Funérailles (A. Baillon)

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Collectif
Le Thyrse de 1900-19012 (p. 73).

Funérailles.



Sous le soleil d’or et de feu, parmi les ruelles d’où s’entrevoyait l’infini lumineux des champs, le cercueil fut porté vers l’humble église. Quelques amis le suivaient ; ils tenaient des gerbes blanches de lilas et de lys, et tous, têtes nues, étaient tristes, sans effort, car celui qui s’en allait ainsi était notre ami, le meilleur d’entre nous, Julien Roman.

Il avait vingt-sept ans.

Son corps avait été une auberge de tortures ; un mal impitoyable le rongeait ; mais cette ruine si rapide nous stupéfia comme ces coups de foudre qui éclatent on ne sait pourquoi dans un ciel sans nuage. Que de fois, malade la veille, il était venu le lendemain s’asseoir au milieu de nous, la face un peu plus blême et les regards plus brillants.

Nous l’avions vu quelques jours auparavant, nous avions souri à ses gaîtés d’enfant et frémi à sa parole solennelle et douce d’apôtre. Il nous avait dit ses vers, — de ses derniers,  — Rétrospection, qui nous semblent maintenant comme un examen de sa conscience innocente, avant son entrée dans le Portail de la Paix. Parfois se dérobant à notre exubérance de jeunesse, il penchait sa belle tête de prophète entre ses mains et songeait : puis il parlait, faisait chanter ses vers, subitement jaillis de lui comme l’eau d’une source. Sa voix était grave, sonnait aux appels des rimes, s’élargissait, s’enflait comme un grand fleuve roulant, dans ses remous calmes, des lambeaux de ciel et des flammes d’étoiles. Nous nous taisions, attentifs à ce grand souffle de mystère qui passait et qui nous laissait encore frémissants, longtemps après qu’il s’était tu.


Et tandis que sur le pavé sonnait la marche en cadence des porteurs, ces souvenirs voletaient autour du drap noir.

Le glas tinta ; le cercueil fut dans l’église, et les prières descendirent sur lui implorant la clémence d’en haut. « Miserere » Mon Dieu ! quel mal pouvait-il avoir fait, cet enfant, innocent, et bon. Il était venu… il avait passé, très tendre, très charitable en chantant : sous d’autres cieux, en d’autres époques, il eut été l’ascète paisible qui attend le ciel, dans l’immobilité de son rêve, près du Dieu qui l’appelle…

Puis dans la paix silencieuse du cimetière, intime et calme comme un dortoir autour de la petite église, une suprême fois ses amis lancèrent l’« Au-revoir » sanglotant des séparations ; et les gerbes et les fleurs churent en lourdes larmes sur le cercueil pour que la terre Lui fut moins froide et que la pensée des siens fût plus proche de Lui.

Il repose… Son souvenir plane parmi nous comme une légende déjà vieille, d’un bon roi-mage, très simple et serein, qui passa parmi nous en marche vers l’Étoile,… et qui chantait… et qui s’en fut.

A. B.