Aller au contenu

Génie du christianisme/Partie 1/Livre 5/Chapitre V

La bibliothèque libre.

CHAPITRE V.

Chant des Oiseaux ; qu’il est fait pour l’homme.
Loi relative aux cris des Animaux



La nature a ses temps de solennité, pour lesquels elle convoque des musiciens des différentes régions du globe. On voit accourir de savants artistes avec des sonates merveilleuses, de vagabonds troubadours qui ne savent chanter que des ballades à refrain, des pèlerins qui répètent mille fois les couplets de leurs longs cantiques. Le loriot siffle, l’hirondelle gazouille, le ramier gémit ; le premier, perché sur la plus haute branche d’un ormeau, défie notre merle, qui ne le cède en rien à cet étranger ; la seconde, sous un toit hospitalier, fait entendre son ramage confus ainsi qu’au temps d’Évandre ; le troisième, caché dans le feuillage d’un chêne, prolonge ses roucoulements, semblables aux sons onduleux d’un cor dans les bois ; enfin, le rouge-gorge répète sa petite chanson sur la porte de la grange où il a placé son gros nid de mousse. Mais le rossignol dédaigne de perdre sa voix au milieu de cette symphonie : il attend l’heure du recueillement et du repos, et se charge de cette partie de la fête qui se doit célébrer dans les ombres.

Lorsque les premiers silences de la nuit et les derniers murmures du jour luttent sur les coteaux, au bord des fleuves, dans les bois et dans les vallées ; lorsque les forêts se taisent par degrés, que pas une feuille, pas une mousse ne soupire, que la lune est dans le ciel, que l’oreille de l’homme est attentive, le premier chantre de la création entonne ses hymnes à l’Éternel. D’abord il frappe l’écho des brillants éclats du plaisir : le désordre est dans ses chants ; il saute du grave à l’aigu, du doux au fort ; il fait des pauses ; il est lent, il est vif : c’est un cœur que la joie enivre, un cœur qui palpite sous le poids de l’amour. Mais tout à coup la voix tombe, l’oiseau se tait. Il recommence ! Que ses accents sont changés ! quelle tendre mélodie ! Tantôt ce sont des modulations languissantes, quoique variées ; tantôt c’est un air un peu monotone, comme celui de ces vieilles romances françoises, chefs-d’œuvre de simplicité et de mélancolie. Le chant est aussi souvent la marque de la tristesse que de la joie : l’oiseau qui a perdu ses petits chante encore ; c’est encore l’air du temps du bonheur qu’il redit, car il n’en sait qu’un, mais, par un coup de son art, le musicien n’a fait que changer la clef, et la cantate du plaisir est devenue la complainte de la douleur.

Ceux qui cherchent à déshériter l’homme, à lui arracher l’empire de la nature, voudroient bien prouver que rien n’est fait pour nous. Or, le chant des oiseaux, par exemple, est tellement commandé pour notre oreille, qu’on a beau persécuter les hôtes des bois, ravir leurs nids, les poursuivre, les blesser avec des armes ou dans des pièges, on peut les remplir de douleur, mais on ne peut les forcer au silence. En dépit de nous, il faut qu’ils nous charment, il faut qu’ils accomplissent l’ordre de la Providence. Esclaves dans nos maisons, ils multiplient leurs accords : il y a sans doute quelque harmonie cachée dans le malheur, car tous les infortunés sont enclins au chant. Enfin que des oiseleurs, par un raffinement barbare, crèvent les yeux à un rossignol, sa voix n’en devient que plus harmonieuse. Cet Homère des oiseaux gagne sa vie à chanter et compose ses plus beaux airs après avoir perdu la vue. « Démodocus, dit le poëte de Chio, en se peignant sous les traits du chantre des Phéaciens, étoit le favori de la muse ; mais elle avoit mêlé pour lui le bien et le mal, et l’avoit rendu aveugle en lui donnant la douceur des chants. »


Τὸν περὶ μοῦσ’ ἐφίλησε, δίδου δ’ ἀγαθόν τε, κακόν τε.
Ὀφθαλμῶν μὲν ἄμηρσε δίδου δ’ ἡδεῖαν ἀοιδήν.


L’oiseau semble le véritable emblème du chrétien ici-bas : il préfère, comme le fidèle, la solitude au monde, le ciel à la terre, et sa voix bénit sans cesse les merveilles du Créateur.

Il y a quelques lois relatives aux cris des animaux qui, ce nous semble, n’ont point encore été observées, et qui mériteroient bien de l’être. Le divers langage des hôtes du désert nous paroît calculé sur la grandeur ou le charme du lieu où ils vivent et sur l’heure du jour à laquelle ils se montrent. Le rugissement du lion, fort, sec, âpre, est en harmonie avec les sables embrasés où il se fait entendre ; tandis que le mugissement de nos bœufs charme les échos champêtres de nos vallées ; la chèvre a quelque chose de tremblant et de sauvage dans la voix, comme les rochers et les ruines où elle aime à se suspendre ; le cheval belliqueux imite les sons grêles du clairon, et, comme s’il sentoit qu’il n’est point fait pour les soins rustiques, il se tait sous l’aiguillon du laboureur et hennit sous le frein du guerrier. La nuit, tour à tour charmante et sinistre, a le rossignol et le hibou : l’un chante pour le zéphyr, les bocages, la lune, les amants ; l’autre pour les vents, les vieilles forêts, les ténèbres et les morts. Enfin, presque tous les animaux qui vivent de sang ont un cri particulier, qui ressemble à celui de leurs victimes : l’épervier glapit comme le lapin et miaule comme les jeunes chats ; le chat lui-même a une espèce de murmure semblable à celui des petits oiseaux de nos jardins ; le loup bêle, mugit ou aboie ; le renard glousse ou crie ; le tigre a le mugissement du taureau, et l’ours marin une sorte d’affreux râlement tel que le bruit des récifs battus de vagues où il cherche sa proie. Cette loi est fort étonnante, et cache peut-être un secret terrible. Observons que les monstres parmi les hommes suivent la loi des bêtes carnassières : plusieurs tyrans ont eu des traces de sensibilité sur le visage et dans la voix, et ils affectoient au dehors le langage des malheureux qu’ils songeoient intérieurement à déchirer : néanmoins la Providence n’a pas voulu qu’on s’y méprît tout à fait, et pour peu qu’on examine de près les hommes féroces, on trouve sous leurs feintes douceurs un air faux et dévorant, mille fois plus hideux que leur furie.