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Gómez Arias/Tome 3/07

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Traduction par Mme Ch..
Texte établi par C. Gosselin,  (Tome Troisièmep. 134-157).

CHAPITRE VII.


Per gli antri, et per le selve ognun traca
Allor la vita, nè fra setà, o lane
Le sue ruvide membra raccoglica.

Metastasio.


El Cerro de los Martires [1], situé à peu de distance de Grenade et sur lequel la tradition raconte les histoires les plus effrayantes, est un endroit où se trouvent beaucoup de souterrains, de profondes cavernes, dans lesquelles on prétend que les Maures, à une époque reculée, enfermaient les Chrétiens qui devenaient leurs prisonniers et qui y subissaient d’affreux tourmens. Mais les vicissitudes de la fortune avaient ensuite transformé ces sortes de citadelles en des retraites sûres pour les Maures déchus et dispersés. Plusieurs cependant avaient été découvertes par le zèle infatigable des Espagnols, ou dénoncées par la trahison de quelques vils Maures ; mais il en existait encore quelques autres, qui, connues seulement par les Maures les plus dévoués, déjouaient toute recherche et étaient à l’abri de toute attaque.

C’était dans ces habitations souterraines que s’étaient réfugiés les débris de l’armée de Cañeri, tandis que quelques uns du parti plus fort de El Feri de Benastepar étaient rentrés à Grenade, et y avaient trouvé abri et protection de la part de leurs compatriotes, malgré les lois sévères rendues par la Reine, et les punitions infligées à ceux qui les auraient violées.

Ainsi l’esprit de rébellion qui semblait étouffé ne l’était réellement pas entièrement : semblable au feu qui couve en secret sous la cendre, et qui, pour brûler de nouveau, n’a besoin que d’être remué par une main habile. Mais le manque d’union parmi les Maures et la dispersion générale résultant de la destruction de leur dernière ville, semblaient un obstacle insurmontable pour organiser une seconde révolte. En outre, la mort de El Feri avait plongé dans la consternation ses fidèles serviteurs, et il ne se trouvait pas un Maure doué d’assez de talent ou de force de caractère pour le remplacer.

Tel était l’état des choses, lorsqu’à la fin d’un jour d’été, trois hommes suivaient avec précaution le chemin conduisant vers el Cerro de los Martires. Les formes robustes et la physionomie basse de celui qui semblait servir de guide, faisaient aisément reconnaître Bermudo, le Renégat ; les deux autres étaient des étrangers et semblaient déguisés. Ils avancèrent lentement, et soigneusement jusqu’à ce qu’ils eussent atteint un endroit couvert de ronces et entouré d’arbres élevés étendant au loin leurs branchages et dont le feuillage épais interceptait la lumière du jour. Ils pénétrèrent, dans le milieu de cette solitude, et à un signe du Renégat le buisson s’ébranla et laissa voir l’ouverture jusque là cachée d’un profond passage souterrain, dans lequel entrèrent avec leur guide les deux hommes dont nous venons de parler, et qui étaient des Maures. Après être descendus pendant quelques minutes, ils arrivèrent à une vaste salle taillée dans le roc, éclairée par une seule lampe qui ne donnait de clarté que pour rendre l’obscurité plus effrayante et pour laisser entrevoir des figures naturellement laides, et rendues hideuses par le besoin et l’épuisement. Une douzaine d’hommes et deux ou trois femmes se reposaient dans les coins de cette caverne ; leurs vêtemens étaient déchirés et leurs traits portaient l’empreinte du désespoir.

Une des extrémités de la salle était un peu plus élevée, et là, sur les débris d’un vieux tapis, était couché un homme de meilleure mine et dont la toilette n’était pas endommagée comme celle de ses compagnons. On pense bien que c’était le chef de cette bande qui, jugée sur les apparences, pouvait aisément passer pour une bande de voleurs déterminés. Mais il est rare qu’aux environs d’une ville grande et riche les voleurs soient dans un tel état de dénuement ; et s’ils eussent été tels qu’on pouvait le supposer, un témoin se serait demandé ce qui pouvait les engager à continuer un métier si misérable.

Aussitôt que le Renégat et ses deux compagnons entrèrent dans ce lieu de tristesse, toutes ces figures lugubres se mirent en mouvement, parceque le Renégat et l’un de ses compagnons apportaient quelques provisions ; l’autre, s’étant arrêté, regardait avec la plus profonde attention le spectacle qui s’offrait à ses yeux.

— Alagraf, Malique ! s’écria le chef dont nous avons déjà parlé, quel est cet étranger ?

— Ne crains rien, Cañeri, dit tout bas le Renégat, c’est un ami ; peut-être même le compagnon le plus dévoué, le plus brave soutien des Maures dans la position actuelle.

— Certes, reprit Cañeri d’un ton de dignité offensée, à en juger par sa contenance fière en ma présence, et si ses vêtemens n’étaient pas aussi misérables, on pourrait penser que c’est un personnage important.

L’étranger se contenta, pour toute réponse, de jeter un regard de pitié et de mépris sur le puissant chef de la caverne. Mais celui-ci fut interrompu dans ses questions sur un homme qui paraissait peu disposé à le traiter avec respect, par la voix aigre et désagréable de Marien Rufa, qui faisait pleuvoir des coups sur la tête de son époux Aboukar. Autant qu’on en pouvait juger dans cette confusion, le sujet de la querelle étaient quelques provisions dont le prévoyant Aboukar, en sa qualité d’ex-maître-d’hôtel, prétendait devoir faire la distribution : d’après cela, secundùm artem, il avait commencé l’exercice de ses fonctions en cachant pour lui une partie desdites provisions, avant d’en servir à Cañeri et d’en donner à sa suite affamée. Marien Rufa s’était aperçue du vol, mais on ne peut expliquer ce qui avait pu porter cette femme à une conduite aussi dénuée de toute tendresse conjugale, que celle de dénoncer son mari. Une âme élevée et indulgente pourra croire que c’était un noble attachement à la pureté de caractère de son mari ; mais d’autres, aux vues moins nobles, soupçonneront avec raison peut-être, que cette méchante femme était poussée par un motif beaucoup moins honorable. Il était du moins un fait certain, c’est que Marien Rufa et son Aboukar se détestaient aussi sincèrement qu’ils s’étaient autrefois aimés : ce phénomène curieux n’est pas assez rare dans le mariage pour nécessiter quelques recherches particulières sur sa nature et son origine.

Connaissant assez le caractère des parties belligérantes pour craindre que la querelle ne devînt des plus vives, Cañeri, aussitôt qu’il aperçut le trouble, se leva, montrant par là son excessif mécontentement, et s’écria avec force :

— Silence ! Que signifie ce bruit ? Esclaves, est-ce donc ainsi que vous respectez votre chef ? Expliquez-vous ; quelle est la cause de cette conduite inconvenante ?

Aussitôt que Cañeri eut prononcé les mots : expliquez-vous ; Marien Rufa, confiante dans son talent oratoire, commença d’une voix criarde :

— Que votre Grandeur daigne m’écouter ; la cause de…

— Tais-toi, tais-toi ! s’écria Cañeri ; je ne te demande pas d’explications ; alors il se retourna pour interroger Malique, qui raconta en peu de mots la conduite de Marien Rufa et l’accusation qui pesait sur Aboukar. Alors, après avoir réfléchi quelque temps et s’être frappé le front comme pour en tirer quelque idée lumineuse, Cañeri s’écria :

— Malique, apportez ici le sujet de la contestation.

On plaça aussitôt les provisions devant le chef, et après avoir fait sa part, le sage prononça le jugement suivant :

— Tenez, Malique, distribuez le reste des provisions, mais ne donnez rien au coupable et à son accusatrice.

Cette justice rétributive fut hautement approuvée par toute la bande dont les regards annonçaient la haute estime qu’elle avait toujours pour la sagesse du chef, et que leur faim dévorante leur faisait encore plus admirer. Le nouveau venu et le Renégat avaient été témoins silencieux de toute cette scène, mais ils ne pouvaient cacher leur mépris pour l’état d’abjection de leurs compagnons et pour la vaine importance avec laquelle agissait Cañeri.

Ayant rétabli la paix par sa sage intervention, Caneri dit à Alagraf : — Maintenant, apprends-moi quelles nouvelles tu apportes de Grenade. Tes espérances se sont-elles réalisées ? mes vœux seront-ils satisfaits ? as-tu fait quelques nouvelles démarches à l’égard de Theodora ?

— Je n’ai pas perdu mon temps, répondit le Renégat avec humeur.

— Je crains bien cependant, reprit Cañeri, que nos espérances mutuelles ne soient renversées.

— Non, Cañeri, répondit Bermudo, mais ce n’est pas le moment de parler de cela ; nous devons nous occuper d’abord d’une affaire bien plus importante.

— Par le Saint Prophète ! s’écria Cañeri offensé, j’aurais cru qu’une affaire à laquelle je m’intéresse méritait qu’on s’en occupât d’abord. Allons, ajouta-t-il avec impatience, parle-moi de ce qui m’occupe sans cesse.

— Maure, reprit le Renégat irrité, tu oublies donc que je ne suis pas ton esclave ? non, je le jure par mon épée, je ne m’expliquerai crue lorsque je le jugerai à propos.

Un tel acte d’insubordination rendit Cañeri muet de colère ; il regarda ses gens comme pour leur demander de punir l’insolence du Renégat ; mais quoique les Maures eussent été consternés d’une telle hardiesse, pas un n’osa se remuer, tant ils étaient intimidés par l’air calme avec lequel le Renégat promenait ses yeux sur eux.

— Alagraf, dit Cañeri dissimulant son indignation, doit-on mépriser ouvertement mes ordres devant mon peuple ?

— Cañeri, répondit le Renégat avec fermeté, vous me poussez à bout et devriez me connaître mieux.

Le mécontentement s’emparant de la troupe, elle était au moment de tomber sur le Renégat, lorsque tout-à-coup ce mouvement fut réprimé par le Maure étranger, qui, s’avançant vers elle, d’un air menaçant, s’écria :

— Arrêtez, vils esclaves !

— Et qui es-tu, demanda Cañeri tremblant de rage, pour oser commander en ma présence ?

— Cañeri, répondit l’étranger fièrement, je te suis supérieur en tout, excepté en vices.

— Saisissez ce misérable ! sécria Cañeri.

— N’avancez pas ! s’écria Malique, n’approchez pas cet étranger. Puis s’adressant au chef irrité — : Très-puissant Cañeri, ce Maure a été confié à nos soins par notre riche frère Mohabed Alhamdem de Grenade, qui nous a ordonné de l’amener ici ; il a d’importantes communications à te faire, et s’il faut en croire Mohabed, c’est de cet étranger seul que les Maures peuvent espérer leur indépendance.

— Quel est donc cet homme puissant ? demanda Cañeri avec mépris.

— C’est ce qu’il vous dira lui-même, répondit le Renégat. Cañeri, pourquoi ai-je été insulté lorsque je ne parlais que dans l’intérêt de la cause des Maures à laquelle vous savez que je suis tout dévoué ? Mais oublions cela ; je ne suis pas un enfant, et ne veux pas me quereller avec mes compagnons sur un mot échappé involontairement. Puis tendant la main en signe de réconciliation, il ajouta : — Si je ne suis pas trompé par des apparences ressemblant beaucoup à la certitude, Theodora sera bientôt à vous.

— Est-il vrai ? s’écria Cañeri ; et quand ?

— Cette nuit ou jamais, répondit Bermudo.

— Je vous raconterai bientôt toutes les particularités de mon traité ; mais il faut en ce moment examiner sur quelles ressources nous pouvons compter pour ranimer l’insurrection.

— Des ressources ! répéta Cañeri ; il n’en est plus. Le petit nombre d’hommes qui existent encore est dispersé et accablé par tous les maux imaginables ; presque tous nos chefs sont morts ou passés en Afrique, et le seul homme qui eût le pouvoir de rallier nos soldats, de rendre du courage à ses compagnons, El Feri de Benastepar n’est plus : renversé par Aguilar, il est du nombre des braves qui ont mêlé leur sang aux cendres de Alhacen.

— El Feri de Benastepar n’est pas mort, reprit le Renégat.

Ces mots frappèrent d’étonnement Cañeri et sa troupe ; rendus tout-à-coup au courage, ils s’écrièrent tous avec joie :

— Où est donc notre chef ?

— Le voilà ! dit Bermudo en leur montrant l’étranger.

— Oui, dit celui-ci, rejetant son déguisement ; oui, Cañeri, reconnaissez El Feri sous cet humble costume que la nécessité m’avait forcé de prendre ; j’ai été frappé par Alonzo de Aguilar, mais j’ai échappé miraculeusement à la mort, pour rendre au nom Maure toute sa gloire éclipsée ; je combattrai de nouveau cet orgueilleux chef Chrétien, et avec le secours du Saint Prophète, je lui ferai mordre la poussière.

Un murmure d’approbation se fit entendre dans l’assemblée ; Cañeri lui-même, quoique jaloux de la supériorité de puissance et de gloire de El Feri, éprouva une véritable satisfaction à le féliciter sur son retour si inespéré : Cañeri se voyait déjà rentré en possession de ce rang élevé dont il avait été renversé par la dernière défaite des Maures ; il se flattait que la cause Musulmane triompherait enfin, et que nécessairement il obtiendrait une portion de pouvoir auquel il prouvait que sa haute naissance lui donnait droit de prétendre.

Ainsi quelques instans avaient suffi pour que ces Maures, que nous avons vus plongés dans la plus profonde consternation, passassent à un excès contraire. Leur imagination leur retraçait les talens étonnans de El Feri, l’influence magique de son nom pour rappeler leurs compatriotes aux combats : la soif de la vengeance les aveuglait sur les obstacles infinis qui accompagnaient une telle entreprise.

Cette émotion générale causa plus de mécontentement que de joie au Renégat ; il sentait que l’on ne pouvait que peu compter sur des hommes qui passaient si aisément du désespoir le plus grand à une confiance excessive ; car un homme doué comme lui des passions les plus fortes, et habitué à en surveiller les progrès, devait nécessairement trouver qu’une transition aussi subite trahissait une faiblesse absolument incompatible avec toute entreprise hardie.

— Dis-nous, reprit Cañeri s’adressant à El Feri, comment ta précieuse vie a-t-elle été sauvée ?

— Lorsque je fus renversé par Aguilar, ma chute fut occasionée par les fatigues excessives que j’avais endurées depuis plusieurs jours, plutôt que par les blessures que j’avais reçues, car elles n’étaient pas mortelles. Je restai sans secours étendu sur la terre, pensant à ma patrie, et gémissant de ce que ma vie qui aurait pu la servir encore long-temps, allait bientôt, hélas ! être terminée sur un bûcher. La ville fut abandonnée, — et bientôt je n’entendis plus que le pétillement des flammes et les gémissemens de ceux qui expiraient autour de moi. Nos ennemis s’étant éloignés, je rassemblai le peu de forces qui me restait, pour me tirer de ce lieu de douleur. J’y parvins enfin avec peine et je tombai épuisé au pied d’un arbre ; privé de tout secours, je n’aurais pas tardé à y rendre le dernier soupir, lorsque j’aperçus avec joie deux ou trois de nos partisans échappés au désastre et s’avançant vers moi : cette vue me rendit l’espérance qui m’avait abandonné. Mes libérateurs me conduisirent dans un lieu sûr et m’y prodiguèrent tous les secours qui étaient en leur pouvoir. Je me rendis déguisé à Grenade, aussitôt que mes forces me le permirent, et là nous nous fîmes connaître à Mohabed Alhamdem ; c’est chez lui qu’ont été concertés les plans d’une nouvelle attaque, et je viens vous demander de nous aider dans cette entreprise.

— Noble et cher compagnon, répondit Cañeri, après la joie que me cause votre retour, rien ne pouvait me faire plus de plaisir que votre proposition. Je suis heureux que, malgré nos petits différens, vous ayez pensé à moi dans ce moment important : disposez librement de moi et de tous les miens.

En prononçant ces mots avec cette dignité affectée qui lui était ordinaire, il jeta un regard sur ses serviteurs intimidés, et tous inclinèrent la tête en signe d’obéissance.

— Est-ce là tous ceux que tu peux commander ? demanda El Feri.

— Non, ce n’est pas tout ; je puis en un instant rassembler un nombre considérable d’hommes qui, par prudence, et pour mieux éviter toute observation, sont divisés en petites troupes. Ils sont cachés dans des caves voisines, et seront prêts à m’obéir au premier avis que je leur en donnerai. Mais quels sont tes projets, mon noble ami ? veux-tu surprendre quelque fort ? ou médites-tu une seconde expédition sur la Sierra Nevada ?

— Ni l’un ni l’autre ; j’ai complètement changé mes plans ; je veux maintenant frapper loin de Grenade : mais bientôt je t’en dirai plus long. Es-tu bien décidé à me seconder ?

— Oui, répondit Cañeri en s’inclinant ; au nom du Saint Prophète, je jure de t’obéir.

— C’est bien, dit El Feri, satisfait ; je pars cette nuit pour la Sierra Bermeja, accompagné seulement par Mohabed et un domestique : ce riche Maure a embrassé notre cause avec enthousiasme ; et plusieurs de ses amis, ne voulant pas risquer leur vie pour nous servir, nous aident généreusement avec leur or. Pour toi, Cañeri, ne perds pas de temps ici ; marche en toute hâte vers Alhaurin ; tu t’empareras aisément de cette ville négligée par les Chrétiens, et elle servira de point de ralliement à tous ceux qui voudront venir se ranger sous notre étendard. Je suis certain que les habitans de la Sierra Bermeja sont prêts à se joindre à moi ; — et tandis que les fiers Espagnols se réjouissent en toute sécurité de leur triomphe et de la mort supposée de El Feri, il rompra tout-à-coup le charme, et forcera ses ennemis à sentir les effets de sa colère et de sa vengeance. Maintenant, Cañeri, souvenez-vous que nous ne devons employer pour correspondre ensemble que les seuls Alagraf et Malique : à présent, rendez-vous à votre poste, et attendez-y de nouveaux ordres de moi. Adieu ! et puisse la victoire, lorsque nous nous reverrons, avoir récompensé nos efforts !

Il dit : et après avoir affectueusement pris congé l’un de l’autre, El Feri retourna aussitôt à Grenade ; et Cañeri ne pouvant contenir sa joie, parcourut la caverne comme s’il était déjà rentré en possession de son palais à Alhacen.

— Allons, mes braves serviteurs, s’écria-t-il tout-à-coup ! soyez prêts à partir au premier moment.

Un tel avertissement était bien inutile ; car ses gens, n’ayant à se charger de nuls autres bagages que les misérables vêtemens qui les couvraient, n’avaient qu’à se lever et marcher.

— Alagraf, s’écria Cañeri, au milieu de sa joie, comment pourras-tu exécuter ta promesse à l’égard de la belle Chrétienne, si nous partons tout de suite ?

— Ne craignez rien, reprit le Renégat, je vous ai dit que Theodora serait à vous cette nuit ou jamais.

— Ou jamais ! répéta Cañeri avec une horrible expression de physionomie, ou jamais ! — Mais nous avons encore quelque temps à rester ici, et une telle perfection vaut bien la peine d’être attendue.

— Le moment approche, reprit le Renégat ; dans moins d’une heure minuit sonnera. — J’ai lieu d’espérer que bientôt Theodora sera en votre puissance, et qu’alors je pourrai accomplir mon projet de vengeance.


  1. Le mont des Martyrs fut ainsi nommé à cause des supplices que les Maures y firent endurer, dit-on, aux Chrétiens qui tombaient en leur pouvoir, et la Reine Isabelle y fit ériger une chapelle qui devint un lieu de pèlerinage.