Gérard David et l'élément étranger dans la peinture flamande, du XVe au XVIe siècle

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GÉRARD DAVID ET L’ÉLÉMENT ÉTRANGER DANS LA PEINTURE FLAMANDE, DU XVe AU XVIe SIÈCLE


0n ne saurait prendre dans le sens littéral la dénomination d’École de Bruges, durant le XVe siècle, pas plus que celle de style gothique, à l’époque ogivale. Non seulement les Van Eyck n’étaient pas plus Bmgeois que Bouts et Vander Weyden, que Memling, Van der Goes, G. David, Gossart, Schongauer ou Van Orley ; mais pendant tout ce laps de temps, on trouve à peine quelques artistes de mérite originaires de la Flandre, parmi la foule de ceux que mentionnent les archives.

En revanche, nombreux furent les étrangers qui, profitant de la prospérité de la Venise du Nord, vinrent lui apporter l’éclat de leur gloire ou perfectionner leur talent, grâce aux circonstances spéciales qui favorisaient la cité de Bruges.

Tout en déclarant ne vouloir blesser d’aucune façon la susceptibilité de nos compatriotes, nous croyons qu’il est possible de déduire de l’examen des œuvres de nos artistes une explication des tendances d’art auxquelles une longue période de domination étrangère, ou une déférence singulière envers les maîtres étrangers semble les avoir condamnés. Car il est de toute évidence que, malgré la trivialité qu’on lui reproche, et qui n’est qu’un attachement extrême à la réalité, l’art flamand a tenté, de sacrifier au goût italien ou français et que les plus nationaux de ses adeptes nous apparaissent encore sous les noms de Memling, G. David, Bouts, Frument, tous étrangers, et de Van Eyck, Metsys, Van der Weyden, Van der Goes, Horenbout, tous nés hors de Bruges.

Cet épanouissement exotique, au contact d’une terre plantureuse où l’amour du luxe et de la couleur fut toujours un don naturel au peuple, est-il un indice d’un défaut d’initiative artistique ? L’élan une fois imprimé, l’École brugeoise témoigne de solides qualités pratiques comme celles du Biabant et d’Anvers.

Il semble pourtant que pour sortir d’une certaine torpeur, nos peintres ont toujours demandé une direction excitante, énergique et soutenue, l’aiguillon de la rivalité ou l’exemple du dehors. Comment s’expliquer autrement que l’influence de notre climat développe des qualités spéciales chez des étrangers, tandis que les travaux nombreux des indigènes restent dans l’obscurité et l’oubli ?

Les détenteurs de trésors naturels, qu’une étincelle suffit à faire briller au contact de Wallons, de Hollandais, d’Allemands, ne se révèlent grands artistes qu’après des voyages ou sous la conduite d’un de ces étrangers !

Le fait le plus remarquable à cet égard que nous apporte le XVe siècle, c’est qu’un courant hollandais a passé sur la Flandre et a dominé même des Français et des Germains, à l’époque précise où Roger dit de Bruges dirigeait l’art au centre du pays.

Si Memling nous donne un reflet de l’École romano-byzantine de Cologne, Th. Bouts, Gérard David et un artiste trop oublié, Jean Joest, de Haarlem, caractérisent la branche néerlandaise de l’École flamande.

Après les travaux remarquables qui ont mis en lumière l’œuvre de Memling, nous devons nous borner à classer quelques notes prises devant ses œuvres. Notre principal but est d’ailleurs de relier entre eux les artistes de cette époque et de prouver que l’on peut les grouper légitimement.

Sans nul doute, des maîtres tels que Memling, Gossart, G. David, s’ils n’avaient quitté leur village natal, n’eussent jamais laissé leurs chefs-d’œuvre ; et dans la Vierge au Donateur, de J. Van Eyck, comme dans deux tableaux de Memling[1], existe un caractère français dans une Madone, des piliers, des sculptures (analogues aux ornements de la cathédrale de Laon et à la colonnade de celle d’Amiens), qui montre une étude aux mêmes sources. L’on sait d’ailleurs les relations de nos imagiers avec la France.

En réalité c’est avec Roger Van der Weyden que Memling eut les points de contact les plus indiscutables. Il peut avoir été son élève en 1460, puis de 1467 à 1470 celui de Bouts et avoir voyagé jusqu’en 1478.

Il montre les contours durs de Roger dans le No 697 du Louvre ; et en revanche la facture, la fine gamme grisâtre et les figures d’anges ou de saints du triptyque des Médicis, à Francfort, pourraient être attribuées à Memling.

Dans la Vierge embrassant son Fils[2] se dévoile le style de Memling, de même que dans la Déposition de Croix[3], autre œuvre de Roger où l’on voit un dévot priant, rappelant une figure de Van Eyck, outre une Vierge avec Saint-Jean, dignes du peintre de l’hôpital de Bruges. Memling n’était point original, point novateur. Son triptyque de Floreins, daté de 1479, et dénotant le plus admirable miniaturiste, paraît avoir été commandé comme une suite à des tableaux de maîtres antérieurs ; les figures de petits anges du volet de gauche et de l’Enfant (volet de droite) évoquent Roger. Cette œuvre, d’un coloris chaud et qui se rapproche des détails de l’Adoration des Mages de Bruxelles, suffit pour prouver que cette dernière a été peinte par un pasticheur de Memling.

Le triptyque de Floreins fut copié en 1480, avec des volets portant le portrait du corroyeur Bultynck ; le maître avait sans doute, de son vivant, des aides-copistes pour exécuter les commandes. Éclectique comme tous ses confrères de la transition, Memling suivait des usages pratiques qui dénotent que des relations personnelles ou d’atelier existaient entre certains peintres.

Des étoffes, des objets de prix étaient copiés dans des ateliers divers, ou par un élève ; peut-être ces accessoires ne servaient-ils qu’à l’usage des peintres. Ainsi de la robe de Sainte-Cécile (dans l’œuvre d’Hubert Van Eyck, à Saint-Bavon), dont les grandes fleurs sur fond bleu vert foncé se retrouvent sous le pinceau de Memling ; aussi, de la robe rouge brochée et du jupon que l’on voit dans l’œuvre de T. Bouts, à l’église de Saint-Sauveur, à Bruges, et qui se reconnaissent dans la Dédicace du Sang miraculeux à la chapelle du Saint-Sang. Ces étoffes, très coûteuses, n’étaient cependant pas d’un usage courant dans la bourgeoisie.

On ne saurait méconnaître dans le Mariage mystique[4] (dont le centre représente la Vierge, l’Enfant, des saintes, et, au fond, une chaudière avec des bourreaux), un sujet aimé de G. David. Sur les volets de ce triptyque, l’Apocalypse et la Décollation, l’on voit aussi des fragments analogues aux sujets de ce peintre : un seigneur en pourpoint rouge et or, dans le goût de T. Bouts ; une eau d’un vert foncé spécial ; un pontife tel que celui de la Châsse de Sainte-Ursule, et surtout un Saint-Jacques de Compostelle qui rappelle le tableau du Musée de Rouen. D’ailleurs, il y a, attachés à ce tableau dont la date paraît avoir été raturée, deux volets postérieurs au centre, plus largement traités et qui ne sont pas de Memling.

C’est à G. David en effet que reviennent, dans cette collection, les tableaux marqués jadis nos 4 et 7 ; il fit aussi plusieurs répétitions du célèbre Jugement dernier, de Dantzig.

Un détail (les guirlandes empruntées à Mantegna et traitées avec un caractère commun par Memling, David et N. Frument, puis par Durer) se montre nettement dans la Madone à manteau rouge du Musée de Florence[5], spécialement dans l’ange musicien de droite de ce panneau, aussi bien que dans les arabesques de l’Adoration des Mages, de J. Swart[6].

On peut encore comparer le Saint-Jean-Baptiste couvert de poil de chameau, du charmant diptyque de Memling au Louvre, avec le Baptême du Christ, de l’Académie de Bruges. Certainement les peintres de ce temps ont vécu en communauté d’art.

Cependant Memling présente souvent des caractères qui permettent de l’identifier sans conteste. Les Madones de la Galerie - 38' -

Lichtenstein, k Vienne ^ mais surtout son vaste Panorama : les Sept Joies de Marie -, qui fut donné par les foulons de Bruges au gouverneur autrichien en 1780 (œuvre datant de 1489 et parsemée de figurines coloriées d'une vivacité extrême, avec des manches changeantes qu'on retrouve chez T. Bouts), tout cela dénote bien le miniaturiste désigné primitivement pour l'exécution du Bréviaire Grimani.

Ce coloris frais, vif et lumineux distingue encore le petit Mariage mystique légué au Louvre par M. Gatteaux, avec cette particula- rité que l'artiste y a intercalé des anges presque monochromes, comme sur la Châsse de Sainte-Ursule, et que Gérard David sem- ble avoir pris ce tableau pour base de son œuvre à lui.

En effet, la réunion de saintes assises sur le premier plan a été une sorte d'obsession pour le maître hollandais : peut-être comptait- il plusieurs sœurs ou des filles qu'il a portraiturées dans tous ses tableaux, le plus souvent en sa propre compagnie.

Dans tous les cas, si Memling procède de Bouts et de Roger, c'est de Memling que procède G. David. Mais d'abord, il convient de constater que dans cette période de vingt-cinq ans, durant laquelle Haarlem acquit une si large place dans l'art flamand, c'est avec T. Bouts seulement que naît pour nous la limiière.

Nous le voyons adversaire de Roger, rival officiel à Louvain du peintre de Bruxelles, et tendant à faire prédominer son goût et sa couleur, plus pittoresques en effet que ceux de Van der Weyden. Il est le trait d'union entre la Xéerlande et la Flandre, entre Louvain et Anvers au moment du déclin de Bruges, enfin entre les Van Eyck et Metsys.

Mais il ne semble aucunement avoir recherché Van der Weyden ; tout au plus, la Sortie du Tombeau, peinte par celui-ci ^, présente-t- oile une figure de vieillard analogue aux siennes.

Il faut admettre que Bouts étudia à Haarlem avant 1440, qu'il connut les Van Eyck avant de se fixer à Louvain, où il n'apparaît qu'en 1462, alors que florissaient Schongauer et Marmion, que Van der Goes commençait à briller et que Roger allait disparaître.

Fut-il condisciple de ce dernier et de Schongauer? Sa palette, si

^ No* 1047 et 800. ■"* X" 655, Munich. 3 Offices, Florence. — 382 —

spécialement hollandaise, semble plutôt indiquer comme ses initia- teurs Gérard de Saint- Jean ou Van Ouwater.

Il eut des élèves nombreux, des copistes et des collaborateurs, ce qui est prouvé par les sujets de l'Arrestation du Christ (à Munich, Dresde, Cologne et Augsbourg), de la Résurrection (à Nuremberg, avec répétition au Musée de Grenade), de la Cène, de la Sibylle et Auguste (à Francfort), des Israélites cueillant la Manne, tableau que l'on a mis, au Louvre jadis, comme à Douai, au compte de Schongauer.

Il y a, il est vrai, une certaine affinité avec l'art de Schongauer dans la Cène du Musée de Bruxelles, mais celle de Saint-Pierre, à Louvain, dont deux volets sont à Munich, donne, avec le Martyre de Saint-Érasme, les caractères les plus sûrs de la manière de Bouts.

La Légende d'Othon, à Braxelles, n'est pas même aussi significa- tive et doit avoir été peinte en rivalité avec les sujets de Roger à l'Hôtel de Ville de Bruxelles. Son Evangéliste * est peu typique aussi, mais le Martyre de Saint-Hippolyte, à Bruges, est un jalon d'autant plus intéressant, qu'il montre l'alliance de Bouts et de Memling, car celui-ci a collaboré sans nul doute au volet de gauche. Une Madone, attribuée à Londres à Van der Goes, et la Fontaine symbolique, à Lille, sont de Bouts probablement ; et à Florence comme à Naples les œuvres de N. Frument ont des similitudes avec celles du maître hollandais.

Mais un autre étranger, Schongauer, se lie surtout intimement à ces deux peintres et au sosie de Fmment, Conrad Fyoll.

Très controversé, même à Colmar où l'on pourrait le reven- diquer presque comme un concitoyen, il est surtout jugé d'après ses gravures, base fragile, car la gravure inspira tous ses congénères après le temps de Van der Weyden .

Aux Offices, on lui attribue assez gratuitement une Adoration des Mages ^ dont la répétition, au Musée de Naples, a une grande analogie avec une œuvre de N. Frument, les mages étant posés de même, les costumes, les ciboires se ressemblant.

Le Christ chez le Pharisien ^, au Musée de Bruxelles, est plus

1 N^ 1492, Munich.

2 No 708. '^ N« 50. - 383 -

sûrement de lui, et en revanche, à Colmar, existe une frise que l'on peut restituer à Fmment *, qui doit avoir été son élève, car seize tableaux sur fond d'or qui figurent sous son nom, ont été peints sous sa direction par cet artiste, par C. Fyoll et d'autres. Dans toute cette série, le Massacre des Innocents, la Descente de Croix et la Mise au Tombeau sont seuls de la main de Schongauer.

D'ailleurs, en cette ville, pour plus d'une œuvre, on hésite entre lui et Durer.

M. H. Hymans a fait remarquer qu'il n'y eut jamais de rapports personnels entre Schongauer et Durer, quoi qu'en ait dit L. Lom- bard, dans sa Lettre à Vasari, et que Martin ne fut pas élève propre- ment dit de Roger.

Mais ses œuvres décèlent une étude de celles de T. Bouts.

Dans la sacristie de la cathédrale de Colmar, outre la Madone aux anges bleus, aux fleurs et aux oiseaux qui a l'air d'un vrai pastiche de Van Eyck, il y a une petite Cène dont les figures exagérées nous ont rappelé à la fois T. Bouts, Frument et les Noces de Cana, du Musée de Bruxelles.

La Vierge de l'Annonciation - est fort inférieure à celle de l'église de Saint-Martin, de Colmar, mais le diptyque : Saint- Jean et Saint-Georges (n° i68) et le n 131 du même Musée, sont de ses meilleures œuvres.

On lui a attribué à tort un sujet : les Israélites et la Manne, dont le prototype ^ est de Bouts. C'est un des quatre volets de la Cène de Louvain, dont deux autres sont à Berlin.

L'Annonciation sur fond d'or, à Colmar (n° 157), paraît authen- tique, mais une Pietk (n° 161) a été retouchée et n'est pas même de son école.

Enfin, ce qui est à noter, c'est que l'on y prend pour une de ses œuvres, la célèbre Nativité d'Isenheim ^% avec des ornements contournés, qui sont un peu dans son style, mais ce tableau est positivement d'Alb. Durer.

Nous insistons sur ce fait, et sur l'aspect flamand des œ^uvres de ce dernier et surtout de son maitre Wohlgemuth.

' X» 1 10, Colmar. '^ X" 135, Colmar. ■ Munich, n" 636.

    • Diptyque, n"'" 171 et 174. ~ 384 —

Ce style flamand est encore évident dans le retable de maître- autel, à Saint-Pierre de Genève, qui provient d'un élève de Martin ayant passé par cette ville.

Schongauer a sans doute apporté dans nos contrées des éléments nouveaux, des formes spéciales que la gravure lui permit de vulga- riser, des types colonais, byzantino-italiens, des anges à grandes ailes et costumés de brocart, des turbans, des pointes aux bonnets.

Dans les dessins du Palais Pitti figurent un Saint-Antoine, type habituel à Frument (n° 22), des coiffures bavaroises, sur un Porte- ment de Croix (n° 21), un Calvaire, des rayons, un Pilate, très caractéristiques. Dans des sujets signés à tort Jehannin Mobuze, on voit les plis spéciaux que A. Durer lui a empruntés.

Il est évident que la Flandre fut un point de mire pour les artistes entreprenants de l'Allemagne et de la Hollande, et que nombre de leurs œuvres sont perdues, car les voyages furent plus fréquents qu'on ne le croit. La seule souveraineté de princes allemands dans nos provinces, ne peut expliquer la couleur et les réminiscences flamandes de Wohlgemuth, de Fyoll, de Durer (d'Aldegraever, qui ressemble à Mostaert), et de tant d'autres dont on ignore les noms.

L'exemple de Schongauer ne suffit pas k faire comprendre que l'on trouve à Saint-Sébald, à Saint-Laurent de Nuremberg, à Munich, une sorte de copiste de Bouts, dont les conseils ont peut- être déterminé le voyage de Durer. Les pérégrinations étaient longues et fatigantes, mais on se mettait en route avec plus d'énergie sans doute qu'aujourd'hui, et surtout avec plus de con- viction .

Les dessins de Schongauer, bien plus que les estampes de J. de Barbary, doivent avoir impressionné Durer, qui s'adonnait à la gravure depuis 1490 et se forma au goût de l'Italie plutôt vers 1495.

Fils d'un peintre né en 1427 et dont le portrait, exécuté en 1497 par Durer lui-même, se trouve à Francfort, le chef de l'Ecole bava- roise a souvent obéi à l'influence de l'art flamand.

Il n'y a que trop de confusion entre ses œuvres et celles de Lucas de Leyde, de Gossart, de David, de H. de Blés ou de Van Orley, dont le style se marque si clairement sur la très belle Adoration des Mages, datée de 1504, qui se trouve aux Offices (n° 1141). Sur son tableau du Musée de Dijon (n 109) et sur la PI. XXIII.

GÉRARD DAVID. — VOLET DE TRIPTYQUE

(Séminaire d'Avijj^non).

26 - 38/ -

Visitation (Musée Fabre, à Montpellier), on trouve de nombreux détails empruntés aux Flamands.

Durer semble avoir oscillé entre nos peintres et les Vénitiens. Si dans l'Adam et Eve du Palais Pitti il songe à ces derniers, il est plus intéressé par la Flandre avant son fameux voyage qui l'a désillusionné ; tout au moins a-t-il eu, aussitôt après, l'ambition d'un art plus idéal. D'ailleurs très impressionnable, il a étudié le Mante- gna et fait des dessins à la plume dans le style du Vinci dès 1510. (Bibl. Ambrosienne, à Milan.)

La Nativité tourmentée, de Durer *, œuvre de 15 12, témoigne des mêmes arabesques, des amours et des guirlandes employés par plusieurs de nos peintres. On donnerait vraiment à G. David, un tronc d'arbre et une tête de S*-Christophe qu'on y voit.

Même dans une œuvre de 1526 (les Quatre Apôtres) '^, destinée à sa ville natale, on rencontre un souvenir, vague il est vrai, du tableau de l'Agneau, à Gand.

Mais c'est à Gênes, au Municipio, que l'on voit dans une Cruci- fixion attribuée faussement à Van Eyck, et dans un autre triptyque aux figures séparées, le rapport qui existe entre son art et celui de G. David, dont un triptyque, sous le nom de L. de Leyde, figure au Palais Cambiaso. Il redevient Flamand dans sa petite Madone très finie, avec paysage, du Palais Durazzo Pallavicini, et dans un chamiant dessin, à Bâle : Madone et Enfant.

Son élève Aldegraever ^ semble revenir à M. Schoengauer dans son Christ au Sépulcre, étoffé de Juifs à turbans.

Mais il faut reconnaître dans le tâtonnement éclectique qui dégé- nère si aisément en pastiche, à cette époque, le caractère d'un temps de transition. La recherche excessive du procédé, le désir de neuf étranger, fait ressembler entre elles les œuvres de plusieurs peintres. Ne retrouve-t-on pas, par exemple, ces turbans et ces armures dans un tableau de Girolamo de Santa-Croce ^ ?

Mais, surtout en ce qui concerne les gravures, on a exagéré l'effet que pût produire dans les Pays-Bas l'apparition de Jacques de Barbary, courtisan de Marguerite d'Autriche, charmeur et

^ Musée de Naples, n° 28. 2 ^o« ^i et ^5^ Munich. ^ Turin, n" 321. ^ Offices, n» 43. - 388 -

savant (ou plutôt didactique) à la fois. Son livre de dessins, convoité par Durer, prouve qu'il était homme de valeur ; mais ses petits tableaux très finis : le Christ bénissant, Sainte-Catherine, Sainte- Barbe * ne montrent en lui rien qui sût émouvoir notre art du xvr siècle. Vers 1504, il put voir se modeler assez maladroitement sur lui quelques artistes jaloux de se concilier la faveur de la gou- vernante, qui aimait la peinture italienne ; il peut lui-même s'être rattaché un peu à G. David dans une Sainte Famille (au British Muséum), dans d'autres œuvres à Mabuse ou à Durer ; en réalité ce Vénitien ou Bolonais, qu'on a tenté de faire naître à Liège, eut le souci de l'antique et du Mantegna dans tout son œuvre, et c'est même ce qui doit lui avoir donné dès 1490 une notoriété dans nos contrées. Il semble avoir été conduit ici vers 1509 par Philippe de Bourgogne et J. de Châtillon, chanoine de Liège, au moment où le Songe de Poliphile, si païen, remuait tous les esprits. On a même dit qu'il était devenu V amant vert de Marguerite. Cette faveur expliquerait sa situation enviée. Quoi qu'il en soit, s'il représenta la mode nouvelle, c'était dans l'École d'Haarlem que s'était loca- lisée la tradition.

L'Ecole d'Haarlem.

Il restera sans doute toujours un voile mystérieux sur les origi- nes de l'art hollandais. Peut-être Gérard David, que l'on croit être né à Ouwater en 1460, apprit-il à Haarlem les éléments de son art, car ce centre fut aussi important que Bruges même. Sans doute aussi Jacob Jansz ou Cornelisz van Oostzanen (1450-1512 ?), por- traitiste de grand talent selon Van Mander et qui, dans les collec- tions allemandes, devient l'apocryphe Jacques Van Assen, ou Jacques de Haarlem, ou même Jacob van Amsterdam, fut le pre- mier maître de Schoreel et collabora avec lui pour les fonds. Engel- brechtsen peut aussi avoir étudié chez lui, et J . Mostaert fut dis- ciple d'un Jacques Jansz qui, malgré le changement de nom patro- nymique, semble devoir être le même artiste. Le Christ entre les Larrons 2, le triptyque bigarré daté de 1523, et une Prédication,

^ A Dresde.

2 Munich, n» 689, - 389 -

très détaillée ', malgré les dates, sont de la même main, et de son école provient Jean Vredeman Swart qui connut Schoreel et fit comme lui le voyage d'Italie.

Seulement le mot d'école ne peut être pris que dans un sens très large au moyen âge. Nous avons vu que les gravures ont été, dès l'abord, un instrument de communication entre les artistes ; il n'en était pas de même des tableaux, et le travail dans un- atelier com- mun était presque impossible. Les œuvres rares, placées dans des églises ou chez des personnages puissants, n'étaient visibles que dans quelques localités et la réputation de l'artiste se répandait au loin sans preuves certaines. Il en résulte que les relations d'appren- tissage, d'amitié, de collaboration, de reproduction des œuvres étaient soumises à des conditions particulières à ce temps, mais que cependant c'était la copie, la répétition qui constituait le vrai moyen de s'inspirer d'un maître.

Nous détenons un panneau du xv^ siècle dont la répétition, à mérite très inégal, a été faite plus de quinze fois.

Un mécène, une congrégation pouvait se décider à faire copier un chef-d'œuvre par un peintre de confiance ; c'est ainsi peut-être que certains objets précieux, sceptres de verre, manteaux et dais, ostensoirs, etc., passèrent dans le domaine pictural. Les secrets de palette communs à deux artistes, le portrait de l'un d'eux repro- duit par l'autre (comme il arriva sans doute au moins dans une œuvre attribuée à G. David), peuvent témoigner en faveur d'une intimité qui équivaut presque toujours à un apprentissage.

Engelbrechtsen acquit sans doute de T. Bouts ce respect pour l'art flamand, qui se confondait avec le style dit gothique, et qui se reflète dans son Crucifiement avec prédella et volets (à l'Hôtel de Ville de Leyde, dans celui de Munich, moins caractéristique ^), et dans le Calvaire, triptyque de couleur archaïque, au Musée de Turin.

L'Annonciation, qu'on lui attribue à Dijon, est de J. Joest ^.

Corneille, fils d'Engelbrechtsen (1493- 1544), ^^^^ se retremper plusieurs fois à Bruges même, au contact de G. David; et son élève Lucas, qui, dès l'enfance, montra une adresse si remarquable, ne se

^ Musée de C'assel, n<» 40. ■^ N« 762. ^ N» 297. — 390 —

dégagea du vieux peintre que pour rivaliser, par des impressions très diverses, avec Gossart^ David ou même T. Bouts.

L. de Leyde reprit souvent ce sujet du Calvaire, qui avait inspiré ses premières années; mais son tableau de Hampton Court (un triptyque de la Crucifixion, avec Simon Mage au volet de gauche, et une Résurrection, à droite), offre seul quelque souvenir de son maître. C'est une peinture un peu heurtée d'ombres et de clairs, un paysage sombre, où une manche chatoyante et un turban jaune et cramoisi, tranchent sur des armures étranges ; le Christ est précieu- sement fini et un bel Ecce homo orne le revers du volet de gauche.

Dans d'autres œuvres, il subit des influences variées.

Celles de la Galerie Lichtenstein *, son beau Calvaire, du Musée de Naples, qui amènent sur les lèvres les noms de Durer, de Swart, même de Schoreel ; le triptyque de l'Adoration des Mages, de Naples, avec ses arabesques et statuettes ; le soi-disant portrait de Maximilien (n° 37, Naples), la Fuite en Egypte, dessus de volet d'un tableau de Munich ^, témoignent de cette complexité de talent.

Si l'on ne savait qu'il lia amitié avec Jean Gossart, on trouverait une preuve de ce fait dans la large Déposition de Croix, du Palais Durazzo Pallavicini, à Gênes, dont les femmes à turbans sont déjà si différentes de celles d'un triptyque voisin (de lui aussi), mais dur, gothique, d'une profonde et chaude tonalité. Son Christ mort (au Palais Cambiaso) et sa Nativité du Palazzo reale, ressemblent aussi à des œuvres de Mabuse.

Le Saint-Jérôme du Palais Brignole Sale n'est pas de lui, mais bien de J. Sanders. En revanche, un triptyque dit de Van Eyck, à la chapelle du Saint-Sang, de Bruges, où l'on voit une femme portant un turban chatoyant, doit lui être restitué.

Si nous revenons aux successeurs des maîtres de Haarlem, Jean Vredeman de Swart, de Groningue (1469-1535), mérite de nous occuper d'abord.

Ce peintre, qui doit avoir eu une notoriété réelle jadis, fut un spécialiste de l'Adoration des Mages. On est surpris quand on étudie ses répétitions de ce sujet, de la perfection qu'a pu atteindre magistralement un homme dont l'œuvre d'ensemble est plutôt

» N°« 778 et 784. 2 N» 191, Darmstadt. — 391 —

secondaire. C'est ainsi qu'après avoir hésité longtemps à croire que Swart fût l'auteur de la belle Adoration du Musée de Munich (n° 45), qui porte un V sur une ceinture et que l'on a attribuée à Van Eyck, puis à Gossart et à G. David, nous en sommes certain aujourd'hui.

Ce pastiche reproduit le paysage du Crucifiement (de Berlin), et ses parties sont empruntées à divers panneaux. Le V qui semblait s'appliquer à Van Veen, est l'initiale de Vredeman.

La copie de l'Adoration des Bergers, de Madrid, que l'on voit à Berlin, a de l'analogie avec l'Offrande des Mages (Munich, n° 652), qui fut achetée à Bruxelles, et qui se rapproche elle-même des œuvres de même sujet se trouvant à Bruxelles et à Cologne. En tous ces panneaux, Swart se montra à la vérité fort inégal.

Il est l'auteur de plusieurs Adorations données à Gossart : celle de Bâle (n° 232), où l'on voit une Vierge très finie et des arabesques typiques; celle de Douai (n° 350), pourvue du nègre qu'il affec- tionnait ; celle de Cologne, avec une tête de vieillard aux joues colorées, et un nègre tout armé à la Mantegna (triptyque n° 577), expliquent son séjour à Venisç, où il mourut.

Une autre Adoration que possède le Musée d'Aix, et une œuvre du Palais Brignole Sale, à Gênes, prouvent qu'il dut être en rapport avec Van Hemessem, artiste anversois, qui peut être classé parmi les étrangers de transition.

On a vendu à Cologne, en 1898, chez MM. Lempertz Soehne (catalogue n° 127), une Mort de la Vierge, de Swart, dont la scène se passe dans une église et qui indique combien Schoreel lui fut redevable.

Le susdit J. Sanders van Hemessem (i 500-1 566), excellent pasti- cheur, qui doit avoir rencontré Swart dans sa jeunesse, soit dans nos contrées, soit en Italie, a reproduit une des gravures sur bois du maître de Groningue : la Prédication de Saint-Jean (Munich, n° 744); et dans le même Musée, un beau et grand tableau de Hemessem (n° 74), plus fini que ceux de Van Orley, mais d'un style analogue et daté de 1526, indique nettement l'influence de Swart. Il porte pour titre l'Élévation de Saint-Mathieu au rang d'apôtre.

C'est encore k Munich que l'on s'est servi du Saint-Christophe (n° 10), pour identifier cchii d'Anvers; le Jacob béni par Isaac — 392 -

(n° 64, Munich), est typique également, de même que la Sainte Famille, signée en 1541 (n° 692), et le paysage du Jeune Tobie, de 1555, tous deux au Louvre. Le n° 124, au Musée de Bruxelles, se rapproche de sa manière.

Van Hemessem a eu des ressemblances avec le maître dit de la Mort de Marie, à Cologne, et dont nous parlerons plus loin ; et le triptyque de Naples (n° 53), daté de 1545^ œuvre de peu de carac- tère, mais qui semble imitée de Memling et de Gossart, peut lui être assigné.

La National Gallery possède un magnifique portrait d'homme dans le style d'Ant. Moro, daté de 1552, et qui suffit à prouver le talent distingué de Catherine van Hemessem, fille du précédent.

Un autre imitateur émérite, Martin van Veen, dit Heemskerk (1498-1574), doit être signalé spécialement aux visiteurs des Musées d'Allemagne, où ses pastiches, souvent aussi beaux que des originaux de grands maîtres, ont été l'occasion de nombreuses erreurs.

Van Veen ne resta pas fidèle à son maître Schoreel, mais ce fait ne doit pas nous étonner : ce dernier flottait lui-même entre les maîtres de son temps, et d'ailleurs un désarroi complet parmi nos peintres du Nord marquait la naissance d'une ère nouvelle encore énigmatique.

Van Veen, lui aussi, partit pour l'Italie, mais ce fut sans trop de succès qu'il y étudia, sans préalable instruction littéraire ou scien- tifique, l'antique et les marbres de Michel- Ange.

Son rôle, comme peintre, fut analogue, en Hollande, à celui de Michel Coxcie dans nos provinces. En 1538 il était à Haarlem, en 1544 à Alkmaar où d'ailleurs il demeura une trentaine d'années, coupées sans doute par quelques voyages. On peut constater avec étonnement que^ vers 1560, il était si complètement italianisé que son tableau de Berlin : le Jugement de Momus, et celui de Vienne : Triomphe de Bacchus ne paraissent pas pouvoir être de la même main que le n° 1843 ^^ Musée de Dresde * par exemple : un Saint-Christophe, avec Dieu le Père et la Colombe, qu'on a voulu attribuer à Memling ; ou bien encore, la Déposition de Croix (n° 49, Musée de Naples), qui est assignée à Van der Weyden.

^ Catalogue du Musée de Dresde, par J. Hûbner, 1880. — 393 —

Chose aussi fort singulière, bien avant son homonyme Otto van Veen, il témoigna, comme dans le n° 779 de la galerie de Cologrie (tableau marqué abusivement du nom de G. Metsys), d'un carac- tère propre au maître de Rubens.

En 1556, il grava les sujets qu'employa le miniaturiste G. Clovis pour les victoires de Charles V (British Muséum), ce qui fait pen- ser qu'il conserva des relations avec l'Italie. Il pasticha aussi très habilement Gossart. Mais en fait, c'est de Gérard David qu'il cher- cha toujours à se rapprocher dans ses sujets gothiques ou sacrés.

Son engouement pour l'art de ce maître est prouvé par l'Adora- tion des Rois, à Cologne, par le tableau de l'Hôtel de Ville de Delft, par son volet' de Dresde : Vierges et Saints, et l'était par l'Adoration, brûlée au Musée de Rotterdam. On peut supposer que David, son compatriote, avait lié amitié avec lui, ou même lui ménageait une part dans les commandes importantes que lui firent des Mécènes religieux.

Voici quelques preuves de ces relations d'artistes :

La Déposition de Croix, du Musée de Naples, porte la Vierge et Saint- Jean en manteau rouge, qui paraissent copiés d'après Van der Weyden ; mais en même temps G. David s'y révèle dans deux anges, un vieillard à chaperon, un autre personnage à la tête assez grosse, une Sainte Femme, et le corps du Christ, d'ailleurs d'un assez mauvais dessin, comme celui de la chapelle du St-Sang, à Bruges.

Le Calvaire, au Municipio de Gênes, à droite de la salle du Con- seil, est analogue aux œuvres de David, de même que la Mort de la Vierge, tableau de petite dimension du Musée de Turin, dû à van Veen également. Remarquons cependant que son Jugement dernier, à Hampton Court, est italien de dessin et se rapproche plutôt du coloris de Lucas de Leyde. Avant ce peintre adroit, deux autres Néerlandais, J. Mostaert et J. Schoreel, sont souvent con- fondus avec Swart, le spécialiste de l'Adoration des Rois, avec de Blés et Heemskerk.

Tous ces artistes semblent avoir cherché à s'idcntilicr l'un avec l'autre ou plutôt à se rapprocher de J. Mostaert dont la situation de courtisan explique parfaitement cette tendance des pasticheurs. Des nuances fort délicates séparent parfois de Blés et Mostaert, par exeiiiple. — 394 —

Ainsi le premier est souvent dur, on le sait. Mostaert, presque toujours flou au contraire, a une facture qui ressemble souvent à un travail sur cuivre, et que peut-être sa rivalité avec Jean de Bar- bary lui a imposée. Mostaert était homme de talent, quoique pein- tre de Cour et sans doute surmené : peut-être commandait-il des pastiches ou des répétitions à quelques aides habiles. Un peu ver- satile comme la plupart de ses contemporains, il exécuta, dans les tons vénitiens qui furent aussi la caractéristique d'Otto Vœnius, une sorte de pastiche de Gossart : une Sainte Famille, et aussi un Cal- vaire (n° 317, Musée de Turin). Son triptyque du Musée de Naples * et le Repos en Egypte (Galerie Doria Pamfili) ^ ont été classés, sous le nom de Lucas de Leyde. Il se transforme encore dans l'Adoration des Mages, de N.-D. de Lubeck, dans un portrait à tête laurée, de Vienne, dans la Fuite en Egypte, de Berlin ; toutes ces variations dénotent, comme chez Heemskerk, une grande adresse de métier.

Il doit avoir travaillé au fameux tableau de P. Christus (du Musée Stœdel, à Francfort) qui, de toute évidence, a été fort retouché, et tout à fait dans la manière de Mostaert.

C'est à lui qu'il faut . restituer la magnifique Exhumation de Saint- Hubert ^, que l'on donne erronément à Bouts, et qui suffirait à la gloire de son auteur. Il garde cependant un sentiment propre, qui peut être observé surtout au Musée des Offices, dans une Madone (par exception assez durement exécutée) *, que l'on a attribuée à De Blés et à Van der Goes. On y reconnaît à droite la même sainte, tenant un manuscrit historié qui figurait sur un tableautin de la collection Nieuwenhuys sous le nom abusif de Van der Goes, ainsi que les colonnes de jaspe et les figurines si particulières à Mostaert. Tous les caractères de ce dernier se mon- trent encore sur la Présentation au Temple^ de Munich ^, et au Musée de Cluny sur le n° 1692.

D'habitude, Mostaert emploie des tons neutres, souvent lourds selon l'habitude hollandaise, et a rarement atteint la vigueur de

1 No 6.

=* N» 75.

3 No 783, National Gallery.

  • N» 698.
  • No 629 (ancien catalogue). — 395 —

G. David. Pour ce motif même, il est douteux que l'Adoration des Mages, de Munich (n° 639), soit de lui ; à Nuremberg, dans la Vierge avec l'Enfant * qui est une sorte de répétition du sujet sem- blable du Musée de Bnixelles, il se rapproche de Q. Metsys. L'enfant aux cheveux frisés feuillette un livre et des anges tendent un fond de rideau.

La National Gallery possède de lui une très belle Vierge à che- veux blonds 2, rehaussés selon le procédé cher à J. Gossart, et que l'on retrouve dans celle de Douai (n° 162). Le n° 161 de ce der- nier Musée et le Christ au Tombeau, d'Anvers (n° 132) ^, sont sans doute de sa dernière manière.

Toutes ces fluctuations et ces similitudes d'un groupe d'artistes qui vécurent à peu près à une même époque et sous un même régime (c'est-à-dire sous la protection de Marguerite d'Autriche, qui avait son goût spécial, et s'était formé une cour de peintres, de littérateurs et d'esthètes), nous semblent prouver que le pastiche auquel ils s'adonnèrent pour la plupart fut motivé, d'abord par la haute renommée des œuvres des Van Eyck, dont on cherchait à perpétuer la tradition en traitant les mêmes sujets quoique avec un rendu plus aisé et plus moderne, ensuite par l'affluence des commandes qui visaient surtout quelques artistes en faveur.

Mostaert, Jean de Maubeuge, Van Orley, Barbary furent évi- demment ces protagonistes, mais tous conservèrent forcément devant les yeux les modèles impérissables : Van Eyck, Roger et Memling.

Les témoignages de Vasari, de Guichardin, de Morelli, de Van Mander, de A. Durer suffisent pour faire admettre cette sorte d'hyp- nose subie par les artistes secondaires que dut évidemment aussi préoccuper par sa facture le successeur officiel de Memling, Gérard David, devenu le grand maître brugeois.

Malgré sa vie retirée et qui semble avoir été modeste, David est sans doute le plus important des maîtres de la transition flamande, bien qu'il fût simplement un artiste naturalisé brugeois.

Si nous avons baptisé du nom d'École d'Haarlem toute une série d'artistes hollandais, originaires les uns de Leyde, les autres de

  • N«45.

2 N« 713.

8 Catalogue de 1857. — 396 —

Delft ou de villages voisins, c'était pour faire observer que Haarlem fut un centre attirant les étrangers, de même que Bruges, et que son importance puisait sa source dans la pratique obstinée de l'art, tandis qu'à Bruges s'y mêlait l'attrait du lucre causé par la richesse commerciale. Aussi plus d'un cliercha-t-il à s'évader d'une localité tranquille, éloignée, faite pour l'étude, à la vérité, mais fort peu pour le progrès ou la renommée.

De ce nombre fut J. Schoorl ou Schoreel (1495-156 2). Né dans les environs d'Alkmaar, ce qui permit ses rapports avec Heems- kerk, il fit comme Lucas de Leyde, abandonna ses premiers maîtres, les Cornelisz, et se laissa assaillir, durant ses voyages, de multiples tentations artistiques qui se traduisirent en sujets analogues à ceux de Durer, avec qui il collabora, et à ceux de Mabuse et de Metsys.

Schoreel était un homme instruit et distingué. Il fut à Cologne, à Bâle, recommençant ainsi le périple de Memling qui l'impression- nait fort.

Il fut ensuite à Nuremberg, à Venise qui parlait mieux à son naturel néerlandais que la Palestine, but de son pèlerinage. D'Orient, il rapporta quelques sujets, rien de plus : et c'est à peine si le Midi put réagir quelque peu sur son coloris, et si les travaux qu'il fit à Rome en 1522 pour Adrien VI, qui le nomma chanoine d'Utrecht, le détournèrent de sa véritable voie : l'archaïsme, par suite de la recherche de la forme, qui lui fut ainsi imposée.

Devant la Nature, la plupart des maîtres ont négligé incon- sciemment leurs principes théoriques les plus autoritaires. On trouve des classiques, des maniéristes, qui ont fait des études et des por- traits d'une sincérité extrême.

Les Néerlandais a fortiori^ très réalistes et peu au fait de la science de l'antiquité, devaient aisément oublier les leçons esthé- tiques puisées en Italie et même leur engouement pour la peinture de quelque rival heureux.

Aussi, les portraits révèlent-ils mieux le tempérament d'un maître flamand ou hollandais que toute composition d'histoire sacrée ou profane.

Schoreel en donne la preuve dans ses nombreux portraits des Hôtels de Ville d'Utrecht et de Haarlem, et dans le sien propre avec celui de sa maîtresse (1539), au Musée du Belvédère, à Vienne. — 397 —

N'en est-il pas ainsi, également, de M. Coxcie, de Gossart, de Rubens, voire de Raphaël, dont l'effigie de C. Borgia est si frap- pante de vérité ?

D'ailleurs, Schoreel avait étudié attentivement la manière scru- puleuse des Van Eyck. Le seul fait qu'il fut choisi, avec Lancelot Blondeel, pour le nettoyage du polyptyque de St-Bavon, à Gand, dénote d'abord qu'il était l'homme le plus en vue pour une pareille besogne de confiance, mais encore, que les autorités de ce temps ne faisaient point aussi bon marché de l'existence des chefs-d'œuvre que la plupart de celles d'aujourd'hui.

Malgré cela, Schoreel ne voyait les primitifs qu'à travers un prisme, le même que celui de Van Orley, de Gossart et de tous leurs congénères ; et pourtant il eut parmi ses contemporains une couleur spéciale, par sa décoloration même, car il semble avoir brigué le monopole de cette pâleur des tons. On la retrouve parfois pourtant dans des ouvrages de jeunesse de Metsys et dans les travaux de Gossart, qui fut le maître de Schoreel, ne l'oublions pas.

Au Musée de l'Académie de Bruges, une Mort de la Vierge, pres- que blanche, datée de 1 529, et sa répétition à St-Sauveur, sont certes plus incolores que la Descendance apostolique de Ste-Anne, de Metsys. Les bleus pâles, les têtes livides et modelées qui rappellent si fort les miniatures de Jean de Hesdin, à la Bibliothèque de Bour- gogne, quelques rouges, d'origine étrangère, dus à des souvenirs de voyage, les chairs exsangues que l'on retrouve dans le bon tableau du Musée de Nîmes : Marie embrassant le Christ mort (de même que dans deux Vierges douloureuses, au Palais Colonna, à Rome, composées à l'instar des médaillons de Memling), pourraient servir à reconnaître et à désigner Schoreel d'après ce système de palette qui ne fut pas à lui seul pourtant. Cranach en a offert ]")lus d'un exemple.

D'ailleurs, devant la Vierge allaitant, excellente œuvre de J. Gossart (Bibliothèque ambrosienne, à Milan), on ne peut s'em- pêcher de reconnaître en Mabuse l'initiateur de Schoreel. Répé- tons-le, tout ce groupe de peintres fut extrêmement inconstant dans ses inspirations, mais en même temps homogène.

Un des premiers ouvrages de Schoreel, faussement daté de 151 5 : le Christ à la Colonne, du Musée de Cologne, paraît imité de Van - 398 -

Eyck. On donna le nom de ce dernier à un tableau de Schoreel au Musée du Vatican.

Memling est son inspirateur dans les draperies de son polyptyque à quatre panneaux de la cathédrale de Cologne.

Ses deux volets du Musée de Lyon, représentant le Couronne- ment et la Mort de la Vierge, sont conçus dans des tons de chair et de draperies vertes analogues à ceux d'un Saint (appartenant au séminaire de Valence) et qui rappellent à la fois T. Bouts et la manière sombre de Q. Metsys.

L'Italie dut influer parfois sur son coloris. A Hampton Court, sa Vierge avec S^- André et S*-Michel (dont le trône est dans le style de Van Orley), contraste autant qu'une Sainte Famille, inspirée de Raphaël (National Gallery, n° 720), avec les sujets décolorés de la Mort de la Vierge.

Ce maître est donc au moins double dans ses sources esthétiques. Tous alors, sans convictions réelles, luttaient contre eux-mêmes et contre leur instinct de race.

On donne a Schoreel comme élève un Jean Van Mehlem ou Mechlen, de qui Berlin conserve un portrait daté de 1530. Nous soupçonnons fort ce peintre, soi-disant établi à Cologne, de ne faire qu'un avec Gossart, maître et collaborateur de Schoreel et qui fut inscrit à Malines. En effet, ses tableaux, la Trinité, à Berlin, S^-Jean et S^-Henri, à Munich, etc., semblent être des œuvres secondaires de Mabuse.

Nous aurions dû, par rang d'âge, étudier avant Schoreel, un contemporain de Memling, Jérôme Bosch (Joemen, Joen van Aken 1450-15 18), dont la biographie est encore bien obscure, et qui fut élève de son père, puis sans doute de Bouts, mais dont la couleur et la brosse, en pleine époque de transition^ ont déjà un caractère moderne qui semble de cinquante ans postérieur à son décès.

Quelle que fût son originalité, il ne put s'empêcher de songer aux maîtres en renom, et surtout aux graveurs avec lesquels il cherchait à rivaliser.

Sans doute, la tradition des Van Eyck inspira ses premières œuvres.

Sa grande Adoration des Mages, d'un dessin naïf, rappelle un peu le chef de notre école, mais aussi le style de Jean Bellin qui était alors fort en vue. Cette ressemblance avec le Vénitien ne doit point — 399 —

trop étonner, puisque le sujet de ce dernier : la Transfigiiration , a servi de modèle à Raphaël et à des peintres flamands. Il en existe un exemplaire à Naples (Musée, n° 7); et un autre, qui était sans doute une répétition de la main de l'artiste lui-même, a été exposé à Bruxelles, il y a quelques années.

A Vienne (Académie des Beaux-Arts) * existe un très étrange triptyque bigarré, tacheté, sur fond sombre, qui tend à faire croire que J. Bosch fut en relations avec J. Cornelisz, l'auteur de la Pré- dication du Christ, de Cassel. A Milan, on attribue à Gossart (n° 432) un panneau conçu dans une gamme bleue et qui est de Van Aken.

On sait que les sujets fantastiques de Maître Joen lui valurent de nombreux admirateurs en Espagne ; beaucoup de ses tableaux sont conservés en ce pays de même que des œuvres multiples de G. David et de son école, ce qui ne doit pas faire croire à des pérégrinations de ces artistes, mais plutôt à leur grande réputation qui s'étendit à l'étranger.

C'est sans doute Joemen ou Joen que vise l'appellation de Maître Jehan de Bois-le-Duc, rapportée par M. Pinchart. Il y eut à Bruxelles, en 1504, un enlumineur nommé P. Bosch. On parle encore de Maître Jehan qui donna en 1529 un beau tableau de peinture à Marguerite. Etait-ce un fils de Jérôme ou plutôt Jean Gossart lui-même qui envoya de Bois-le-Duc cette œuvre acquise par ses soins ? Cette dernière hypothèse pourrait être confirmée par la relation de voyage de Durer en 1521, mentionnant à Bruxelles ce Maître Jehan, qui devait être Gossart.

D'ailleurs, la date donnée pour le décès de J. Bosch, en 15 18, doit être fautive, car il grava en 1522 sa Tentation du Musée d'Anvers.

Il est remarquable que P. Breughel s'inspira fortement de Bosch, de même que son fils Breughel d'Enfer. Ce peintre était un com- patriote de Van Aken ; un tableau de caricatures : les Épreuves de Job, au Musée de Douai, semble un pastiche fait par Breughel d'après J. Bosch.

On trouve une chouette sur ce panneau, ce qui n'indique pas nécessairement de Blés. M. Becquet a fait remarquer qu'un autre

1 N« 580.

  • Archives des arts, t. I et Revue universelle des arts, t. I, p. 303. — 400 —

peintre que Henri met de Blés l'a employée. Nous l'avons retrouvée sur une tapisserie de Gossart au Musée de Dresde, où le catalogue de 1880 l'indiquait comme étant de Q. Metsys, tandis que M. Michiels l'attribuait à de Blés.

Notre intention étant de préparer le terrain pour l'étude de G. David et de J. Joest, nous avons encore à mentionner un sosie de Metsys qui fut collaborateur du fils du maître d'Anvers, et dont le talent spécialisé, sans se rapprocher de la manière de David, mérite d'être bien séparé de ses congérères belges. Surtout connu pour ses sujets de compteurs d'argent et pour les coiffures à festons qu'il affectionnait (sans doute parce qu'il possédait ce vieux détail de costume du xiv^ siècle), Martin van Romerswalle ou de Zierick- zee, le Zélandais (de Zeeuw), fut un miniaturiste très réputé qui s'assimila tout un côté de l'art de Quentin Metsys, et peut-être bien le côté la plus productif. On sait que Metsys consacra une facture particulière à ses scènes d'Avares, telles que celle de Naples, et que Jean, son fils, s'attribua les scènes de lubricité : la Betsabée, le Lupanar (à Stuttgard et à Carlsruhe).

En dehors de ses sujets grivois, Jean répéta les œuvres de son père. Son Changeur à Berlin, ses Peseurs d'or, etc., sont des pas- tiches du Peseur d'or, de Paris ; du Vieillard et sa Femme (Paris et Cassel), des Usuriers, de Stockholm et de Dresde, des Banquiers, de Windsor Castle.

Mais Martinus de Zeeuw resta bientôt seul à exploiter, avec une réelle perfection, ces sujets que sans doute des mécènes se disputaient.

A Londres, on remarque de lui * un Astrologue dans son Labora- toire, œuvre signée en 1542 et le fort beau tableau des Chan- geurs ^, plus dur et plus hollandais que ceux de Quentin.

Le maître zélandais se distingue surtout par un frottis de bitume qui donne de la légèreté à son ébauche, et qu'il est curieux de com- parer à la facture d'un célèbre tableau (n° 44, à Naples) sur lequel on avait bâti tout un roman, à propos de Colantonio del fiore, comme à Francfort on le fit pour l'œuvre de P. Christus.

Ce panneau : S^-Jérôme au Lion, avec ses bonnes figures hollan- laises, son auréole d'or, bien archaïque à la vérité, mais sa biblio-

1 No 44.

2 N» 944. I

<1 — 403 —

thèque traitée en frottis habituel au xvr siècle, tient infiniment plus du talent de Martinus que de Van Eyck ou de n'importe quel Flamand, mais encore bien moins d'un Napolitain.

Van Orley s'essaya aussi au genre si bien représenté par les Rece- veurs devant des paysans, et par deux têtes d'hypocrites (œuvres certaines de Quentin, au Palais Doria Pamfili, à Rome). La preuve en est à Dresde dans son panneau : l'Avocat et ses Clients *, mar- qué d'une initiale sans doute apocryphe.

Mais les plus beaux spécimens de l'art de Romerswalle sont (avec le Changeur désigné comme étant de Metsys, à Anvers), le Peseur d'argent ^ de 1541, répété en 1558 ^ et en 1560 S puis le Vieux Changeur écrivant, de la Galerie nationale de Londres, l'Homme d'affaires dans son bureau (Munich, n° 44) et le Couple de Changeurs (même musée, n° 4).

Il existe au Musée de Bruxelles (n° 113) un tableautin d'un petit maître très secondaire, que l'on retrouve parfois dans des galeries particulières sans pouvoir attacher un nom à son initiale M. Le n° 119 du Musée d'Anvers, daté de 15 14, se rapporte au même peintre affectant un peu le style de L. de Leyde ; il en est de même du soi-disant P. Cristus, de Turin (n° 359), dont l'intérieur naïf, étoffé d'un chat qui se chauffe au fond de la salle, contraste avec une facture trop habile. Ce maître a fait également la Vierge glorieuse (n° 213 du Musée de Lyon), dont les tons passés, l'as- pect presque monochrome, les amours en grisaille de forme incor- recte, les colonnes jaspées et quelques ornements, évoquent le souvenir de G. David. Les cheveux des anges musiciens y sont arrangés au goût de Metsys, mais on ne peut s'arrêter un instant à l'idée que l'initiale M se rapporte à ce maître.

L'auteur serait-il un fils de Mostaert ou Mandyn ? Tout annonce en lui un habile pasticheur, à preuve les n° m à 113 et 118 du Musée de Dijon, autant que la petite Madone du Musée de Nîmes, dont le Sainte-Catherine et les arbres couverts d'oiseaux sont un rappel de l'œuvre de Martin Schoen.

Ce résumé de notes, condensées et prises un peu partout dans les

1 No 1845.

2 Dresde, n» 1851.

3 Madrid, n» 978.

  • Copenhague, n" 333. — 404 —

galeries, n'est pour nous qu'un moyen d'arriver à dégager la person- nalité de deux grands artistes de la transition qui, malgré leur origine hollandaise, ne peuvent être classés que dans l'Ecole flamande.

L'un d'eux surtout, maître longtemps ignoré (après avoir joui d'une réputation extraordinaire comme continuateur du peintre de l'hôpital Saint-Jean), a groupé inconsciemment autour de lui et de son œuvre une vraie pléiade d'hommes de talent, parmi lesquels on peut compter des miniaturistes célébrés par les lettrés de leur époque. Les détails que nous allons rassembler sur l'œuvre de Gérard David seront utiles, nous l'espérons, pour la constitution d'une monographie définitive de cet émule de Memling.

Malgré les récentes et remarquables découvertes de quelques savants chercheurs qui ont, presque simultanément, projeté une lumière intense sur les arcanes de notre art du moyen âge, il reste encore plus d'une énigme à élucider et il est temps de faire parler surtout les œuvres elles-mêmes pour compléter les renseignements, souvent contradictoires, que fournissent les archives.

Parmi ceux de nos peintres qui occupèrent les places les plus enviées à l'époque de transition où se modifia si étrangement notre art traditionnel, il en est deux qui, par leur existence effacée, obscure et, en même temps, par leur talent vaste et presque génial, semblent défier à la fois et l'historien et le critique.

Si nous avons osé toucher à leurs voiles presque sacrés, c'est pour apporter aux travailleurs futurs notre part de documents, rien n'étant à négliger dans l'œuvre de reconstitution historique que méritent ces artistes trop insuffisamment appréciés.

Jean Joest doit, sans nul doute, à des voyages lointains les diffé- rents aspects de son œuvre qui semble encore douteuse par le fait même de cette complexité.

Gérard David, fixé à Bruges, et qui probablement n'a point voyagé plus loin, témoigne cependant de modifications momenta- nées mais surprenantes dans son exécution, et nous ne pouvons nous expliquer surtout le dessin de quelques-uns de ses tableaux que par l'obligation stricte où il fut peut-être amené, de conserver un contour, de retracer une scène italienne ou des personnages imposés. Ces œuvres sont en fort petit nombre et peuvent impliquer un séjour dans le Midi ; mais elles témoignent si clairement du — 405 —

faire et de la couleur de ce maître, que l'on ne peut s'arrêter à l'hypothèse d'un élève italien ou espagnol ayant acquis à la fois le dessin italien et la couleur néerlandaise.

Gérard David eut d'ailleurs, dans son existence, plusieurs phases distinctes de coloris; son tableau du Juge prévaricateur, celui de Rouen, celui de Darmstadt et encore le Baptême *, si l'on consent à lui en accorder la paternité, diffèrent ainsi entre eux et plus encore avec ses tableaux existant dans le Midi, et qui parfois, circon- stance à noter, sont d'un coloris plus clair, plus dépourvu de glacis, que ceux du Nord.

Certains détenteurs de ces œuvres sont-ils coupables de vernis- sage et de nottoyages audacieux ? Nous indiquerons des panneaux qui exigent à cet égard un examen approfondi.

Mais avant tout, il nous semble nécessaire de mettre les icono- philes en garde contre le jugement précipité qui ne peut se fonder que sur des épreuves photographiques. Il suffit d'étudier attentive- ment, par exemple à Bruges, à l'hôpital St-Jean et à l'Académie, la collection de reproductions que l'on peut y comparer avec les originaux eux-mêmes, pour se sentir ébranlé dans sa foi en plus d'une attribution presque légendaire.

Si l'on ajoute à cela la modification réelle de l'aspect d'une œuvre peinte, dès qu'elle subit un changement de local, ensuite les remaniements qu'elle doit avoir éprouvés presque imperceptiblement au courant des siècles et des possesseurs plus ou moins téméraires, on finira par admettre que la comparaison des peintures entre elles exige un travail laborieux et de conscience, et l'on usera d'autant plus de prudence pour admettre que pour rejeter les conclusions de celui qui s'y est livré.

Ceci posé, nous livrons les nôtres à la critique compétente.

Jean Joest (1450-1519) a maintes fois été confondu avec Jean (Zustris) de Calcar (15 10-1546), malgré la diversité de leur faire, et au grand détriment de l'histoire artistique, car Joest est un peintre de grande valeur que des recherches ardues en Allemagne et en Hollande finiront sans doute par identifier complètement.

Nous croyons qu'il fut l'un des deux auteurs du triptyque du Buis- son ardent d'Aix, et qu'il aida Nicolas Frument, qui l'avait peut-être

' Académie de Bruges. — ■■ 4o6 —

connu en Flandre ou dans l'atelier de Marmion. Les prénoms de Jean et de Nicolas, se rapprochant des figures des saints patrons sur les volets du tableau, permettent d'ailleurs cette hypothèse, qui pourtant ne se soutient pas sans voyages lointains de Joest, jeune au point de mériter le surnom de Jehannot ^ ?

Or, ses œuvres l'indiquent, il fut souvent et longtemps absent de sa patrie, presque autant que Jean Etienne (de Calcar près de Clèves), auteur des tableaux de l'église de sa ville natale et de por- traits estimés, mais sans rapports avec ceux de Joest. De sa nature portraitiste, ce Jean Etienne est pris pour Lambert Suster, d'Amsterdam, qui fut comme lui élève du Titien, et se transforma si bien au contact de Vasari et des Vénitiens que, sans doute, plus d'un de ses tableaux est attribué à Vecellio.

On dit que tous deux ayant vécu à Venise et Florence, collabo- rèrent avec Christophe Schwartz, ce qui est impossible.

L'œuvre de Lambert Zustris est caractérisée par une S^^ Famille, désignée à Turin comme étant de Mabuse ; par le tableau du Louvre : Vénus et l'Amour, par une Madone au Perroquet (Musée d'Aix) et une esquisse au Musée de Caen.

Ce fut sans doute son fils Frédéric Zustris (datant de 15 26-1 5 99), conséquemment plus jeune que lui de cinquante ans, qui travailla avec Schwartz, né en 1550 et mort en 1594.

Pour plus de confusion, Jean Joest de Haarlem a travaillé à Cal- car de 1495 ^ 1505? puis en 1508, au tableau d'autel de l'église de S^-Nicolas. Tous ces doutes l'ont écarté du premier plan qu'il mérite.

Contrairement à l'opinion émise par plusieurs critiques, Jean Joest n'a point les caractères de l'art de Schoreel, qui lui-même doit fort peu à son devancier. Il est possible que le qualificatif de Deiitschen H ans s'applique à celui-ci autant qu'à Memling.

En Allemagne, on a tenté de le rapprocher d'un maître anonyme de la Mort de Marie, triptyque de Munich avec volets relatifs aux familles Hacquenay, Merle et Hardenrath. Le sujet (cher à Scho- reel) a causé l'erreur dont nous venons de parler, mais le maître colonais ainsi nommé à Munich, élève supposé de Joest avec lequel

^ Ce prénom peut-il s'appliquer à Memling ? Voir notre travail : Les succes- seurs immédiats des Van Eyck (Extrait du Bulletin des commissions royales)^ p. 42. — 40/ —

le confond le D"^ MargrafF, est tout différent de Schoreel. Il a peint également la Mort de la Vierge (anno 15 13), du Musée de Cologne, et fut certainement en rapport avec Joest (dont la présence à Cologne en 15 15 est attestée, bien qu'il fût inscrit en cette année sur les registres de Haarlem).

Les volets de cette œuvre si semblable à l'art de Joest montrent un intérieur avec vue de ville et dénotent un vrai talent de paysa- giste.

La Nativité (n° 693, à Munich), portant au revers un Saint-Ber- nard, est de ce collaborateur colonais de Joest.

Au château de Compiègne, se trouve un Mariage de la Vierge par un peintre germanique qui lui ressemble fort.

La Westphalie a été le lien naturel entre la Flandre et la Bavière ; le langage était presque le même dans cette province et dans les nôtres.

Il régnait de plus une grande solidarité, alors, entre maîtres d'une même école. C'est à ce fait qu'il faut attribuer les commandes à l'étranger, qui vinrent surprendre plusieurs de nos artistes casa- niers, mais qui furent dues aux bons offices de leurs compatriotes voyageurs.

Citons seulement ici : le Buisson ardent, d'Aix, le tableau de Rouen, les tapisseries de Q. Metsys en 151 1, les commandes à Jean le Flamand, etc., ainsi que les nombreuses œuvres qui sont encore en Espagne et en Portugal, celle de Lubeck et de Dant- zig, etc.

Au Puy, l'on voit les restes de la fresque des Arts libéraux. Elle offre du rapport avec des figures de H. de Blés, qui a peint, on le sait, le rocher de N.-D. du Puy d'après nature. Cependant cette peinture, quoique fort endommagée, rappelle tout autant J. Joest, et il se peut que cet artiste y ait travaillé durant le voyage qu'il fît probablement en France pour aider N. Frument dans son travail de la cathédrale d'Aix.

C'est à la même époque que nous fixons l'exécution par Joest de l'Annonciation dite d'Engelbrechtsen, du Musée de Dijon (n° 297). Ce diptyque de 1483 donne une réminiscence de l'œuvre de Stephan à Cologne, que Joest a sans doute étudiée.

Jean Joest a eu des imitateurs habiles, auxquels il faut assigner plusieurs tableaux qui paraissent être de lui, mais qui pourtant ont — 4o8 —

été faits après la date de sa mort ou dans une ville qu'il n'habitait pas.

De ce nombre est l'auteur des volets d'un triptyque (n° 93, à Francfort), représentant les Saintes Femmes pleurant sur le corps du Christ. Le centre de cette œuvre paraît authentique, mais l'en- semble n'a été consacré qu'en 1524.

Au Louvre, un Christ et une Mère de douleur ^, sur fond d'or, peuvent être marqués de son nom; plus sûrement encore, le superbe Christ descendu de la Croix ^, aussi sur fond doré, et dédié à saint Antoine, œuvre que l'on attribuait à Q. Metsys.

La Descente de Croix, de Joest, est un pastiche de Van der Wey- den; de même l'Adoration des Mages (n° 45^ à Munich) fut inspi- rée à J. Swart d'après le frais et délicat triptyque de Van der Weyden (n° 62S, même galerie).

Ce n'est donc ni à lui ni à G. David qu'il faut assigner ce tableau qui a tant d'affinité avec l'Adoration du Musée de Bruxelles.

Est-ce à Joest que s'adresse le nom de Juan Flamenco ou de Jean de Bourgogne ?

Du premier, une Flagellation du Christ, dans le style de Joest, figurait dans la vente Héberlé du 9 décembre 1898, sous le n° 127.

On sait que le second peignit à Tolède en 1 5 1 1 l'histoire de la Vierge sur les stalles de la salle capitulaire exécutées par le peintre hollandais Coppin Delf. Il nous semble plus que probable que Juan de Flandes, qui fit de 1509 à 15 12 les onze tableaux de la cathé- drale de Palencia, comme aussi les cinq épisodes de la vie de saint Jean-Baptiste, dans le chœur de Los Legos au couvent des Chartreux de Miraflores (1496-1499), fut Jean Joest. Nous n'avons pour appuyer cette opinion que le témoignage visuel d'un ami et la circonstance que le Musée du Prado renferme un portrait ^ fait par l'artiste susdit (n° 1398) et dont la similitude d'exécution, de même que celle du portrait au Musée de Cassel (n° 6, sur fond très aéré), est intéressante à constater. De plus, dans l'église de San Salvador, à Ubeda, une Adoration des Mages et six trip- tyques flamands lui ont été attribués très sérieusement.

1 Nos 5p8 et 593. ^ N® 280, Louvre, catal. de 1862.

' Voir yotirna/ des Beaux-Arts, février 1886 et Zeitschrift fur Bildende Kunst. t\ octobre 1886. 409

Jean Joest, comme Quentin Metsys, a été un traditionnel, un retardataire dans le style du moyen âge. Son triptyque du Musée de Francfort (n° 93), représentant sainte Véronique, le Christ déposé de la Croix, et un Saint portant une couronne d'épines, ressemble à un Quentin Metsys moins harmonieux et plus inféodé à l'Ecole colonaise.

Il y aurait sans doute un rapprochement consciencieux à faire entre l'œuvre de Joest et celle d'un artiste inconnu (qui semble pourtant antérieur à ce dernier, mais qui est d'une grande valeur), dont le tableau du Palais de Justice de Paris, et deux diptyques dans la Galerie Doria Pamfili et au Musée de Nuremberg (n°^ 36 et 40), donnent la note caractéristique. Pour désigner cet inconnu, le nom hypothétique de Van der Meire a été mis en avant ; et nous-même l'avons avancé avec réserves * ; mais une étude com- parative spéciale de ces œuvres et de celles de Joest amènerait peut- être un résultat plus probant.

Le collaborateur de N. Frument, à la cathédrale d'Aix, a sans doute aidé le même peintre aussi à Gênes, dans l'exécution du retable des Raggi. Nous signalons encore ce travail à l'actif pro- bable de Joest.

Enfin la Fontaine de Miséricorde, d'Oporto, qui fut exécutée vers 15 18 et qui représente le Christ en croix avec sa Mère et Saint- Jean, tableau qui a été attribué à G. David, possède plusieurs indices du travail de Joest qui fut collaborateur peut-être du maître de Bruges. Le sang divin coule d'une coupe autour de laquelle sont agenouillés les donateurs ; certains types sont un peu germaniques et l'un deux pourrait être le portrait de Joest lui-même. Dans le fond, un paysage naïf, une charrue et des oies dans une prairie, une église ogivale, font penser aussitôt au maître de Calcar. M. Emile Pacully - a fait remarquer que le retable porte la trace de deux mains. Une des figures ressemble à celle du peintre que l'on voit sur l'Adoration des Mages de Bruxelles. On voit que les notes que nous donnons pour permettre un classement parmi les maîtres douteux d'une même époque, sont fondées sur un carac- tère de coloris, une facture particulière, des détails ou des habi-

1 Les successeurs immédiats des Van Eyck (Extrait du liulletin des com- missions royales d'art et d'archéologie) .

2 T. 18, Gazette des Beaux- Art<,\^^ •^i-yU^wyhx^.' 1^07. — 410 —

tildes de peintre qui se retrouvent sur certains tableaux et point ailleurs.

Ces renseignements, sans être des preuves, nous paraissent devoir être pris en considération, comme pouvant mener peu à peu à une certitude.

Dès que nous approchons de Gérard David, il est nécessaire de se préoccuper de l'École allemande sur laquelle son art a fait autant d'impression que sur les amateurs de peinture méridionaux de son temps.

Déjà nous avons fait remarquer une similitude de quelques frag- ments d'œuvres de Nicolas Frument avec la peinture de David, ce qui se comprend par l'unique tradition d'apprentissage. Mais en Allemagne même on a traduit ce nom par le mot Korn pour le naturaliser germanique ; et on a observé également que Nicolas semblait ne faire qu'un avec Conrad Fyoll (1440- 149 8), de Franc- fort, qui fut en effet comme lui tributaire de Schongauer et de Bouts.

On n'a pas assez fait remarquer que les peintres du xv^ et du xvr siècle travaillaient soit en commun, soit en relations d'amitié, se passaient des commandes, s'aidaient et enfin avaient deux cen- tres de ralliement très importants : la gilde et l'église.

Les répétitions si semblables furent le plus souvent l'œuvre de confrères adroits : plus d'un tableau fut peint sous la surveillance d'un maître voulant activer la terminaison de commandes de lon- gue durée. Il en fut ainsi, non seulement de manuscrits tels que le Bréviaire Grimani, mais aussi de triptyques et même de panneaux passant par plusieurs mains.

Les objets spéciaux, comme les sceptres, croix et poignées de sabre en verre que l'on remarque sur le tableau de l'Agneau, sur le triptyque de Saint-Bavon, dit de G. Van der Meire, sur l'Annon- ciation de Van der Goes, à Munich, etc., étaient remisés dans les chapelles. L'église de Scheldewindeke possède encore une de ces croix en verre.

Dans les écoles germaniques ayant été en contact avec l'art fla- mand, l'absence de personnalités distinctes a engagé les érudits à désigner des maîtres d'après certains tableaux typiques de leurs collections.

Entre autres le Maître de Lyversberg a été adopté même à la — 411 —

National Gallery de Londres, où son œuvre de 1480 environ (n° 706) rappelle par ses étoffes celles de Memling. Cet artiste a daté maint tableau de l'an 1463 à 1490 ; mais tant d'œuvres ressemblent aux siennes, et les peintres d'alors ont varié si faiblement la technique générale de leurs œuvres qui, d'ailleurs, ont été parfois glacées et retouchées anciennement, que même à Cologne bien des travaux qu'on croit de ce maître sont de ses imitateurs.

Un panneau dans cette ville (n° 133) porte I. M., ce qu'on a tra- duit par Israël Meckenen. Les n°^ 127 à 129 portent les dates de 1480, 1499 et 1508. Parmi les œuvres de ce musée, les seuls n°^ 155 à 158 et surtout une belle Descente de Croix sont réelle- ment du maître susdit, et le nom de cet artiste doit être Conrad Fyoll '.

Du même sont aussi les n°^ 623 et 624, de Munich : Consécration et Mort de Marie, tous deux sur fond d'or et datés de 1473.

Déjà nous avons dit que l'on a confondu Frument avec C. Fyoll, dont les qualités furent grandes. Celui-ci a laissé à Cologne des ouvrages depuis 1465 ; et les travaux qui en certitude peuvent être assignés au maître de Lyversberg indiquent nettement qu'il fut successeur de ce Martin d'Augsbourg que le poète Lemaire des Belges appelait maître Hubsch Martin de Francfort.

On a qualifié Joest du titre de Maître de la Mort de Marie à propos d'une œuvre du Musée de Munich, qui est d'un de ses col- laborateurs.

Les tableaux de la Vie de la Vierge (n°^ 613 à 61S), de Munich, avec quelques œuvres qui s'y rattachent, forment une série qui fut faite en collaboration. De Joest sont seulement le n° 613, Joachim et Anne à la Porte d'Or et 614, Arrivée de Marie au Temple; mais les autres sont de Fyoll, ainsi que la Famille de Sainte-Anne (n° S2f k Francfort) et le Christ en Croix, triptyque avec donateurs, du même musée, n° 8 1 .

Les panneaux d'Antoine l'Ermite et de Saint-Jacques (n° 654 et 660, à Munich) appartiennent à Fyoll, tandis que les u°^ 701 à 703 sont du susdit inconnu, maître de la Mort de Marie, intime de Joest.

1 Catalogue de 1879. — 412 —

Une Adoration des Rois, qui montre l'un des mages portant une cassette, un autre, nègre debout, et un juif à bonnet pointu ayant tous les caractères de C. Fyoll, figurait le 9 décembre dernier dans la liste des tableaux vendus chez MM. Lempertz Sôhne *.

Au Musée de Cologne il y a d'ailleurs un assez grand nombre d'œuvres directement inspirées de l'art flamand, entre autres un grand polyptyque d'autel en cinq panneaux provenant d'un imita- teur de Memling (qui a peu d'intimité avec Gérard David), une Adoration des Mages (n° 16 2), d'un Flamand fixé peut-être momen- tanément à Cologne ; un maître appelé : de la Sainte Parenté y a exécuté dans un style analogue les n°^ 166 à 168, et le maître de l'Autel de la Sainte-Croix a fait le n° 172, datant de 1501. On sait encore combien Altdorfer, Burgkmayr, Aldegraever, H. von Culm- bach furent redevables aux maîtres de notre école.

Gérard David et ses imitateurs.

A une époque où roriginalitë comptait pour peu de chose, où l'on appréciait surtout l'adresse d'exécution, le brillant, le fini, sans trop songer au sujet ni même à l'expression, il n'est pas surpre- nant que la plupart des peintres aient emprunté à des rivaux des fragments parfois importants, dans le but de produire des pastiches attrayants.

Gérard David (146 0-1523) a fait comme eux, mais avec une sûreté de main, une tranquille adresse, unie à une science réelle, qui sont de nature à faire valoir encore davantage les quelques œuvres réellement personnelles qu'il a produites, en ajoutant toute- fois à ses superbes qualités d'instinct, une étude acharnée de ce Memling, qu'il a continué magistralement.

La part que, sans nul doute^ il a prise à la composition du célèbre Bréviaire Grimani le rend plus intéressant encore, et ce rôle, assumé après l'auteur de la Châsse de Sainte-Ursule, lui permet d'occuper avec Quentin Metsys la première place dans la pléiade de transition du commencement du xvi^ siècle.

Nous avons observé ailleurs que l'on a exagéré l'action que le

1 Vente de 1808. 413

style de Cologne avait pu exercer sur nos artistes. Toujours ceux-ci se sont montrés profondément respectueux de l'art religieux de l'Italie, tout en transformant les types de cet art, grâce à leur ten- dance personnelle et naturaliste. La source des deux écoles fut la même ; Cologne se rattacha étroitement à la tradition romano- byzantine, mais ne put empêcher le goût flamand de déborder dans son école. Cette liaison apparente a fait naître la légende de la suprématie de Cologne.

Mais à Pérouse, un sujet de Berto di Giovanni, à Florence un retable de G. da Fabriano, les fragments tirés de Mantegna, un tableau de Signorelli, aux Offices, les rapports étroits entre la Flandre et les artistes italiens tels que Antonello, Brea, Rondi- nello, le Zingaro et son école, le Ghirlandajo, sont suffisants pour établir que si nos peintres du xv^ siècle ont conservé des formes plutôt triviales, ce ne fut pas à défaut de moyens d'idéaliser, mais parmi parti-pris de vérité instinctive. On s'explique ainsi certaines transformations temporaires, dans le rendu des artistes flamands. On comprend comment il fut possible à Gossart, à Van Orley par exemple, d'être tantôt purement flamands, tantôt italiens ; et les types d'Enfant divin surtout, d'ordinaire souffi-eteux, rachiti- ques^ dessinés avec peine d'après nature, se sont modifiés en de rares occasions de façon à se rapprocher des belles formes méridio- nales.

Plus rarement encore, on trouve une figure de Vierge d'une correction de lignes qui semble exclure l'imitation d'un modèle flamand, parfois un type d'homme paraît provenir du Midi. Mais le style de Van Eyck a toujours dominé.

A vrai dire, ces particularités ne devraient pas surprendre, mais on s'est habitué à regarder les peintres flamands du moyen âge comme des ouvriers de routine, incapables de sortir d'un manie- ment de pinceau appris dès l'enfance, et de dépasser les limites d'imitation de ce qui les entourait.

Dès qu'il est admis que plusieurs ont voyagé au loin, ont exécuté des commandes à l'étranger, on ne peut se refuser à croire que l'autorité et l'exemple de rivaux italiens ont dû quelquefois provo- quer en eux un effort. Nous en avons trouvé deux exemples très curieux en Gérard David, l'un des plus casaniers peut-être de nos peintres de transition. — 414 —

Il faut admettre cependant que le successeur de Memling a pu voyager dans sa jeunesse avant de se fixer définitivement à Bruges. Mais aucune preuve ne peut étayer cette opinion person- nelle, sauf les œuvres qui existent en Espagne et qui, d'ailleurs, y sont arrivées du dehors, sans aucun doute.

Comment expliquer pourtant les glacis, l'aspect chaud et coloré, méridional des deux tableaux de David à l'Académie de Bruges, datant de 1498 et si différents déjà de son œuvre de Rouen faite en 1509, et encore bien plus du Baptême du Christ qui est plutôt froid et dur et que l'on s'accorde aujourd'hui à lui restituer, sans motif autre qu'une ressemblance de deux figures ?

In medio veritas ! L'œuvre sur laquelle il est logique de s'ap- puyer est bien le grand tableau du Musée de Rouen, représentant au centre une Vierge sur un trône, vêtue d'une robe indigo foncé et d'un manteau indigo verdâtre. L'enfant tient une grappe de raisins verts. Notons ici que David semble avoir choisi toujours de beaux modèles enfantins.

Celui-ci est froid et correct, couvert d'une chemise ; il n'est point dans le style de ceux de Metsys. Toutes les mains ont du carac- tère, des contours simples et les doigts écartés ; la Vierge de Francfort présente aussi cette disposition et, comme celle de Rouen, elle a un type de menton surtout qui rappelle les figures de Memling imitées par Gossart.

De chaque côté, les ailes étendues, un ange musicien, l'un guita- riste, à gauche, l'autre jouant de la viole, à droite, vêtu tout de blanc ombré d'un glacis verdâtre qui se rapproche de la teinte de manteau, dénote l'étude du procédé de Memling. A gauche encore, un mouton, rond et sans caractère.

Le parquet ressemble à ceux de Gossart et du triptyque de Lierre.

Après la Vierge^ vers la gauche, on reconnaît sainte Cécile, en velours vert avec coiffe noire. Un tuyau d'orgue apparaît der- rière elle. Puis sainte Barbe, en costume de duchesse, rouge et or, avec robe à ombres [rouges, ornements dorés dans les clairs, et manches changeantes. Elle est coiffée d'une sorte de cylindre rouge et lit dans un missel brugeois, grossièrement orné de fleurs. Toutes les têtes sont blondes ou châtain clair à rehauts blonds de forme régulière. Il y a même des faces toutes rondes, comme dans 41

les œuvres de O. Metsys, et cette réunion de femmes semble être toute la famille de l'artiste lui-même.

Après vient sainte Lucie, en robe rouge moirée avec chape noire ; entre l'ange de gauche et la femme en vert, on voit un petit frag- ment de tète de femme.

Au-dessus de sainte Lucie se montre l'épouse de l'artiste, en coiffe blanche et corsage noir, costume qui semble postérieur à 1509 ; au-dessus de sainte Barbe un autre portrait féminin.

Remarquons que dans les Bréviaires et à la chapelle du Saint- Sang, G. David s'est représenté entouré de plusieurs femmes. Fut- il marié plus d'une fois ? Etaient-ce ses sœurs ou ses filles ?

Ensuite vient sainte Dorothée, vue de face, les yeux baissés, dans l'attitude chère à Memling ; sa robe est d'un bleu indigo et la sainte tient un panier de roses.

Au-dessus apparaît le peintre, très reconnaissable. Il porte un chaperon avec un collier dessus. Suivent sainte Catherine lisant (costume jaune brun), sainte Agnès, en velours vert, belles mains, cheveux à légers rehauts, et sainte Agathe qui est près de l'Enfant.

Le tableau de Rouen est moins bizarre et plus magistral que le triptyque de Lierre ; il semble tenir de Memling ; mais certaines draperies en sont fort empâtées et un large style décoratif s'y dévoile, circonstance à noter au sujet d'œuvres que nous mention- nerons plus loin. Les pierreries sont très finies, la couleur semble empruntée à Metsys et à Bouts.

Toutefois, le superbe Memling du Louvre, légué par M. Gat- teaux, semble avoir été, sauf en ce qui regarde les turbans et les couronnes, le type inspirateur de l'œuvre de Rouen et de plusieurs autres de G. David.

Plus soigné et plus correct que le tableau de Lierre, celui de 1509 se lie fort bien avec la composition du Juge prévaricateur, de Bruges, malgré la différence de tonalité.

Le portrait de l'artiste, type bien hollandais, se retrouve à Bruges et à Munich, comme à la bibliothèque d'Arras. Sa barbe de marin se voit encore sur le tableau du Municipio à Gênes, qui n'est qu'une sorte de répétition de la Vierge de Rouen. Plus dur, attri- bué à Durer, ce panneau de Gênes nous offre dans l'Enfant beau- coup d'analogie : des rideaux verts roides, un fond gris d'archi- tecture, un manteau bleu foncé à bordure de lettres ; et son volet — 4i6 —

de droite porte un saint abbé en noir, sur fond de tapisserie, qui fait songer à N. Frument. A gauche, le type choisi par David se montre bien dans le saint Jérôme en robe rouge à bord blanc, tenant la croix et suivi par un lion.

Nous venons de dire que dans le Baptême (Académie de Bruges) l'ange seul, avec la draperie rouge du Baptiste semblent être de David. Il y a dans le paysage et la facture de cette œuvre un travail volontaire, dur et pénible qui se retrouve dans le superbe tableau de la National Gallery (n° 1045), Chanoine et Saints Évêques, d'un aspect déjà moderne, mais qui nous paraît attribué sans motifs suffisants à Gérard David.

Le Musée de Munich possède une composition : Saintes avec Vierge (n° 1347), qui procède assurément du chef-d'œuvre de Rouen, quoique le faire en soit plus flou, plus fade en dépit de sa coloration. L'Enfant qui est aussi celui que l'on retrouve à Darm- stadt, une femme assise, en robe bleuâtre glacée, une autre en vert, n'offrent d'ailleurs aucun doute.

Il en est de même de la Vierge et l'Enfant, de Bergame, dont la copie est à Carlsruhe (n° 123); mais la Madone du château de Darmstadt suffirait à elle seule pour l'identification du talent de David.

C'est un pastiche manifeste (n° 189) de Van Eyck et de Mem- ling, se détachant sur le tapis, or sur noir, d'une tenture raide et verticale. Le fond se compose d'un mur garni de plantes grim- pantes et d'un beau paysage. Des deux côtés de la Vierge se tien- nent sept anges musiciens ; l'un d'eux, habillé d'une robe glacée de bleu (selon le système si remarquable sur la Châsse de Sainte- Ursule), joue de l'orgue. Cette œuvre est d'un haut intérêt pour la détermination des caractères spéciaux qui distinguent G. David de ses modèles Van Eyck et Memling et aussi des quelques peintres qui ont traité en même temps que lui des sujets dont il fut peut- être l'inspirateur.

Ainsi à Munich, il y a une imitation de David (n° 711), où l'on voit aussi l'ange bleuâtre, une architecture grise à rinceaux, la Vierge et l'Enfant chaudement colorés. L'ange présente une fleur à Jésus. Mais ce tableau ne semble pas même pouvoir être une œuvre de début du maître.

Quoique celui-ci ait gardé une originalité réelle, étonnante en — 417 —

présence de ses emprunts apparents, il doit avoir copié au moins des fragments d'œuvres de ses devanciers, ne fût-ce que comme étude. Il y a dans la tête du Christ de la Cène, de T. Bouts, à Lou- vain, dans le pavement figuré sur ce tableau, dans la femme à tur- ban blanc et manteau vert(n° 636, à Munich), des Israélites cueillant la manne, par Bouts, un rapprochement très visible avec des mor- ceaux de G. David.

M. J. Weale lui a découvert un élève nommé Isebrant, et l'on a cru pouvoir assigner à ce dernier les Noces de Cana (n° 596 du Musée du Louvre). Ce panneau, dont une répétition existe à la ca- thédrale de Plaisance, nous semble pourtant authentique. Son fond de tapisseries avec verdure se retrouve analogue à Darmstadt et à Gênes, les turbans et les guirlandes du tableau de Rouen y sont avec peu de modifications. Le peintre, à droite, toujours reconnais- sable à sa barbe de marin hollandais, tient une coupe. Les rayons entourant le Christ et la Vierge rappellent la facture de ceux du Baptême (Bruges), mais c'était là un procédé traditionnel (Belle- gambe dans son polyptyque de Douai nous l'offre également). Une construction un peu fantaisiste fait songer vaguement à l'Hôtel de Ville de Bruges. Peut-être est-ce la copie d'un bâtiment voisin de l'atelier du peintre, et aujourd'hui détruit, telle la maison des Biscayens par exemple. La peinture est un peu molle et semble dater de 15 15 environ.

Il serait intéressant de faire une étude spéciale (au point de vue des fonds d'architecture surtout) des œuvres de David, à Bruges, au Louvre, dans les Bréviaires et dans des collections particulières, telles que celles de M. le vicomte de Ruffo-Bonneval, où un Christ devant Pilate, quoique paraissant de plusieurs mains, est fort remar- quable ; chez M. de Somzée, et même au Musée de Bruxelles où le n° 112, panneau central du Miracle de Saint-Antoine de Padoue, doit provenir d'un collaborateur de G. David. Il y aurait sans doute des découvertes à faire au sujet de l'art rétrospectif brugeoi s.

La Salutation Angélique (au Louvre *, n° 595), attribuée à L. de Leyde et à Memling, et dont certaine disposition a de l'analogie avec celle de Francfort, est sans doute une répétition d'une œuvre de David par un élève. On peut en dire autant de la Descente au

1 Catalogue F. Villot, 1862.

28 — 410 —

Tombeau, du Musée d'Arras (n° 217), tableau avec figures demi-na- ture, provenant de l'église de Saint-Géry, et aussi desn°^ 97 et 105 du Musée de Bruxelles, assez médiocres d'ailleurs.

Avec un Christ en Croix ', pleuré par sa mère, œuvre de la vieil- lesse du peintre, le Musée de Francfort renferme une Annonciation superbe, très authentique et donnant des détails typiques. L'ange, à la pose inspirée et d'un dessin correct et élégant, présente à la Vierge agenouillée un sceptre très ornementé. Sa tête d'adolescent se retrouve sur plus d'une composition de David et la facture de sa chevelure bouclée mérite d'attirer l'attention. Les mains de la Vierge ont les doigts écartés comme sur l'œuvre de Rouen, et ses traits sont ceux de l'une des femmes figurées sur ce panneau. La disposition des coussins du fond est analogue à celle du susdit tableau du Louvre (n° 595). la colombe rappelle le Baptême et les miniatures dites de Maître Gérard, à l'Académie de Bruges, et le rideau relevé en forme de lustre est d'aspect spécial.

Voici quelques points qui caractérisent les meilleures œuvres de David :

Les chairs sont grassement peintes, de façon presque moderne, mais le plus souvent couvertes d'un glacis brunâtre léger, très habi- lement étendu.

Les yeux baissés sont fort beaux; quand ils sont ouverts, ils sem- blent tirés par les coins. Souvent un ton général, vert d'eau ou bleuâtre, constitue le coloris des figures d'anges préparées en une sorte de grisaille.

Les femmes grasses et rondes ont des faces que l'on dirait dessi- nées géométriquement et les contours sont très observés. Pourtant rien n'est dur sous le pinceau de G. David et dans deux ou trois de ses tableaux, il y a, au contraire, un velouté étonnant.

Les seules mains du guitariste et de la Vierge, à Rouen, sont un peu maladroitement traitées et, par là même, se rapprochent de celles du Baptême (Académie de Bruges).

Dans ce dernier Musée, il suffit de jeter un coup d'œil sur le

■ grand tableau de l'Ecorchement de Cambyse pour se remémorer

aussitôt certaines compositions du Bréviaire Grimani. La couleur

chaude de cette œuvre analogue à l'aspect de l'Ensevelissement du

i N» 106. I

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Christ, par Metsys, à Anvers, contraste avec celle du Baptême, plu- tôt froide.

Quant à son pendant (le Juge prévaricateur), quoiqu'il soit daté de 1498, il représente une architecture qui semble antérieure aux dessins qui servirent pour le MS. Grimani. Il y a dans son en- semble un air de jeunesse qui se reflète dans la physionomie du peintre qui s'y est représenté et que l'on retrouve mûrie, à Rouen, et vieille sur le triptyque de la chapelle du Saint-Sang.

Car G. David a vécu relativement vieux. Son talent a eu des dé- faillances dont le triptyque susdit est la preuve ; et dans beaucoup de musées, des œuvres authentiques de ce maître sont attribuées, comme peu dignes de lui, à des peintres secondaires, très diffé- rents.

Ainsi, au Musée de Naples, la Déposition de Croix (n" 49), dite de Van der Weyden, le jeune, décèle G. David par un ange, un vieillard à chaperon et un corps de Christ mal dessiné. Les saintes femmes, au centre de ce tableau, sont même d'un collaborateur, et c'est de loin que saint Jean et la Vierge rappellent Roger de Bruges.

A Dresde, deux volets d'un tableau d'autel (n°^ 1838-39), Saint- André, le donateur, et Sainte-Elisabeth, sont des imitations de Mem- ling qui doivent provenir de l'atelier de David ; et l'on trouve très nettement la main de ce dernier dans le n° 1840, effet de nuit ins- piré de l'Arrestation du Christ, par Bouts, mais qui fait présager le style anversois du xvi^ siècle.

Aux Offices, un petit Christ en Croix, prétendument de David (n° 846), appartient à Lambert Suavius.

Il y a parfois dans les tableaux secondaires de David, et surtout dans ceux de ses imitateurs, des affinités singulières avec des ou- vrages plutôt allemands mais issus de l'art de nos provinces.

Ainsi une Annonciation dite de l'École de M. Schoen, dans le catalogue de la vente Héberlé du 9 décembre 1898, à Cologne, appartenait certainement à celle de David.

Une Vierge glorieuse avec l'Enfant, entourée de saintes et d'anges (n° 1347), sorte de mariage mystique (du Musée de Munich), est l'ouvrage d'un peintre colonais mais une copie de Gérard David. Les sujets de Vierges avec saintes provenant de Memling ont d'ailleurs été traités à Cologne même, avec une tendance toute — 420 —

traditionnelle ; le n° 608 du Musée de Munich en fait foi ; ce pas- tiche de David est reproduit à peu près dans une miniature du Bréviaire Grimani et deux compositions semblables existaient à Munich en 1879 chez le comte d'Arco- Valley, et en 1831 dans la collection Aders, à Londres.

Ces répétitions prouvent combien l'art de David était estimé.

A la Pinacothèque de Munich, une Adoration des Mages, que l'on donne à Mostaert, est bien au contraire de G. David mais une œuvre de sa vieillesse ; le paysage en est cependant intéressant.

Si le Mariage mystique (n° i de l'hôpital Saint-Jean) semble dénoter en Memling le prototype de David, pour ces sujets de réunions de saintes et d'anges qui ont inspiré aussi Wohlgemuth (n° 82, à Munich) et C. Fyoll, au Musée Staedel, on doit recon- naître encore que tout au moins les volets de ce triptyque sont de la main de Gérard, ce qui plaiderait en faveur d'une collaboration d'ailleurs très probable de celui-ci avec Memling. On sait que la date de ce tableau a été falsifiée.

La Madone de Darmstadt est, selon M. Justi *, une réduction peu changée du grand panneau qui existe en Portugal, dans le palais archiépiscopal d'Evora et qui figure Marie de gloire et l'Enfant entre douze anges de grandeur naturelle, s' accompagnant d'instruments. Tout au-dessus se tiennent trois anges chantant, et quatre autres portant une couronne sur la tète de Marie. Celle-ci est vêtue en bleu clair. L'architecture est ogivale. A droite se trouve un vase de cuivre.

Le savant professeur allemand, bien placé pour se renseigner, vu la ressemblance de cette œuvre avec celle si typique de Darm- stadt, déclare la Maria di gloria un tableau de premier ordre. Il existe d'ailleurs dans la Péninsule ibérique de nombreuses œuvres ayant des rapports avec G. David.

A Lisbonne, dans le Palais des Necessidades, on appelle le Hol- bein da Bemposta un tableau signé faussement J. Holbein fecit 15 19 et qui a tous les caractères de Gérard. Il faut en éloigner l'at- tribution à Coxcie, faite par M. de Vasconcellos, par le fait même des dates et de l'exécution.

M. de Ceuleneer a fait remarquer combien elle s'écartait de la

1 Journal des Beaux- Arts, 15 mai 1886. , — 421 —

vérité, tout autant que pour une Madone avec l'Enfant et un ange, qui se trouve au Musée de Lisbonne.

CeHolbein,qui représente la Vierge et l'Enfant avec Sainte-Cathe- rine, S. Joachim, Sainte-Anne et d'autres saintes, doit être mis à l'actif de David, bien que le dessin en soit assez faible. Son coloris est pur, monté de ton, le paysage adroitement traité, les scènes accessoires très finies et il y a un arc de triomphe de style Renais- sance, ce qui annonce une œuvre du déclin de David.

Les nombreux exemples d'œuvres flamandes ou peintes sous l'influence directe d'artistes flamands, en Espagne et en Portugal, cités par M. de Ceuleneer dans ses notes d'art et d'archéologie, font regretter que des spécialistes de notre pays ne soient point envoyés dans ces contrées pour procéder en toute quiétude à une sorte d'étude comparative de ces œuvres avec nos ouvrages natio- naux si présents à notre mémoire, ce qui amènerait sans doute une augmentation du beau contingent fourni par nos artistes du xv^ et du xvr siècle.

A Vizeu, quatorze petits tableaux datant de 1500 à 1520 et représentant des scènes de la vie du Sauveur, dans la salle capi- tulaire, doivent provenir de la Flandre, et le Calvaire de la chapelle de Jésus en la même ville n'offre aucun doute à cet égard. Il y a un groupe de la Vierge et des Saints à gauche du tableau, qui se rapproche beaucoup des saintes femmes, de Q. Metsys ; tels sont aussi des détails de scènes triviales, des doigts allongés, d'un ton de chair caractéristique.

Il en est de même d'un Crucifiement, avec beau cheval blanc, dans l'église de Jésus, à Sétubal, et d'une Flagellation, très fine- ment traitée, portant un homme à braies rouges, d'un caractère tout à fait brugeois, digne de Van Eyck, ainsi que d'une scène du Baiser de Judas.

Depuis Philippe îe Bon, Bruges et le Portugal étaient restés en relation très intime, autant au point de vue officiel peut-être que sous le rapport commercial et maritime, et l'art flamand avait cer- tainement ses débouchés sur les rives du Tage. Le nom de Jean de Heere y fut connu sans doute comme en Espagne.

Dans ces deux pays les signatures, les 110ms et les attributions sont absolument fantaisistes, et la légende du Gran Vasco suffit à l'établir. L'exemple de MM. Justi et de Ceuleneer prouve qu'un 422

critique très habitué à l'ancien art flamand pourrait seul débrouiller ce chaos. Ainsi, le Saint-Hippolyte, à l'Université de Coïmbre, est un pastiche de celui de T. Bouts à Saint-Sauveur de Bruges.

M. Latouche ' assure que les tableaux portugais du Musée de Lisbonne furent tout simplement peints par des Flamands. Il est évident que les peintres de Bruges, émules de Gérard David, durent assumer une notable partie des commandes expédiées par mer, telles que le retable de Dantzig ; mais il est remarqua- ble que la plupart des œuvres flamandes que l'on découvre en Espagne et en Portugal sont dues à l'Ecole de David ou au maître lui-même.

Nous avons négligé à dessein de parler des œuvres de choix de la collection de Somzée, leur possesseur mettant un soin extrême à en déterminer la provenance exacte et la réelle valeur.

La description du grand triptyque de G. David : Sainte- Anne et la Vierge, sujet central, avec volets figurant Saint- Antoine de Padoue et Saint-Nicolas de Bari, a été donnée minutieusement par M. Vurgey ^. Elle rappelle par maint détail les œuvres principales que nous avons déjà mentionnées. Nous ne relèverons ici que l'indication des deux volets à cause de leurs points de contact avec le triptyque de Vienne, avec celui de Gênes et avec une œuvre que nous avons trouvée à Avignon.

D'un côté Saint- Antoine, debout, analogue à une figure du susdit tableau de Vienne, et vêtu d'un froc gris avec corde à nœuds, porte une croix latine ; de l'autre Saint-Nicolas tenant de ses mains gantées une crosse dont la tige se partage en trois parties ornées de spires et dont la volute sort d'un cercle d'ogives. Il porte une chape richement brodée de chardons d'or sur fond rouge ; sa mitre est ornée de perles et de rubis. Sur la poitrine se remarquent des orne- ments peu usuels : l'aigle et le lion, trois anges, un écu portant les instruments de la Passion. Les deux figures se détachent sur un fond de paysage et d'architecture spécial au goût de David. Il est à noter que ces tableaux proviennent de Majorque ; ils sont sortis de la collection du cardinal Despuig et, selon toute probabilité, furent commandés primitivement pour les chapelles de la cathé-

1 Bibliothèque de Genève, t. 57, p. 686.

2 Fédération artistique du 17 avril 1899, du 30 avril 1898 et du i"'^ mai 1808. — 423 —

drale de Palma, où Sainte-Anne et les autres saints représentés étaient tenus en grand honneur.

Cette hypothèse est corroborée par le fait fort curieux qu'à l'aide des panneaux de Gérard David on a exécuté une sorte d'imitation de la Châsse de Sainte-Ursule, qui pourrait paraître destinée à la même cathédrale de Palma. Cette fierté à six pan- neaux cintrés illustre par ses sujets la vie des saints Antoine et Nicolas.

Il nous paraît donc acquis que les ouvrages de David furent recherchés non seulement à Rouen, mais en Portugal et en Espagne, et de son vivant.

Une découverte que nous avons faite à Avignon, nous porte à croire qu'il en fut de même dans le midi de la France, et notam- ment à Carpentras, où a été trouvé dans une grange un volet de grand triptyque, représentant un évêque et provenant de la cathé- drale de cette ville. Le centre et le volet de gauche sont malheu- reusement perdus, mais le panneau qui reste au grand séminaire d'Avignon, et dont nous devons la photographie à l'extrême bien- veillance du révérend Supérieur, M. Ch. Roque, que nous remer- cions sincèrement, est d'une grande beauté et nous force à déplorer la disparition de l'ensemble (voir planche, page 385).

Ce tableau, à peu près de grandeur naturelle, représente saint Siffrein avec le mors symbolique, debout, vêtu d'une robe de laine blanche ayant de l'analogie avec celle du Municipio, à Gênes. Le saint porte la mitre et une chasuble verte à cassures singulières faisant souvenir des rideaux peints souvent par David et ornée d'une large bande dorée où sont figurés des apôtres à l'attitude pseudo-byzantine. Le fond d'or rappelle aussi ceux du Municipio et autour de la tête du saint se voit une sorte d'auréole de têtes d'anges de style pseudo-byzantin également. Saint Siffrein était le patron de l'église cathédrale de la ville auprès de laquelle le tableau a été découvert.

Le style traditionnel de l'ornementation, inspiré de Cimabuë quoique présentant des ogives, n'est certes pas dans les habitudes de G. David, qui a surtout peint des fragments de style ogival flamboyant et même tout à fait Renaissance. Cependant, il n'est pas impossible qu'il se soit soumis au désir d'un commettant, ou qu'il ait reproduit une figure ancienne qu'on lui aurait fournie comme modèle. — 424 —

Il y a des types analogues dans l'art italien, sous le nom de Crivelli. Mais la superbe facture néerlandaise de cette œuvre très bien conservée, et sa couleur à laquelle on ne trouverait rien de pareil ailleurs que sur les meilleurs tableaux de G. David, nous engagent à lui assigner ce volet.

Déjà au Musée Calvet, d'Avignon, dont le très obligeant et dis- tingué conservateur, M. Labaude, a bien voulu nous faire obtenir de M"'^ veuve Michel la phototypie d'une Adoration de l'Enfant (n° 384), que nous reproduisons, nous avions pu remarquer le caractère flamand de ce tableau dont l'analogie avec celui de Van Eyck, à Bruges : le Chanoine van der Paelen, est évidente. Comme on le voit sur la photographie exécutée par M. J.-B. Michel pour un ouvrage intitulé : Le Livre d^or dit Musée Calvet , ce panneau a souffert en plusieurs endroits et la figure de l'Enfant a été retou- chée, ce qui lui a donné sans doute l'aspect un peu idéalisé qui n'est pas ordinaire sur les œuvres flamandes. Mais, il est nécessaire de faire observer son attitude, qui est une réminiscence de celle qu'a choisie Van Eyck dans son tableau de l'Académie de Bruges, comme aussi les mains du personnage agenouillé qui est évidem- ment un prince méridional du temps de Louis XII. Les exemples du triptyque des Médicis, de celui de Martin V, du Buisson ardent, d'Aix, des tableaux des Raggi et de ceux de Frument, à Naples, permettent de croire que cette Adoration fut commandée à un Flamand, par ce personnage dont la femme ou la fille figure ici sous l'aspect de la Madone. La construction romane de la poterne que l'on voit au fond de la cour indique un château-fort très ancien ; mais rien n'oblige à croire que ce bâtiment soit italien ou provençal. Il date de l'époque romane, voilà tout. L'aspect de l'armure noire, de la chevelure du donateur, et de la coiffe de la donatrice, est assurément italien, mais il n'y a rien de plus. Le man- teau de la Vierge, le pavement et toute la figure de l'évêque, patron peut-être du prince, plaident en faveur de Gérard David et le rendu à la fois flou, magistral et vigoureux, est absolument digne de ce maître (voir planche, page 401).

M. Waagen, directeur du Musée de Berlin, a vu autrefois ce tableau, et l'a attribué à Gérard de Saint-Jean ou de Haarlem, élève d'Albert van Ouwater et que l'on croit le père de Gérard David. Cette opinion est téméraire par le fait même des dates, car

A — 425 —

l'œuvre appartient certainement à la transition du xv* au xvr siècle. Les armoiries du chevalier pourraient fixer un point d'his- toire, mais elles sont indistinctes et couvertes en partie par le cadre; elles se trouvent derrière la tête del'évêque, qui fait le même geste que le chevalier connu du tableau de Van Eyck. Reste le t}^e même de la Vierge qui n'est pas flamand. L'auteur du Livre d'or du Musée Calvet reconnaît que le panneau doit avoir été peint par un artiste d'origine flamande ou hollandaise, qui aurait vécu en Italie et subi l'influence de l'entourage qu'il s'y serait créé. Il remarque que le chevalier ressemble assez au Louis de Gonzague de la Vierge à la Victoire de Mantegna (de ce même Mantegna dont les guirlandes ont fait tant d'impression sur David et Durer), et que l'inscription : Quem gemcit adoravit est en lettres romaines ; mais celle-ci nous semble postérieure à l'œuvre. Il y a donc ici un mystère difficile à élucider dès que l'on se refuse à admettre les voyages d'étude de Gérard David, car, malgré la clarté de la gamme de coloris choisie, celui-ci seul était capable, nous le répétons, d'exécuter cette œuvre magistrale.

A-t-elle subi des lavages qui l'ont pâlie ? L'auteur s'est-il con- formé au type d'une œuvre italienne qu'on lui donna pour mo- dèle ?

Dans tous les cas, il serait à tous égards déplorable d'y voir tou- cher aujourd'hui sous prétexte de restauration. Notons ici que, d'après Morelli, plusieurs tableaux de Gérard de Saint-Jean se trou- vaient chez le cardinal Grimani, à Venise.

Les figurines qui ornent la chasuble de saint Siifrein sont : Le Christ, la Vierge, saint Pierre, saint Paul, saint André et un autre apôtre difficile à déterminer, mais dont la pose est contournée.

Saint Antoine a été souvent le sujet de volets d'œuvres de G. David.

Un triptyque de la cathédrale de San Domingo, dans la Rioja près de Miranda, porte Antoine, abbé de Thèbes et Saint-Dominique de laCalzada. Ce tableau, ouvrage authentique de David, a été repris par un bon imitateur et figure sous le nom de Mostaert au Musée du Prado (n° 1864), comme Messe de Saint-Grégoire.

A Majorque même (sous le n° 152), dans la galerie du comte Monténégro, de Palma, M. Justi a vu le retable à volets du grand autel des SS. Antoine et Nicolas, aujourd'hui en possession de — 426 —

M. de Somzée, composé d'une grande figure de sainte Anne avec la Vierge et l'Enfant et d'une Pietà (n° 167), avec les deux saints de grandeur naturelle et le grand groupe servant de couronnement.

Les six petits panneaux de légendes portaient les n°^ 225, 228, 230, 156, 158, et étaient accompagnés d'un Crucifiement (n° 215), par un élève de David.

D'ailleurs, la Châsse ne date pas de l'époque primitive, mais a été constituée en ces dernières années.

Dans l'église de San Gil, à Burgos, une belle Pietà authentique du maître montre un excellent paysage avec fond de montagnes bleues, et une Madeleine avec une robe verte décolletée en carré.

La Vierge de la cathédrale de Tolède, dont la copie est au Prado (n° 1354)? et la Madeleine (au Prado, n° 1858), lui revien- nent aussi, de même que dans la sacristie de l'église d'Ubeda, les Rois Mages et la Mise au Tombeau.

Exista-t-il quelque rapport entre David et Coppin Delf, le peintre collaborateur de Joest ? On sait que Coppin Delf fut à Aix de 1456 à 1482, travailla pour Louis XI, pour René d'Anjou ou son fils, et fut en relation avec N. Frument. Or, un peintre hollandais, Diego Coppin, a daté de 1 5 1 2 un Couronnement de Marie sur fond d'or, placé à Tolède dans la salle du Chapitre, au-dessus du trône de l'archevêque. La copie de cette œuvre était jadis à Berlin, et plus tard au Kunst Kabinet de Bonn.

Le même maître a peint la Vierge embrassant son Fils (n° 22 y Musée de Saragosse), tableau qui fut acheté en Flandre où Thomas Morus l'avait commandé ^ L'acquéreur, Martin d'Aragon, le céda au couvent de Vercuela.

Le n° 222, du même musée, en est une répétition et la galerie Lopez Cepero, à Séville, possédait un tableau du même genre.

Etant donné qu'il y eut un Corneille Copin qui travailla en 1468 aux entremets de Bruges et que le prénom de Coppin représente le nom de Jacques, que Coppin Delft travailla à Tours, à Angers, à Saumur, on peut supposer qu'il y eut entre ces peintres au moins une certaine parenté, et que l'Ecole brugeoise ne fut pas étrangère à leur art.

Dans tous les cas, bien que Gérard David se montre habituelle-

^ Journal des Beaux- Arts j 31 mai 1886. — 42/ —

ment simple dans sa composition, il a parfois témoigné d'une grande opulence dans des détails d'ornement, et il a varié sa technique selon la nature de la commande. C'est ainsi que sa Vierge sur un trône gothique très richement orné, qui se trouve dans la sacristie de la collégiale de Tora en Castille (tableau qui représente aussi sainte Catherine et sainte Barbe, et plus loin saint Joseph), est de nature, par sa somptuosité, à faire croire à une pérégrination de l'artiste dans les régions méridionales, et spécialement à Venise ou à Gênes.

Au Municipio de cette dernière cité, nous avons dit qu^il y a des indices communs à plusieurs œuvres de David : dans un Christ en Croix placé au fond de la salle et qui paraît dater de l'époque du tableau de la chapelle du S^-Sang, à Bruges, et dans une répétition de l'œuvre de Rouen, dont le volet de droite offre une figure d'abbé en noir sur fond de tapisserie, à comparer aux types de la collection de Somzée, on peut s'en convaincre aisément.

On sait que l'Adoration des Mages (n° 639, à Munich) date de la vieillesse de David. La Déposition de Croix, de Bruges, que nous venons d'indiquer, offre, bien que inférieure au tableau de Rouen, certains détails intéressants et surtout le portrait de l'artiste déjà âgé et accompagné de deux autres personnages. Il se trouve sur le volet de droite. Celui de gauche porte deux femmes, dont l'une tient un vase, comme dans quelques tableaux des Metsys. Un des hommes à droite a le chapeau sur la tête, et une femme a l'aspect joufflu à menton nettement indiqué de l'Enfant de Rouen. Le corps du Christ, assez faible de dessin et qui paraît fait de mémoire, est étendu au centre et ombré en ton légèrement noirâtre. Le paysage avec fond bleuâtre particulier à David, accuse déjà une tendance vers le style décoratif du xvi^ siècle. Dans ce tableau, la tête carac- téristique du peintre est surtout à remarquer.

La Bibliothèque d'Arras possède un dessin qui a paru en fac-si- milé dans le Beffroi et a été reproduit dans la Gazette des Beaux- Arts *. Il offre des similitudes sérieuses avec le portrait n° 946, de la National Gallery;etun manuscrit de la Bibliothèque de Munich, analogue aux Heures de Notre-Dame et au Bréviaire Grimani, re- produit également l'artiste accompagné de ses femmes. Sur plusieurs

' T. XX, p. 542. — 42Ô —

tableaux de David on retrouve cette physionomie à des âges diffé- rents.

On doit assigner encore au maître le triptyque n° 699 du Louvre, dont le Christ pourrait aisément figurer sur le Baptême de Bruges, que l'on a donné à Horenbout et à David. Dans ce pastiche, on voit un ange à la Memling, des soldats du style adopté par Van Orley et le manteau vert habituel à Bouts avec de petites sculptures en plâtre assez correctes que retraça plus d'une fois David ; il est vrai que ces éléments sont à peu près communs à plusieurs peintres de cette époque ; mais un examen minutieux et fréquent permet d'y découvrir des différences et des caractères spéciaux à chacun des artistes.

Les types de David se retrouvent en le Maître de Ségovie qui travailla dans la Rioja et en Castille, et qui paraît avoir été un Es- pagnol qui avait étudié en Flandre. Son chef-d'œuvre se trouve dans l'église de Saint-Michel, à Ségovie. C'est une grande Descente de Croix qui a figuré à l'Exposition de Paris en 1878. Elle est pos- térieure à l'œuvre de Barcelone, que l'on a reconnu avoir été exécutée par Dalmau.

A Santa Cruz, encore dans la Rioja, se trouve une Pietà d'aspect analogue, mais dont les donateurs sont Espagnols.

Cet artiste de Ségovie vivait après 1500, car le couvent des Do- minicains de Santa Cruz en cette ville (pour lequel il exécuta un retable dont les panneaux sont au Musée du Prado (n°^ 2 200a, 21 g f et 21999 ^^i^si que le sujet de saint Dominique et l'Abbé), ne fut construit qu'à partir de 1492.

Il se rapproche de l'auteur du Baptême que l'on a cru longtemps être Patinier; on peut le constater par le triptyque n° 910 à l'Es- curial, qui fut donné par Philibert de Savoie à Philippe IL

Le maître du Baptême du Christ, de l'Académie de Bruges, qui se montre vraiment en trop peu d'endroits identique à David, pour- rait plutôt encore être Horenbout. Le rôle de Gérard de Gand à côté du successeur de Memling, et malgré leurs relations de minia- turistes, n'a été que secondaire, à cause même du genre qui lui procura ainsi qu'à sa famille des honneurs et du profit. Mais cer- taines œuvres peintes à l'huile sont dues à une personnalité spéciale quoique affiliée à David, et qui est probablement Horenbout.

Le type primitif du Baptême n'est pas dû à Memling, mais bien à — 429 —

Rogner Van der Weyden; il figure au Musée de Francfort (n° loi), et en double à Berlin. La copie en a conservé quelque dureté.

S'il y eut des rapports entre le célèbre Gantois et l'auteur C. H. du diptyque du Musée d'Anvers, ce fut parle nom patronymique. C'était peut-être son neveu Corneille. Mais le peintre qui fit le char- mant petit triptyque, Vierge avec Donateurs (n° m, à Francfort), avec la devise : En espérance et deux écussons, une réduction du Jugement Dernier, de Dantzig (collect. de Ruffo-Bonneval) et à Dresde le n° 1836, excellent petit triptyque avec beaux détails d'ar- chitecture, et figurant une Madone imitée de Van Eyck avec une couronne très caractéristique et des colonnes jaspées, nous paraît être le même qui fit le n° 1045 ^® ^^ National Gallery : Chanoine et Saints Évêques. Ce dernier tableau, qui provient de la collection de M. Benoni White, dénote par le caractère des mains, l'étoffe de l'étole, le paysage et les figurines l'auteur du Baptême plutôt que G. David.

Horenbout, né vers 1480 et qui fut de 1510 à I5iiet de 1516 à 1519 à Gand,en 1520 en Angleterre, un an après à Anvers où il travailla pour Marguerite d'Autriche, peut avoir été à Londres aussi en 1515. Un portrait de cette année, faussement attribué à Holbein et devant représenter, dit-on, Thomas Cromwell à l'âge de 14 ans (!), est ma- nifestement du maître que nous nommons Horenbout, faute de meilleure preuve, et qui fit une Sainte-Catherine et une Madone (à Vienne) et un petit Saint-Benoît évêque (à Florence), attribué à Memling. Nous pouvons reliera ce contingent une singulière com- position (n° 1080, National Gallery), une tête de Saint-Jean entourée d'anges, sous laquelle on voit une predella un peu vague et esquissée. Cette œuvre, qui semble provenir d'un enlumineur de profession, fut probablement commandée par un hôpital Saint-Jean.

Le neveu de Gérard, reçu à Gand en 1535, à l'âge de 20 ans, et fils de Jean Horenbout, franc-maître en 151 1, succéda sans doute à la notoriété de Gérard comme miniaturiste en 1540; celui-ci avait envoyé un de ses fils à Bruges et à Bruxelles vers le 7 janvier 1521 pour faire écrire les feuillets d'une paire de Riches Heures. Il avait fait au vif un portrait de Christian VH et un patron de verrière en l'église de Galilée, à Gand. Son art était donc complexe.

Jean de Heere (parent de Lucas,lethéoricien),dontla mère fut une miniaturiste distinguée, fut élève de Gérard Horenbout et mourut — 430 —

à Tolède en 1569. Plus d'un Flamand ignoré a dû participer à l'exé- cution de tableaux en Espagne, notamment à Grenade, chapelle de Los Reyes, à Salamanque, à Madrid, chapelle de Saint-Clément (15 panneaux au Palais du prince); le triptyque d'Avila (au comte de Valencia), qui est marqué A. B., est aussi une imitation de David.

M. de Somzée possède encore un diptyque représentant les saints Jean-Baptiste et Jérôme et qui doit être antérieur aux pan- neaux de la Châsse.

A la suite de l'Ecole de Joest et de David, il est nécessaire de mentionner Barthélémy Bruyn (15 10-15 60), qui doit avoir étudié à Anvers ou dans les Pays-Bas et fut inscrit sur les registres de Colo- gne, le 1 7 septembre 1 533 . On reconnaît en Allemagne son éducation toute flamande, car on le suppose élève de Joest ou de son sosie, le maître de la Mort de Marie, et condisciple de H. von Mehlem (Jean de Malines?); au milieu des pastiches colonais, l'œuvre de Bruyn et ses portraits à fond de paysage surtout (à Francfort) se présentent de façon originale; les meilleures collections renferment de ces effigies. Ses compositions telles que les tableaux de saints et saintes de Munich, que l'on croit de Martin van Veen (n°^ 664 à 666), et qui furent peints à Cologne, sont aussi flamandes que sa Descente de Croix à fond doré, à Dresde, et que son Adoration des Mages (n° 357, Musée de Cologne). Celle-ci offre des brocarts à la Van Eyck et des étoffes changeantes à la David. La Madone de Nuremberg, et Anne et Marie, œuvre inspirée de David, nous montrent en lui un peintre peu génial peut-être, mais d'une grande valeur d'exécution et réellement flamand.

En somme, si nombre d'étrangers vinrent solliciter chez nous une sorte de naturalisation^ il est prudent de ne pas s'enorgueillir outre mesure de ces faits, motivés par notre sincérité d'expression.

Ils prouvent certes que notre sol est favorable à l'éclosion de l'art et à la conservation respectueuse des chefs-d'œuvre. Mais on aurait tort d'y voir une preuve de la supériorité de notre tendance compréhensive du beau, qui est spéciale mais incomplète.

La Flandre, comme toutes nos provinces, a produit des artistes nombreux et des hommes de vrai talent. Mais aucun n'est arrivé au summum de sa production sans l'exemple ou l'encouragement d'un maître exceptionnel, d'un éducateur de génie, ayant puisé en éclec- tique son miel aux sources étrangères. — 431 —

Est-ce à dire que le génie instinctif ne soit point un don accordé à notre tempérament dépourvu d'idéal ?

Nullement. Mais bien que, jusqu'à notre époque, la situation politique de nos provinces a toujours poussé nos artistes à une espèce de subordination envers l'étranger, tandis que ce dernier venait presque en conquérant profiter des fruits plantureux produits par notre sol.

Il est temps, aujourd'hui, que l'expansion occasionnée par notre régime d'indépendance prouve enfin, en dépit du cosmopolitisme grandissant, que chez nous aussi des maîtres nationaux savent grandir sans rien emprunter à personne.

Edgar Baes.

  1. nos 161 et 680, Musée du Louvre.
  2. No 28, Musée de Dôle.
  3. Galerie Pamfili, No 171.
  4. Hôpital Saint Jean, No 1.
  5. Offices, No 703.
  6. Offices, No 731.