Gómez Arias/Tome 1/00

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Traduction par Mme Ch..
Texte établi par C. Gosselin,  (Tome Premierp. vii-xv).

PRÉFACE.


Que le lecteur ne s’alarme point à ce mot, qui annonce en général qu’un auteur a l’intention d’être aussi égoïste que bavard. Je tâcherai d’éviter du moins ce dernier défaut ; mais j’avoue que je ne prendrai point le masque d’une fausse humilité pour captiver l’indulgence, que je ne parlerai pas de mon talent novice, de mon inexpérience dans la carrière littéraire, en y joignant cette longue suite d’et cœtera avec lesquels un écrivain ouvre en général sa première campagne.

Le public n’a aucun besoin de ces excuses fatigantes, qui ont au moins le tort de n’être pas sincères ; il suffit d’être doué d’une médiocre dose de bon sens pour supposer qu’un auteur ne pense pas un mot des accusations qu’il avance contre lui-même. En publiant un ouvrage, si un auteur pensait que cet ouvrage ne vaut rien, on pourrait le comparer à un père négligent qui abandonne un fils mal élevé au mépris ou à la compassion du monde. Eh ! bon Dieu ! si un homme ne se croyait ni talent, ni instruction, pourquoi donc écrirait-il ? Ayant ainsi renoncé à mes priviléges à l’indulgence, il me reste à dire quelques mots sur l’origine et le but du roman que je publie.

Admirateur enthousiaste du génie profond de sir Walter Scott et des délicieuses compositions de ce grand fondateur de fictions historiques, je me suis souvent étonné, en lisant ses ouvrages, qu’il n’ait jamais choisi l’Espagne pour le théâtre de ses drames animés. On conviendra généralement que l’Espagne est la terre classique de la chevalerie et du roman. La longue domination des Maures, le contraste frappant entre leur religion, leurs mœurs, leurs usages, et ceux des Chrétiens, leurs ennemis ; les différens petits royaumes qui divisaient l’Espagne, les querelles qui en étaient la conséquence ; les intrigues, les batailles, tout concourut à produire une succession de caractères et d’incidens extraordinaires, qui semblaient, combinés pour être illustrés sur la scène ou dans le roman. Cependant, tandis que les traditions et les chroniques moins fertiles de l’Angleterre, de l’Écosse, de l’Irlande et de la France, furent successivement exploitées par l’habile magicien et les plus heureux de ses imitateurs, on semble avoir oublié les productions riches et variées qui composent le trésor national de l’Espagne.

Réfléchissant alors que j’avais, comme tout autre, le droit de piller, en choisissant un sujet convenable, il se trouva que mes intentions furent confirmées par les encouragemens de quelques uns des plus éminens parmi mes compatriotes. Je commençai donc et j’achevai cet ouvrage.

Quant à ce qui regarde le héros, il me serait difficile d’assurer s’il a existé ou non. En dépit de toutes mes recherches, je ne puis citer d’autre autorité que cette comédie si connue du célèbre Calderon de la Barca, intitulée : La Niña de Gómez Arias. Il est probable que Calderon tira le sujet de cette comédie, suivant l’usage adopté dans son temps, d’une légende ou d’une tradition qui n’est point parvenue jusqu’à nous. Que cela soit ou non, il suffit qu’un caractère semblable à Gómez Arias soit malheureusement quelquefois produit par la nature. J’ai tâché néanmoins d’adoucir les nuances du caractère peint dans la comédie, en faisant d’un libertin un ambitieux, cette passion n’étant nullement incompatible avec l’abandon de la morale et le mépris des liens les plus sacrés.

Il existe un point seulement sur lequel je désire appeler l’indulgence de mes lecteurs : cet ouvrage, écrit en anglais par un Espagnol, doit porter les traces de son origine étrangère ; il s’y trouve sans doute des fautes de style et de langage. Puis-je espérer que le public anglais usera envers moi de la même générosité et de la même bienveillance dont il a déjà donné des preuves dans des matières d’une bien plus haute importance, à l’égard de mes malheureux compatriotes ?