Gómez Arias/Tome 2/08

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Traduction par Mme Ch..
Texte établi par C. Gosselin,  (Tome 2p. 168-191).

CHAPITRE VIII.


La cosa más alegre que en la vida
Permite al ser mortal humana gloria,
Es la patria del hombre tan querida
Después de alguna próspera victoria.

Lope de Vega.

Ah ! che per tutto io veggo
Qualche oggetto funesto.

Metastasio.


Les nouveaux succès des Espagnols contre les Maures, et la défaite d’El Feri de Benastepar et de son armée, causèrent la joie la plus vive aux habitans de Grenade. Toute la ville était en mouvement : on rencontrait dans les rues des bandes de musiciens dont les voix harmonieuses se mêlaient au bruit solennel des cloches, aux éclats de rire du peuple ; et tous ces accens de plaisir formaient un bruit des plus agréables.

Ce fut au milieu de toutes ces réjouissances que Theodora entra dans Grenade ; mais elle ne fut pas étonnée de tout ce mouvement, parceque ayant voyagé lentement, elle avait été devancée par la nouvelle de la victoire, et ces scènes bruyantes la tirèrent un peu des sombres pensées dont elle s’était nourrie pendant son voyage. Elle traversa les principales rues de cette ville si ancienne, si renommée, si long-temps le principal théâtre de la grandeur musulmane, et dont maintenant les Chrétiens victorieux étaient les possesseurs paisibles ; et à chaque pas sa curiosité était excitée, ou son cœur ému par quelques unes de ces choses qui doivent nécessairement attirer l’attention d’un étranger lorsqu’il arrive dans une ville arrachée nouvellement au pouvoir d’un ennemi. Partout on rencontrait des restes de la grandeur des Maures, et chaque rue, chaque construction, les pavés mêmes sur lesquels on marchait, tout enfin annonçait hautement la gloire passée et le pouvoir déchu. Une grande partie de la population de la ville était espagnole ; cependant il y avait aussi beaucoup de Maures, et tous conservaient fidèlement leur costume national, qui, par sa grâce et son brillant, formait un contraste frappant avec celui plus mâle et plus sévère des Chrétiens. Enfin ces deux peuples, si différens sous tous les points et toujours ennemis implacables, occupaient les mêmes maisons, parcouraient les rues ensemble, et semblaient unis par la plus sincère amitié.

Sur les tourelles de chaque palais flottaient de brillantes bannières ; chaque balcon était orné de somptueuses draperies, et à chaque fenêtre on voyait des femmes belles et nobles s’amusant des danses des enfans et de la joie du peuple. Les rues offraient le spectacle le plus curieux ; car au milieu de cette foule on distinguait le riche costume du noble, et celui si modeste du paysan ; l’armure brillante et les plumes flottantes du guerrier, près de la robe somptueuse du Musulman ; le vêtement imposant et sombre du dignitaire ecclésiastique, et l’habit grossier, la tête chauve du moine.

Tant de contrastes plongeaient Theodora dans l’étonnement ; mais il y avait dans ce mélange des choses qui intéressaient plus vivement son cœur et son imagination. Elle devinait ceux qui ne partageaient pas sincèrement la gaieté générale, et dont les paroles joyeuses étaient démenties par leur regard triste ou leur front obscurci ; ceux qui s’efforçaient de paraître animés par un plaisir qui était bien loin de leur cœur. Ces gens tristes étaient les Maures ; car quoiqu’ils se fussent soumis aux lois espagnoles, et qu’ils reconnussent le crime de leurs compatriotes, ils n’en étaient pas moins affligés de cette joie causée par la défaite de leurs amis, de leurs frères. En outre, ils étaient déchirés par la honte ; car ils connaissaient le courage supérieur de ceux dont ils étaient en quelque sorte forcés de célébrer la chute. Ils sentaient aussi avec douleur que, bien que traités en compatriotes par les Espagnols, ils ne pouvaient espérer ni l’amitié ni l’estime de ceux qui devaient les regarder toujours comme des ennemis vaincus ; et d’ailleurs cette haine, qui depuis tant de siècles était héréditaire dans le cœur des défenseurs de la croix comme dans celui des serviteurs du croissant, était un obstacle insurmontable pour toute relation amicale entre ces deux peuples. Aussi, tandis que le plaisir semblait régner seul sur Grenade, les Maures étaient en proie aux plus tristes réflexions et à la douleur la plus amère.

Ces malheureux excitaient vivement la pitié de Theodora, quoiqu’ils y eussent peu de droits, et que le souvenir odieux de Cañeri eût pu suffire pour leur fermer son cœur ; mais non : ils étaient abandonnés, opprimés, et à ce titre seul ils étaient sacrés pour son âme généreuse. Cependant elle fut bientôt forcée de reporter ses pensées sur elle-même ; car, en traversant la Plaza Nueva[1], ses yeux s’arrêtèrent sur les Maures qui s’y promenaient, et elle en aperçut un dont l’aspect jeta la terreur au fond de son cœur. C’était Bermudo le Renégat ; elle ne pouvait le méconnaître malgré son déguisement, car la différence de son costume ne pouvait changer l’expression étrange de ses yeux, et cette froideur glaciale empreinte sur tous ses traits. Bientôt, à son tour, elle attira l’attention du Renégat ; elle trembla en voyant qu’il l’avait reconnue, détourna la tête avec effroi, et ne regarda plus autour d’elle qu’avec une crainte involontaire pendant le reste du chemin.

À la fin, Theodora et ses guides arrivèrent au palais de Don Alonzo de Aguilar ; mais ils trouvèrent les plus grandes difficultés pour y pénétrer. Toutes les avenues étaient obstruées par une foule empressée de féliciter la fille du vainqueur, qui parut un instant au balcon, entourée de pages et de galans Chevaliers, et qui agita son mouchoir de soie en signe de remerciement et de reconnaissance pour ces témoignages du respect public. Voyant cette foule, Ramirez prit un chemin détourné pour entrer plus aisément par la porte des jardins, et bientôt Theodora fut introduite dans un somptueux appartement, tandis que son fidèle guide s’occupa de remplir sa mission près de la fille de Aguilar.

Dès qu’elle fut seule, Theodora se sentit agitée par l’espérance et la crainte ; car, si elle n’avait aucun doute sur l’accueil que lui ferait Leonor, elle sentait combien serait pénible et embarrassante pour elle l’explication que devait naturellement lui demander Aguilar lors de son prochain retour. Mais elle fut bientôt tirée de ces tristes réflexions par Ramirez, qui, prenant sa main tremblante, la conduisit à l’appartement particulier de Leonor. Ils traversèrent en silence les spacieux corridors du palais, et avant que Theodora eût eu le temps de rappeler ses esprits troublés, deux portes battantes s’ouvrirent devant elle, et elle se trouva en présence d’une femme, qui parut à l’imagination ardente de Theodora avoir quelque chose de la supériorité d’un être divin.

Leonor s’avança avec grâce vers sa nouvelle connaissance, et voyant son excessive émotion, elle s’efforça de la calmer par les paroles les plus aimables.

— Une aussi charmante personne, dit-elle à Theodora en la conduisant vers un sofa, n’avait pas besoin de la recommandation de mon noble père pour être accueillie avec le plus sincère empressement : mais remettez-vous ; car vous devez avoir besoin de repos après le voyage que vous venez de faire.

Malgré ces paroles rassurantes, Theodora ne pouvait réussir à prononcer quelques mots pour témoigner toute la reconnaissance de son cœur. Il y avait quelque chose dans les manières de Leonor qui augmentait sa timidité naturelle et qui lui inspirait un sentiment indéfinissable de crainte, que ne pouvaient dissiper l’affabilité et la bonté avec lesquelles on l’accueillait. Elle avait été, au premier abord, frappée de la beauté imposante et majestueuse de Leonor, de la richesse éblouissante de sa parure, et son esprit était troublé par tant de grandeur et de magnificence.

À la vérité, Leonor de Aguilar avait été créée par la nature pour produire une impression même sur des personnes bien plus habituées à la grandeur et la puissance que la simple et candide Theodora. Leonor de Aguilar était le modèle de cette beauté qui réunit en même temps les grâces charmantes des femmes, à cette stature imposante, à cette expression remplie d’énergie qui sont les attributs d’un autre sexe. Sa taille élevée mais élégante, ses formes arrondies mais fortement dessinées, offraient une harmonie parfaite. Son teint transparent, mais un peu brun, était animé d’un incarnat brillant, et ses grands yeux noirs lançaient le feu du génie. Des tresses abondantes entouraient et son visage ovale et un nez aquilin d’une admirable proportion ; des lèvres de la couleur du corail ajoutaient encore à l’éclat d’une figure qui avait quelque chose d’éblouissant.

Cependant il y avait de la sévérité dans l’assurance de son regard et dans son sourire ; on eût pu par moment lui reprocher un peu de hauteur, même au milieu de cette affabilité de manières qu’elle possédait si bien ; enfin il y avait dans le ton de sa voix, lors même qu’elle s’exprimait avec déférence ou tendresse, une sorte de vibration qui annonçait le sentiment de sa supériorité. Cependant on aurait pu dire que ces circonstances étaient favorables à sa beauté imposante, et augmentaient l’effet qu’elle ne manquait jamais de produire.

— Mais, dit Leonor, après les premières politesses et lorsqu’elle vit Theodora un peu remise, venez avec moi dans le salon ; plusieurs hommes de la plus haute noblesse y sont réunis ; et je suis persuadée que ces galans Chevaliers me sauront un gré infini de leur amener une aussi charmante société.

— Votre amabilité flatteuse, répondit Theodora, ferait renaître la vanité dans mon cœur, si un tel sentiment pouvait encore y trouver place ; mais hélas ! je suis en ce moment trop tourmentée par de tristes souvenirs pour rechercher le monde, et d’ailleurs je me trouverais perdue au milieu d’une réunion aussi brillante.

— Eh bien ! reprit Leonor, je ne veux rien demander à mon aimable hôtesse, qui puisse contrarier la disposition actuelle de son esprit, mais j’espère que ses chagrins ne sont pas assez profonds pour que la tendresse de ses amis ne puisse les alléger. Cependant puisque vous ne voulez pas prendre part à nos fêtes, vous pourrez du moins de votre appartement en être témoin sans vous déranger. La grande procession va se rendre à la cathédrale pour adresser à Dieu de solennelles actions de grâces sur les succès des armes Chrétiennes. La Reine sortira bientôt de son palais, accompagnée de l’élite des guerriers Espagnols, et de tout ce que Grenade possède de plus brillant et de plus noble. Je vais être obligée, mon aimable amie, ajouta-t-elle avec bonté, de vous quitter pour quelque temps, car il faut absolument que j’accompagne la Reine.

Alors elle choisit deux de ses femmes pour servir sa protégée, et après lui avoir réitéré l’assurance de son amitié, elle se retira, laissant la triste fille de Monteblanco profondément pénétrée de reconnaissance et d’admiration. Après le départ de Leonor, Theodora s’approcha de la fenêtre, pour regarder le mouvement du peuple. Le redoublement de bruit et le son des cloches annonçaient que la procession avait quitté le palais, et s’approchait : bientôt en effet cette somptueuse cavalcade parut, s’avançant lentement. En tête de la procession, on portait une superbe bannière sur laquelle était brodée la croix de San-Iago, patron de l’Espagne, et suivie par les Chevaliers de cet ordre militaire, dans leur costume de grandes cérémonies : après eux venaient ceux de l’ordre de Calatrava, précédés par leur brave et célèbre Grand-Maître. Ensuite arrivaient des gentilshommes et des Chevaliers, tous en costumes militaires, montés sur de superbes chevaux, et portant les dépouilles enlevées aux ennemis dans les derniers combats. Enfin Isabelle parut, se tenant avec aisance et avec grâce sur un superbe palefroi, blanc comme la neige. Immédiatement à sa suite venaient le Comte de Tendilla, et les archevêques de Tolède et de Grenade qui devaient officier à la cathédrale. Au milieu de toute cette splendeur, suivaient des moines de différens ordres, chantant des hymnes pieux au bruit des clairons et des autres instrumens militaires, et brûlant l’encens dont l’agréable parfum montait vers le ciel. Enfin la procession était fermée par une foule nombreuse dont l’émotion attestait le vif intérêt que le peuple prenait à cette cérémonie.

Theodora suivit des yeux la procession jusqu’à ce qu’elle eût disparu, et que le bruit ne fût plus qu’un léger murmure ; cette procession venait d’entrer dans la cathédrale, on y chanta un Te Deum, et mille voix s’unirent aux pieux Prélats pour remercier le Tout-Puissant de la protection qu’il avait accordée au peuple espagnol.

Rentrée dans son appartement, Theodora retomba dans ses sombres pensées, car le brillant spectacle dont elle venait d’être témoin, devait nécessairement rappeler à son imagination l’objet qui lui était le plus cher. Hélas ! parmi tous ces nobles Chevaliers, le plus brave de tous était absent ! et alors l’image de son amant assassiné venait de nouveau répandre la terreur dans son esprit. Les femmes chargées de la servir, ignorant le sujet de sa douleur, s’efforcèrent par cette compassion si naturelle aux femmes, de la distraire dès qu’elles virent couler ses larmes. Pour faire oublier à l’esprit ses chagrins passés, il faut intéresser sa curiosité, plutôt qu’offrir des consolations qui souvent agrandissent la blessure au lieu de la fermer ; elles proposèrent à Theodora de visiter l’intérieur du palais qui était vraiment curieux par son antiquité, et tous les ornemens dont le goût des Maures l’avait décoré. Dans le grand salon surtout, les sculptures gracieuses et bizarres des corniches, les devises et les caractères arabes et les pavés de mosaïque, contrastaient d’une manière singulière avec les armoiries et les armures des Chrétiens.

Theodora promenait des regards indifférens sur tous ces ornemens, mais lorsqu’elle arriva à une immense galerie tout entourée de peintures sur des sujets de l’histoire des Maures et des Chrétiens, elle fut profondément émue et ne regarda qu’avec respect ces images de tant de grandeur passée. Quelques uns de ces tableaux rappelaient la splendeur des Maures ; d’autres, des scènes des histoires chevaleresques et amoureuses du vaillant Gazul et de la tendre Lindaraxa, et de quelques autres personnages hautement vantés dans les légendes maures. À ces scènes d’un genre familier, on en avait mêlé d’autres plus nobles et d’un intérêt plus général. On voyait des batailles, des siéges, les valeureux hauts faits des guerriers musulmans, et l’artiste maure avait eu soin de répandre le plus de brillant possible sur les actions de ses compatriotes, à mesure que son pinceau les retraçait. Après ces tableaux on en admirait d’autres d’un caractère bien différent, dans lesquels l’artiste chrétien s’était ingénieusement emparé de la pensée de son rival et l’avait de beaucoup surpassé par l’expression de fierté indomptable qu’il avait donnée à ses héros.

Venait ensuite une série de portraits de personnages vivans et d’autres morts depuis long-temps. Là Theodora reconnut les nobles traits d’Alonzo de Aguilar, qui, par leur expression imposante loi rappelèrent vivement ceux de Leonor. Plus loin on voyait le célèbre et terrible Ruy Diaz de Vivar, surnommé El Cid Campeador[2] ; monté sur son Babieca, ce coursier presque aussi célèbre que son maître, et tous deux engagés dans un combat contre les Maures ; car la tradition raconte que cet animal avait un tel instinct d’horreur pour les infidèles, qu’il ne manquait jamais de combattre les ennemis du mieux qu’il lui était possible, avec ses pieds et ses dents. Theodora vit aussi la figure imposante et vénérée de l’Apôtre San-Iago parcourant les airs sur son cheval blanc et faisant en même temps ces miracles étonnans qui remplissent tant de pages des vieilles légendes et dont les romanciers ont tiré un si riche parti. Enfin elle vit les portraits de Ferdinand le Catholique et de sa noble épouse Isabelle, ainsi que ceux de beaucoup d’autres souverains et guerriers Chrétiens qui avaient joué un grand rôle dans l’histoire de leur patrie.

Theodora était enfin arrivée presque au bout de la galerie, et elle allait retourner sur ses pas, lorsque ses yeux se portèrent tout-à-coup sur un portrait qui la fit tressaillir. C’était bien lui qu’elle voyait ; et tous ses traits étaient imités avec une telle fidélité que la toile semblait animée. C’était Gómez Arias ; sa contenance hardie, son fier sourire, son regard expressif, tout était parfaitement rappelé dans cette copie inanimée de la réalité. Theodora le regardait avec une telle attention que ses yeux en furent éblouis ; elle ne pouvait s’arracher de cette place, et elle éprouvait un triste plaisir à contempler ces beaux traits ; elle retrouvait dans ce portrait si parfait toutes les grâces de son amant ; enfin son imagination ardente lui rendit la vie, le sentiment ; elle s’imagina voir celui qu’elle adorait la regarder avec tendresse, et elle ressentit encore une partie de ce bonheur qu’il lui donnait toujours lorsqu’il lui répétait avec ardeur le serment de l’aimer à jamais.

Theodora resta quelque temps plongée dans ce conflit d’émotions tristes et en même temps agréables, et le souvenir du passé lui faisait presque oublier l’horrible sort de Gómez Arias. Elle le regardait avec enthousiasme, et elle était heureuse : mais hélas ! elle ne pouvait être que bien courte, cette illusion qui, une fois détruite, devait la plonger dans une affliction plus profonde ! Bientôt en effet le son de la grosse cloche de la cathédrale rompit le charme ; Theodora sortit de sa rêverie, et ne vit plus autour d’elle qu’un chaos de malheurs et de chagrins.

Le bruit des cloches et le son des instrumens qu’on entendit alors plus distinctement annonçaient que la procession revenait de l’Église. Theodora, voulant cacher la cause de son émotion, rentra dans son appartement, et s’efforça de se calmer autant que le permettait le trouble qu’elle venait d’éprouver ; bientôt elle y fut rejointe par l’aimable Leonor, qui lui dit en entrant :

— Puisque je n’ai pu obtenir de vous d’embellir la procession par votre présence, j’espère que du moins vous me ferez le plaisir de paraître au dîner.

— Permettez-moi, reprit Theodora, d’avoir encore recours à votre aimable indulgence, pour vous prier de m’en dispenser. Hélas ! je ne suis pas en état de jouir des fêtes, et ma présence ne ferait qu’y répandre la tristesse.

Leonor connaissait parfaitement le cœur humain, et avait une extrême finesse de discernement ; elle pensa donc avec raison qu’elle réussirait mieux à consoler Theodora en cédant à ses désirs, qu’en la forçant à se mêler à une gaieté que son cœur ne partageait pas ; elle consentit donc à ce que Theodora restât dans son appartement, et elle la quitta. La fille de Monteblanco passa le reste du jour à se nourrir de ses tristes pensées, et à se fatiguer l’imagination en cherchant quelle conduite elle devait suivre dans une position aussi embarrassante. Son cœur malheureux pensait à la maison paternelle ; et l’idée de se retrouver aux lieux de son enfance lui fit oublier quelques instans le sentiment de sa faute. Son père ne repousserait pas sa fille affligée et repentante ; elle l’avait grandement offensé ; mais le souvenir de l’offense ne serait pas plus puissant que l’amour paternel, que cette tendresse extrême qu’il avait toujours témoignée au dernier gage de l’amour de sa mère, au seul rejeton de son ancienne famille.

Le cœur de Theodora se sentit soulagé par ces réflexions consolantes ; elle sortit de son abattement avec la ferme résolution de faire part de ses désirs à son généreux bienfaiteur dès son arrivée, et de lui demander de la conduire lui-même aux pieds de son père.


  1. La nouvelle place.
  2. L’art de la peinture venait de renaître à l’époque où se passe la scène de ce roman, et je sens bien que quelques personnes scrupuleuses me blâmeront d’avoir parlé d’une galerie de tableaux avec autant de confiance que si j’écrivais un roman sur notre siècle. Cependant ce qui peut paraître un anachronisme n’en est pas un. Certainement les Maures ne peuvent pas se vanter d’avoir eu un Raphaël ou un Titien ; mais cependant ils se sont exercés dans cet art, et même, selon quelques auteurs, ils ont excellé dans la peinture du portrait. Je n’ai pas la prétention de soutenir que les artistes maures ou chrétiens fussent arrivés à quelque supériorité à cette époque ; il me suffit qu’il existât alors des peintres. C’est à l’imagination à créer le reste.
    Note de l’auteur.