, en un reflet lointain,
La tragique rougeur du fabuleux festin
Où, sous les yeux d’Hercule et de sa blanche Epouse,
Votre troupe avinée et brusquement jalouse

Mêla, dans un combat fameux et hennissant,
A la pourpre du vin la pourpre de son sang !
J’ai tremblé.
Ton galop remplissait mon oreille,
Sonore de l’écho de sa rumeur vermeille,
Et j’ai tendu mon arc en invoquant les Dieux !
Et l’air porta vers toi mon trait victorieux…
Tu tombas. Maintenant je maudis ma prière,
Ma flèche trop certaine et ma peur meurtrière,
Cher monstre ! je te pleure et je revois encore
Ta main d’homme presser à ton flanc, ô Centaure,
Ta blessure et j’entends, au fond du soir, j’entends
Le cri humain jailli de ton hennissement !


L’ORGUEIL


Sois nombreux par le Verbe et fort par la Parole,
Actif comme la ruche et comme la cité ;
Imite tour à tour avec fécondité
La foule qui demeure et l’essaim qui s’envole.

Travaille, crois, grandis ! que ta hauteur l’isole,
Et dresse dans le ciel sur le monde dompté
Ta rumeur obéie et ton bruit écouté ;
Vis. Entasse la pierre et creuse l’alvéole.

Ce soir, Rome debout chante dans ta pensée
Le chant d’or et d’airain de sa gloire passée,
Et la Louve dans l’ombre allaite les Jumeaux.

N’as-tu pas bu comme eux aux sources de la vie
Le désir d’être seul qui les rendit rivaux
Jusques au sang versé sur la terre rougie ?


LA PLAINTE DU CYCLOPE


 « Toi qui dans l’air léger lances d’un souffle pur
La chanson de ta flûte en gammes vers l’azur
Et qui, longtemps assis devant la mer sacrée,
L’admires, tour à tour, rose à peine ou pourprée,

Quand le soleil se lève ou tombe à l’horizon ;
O toi, qui, pour rentrer, le soir, en ta maison,
Suis ce sentier charmant qui va par la prairie
Et qui s’arrête au seuil de ta porte fleurie,
Sache au moins être heureux de ta félicité
Et combien purs et beaux tes jours auront été,
Car ton chien est fidèle et ton troupeau docile,
Et tu peux oublier que la verte Sicile,
Sous ses blés jaunissans et ses hautes forêts,
En son sein ténébreux cache un obscur secret,
Mais, dans le ciel noirci que son sommet embrume,
Regarde quelquefois, au loin, l’Etna qui fume,
Et, quelquefois aussi, lorsque tu t’en reviens,
Laisse aller devant toi tes chèvres et ton chien ;
Couche-toi sur le sol et pose ton oreille
Contre terre. Entends-tu qui, peu à peu, s’éveille
Et qui gémit et gronde avec un bruit d’airain,
La sonore rumeur d’un écho souterrain ?

« C’est nous qui, sous la terre émue à notre haleine,
En cadence frappons l’enclume souterraine
Dont l’Etna porte au ciel la nocturne lueur.
Nous sommes là, couverts d’une chaude sueur,
Occupés dans la nuit furieuse et sans astres
À fondre le métal que nos marteaux vont battre.
Il court, fusible et clair, s’allonge et s’étrécit ;
Brûlant, il étincelle, et froid, il se durcit.
La flamboyante orgie éclate. L’on est ivre
De l’arôme du fer et de l’odeur du cuivre.
Voici de l’or qui fond et de l’argent qui bout ;
L’alliage subtil les mêle en un seul tout.
Notre peuple travaille, accouple, unit et forge !
La colère à forger nous saisit à la gorge
Et nous gonfle le muscle et nous brûle le sang.
Notre souffle inégal suit notre bras puissant,
Car, de tout ce métal qu’il martèle sans trêve,
S’aiguisent par milliers les lances et les glaives,
Et la bataille sort de notre antre guerrier.
Notre œil unique, c’est ton orbe, ô bouclier !

Et nos torses fumans que la scorie encrasse
Ont servi de modèle à mouler la cuirasse,
Et c’est nous, de qui l’œuvre obscur et souterrain
Pour la ville aux dieux d’or fait des portes d’airain.

« Condamnés à la nuit, Cyclopes, nous aurions,
Comme d’autres, aimé le jour et les rayons,
Le soleil, la clarté, l’air vaste, la lumière,
Mais notre race, hélas ! de l’ombre est prisonnière.
C’est ainsi. La sueur nous coule de la peau
Tandis que court la source et glisse le ruisseau
Furtif entre les joncs et pensif sous les chênes,
Et que la Nymphe rit d’être nue aux fontaines !
Le vent frais eût séché nos corps laborieux.
La terre est belle. Non. Les fleurs pour tous les yeux
Multicolores et charmantes sont écloses,
Un sang divin triomphe en la pourpre des roses,
Mais l’œil déshérité qui s’ouvre à notre front
N’était pas fait pour voir ce que d’autres verront,
Et, lorsque l’un de nous en rampant sur le ventre
Se hasarde au dehors debout au seuil de l’antre,
Le chien hurle à sa vue et le troupeau s’enfuit ;
Chacun en le voyant s’écarte devant lui.
C’est en vain qu’un instant au soleil il s’étire.
On a peur. Les oiseaux s’envolent, et le rire
Des femmes s’interrompt en un cri, et l’on voit,
L’une dans le verger et l’autre vers le bois,
Se cacher Lycoris et courir Galatée ;
La flûte du berger se tait, épouvantée,
Si le pas du Cyclope a troublé l’air divin.

« Bien plus. Les Faunes même et même les Sylvains
Nous lancent des cailloux et nous jettent des pierres,
Et notre œil attristé sous sa lourde paupière
Les fait, rire de nous dans leurs barbes. C’est vrai
Que l’ombre nous a faits rauques, gauchos et laids.
Le marteau a rendu gourdes nos mains difformes ;
L’âpre feu nous a cuit le visage. Nous sommes
Tout haletans encor du labeur souterrain,
El notre souffle gronde en nos gorges d’airain.

« Laissons donc le Printemps fleurir la terre douce.
Ne te hasarde plus vers ce qui te repousse.
Bon Cyclope ! Reprends en bas ton œuvre obscur ;
Le four ronfle ; la cuve est pleine et bout. L’azur
Du ciel est souriant, là-haut, aux blés que dore
Ce soleil qui pour toi n’aura pas eu d’aurore.
Retourne à ta caverne et rentre dans ta nuit ;
Descends vers la rumeur et descends vers le bruit,
Et ne t’occupe plus de l’homme et de la terre.
Sue et peine et, parfois, pourtant, pour te distraire,
Songe que ton Destin, noir Ouvrier, est beau.
O Forgeron, tu as pour sceptre le marteau !
Ta couronne terrestre est un Etna qui fume ;
Et, lorsque à tour de bras tu frappes sur l’enclume,
Pense donc que tu fais aussi, toi, comme un dieu,
Naître des fleurs de flamme et des roses de feu. »


HENRI DE REGNIER.