Géographie du département de la Savoie/6

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vi. — Histoire.

Dès qu’on eut reconnu au fond des lacs de la Suisse l’existence de pilotis et de poteries qui trahissaient d’anciens établissements, les archéologues des Sociétés savantes de la Savoie explorèrent les lacs de leur pays et y découvrirent des pilotis et des poteries semblables. A quelle époque peuvent remonter ces cités primitives établies sur les eaux pour rendre leur défense plus facile ? Cette question attend encore une solution. On a déterminé sept emplacements de cités lacustres, sur le lac du Bourget, à Tresserve, à Brison-St-Innocent, à Conjux, à Châtillon. Cette dernière localité avait même donné son nom au lac désigné par des cartes et des chartes du moyen âge sous le nom de Châtillon (lacus Castillonis). Mais on ignore à quelle nation appartenaient ces habitants des lacs, car, d’une part, en Suisse, les constructions sur pilotis paraissent avoir diminué ou cessé avec l’invasion celtique ; d’autre part, en Savoie, elles semblent avoir subsisté plus longtemps, peut-être jusqu’à l’occupation romaine.

À cette époque, les peuples qui habitaient les vallées de la Maurienne s’appelaient les Médulles et les Graïocelles. Les Ceutrons habitaient les vallées de la Tarentaise, de Beaufort et du Haut-Faucigny. Les Broges étaient divisés en deux grandes fractions : l’une, nommée Isobroges, dans la Bresse, l’autre, Allobroges, dans les vallées de la province de Genevois, dans une partie du Chablais et du Faucigny et dans la province de Savoie Propre. Débordant en Dauphiné jusqu’à l’Isère et jusqu’au Rhône, les Allobroges, chefs de la redoutable ligue des tribus Sapaudes (Sapaudia, Savoie), étaient l’un des plus célèbres peuples de la Gaule. L’historien Polybe nous transmet le premier fait écrit relatif aux peuples qui habitaient la Savoie : le secours donné par les Allobroges aux Gaulois cisalpins attaqués par les armées romaines. Le second est le passage des Alpes par Annibal, passage qui a donné lieu à tant de discussions, continuées de nos jours. Lorsque Rome, victorieuse de Carthage, maîtresse de l’Orient et de l’Espagne, intervint enfin dans la Gaule, pour protéger Marseille, les Allobroges résistèrent énergiquement aux étrangers et s’unirent aux Arvernes. Défaits une première fois par Domitius Ænobarbus, ils le furent une seconde fois par Fabius Maximus, qui obtint l’honneur du triomphe et le surnom d’Allobrogicus. Ce fut par leur pays et peut-être dans leur pays que Jules César arrêta l’invasion des Helvètes : il s’annonçait à la Gaule comme un libérateur, en attendant qu’il pût y parler en conquérant et en maître.

Opiniâtres dans leur résistance contre les Romains, les Allobroges, une fois soumis, adoptèrent promptement les lois, les mœurs, les coutumes, la langue des vainqueurs. Le territoire fut défriché, assaini, sillonné de routes ; des cités populeuses s’élevèrent, qu’embellirent des temples, des théâtres, des palais, des cirques, des écoles, des arcs de triomphe, des aqueducs, des bains. La Savoie est une des contrées de la Gaule qui contiennent le plus de ruines antiques, de vestiges de voies romaines, d’inscriptions latines. On en a trouvé : à Aime (Forum Claudii, Axima au moyen-âge), à Aiguebelette (Aquae Bellonæ), à Lémenc (Lemencum) situé auprès de Chambéry, à Arbin (mosaïques fort remarquables), à Aix-les-Bains (Aquæ Allobrogum ou Aquæ Domitianæ ou Aquæ Gratianæ), à Albens (ancien vicus Albaniensis), à la Biolle, à Novalaise.

L’antique Allobrogie, ayant été détachée de la province Narbonnaise par les empereurs Galba et Vespasien, forma une nouvelle province, appelée Viennoise, laquelle s’étendait jusqu’au cœur du pays des Ceutrons. Mais un jour, son nom même s’effaça pour faire place au nom primitif de Sapaudia qui reparut. Dans la Notice des princes et des cités de la Gaule, ce nom s’écrit Sabaudia, puis, après l’arrivée des Barbares, Saboja, Saboia, Savogia, Savoye, Savoie.

L’époque de l’introduction du christianisme en Savoie est incertaine : saint Jacques, saint Marcel, saint Maxime, saint Élie et saint Milet furent les premiers qui, au cinquième siècle


Arc de Campanus et établissement thermal à Aix-les-Bains. — D’après un cliché de M. G. Brun, photographe à Aix-les-Bains.

catéchisèrent les vallées de ce pays. Parmi les peuples barbares qui s’établirent dans la Gaule, les Burgondes se distinguaient par leur caractère pacifique, industrieux. Au lieu de se disperser et de courir les aventures, ils se glissèrent de la vallée du Rhin dans celle de la Saône, de celle de la Saône dans la vallée du Rhône et ne s’arrêtèrent que devant les gorges difficiles, les cimes escarpées de la Savoie. Ils s’étendirent donc jusqu’au cœur de ce pays, qui fut compris dans leur royaume. À cette époque, Chambéry prit le nom de Camera regis (Chambre du roi), d’où plus tard on fit Cameriacum, Camberiacum. Quoique Ariens, les Burgondes avaient respecté le clergé catholique ; mais bientôt ils éprouvèrent la puissance des Francs. Clovis soumit Gondebaud à un tribut, et ses fils conquirent définitivement le royaume des Burgondes sur Sigismond, puis sur Gondemar (524-534). La Savoie se trouva ainsi rattachée de bonne heure au royaume des Francs, dont elle devait plus tard être séparée, mais auquel, selon la loi naturelle, elle tendit toujours à revenir.

Malgré leurs forteresses naturelles, les habitants de la Savoie eurent à souffrir des incursions des Sarrasins, qui dévastaient la vallée du Rhône et les vallées latérales : ils en furent délivrés par Charles-Martel, Pépin le Bref et Charlemagne. Pépin le Bref et Charlemagne traversèrent plusieurs fois la Savoie pour s’acheminer, par les passages alors presque impraticables des Alpes, vers l’Italie où ils allaient combattre les Lombards. Charles le Chauve qui, à peine maître de la Gaule, se vit obligé d’abandonner son pouvoir et ses terres aux ducs et aux comtes, voulut néanmoins se rendre en Italie pour y chercher la couronne impériale. Il mourut en 877, au retour, dans une misérable cabane du village d’Avrieux, près de Modane.

Le démembrement de l’empire de Charlemagne avait été funeste à la Savoie, car il l’avait détachée de la Gaule et réunie à la part de Lothaire, la Lotharingie. Les pays distraits, à cette époque, de leur région naturelle et ne pouvant par eux-mêmes constituer un état, furent pendant des siècles disputés par les maîtres de la Gaule et les maîtres de l’Allemagne. Ils se fractionnèrent en plusieurs royaumes oscillant entre des dominations diverses. La Savoie fit partie du royaume de Provence fondé par le duc Boson (879), puis du second royaume de Bourgogne (Rodolphe II). Le royaume de Bourgogne ayant passé en 1032 sous la suzeraineté des empereurs allemands, un certain nombre des pays dont il se composait s’affranchirent, se démembrèrent en seigneuries ; il y eut alors presque autant d’états que de vallées en Savoie : évêchés de Tarentaise, de Maurienne, seigneuries de Genève, de Faucigny, etc. Bientôt les comtes de Maurienne grandirent en puissance grâce à l’investiture faite à leur profit par Bérold de Saxe. Le premier comte investi fut Humbert Ier, aux Blanches mains, chef de la Maison de Savoie. Après lui vinrent Amédée Ier, Amédée II qui prit position au delà des Alpes et inaugura la politique des princes de Savoie, aussi jaloux de s’étendre en Italie que du côté de la Gaule ; Humbert II, Amédée III, Humbert III, enfin Thomas Ier.

Ce prince acquit Chambéry près de la ville de Lémenc, à la rencontre des cinq routes d’Aix, du Mont-du-Chat, de l’Épine, d’Aiguebelette, des Échelles. Maîtresse de ce point central (1232), la Maison de Savoie, qui habitait tantôt Charbonnières, près d’Aiguebelle, tantôt d’autres châteaux de ses états, et qui étouffait dans les vallées des Alpes, put désormais étendre un bras protecteur ou menaçant sur les populations et les seigneurs de la Savoie. Cette maison agrandit encore ses domaines avec Amédée IV, Boniface Ier, Pierre Ier, dit le Petit Charlemagne, Amédée V, dit le Grand. Amédée acquit la Bresse, le Bugey et plusieurs seigneuries dans le pays de Gex. Ce fut lui qui, en mémoire d’une croisade en Orient, substitua, dans les armes de Savoie, la croix blanche des Chevaliers de Rhodes à l’aigle de l’empire germanique. Edouard Ier organisa l’escadron de Savoie, qui fut le noyau d’une armée régulière permanente et nationale. Aymon créa à Chambéry un conseil supérieur de justice et les assises générales de Savoie. Sous Amédée VIII, surnommé le Salomon de son siècle, la Savoie fut érigé en duché par l’empereur Sigismond (1416).

Néanmoins les princes de Savoie restèrent pour la plupart dévoués à la France et combattirent avec nos rois contre les Anglais. Ils les suivirent dans leurs expéditions en Italie, et plusieurs fois des mariages avaient scellé leur union avec la Maison de France. Louise de Savoie, on le sait, fut la mère de François Ier. Toutefois les princes de la Maison de Savoie commencent à louvoyer entre la Maison d’Autriche et la Maison de France, ne cherchant qu’à faire payer cher aux deux adversaires, tantôt leur alliance, tantôt leur défection. Charles III s’allie avec Charles-Quint, et François Ier envahit la Savoie (1534-1536). Le fils de Charles III, Emmanuel-Philibert, réduit au simple rôle d’un lieutenant de Charles-Quint, puis de Philippe II, combat alors les Français avec acharnement, et c’est lui qui gagne avec les troupes espagnoles la bataille de Saint-Quentin (1557). La paix du Cateau-Cambrésis (1559) lui rendit ses états, et Henri II, pour le regagner, lui accorda la main de sa sœur, Marguerite de France. Emmanuel-Philibert transféra à Turin le siège de ses états.

Les princes de Savoie se mêlèrent aux troubles de la Ligue, mais ils furent obligés de céder à Henri IV le pays de Gex, le Valromey et le Bugey (traité de Lyon, 1601). Henri IV, avec Sully et Crillon, avait pris Charbonnières, puis Montmélian, et imposé à presque toute la Savoie sa domination, que Richelieu maintint sous Louis XIII.

La paix de Ratisbonne rendit, en 1630, ses états à Victor-Amédée Ier, mais sous la condition que les princes de Savoie rentreraient dans l’alliance française. Ils ne la rejetèrent que sous Louis XIV, quand la politique violente du grand roi souleva contre lui l’Europe et amena la formation de la Ligue d’Augsbourg. Le duc de Savoie, Victor-Amédée II, envahit le Dauphiné en 1692, mais il fut repoussé, et les victoires des Français en Italie, à Staffarde et à la Marsaille, le ramenèrent à Louis XIV. Il l’abandonna encore une fois pendant la guerre de la succession d’Espagne et recueillit plus d’avantages qu’il n’avait osé en espérer. Au traité d’Utrecht, la


Chambéry.

France lui céda les vallées qu’elle avait gardées sur le versant oriental des Alpes. Il obtint le titre de roi avec la Sicile (1713), qui, trois ans plus tard, fut échangée contre la Sardaigne. Le duc de Savoie devint ainsi roi de Sardaigne.

Pendant le dix-huitième siècle, les ducs de Savoie suivirent la politique ambiguë qui leur avait si bien profité. Alliés de la France pendant la guerre de 1733, ses ennemis pendant la guerre de la succession d’Autriche, ils revinrent à elle après la paix d’Aix-la-Chapelle. Lors de la Révolution de 1789, Victor-Amédée III se joignit à la première coalition. Aussitôt une armée française, commandée par Montesquiou, pénètre en Savoie, fait son entrée dans la capitale de l’ancien duché, et bientôt un décret de la Convention incorpore ce pays à la République, sous le nom de département du Mont-Blanc. La Savoie reçut alors les lois, l’administration de notre pays, et déjà elle se considérait comme française lorsque les traités de 1815 lui rendirent, avec son indépendance, son roi, Victor-Emmanuel Ier.

Mais ses princes devenaient de plus en plus italiens. En 1859, avec l’appui de l’armée française, Victor-Emmanuel II conquit la Lombardie, puis s’étendit au centre de l’Italie et abandonna (24 mars 1860) la Savoie à la France. Le descendant des ducs de Savoie, devenu roi d’Italie, se consola sans peine de la perte d’une province, qui bien qu’elle eût été le berceau de sa maison, était de plus en plus étrangère au royaume où la fortune l’avait appelé à régner. Les habitants de la Savoie, séparés de l’Italie par les Alpes, montrèrent par leur vote quasi-unanime (3 avril 1860) en faveur de l’annexion, qu’ils considéraient ce changement, d’ailleurs si favorable à leurs intérêts, comme un retour pur et simple à leur mère-patrie. L’ancien duché de Savoie fut alors divisé en deux départements, et celui qui garda le nom simple de Savoie, comprit la Haute-Savoie, la Savoie Propre, la Maurienne et la Tarentaise avec Chambéry comme chef-lieu.