Gabrielle d’Annuzio romancier

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Gabrielle d’Annuzio romancier
Revue des Deux Mondes5e période, tome 38 (p. 838-861).
GABRIELE D’ANNUNZIO
ROMANCIER

Victor Hugo mourant disait : « Il est temps de désencombrer mon siècle. »

M. Gabriele d’Annunzio a voulu occuper de soi le temps où il vit. Il a pris la peine de guider, en ce qui le concerne, toute incertitude de la critique :


Mes romans, écrit-il (1906) ont été jusqu’ici la représentation de mon « moi » : ce sont presque des pages autobiographiques dans lesquelles j’ai infusé la torture intime de mon esprit, les oscillations douloureuses de mon âme, le terrible tourment de mon intelligence et de mon cœur stupéfait devant les mystères, les phénomènes les plus troubles et les plus ardens du plaisir, de l’amour, de la volupté et de la mort...


Après une profession de foi si nette, le lecteur des romans de M. d’Annunzio se sent suffisamment autorisé à lever les masques légers de ses héros André Sperelli, Tullio Hermil, Georges Aurispa, Cantelma, Effrena, — pour dégager de la diversité de leurs expressions le visage de M. Gabriele d’Annunzio lui-même. Ce portrait est intéressant à tracer. Aussi bien cet écrivain apparaît-il, aux confins du XIXe et du XXe siècle, comme une des personnalités les plus caractéristiques dans lesquelles l’Italie contemporaine exprime, sur le fond de son tempérament atavique, les reliefs momentanés de sa sensibilité et de son intellectualité.


I

La lecture des romans de M. Gabriele d’Annunzio et la connaissance que l’on a par lui-même des épisodes de sa vie, le montrent doué de deux puissances qui voisinent rarement avec une telle intensité : c’est, d’abord, cette disposition féminine de l’esprit qu’est l’aptitude à recevoir des sensations ; c’est, ensuite, une puissance à se renouveler perpétuellement qui est un signe supérieur de virilité intellectuelle. La première fois que, encore écolier, M. d’Annunzio lit les poèmes de Carducci, il devient un autre homme : « Pendant des jours, » écrit-il, « je dévorai ces pages avec une excitation étrange et fébrile... » Après de telles lectures, l’adolescent se sent « une âme renouvelée. »

D’ailleurs, ce goût spirituel des choses de l’art est déjà lié chez lui à une ardeur toute physique, qui lui donne les apparences d’un jeune faune. Les lecteurs du Feu se souviennent certainement de cette page où Stelio Effrena, égaré avec Perdita dans le « labyrinthe, » se glisse dans le buisson :


... Sous ses genoux, il sentait les feuilles mortes, la mousse molle, et comme il respirait parmi les branches, il palpitait au milieu d’elles et avait tous les sens excités par ce plaisir. La communion de sa vie avec la vie végétale se lit plus étroite... Il se transfigurait, selon les instincts de son sang, en une forme ambiguë, moitié animale et moitié divine, en génie agreste, dont la gorge était gonflée des mêmes glandes qui pendent au cou des chèvres... Alors il désira une créature qui lui ressemblerait, une proie à capturer, une violence à accomplir... Donatella, aux reins arqués, lui apparut.


Tel est le vertige de l’écrivain.

De même, dans l’Enfant de volupté, Sperelli, placé en face de la duchesse Elena Muti, remarque que sa voix insinuante « donne presque la sensation d’une caresse charnelle. » Certains de ses regards exhalent un « charme trop aphrodisiaque. » Par instans, sous les yeux de tous, « cette femme a un mouvement, une expression qui, dans l’alcôve, ferait frissonner un amant. »

En lyrique qu’il est, l’écrivain ne peut imaginer que les autres hommes ne partagent pas sa façon de sentir, — cette secrète morsure, qui, à la vue de certaines femmes, lui, le tenaille :

Quiconque la regardait, écrit-il, pouvait lui dérober une étincelle de plaisir... L’air qu’elle respirait était toujours embrasé des désirs suscités autour d’elle.


Telle apparaît, encore dans Episcopo et Cie, cette Ginevra qui porte sur elle toutes les séductions positives de la féminilité :


Des hommes se retournèrent deux ou trois fois pour la regarder, et ils avaient dans les yeux le même éclair. Il me semblait que tout le monde convoitait cette femme, jugeait facile de l’obtenir, et avait la même image impure fixée dans le cerveau...


Cette image hante l’écrivain en présence de l’éternel féminin. D’autre part, il a fait dans ses romans, — voire dans sa poésie, — une place trop importante à la physiologie pour ignorer qu’une disposition aussi exclusivement physique aurait pu conduire Aurispa, Hermil, Cantelmo, Effrena, Sperelli, au cabanon, si des excitations intellectuelles intenses n’avaient correspondu chez eux à ces mouvemens irrésistibles du désir. Or, si Dante a pu distinguer chez certaines femmes italiennes cette « intelligente compréhension de l’amour » (intelletto d’amore) qui fait d’elles les compagnes idéales de quelques hommes supérieurs, combien plus encore cette spiritualité apparaît-elle toujours présente, toujours dominante, chez les héros favoris de M. d’Annunzio et dans les convulsions mêmes du plaisir. Ils ont le don d’aimer tout ensemble avec les sens, avec le cœur, avec le rêve, tant que leur passion dure, avec un égoïsme qui, momentanément, les met au-dessus de la loi, de toutes les lois.

Cette ardeur, où toute bassesse se transfigure, revêt dans l’œuvre de M. d’Annunzio un caractère qui est, on ne saurait trop y insister, profondément italien : et c’est l’amour de la beauté.


Dans le tumulte des inclinations contradictoires[1], Sperelli avait perdu toute volonté et toute moralité. La volonté, en abdiquant, avait cédé le sceptre aux instincts, le sens esthétique s’était substitué au sens moral. Mais ce sens esthétique très subtil, très puissant, toujours actif, maintenait dans l’esprit de Sperelli un certain équilibre. Les intellectuels élevés comme lui dans le culte de la Beauté conservent toujours, même dans leurs pires dépravations, une espèce d’ordre. La conception de la Beauté est l’axe de leur être intime : toutes les passions gravitent autour de cet axe-là.


Sans doute, pour atteindre un tel idéal, on est exposé à écraser quelque peu les autres sur son chemin : « ... Détruire pour posséder, il n’y a pas d’autre moyen, pour celui qui cherche dans l’amour, l’absolu... » À cette maxime, Sperelli en ajoute une autre : « ... Deux conditions sont indispensables à qui veut devenir un véritable dominateur : il lui faut le sentiment impeccable de l’art, et la conquête de toutes les dames romaines. »

De tels passages ont induit des critiques à insinuer qu’au bout du compte, l’idéal de M. Gabriele d’Annunzio et de Sperelli n’est que celui de feu Don Juan : « ... Cet homme, a dit M. de Vogue, nous le connaissons depuis longtemps, un certain Tirso de Molina, en religion Fray Gabriel Tellez, le découvrit un jour, dans Séville. »

Le personnage d’Aurispa dit, il est vrai, au bas d’une page du Triomphe de la Mort :


Je sais que l’amour est la plus grande des tristesses, parce qu’il est l’effort suprême que l’homme tente pour échapper à la solitude de son être intérieur, — effort inutile comme tous les autres.


Mais ceci est, dans l’œuvre de d’Annunzio, un cri presque isolé de découragement. Celui que M. de Vogüé[2] a appelé « un débauché qui reste toujours un amateur d’art, » cherche, sincèrement, non pas comme Don Juan, un bonheur impossible, ou, comme un faune mythologique, le rassasiement de ses sens, mais « la Beauté, » à travers tous les amours pour lesquels il se passionne, et dont il se détache quand il lui semble avoir recueilli la parcelle d’or qui était mêlée au sable. L’écolier qui ouvrit les Odes de Carducci parce qu’elles se présentaient enveloppées avec grâce dans le charme du format, le caractère élégant de l’elzévir, et la caresse des beaux papiers, est indissolublement lié à l’esthète qui, séduit par la beauté des « dames romaines, » se penche sur l’amour qu’elles lui donnent pour y découvrir l’absolu qu’elles enferment, exprimer l’idéal de ces âmes, puis les rejeter à l’oubli, comme de beaux fruits pressés.

Nous vivons dans un âge assagi, où les choses sont jugées au point de vue de la décence extérieure. C’est dire que les sincères audaces de M. Gabriele d’Annunzio ne pouvaient être admises par tous. Aussi rêve-t-il d’un temps où il aurait été mieux compris de l’élite et de la foule. Son idéal est de se faire le contemporain des grands seigneurs lettrés, des artistes, des fameuses courtisanes que la Renaissance italienne a connus. Et de même que, en face du trouble de ses sens, il prête à tous les hommes les émotions physiques qu’Elena Muti ou Ginevra causent à Sperelli ou à Episcopo, il demeure intimement persuadé que, avec lui, le XXe siècle attend, souhaite le retour des mœurs de la Renaissance. Il ne doute pas que cette résurrection, il la verra :


La nouvelle Renaissance[3] aura en commun avec la Renaissance précédente les caractères que celle-ci avait elle-même avec la période hellénique de l’art, avec l’ère merveilleuse de Phidias, d’Apelle, de Sophocle et de Platon. Tous deux, — ces printemps de l’esprit humain, — tirent leur extraordinaire vigueur d’une source unique : les sentimens de l’énergie et de la puissance, poussés au plus haut degré. Tous deux signifient la plus superbe affirmation de la vie... Aujourd’hui, la conception de la vie, grâce à la science, est rétablie saine et entière. Nous tendons, par l’ascension continue vers l’idée pure, vers l’harmonie de l’homme avec l’univers. La splendeur d’une telle idée ne rayonne-t-elle pas de l’art que nous ont légué la Grèce antique, et la Renaissance italienne ? Cet art glorifie, au-dessus de toutes choses, la beauté et la puissance de l’homme, lutteur et dominateur : la nouvelle Renaissance devra donc commencer par rétablir le culte de l’Homme.


Quelle que soit la passion que M. Gabriel d’Annunzio professe ici pour cette Beauté et cet Idéal « grecs, » — dans la pratique des faits, il se révèle non pas Grec, mais Romain, pour aimer la Beauté. Le rêve grec est une merveilleuse harmonie entre ces deux puissances humaines que l’on continue de nommer, — faute de mots plus clairs, — âme et corps, A Athènes, sous les formes de marbre, c’est « l’Idée » qui transparaît.

L’Italie romaine, aussi bien que l’Italie de la Renaissance, n’a jamais été aussi idéaliste. Elle a porté, dans le culte de la Beauté, comme en toutes choses, le sens précis qu’elle a du « réel. » Elle s’est enfoncée plus profondément dans la matière ; elle a copié les Grecs en donnant surtout de l’importance au « corps, » qui exalte la Beauté par la Volupté.

M. Gabriele d’Annunzio aborde donc en voluptueux, et non pas en impassible, l’étude de l’humanité et du monde.


II

Comme un homme s’alcoolise davantage d’une année à l’autre, par l’abus des essences vénéneuses, de même, d’une œuvre à l’autre, la volupté de M. d’Annunzio se fait secrètement plus triste. Dans l’Intrus, le romancier est plus mélancolique que dans l’Enfant de volupté. A mesure que ses facultés de sentir et de comprendre se développent, sa tristesse augmente. Ce n’est point remords d’avoir, au carrefour de Pythagore, choisi la route du plaisir : M. d’Annunzio est sincèrement le païen qui, du seuil de quelque temple de Vénus, a anathématisé la Rome chrétienne. Les angoisses morales du roman russe ne le touchent, chemin faisant, que parce qu’elles apportent une alternance aux lassitudes de son désir. Le jour où cette satiété sera plus forte que son goût de renouvellement, il ne se repentira pas, il brisera l’insuffisant instrument de ses plaisirs.

Le Triomphe de la Mort a été écrit pour soulager l’artiste de cette hantise qu’à des heures de fatigue physique, plus qu’intellectuelle, il a vue poindre à son horizon. Mais, avant que le splendide égoïsme de celui qui apparaissait à la dogaresse Gradeniga comme « un léopard souple et fort, tout maculé de la morsure de ses dents, » se résigne à heurter du front la porte d’ombre, on comprend qu’il cherchera, aux dépens des êtres humains et des idées divines, à faire sur sa vie de la lumière et de la chaleur.

On pourra dire que le néronisme, qui dans l’amour des héros de M. d’Annunzio finit par éclater comme un incendie, et qui, aujourd’hui, est devenu un leitmotiv dont le chant se mêle fatalement à tout ce que l’artiste crée, est l’aboutissement nécessaire des abus universels que ses héros ont faits de la volupté. Ce serait pourtant avoir mal lu les romans de l’artiste que de n’avoir pas distingué, dès les débuts de son œuvre, le goût de cruauté qui se manifeste chez lui comme un instinct. N’est-ce pas ainsi que des enfans prennent plaisir, dans le jeu, à aveugler, à torturer quelque petit animal tombé dans leurs mains ?

Cette disposition du romancier est déjà très apparente dans les paysanneries de Terra Vergine, San Pantaleone, le Livre des Vierges, où M. d’Annunzio s’est d’abord manifesté comme prosateur. Son goût de l’émotion douloureuse, matérialisée dans la chair des autres, est très différent de la saine brutalité d’un Maupassant. Il serait intéressant de rapprocher, à cet égard, le récit où Maupassant nous montre des pêcheurs de morue amputant de leur mieux la jambe d’un de leurs camarades menacé de gangrène, et le conte consacré par M. d’Annunzio au matelot martyr que des marins tailladent au hasard, jusqu’à ce que mort s’ensuive, sous prétexte d’opérer une insignifiante excroissance au cou de la victime.

La Volupté et la Cruauté sont les deux pôles nécessairement opposés d’un univers construit selon les imaginations d’un d’Annunzio, les deux Reines, tour à tour alliées et ennemies du royaume qu’il veut habiter. Lui-même a dépeint cette espèce de frénésie qui souffle sur son désir pour transformer le feu en brasier :


... Elle lui venait de très loin, son ardeur : des plus antiques origines, de la primitive animalité, de l’antique mystère des fureurs sacrées. De même que la troupe envahie par le Dieu, descendait le long de la montagne en déracinant les arbres, et s’avançait avec une fougue de plus en plus aveugle, se grossissant toujours de nouveaux démens, propageant partout la folie sur son passage, devenant enfin une immense multitude, bestiale et humaine, frémissant d’une volonté monstrueuse, — de même, en lui, cet instinct cruel se précipitait, confondant et entraînant toutes les idées de son esprit avec une agitation vertigineuse... Son désir était insensé, sans mesure, fait de rancune, de jalousie, de poésie, d’orgueil et de cruauté[4].


La femme, objet d’une telle ardeur, ne s’y trompe pas. Elle lit son destin dans les yeux de celui à qui elle s’abandonne et elle s’écrie : « Ne soyez pas cruel ! Oh ! ne faites pas de mal[5] ! » On le devine, cette plainte n’arrive même pas à l’oreille du poète. Sa devise n’est-elle point : « Détruire pour posséder ? »

Il raisonne devant l’objet de son désir comme le félin devant la gazelle ; il la guette, la brise, la broie, même en dehors des heures de sa faim, pour le seul plaisir d’aiguiser ses ongles, de détendre son échine, de faire ruisseler le sang, d’essayer sa puissance de destruction. Ce n’est point par calcul, mais inconsciemment que cet homme-ci fait souffrir : « ... Il saisit les mains de la tragédienne et, sans y prendre garde, il les lui tourmentait. » Il ne suffit pas à ce voluptueux de torturer des poignets, il veut qu’on les brise : il y a « une atroce femme aux mains coupées, devant qui rougeoient deux mares de sang, » qui sort d’un de ses poèmes, traverse son théâtre avec la figure de la Gioconda, circule à travers ses romans en pleurant ses blessures.

Et, assurément, la souffrance physique doit être doublée de douleur morale pour que la joie du destructeur soit complète : Maria Ferres sera tourmentée par l’amour que « l’enfant de volupté » qui l’a conquise, éprouve, en même temps, pour Elena Muti. Perdita, la tragédienne, deviendra presque folle devant le caprice que celui qu’elle adore ressent pour la jeune musicienne Donatella. Une terrible ivresse de cruauté réfléchie, savourée, circule d’ailleurs dans tout ce récit du Feu, où l’auteur égare Perdita dans les sentiers d’un « labyrinthe, » et la fait tourner, à la recherche de son amant, comme si, vraiment, l’antique roue des supplices, lentement, la rouait.

Nous l’avions déjà entendue, cette amante éperdue, hurler sa souffrance dans le Songe d’un crépuscule d’automne. « ... Il me semblait qu’il partageait mes veines une à une comme mes cheveux avec la caresse de ses doigts. »

Mais dans le Songe le jeune amant est absent. Enchaîné ailleurs, il ne se préoccupe pas de la souffrance qu’il cause. Dans le labyrinthe du Feu, il est là, masqué par un buisson : il voit, il épie toutes les palpitations de la douleur qu’il a infligée, et il se donne, par surcroît, la volupté, particulièrement perverse, de plaindre quelque peu sa victime.


III

C’est une aventure commune de voir la volupté se mêler de quelque façon à la mysticité. Celui qui cherche à atteindre l’infini rencontre nécessairement le divin.

Le fait est que, si nous en devons croire les indiscrétions du plus affectueux et du plus érudit des pèlerins de lettres, ce n’est pas seulement Sperelli qui a logé ses fantaisies amoureuses dans des défroques d’églises. Le comte Primoli est entré dans la villa « blanche, douce et tranquille de Francavilla a Mare » où M. d’Annunzio fait retraite. Il a trouvé l’artiste dans « un cabinet de travail spacieux dont les fenêtres, les portes, les murs, sont garnis d’épaisses tentures en damas rouge. D’un brasero monte, par bouffées, une fumée d’encens. Les paysans ont imaginé une légende sur cette chambre rouge, close et parfumée : ils disent que, dans cette maison, le poète a fait une église, »

C’est, sans doute, dans cet asile que l’artiste a reçu la visite de Maria Ferrès, cette créature idéale dans laquelle sa fougue, qui veut avoir tout connu, s’est plu à adorer les puissances mystiques de la femme.


.., Elle avait le visage ovale, peut-être un peu trop allongé... Les traits délicats avaient cette expression de souffrance et de lassitude qui donne aux Vierges leur charme humain, dans les bas-reliefs florentins... Rien ne surpassait en grâce cette tête si fine, qui semblait peiner sous le fardeau de ses cheveux comme sous un châtiment divin.


Un Sperelli devait s’arrêter à l’adoration d’une telle femme de la même façon qu’un enfant se mire dans une source, sourit à sa transparence, et s’empresse d’y jeter des pierres pour constater qu’il a le pouvoir de la troubler.

M. d’Annunzio a, une fois pour toutes, indiqué jusqu’où il veut aller dans cette voie mystique quand il a dit, de son Georges Aurispa, qu’il est « un ascète sans Dieu »[6].

Pour un homme de cette nature, la mysticité est quelque chose comme le traitement par le lait, l’isolement et l’air pur.

Le lien entre toutes ces tendances qui, au premier abord, semblent contradictoires, alors que parfois elles se complètent l’une l’autre, est chez M. d’Annunzio un goût passionné de la vie.

Il y a, dans les Vierges aux Rochers, un certain Cantelma qui sert ce jour-là de masque à l’auteur. Il descend d’ancienne et noble race de guerriers. Il est reconnaissant à ses aïeux de lui avoir transmis leur sang riche et fervent. Il les loue « pour les belles blessures qu’ils firent, pour les beaux incendies qu’ils allumèrent, pour les belles femmes dont ils jouirent, pour toutes leurs victoires, pour toutes leurs ivresses, pour toutes leurs magnificences... » Les meilleures tendresses de Cantelma vont à un guerrier de sa lignée que Léonard de Vinci a peint tout bardé de fer avec cette devise dans ses armes : Cave adsum ! Cantelma croit entendre cet aïeul adoré lui dire : « Sois tel que tu dois être ; » il rêve d’accomplir la grande espérance que la mort brisa autrefois en faisant disparaître brusquement ce demi-dieu, et pour cela, Cantelma veut créer, à son tour, un fils, en qui revivront toutes ses propres énergies ajoutées à celles des aïeux.

De fait, M. d’Annunzio lui-même, tel Cantelma, est, on l’a remarqué, un phénomène d’énergie littéraire très rare en Italie. Il a écrit un jour que, comme le Politien, il voulait considérer la vie « ainsi qu’une joie nouvellement révélée, secouer la tristesse des années révolues, se griser des sources nouvelles de bonheur... »

Une de ces sources jaillit pour lui du spectacle adoré des beautés naturelles. Élevé dans les Abruzzes parmi de rudes gens de barque, il a, toute sa vie, professé pour la mer un amour qui n’est pas de commande. On dirait que le rythme du flot marin est lié au battement de son pouls, et qu’il ne retrouve toutes ses joies qu’en face de cette mer nourrice. Sans doute, la fréquentation de Florence et de Rome, la culture livresque ont concouru à former son talent, mais c’est la mer qui a été sa véritable éducatrice : elle lui a révélé la nature. L’ivresse qu’il éprouve devant ses grandeurs infinies peut seule l’arracher à ses préoccupations individuelles. Tout enfant, entre les murs de son collège, il écrivait au critique Chiarini : « J’aime la mer de toutes les forces de mon âme et ici, dans cette vallée, près de ce fleuve poudreux, je souffre de nostalgie. »

Plus tard, lorsqu’il eut à rédiger, pour ses électeurs, — les Abruzziens d’Ortona, — ce que l’on appellerait dans le langage électoral de chez nous un « manifeste, » il dit à ceux dont il sollicitait les votes : « ... Mes œuvres ont révélé au monde la magnificence de votre sol, la grandeur de votre race... » Et il estima que c’était là le plus signalé service qu’il eût rendu à la patrie. A travers toutes les infidélités qu’il a faites à ses plans, à ses promesses, à ses projets philosophiques et littéraires, c’est à l’amour qu’il a pour la terre italienne, pour les hommes frustes, qui y vivent des drames de passion sans détours et sans complications, qu’il est toujours revenu. Son œuvre, à l’heure actuelle, n’est-elle pas comme enfermée entre les contes rustiques du début, et un drame terrien : la Fille de Jorio ?

Gabriele d’Annunzio a besoin d’associer la nature aux émotions de ses personnages. Il les peint toujours en communion avec les états de l’atmosphère, la qualité de l’air, l’heure du jour, l’aspect du paysage. Il aime les coutumes naïves qui n’ont pas changé depuis le lointain paganisme. Plus que personne, il sent et exprime cette joie et cette mélancolie issues des choses, qui ont, au plus profond de nous-mêmes, un retentissement mélodieux. En un mot, il chérit la terre italienne comme ces émigrans, qui lui reviennent toujours, après qu’ils sont allés gagner un peu d’argent chez les autres, loin d’elle.


IV

Le jour où il s’est aperçu que la poésie demeurait, malgré tout, la religion d’une élite, et qu’il fallait se donner à la prose si l’on voulait atteindre la foule profonde, M. d’Annunzio a pris congé de la poésie avec des paroles qui, à son avis, devaient lui fermer la voie du retour :


... Mon âme frémit et s’élance comme vers une aurore ! Adieu, forêt de myrtes. A la voile ! Mon cœur rêve une vie plus large... Dans la mer inconnue gît l’île promise, j’y marquerai l’empreinte de mon pas[7].


Cette île promise, où le poète aborde avec l’intention d’y récolter des lauriers nouveaux, c’est le roman. Mais si l’objet de la conquête est différent, le conquérant demeure le même. En effet, les romans de M. d’Annunzio ne pouvaient être ni romantiques, ni historiques, ni psychologiques : ils devaient être sûrement poétiques et lyriques. Le caractère commun à toutes ses œuvres est indubitablement une inspiration poétique, qui s’exprime dans une langue, elle aussi, poétique.

Il y a pourtant autant de différence entre le style que M. d’Annunzio écrit en prose et les formes de beauté créées par le poète Giosué Garducci, qu’entre un peintre toscan du XVe siècle et un peintre vénitien du XVIe. En effet, Giosué Garducci a usé surtout, chemin faisant, du substantif et du verbe, tandis que M. d’Annunzio se complaît dans l’usage de l’adjectif à travers lequel il prodigue, avec une inépuisable énergie, l’exaltation de toutes ses ardeurs.

Peut-être a-t-il éprouvé lui-même de l’étonnement à voir qu’il modifiait si peu sa manière en passant de la poésie à la prose ? Nous devons, sans doute, à cette préoccupation d’une heure, la profession de foi réaliste qu’il a cru devoir écrire en tête de son Episcopo et Cie. Et aussi bien, le voyage que le romancier s’est imposé à cette minute au travers de l’école réaliste devait lui être utile au cours de tous ses romans. Depuis lors, en effet, un point de départ de « réalité » est devenu pour lui un des élémens essentiels de l’œuvre d’art : c’est le fil conducteur par lequel l’artiste veut être guidé au milieu des détours que lui impose le labyrinthe de sa fantaisie. D’ailleurs, pas même dans Episcopo, le « poète » n’a réussi à se dissimuler tout à fait sous la livrée de prose. M. d’Annunzio ne sera jamais un miroir impassible de la vie. Il porte en soi un instinct lyrique de transfiguration qui, en toute occasion, fait apparaître par la magie de son verbe la réalité laide plus affreuse, la douleur atroce plus déchirante, la cruauté plus cruelle, toutes les beautés plus resplendissantes.

Cette faculté éveille chez M. d’Annunzio un descripteur insigne. En tête d’un recueil qui vient d’être publié en Italie sous ce titre : Proses choisies, quelqu’un, — et ce quelqu’un n’est-ce pas M. d’Annunzio lui-même ? — a écrit ces lignes :


... Nous pouvons considérer ce volume complémentaire comme une revue des caractères dominans de l’œuvre d’une vingtaine d’années. Et si, en publiant ces pages, choisies dans l’œuvre non terminée d’un auteur vivant et militant, nous dérogeons à l’usage qui veut que ces ouvrages soient posthumes, cette nouveauté est justifiée par l’importance de l’écrivain, et par le fait que d’Annunzio a laissé un long intervalle entre son dernier roman en prose et celui qui paraîtra... Ainsi les lecteurs du styliste seront heureux de retrouver ici les pages préférées par eux, en même temps que celles qui, comme l’épisode de la fontaine muette dans les Vierges aux Rochers, sont aujourd’hui fameuses, autant que les plus inoubliables mélodies. Les âmes chastes qui s’abstiennent de s’approcher des créatures de ces romans, par crainte de la matière dangereuse dont elles sont façonnées, trouveront ici recueillies les fleurs les plus salubres et les plus pures. Les jeunes gens studieux pourront considérer, tout à leur aise, la diversité des instrumens et des moyens par lequel le Maître a élaboré tant d’images...


Après cet air de flûte, on feuillette le volume nouveau avec curiosité, et l’on s’aperçoit que ces pages sont toutes descriptives. Pour une fois, voici un auteur qui, au moment de juger son œuvre d’ensemble, est d’accord avec les critiques : ils avaient été unanimes à consacrer, en cet écrivain, un remarquable descripteur. Le merveilleux styliste qu’est M. d’Annunzio n’estime point que ce soit là un compliment médiocre.


V

Don Juan regrettait qu’il n’existât point d’autres mondes pour y pousser ses conquêtes : dans un ordre d’idées différent, M. d’Annunzio pense, — et il l’a dit en termes clairs, — que l’artiste italien contemporain a le devoir d’être cosmopolite et de communier en pensée avec les préoccupations de l’univers :


Ou a remarqué récemment, écrit-il, que les caractères « nationaux » vont disparaissant dans les grandes œuvres d’art modernes. On a noté comment peu à peu se forme une espèce de littérature « européenne. » En effet, les idées ne sont pas le patrimoine d’une nation, mais flottent et se répandent à travers le monde. L’art moderne doit avoir un caractère d’ « universalité, » il doit comprendre et harmoniser dans un vaste cercle lumineux les aspirations les plus diffuses de l’âme humaine.


Après cette déclaration, on comprend quel dédain M. d’Annunzio doit éprouver pour ceux qui lui reprochent d’avoir reflété, dans son œuvre, ses admirations littéraires pour les grands écrivains qui enchantaient le monde des lettrés, à la minute où lui-même il a commencé de publier. Il s’est d’ailleurs expliqué avec une netteté parfaite sur les vraies. origines de son inspiration, non point devant une Académie diserte, ni dans des notes écrites pour l’édification ultérieure de la critique, mais à la face du peuple italien, dans son surprenant discours à ses électeurs d’Ortona :


... Mon âme, déclare-t-il, mon âme, sur laquelle j’ai versé le vin le plus robuste de l’antique sagesse et la plus subtile essence des rêves nouveaux, elle qui dans ses pérégrinations infinies a atteint les limites extrêmes imposées à l’avidité de connaître, et qui a dépassé les cimes aériennes où le rythme de la vie idéale prend une célérité inconnue aux pulsations humaines, — mon âme est toujours restée filialement et étroitement attachée à sa première mère. Elle n’a jamais cessé de sentir palpiter en elle le génie de la région. Une fraîcheur terrestre, secrète et indestructible persiste dans le centre de son ardeur la plus forte. Telle, au milieu de la forêt incendiée, la source coule intarissable sous les mille langues de feu qui la dessèchent. C’est pourquoi je reste au milieu des dissolutions dans une unité et une ampleur qui forment ma joie.


Ce « vin de l’antique sagesse » que l’écrivain a connu si robuste et si tonifiant, ce sont les Belles-Lettres et les Arts latins. On sait qu’il a vécu son enfance dans la dégustation extasiée des élégiaques de son pays, Catulle et Tibulle. Il a conté lui-même qu’avant d’écrire l’Enfant de volupté, il s’était comme grisé des rimes du Politien, des Chants et des Triomphes de Laurent le Magnifique, des œuvres de Botticelli, du Ghirlandajo, de Verrocchio, du spectacle de Rome, « ... non pas de la Rome des Papes, des Arcs, des Thermes et des Forums, mais de la Rome des Villas, des Fontaines et des Églises... »

Aussi bien, si on lui demandait quels ont été, en dehors de L’ambiance italienne, ses véritables maîtres, il répondrait peut-être volontiers comme le marquis de Molière : « Nous autres, gens de qualité, nous savons tout, sans avoir jamais rien appris... » et il ne se vanterait qu’à moitié. Il semble, en effet, qu’il n’ait eu qu’à se donner la peine de naître pour devenir « un de ces grands miroirs où se reflètent les choses naturelles. » Cette faculté de refléter le monde extérieur en l’italianisant n’a-t-il pas été, toujours, un des apanages des maîtres ès arts et ès lettres de la péninsule ? L’éclectisme est an caractère commun aux grands artistes italiens de tous temps qui s’entendent parfaitement à donner une formule solide et brillante aux matériaux découverts et recueillis par les autres. L’Arioste n’a-t-il pas tiré son Orlando furioso, des « Chansons de Geste ? » Aujourd’hui, ce caractère d’éclectisme éclate dans l’œuvre, si italienne, de M. Gabriele d’Annunzio : il a canalisé vers le champ de son inspiration, pour le féconder, toutes les influences qui, dans ces vingt dernières années, ont dominé le monde de la pensée et des lettres.

En ce qui concerne particulièrement Nietzsche, l’auteur du Triomphe de la Mort n’a pas fait mystère de l’impression qu’il avait éprouvée en lisant le philosophe allemand. Il a écrit en effet, dans la Préface de ce roman qui est dédié à son ami, le peintre abruzzien Michetti :


... Nous tendons l’oreille au magnanime Zarathoustra et, pleins de foi, nous préparons, dans l’art, l’avènement de l’Uebermensch, du surhomme.


La rencontre de Nietzsche est, dans la vie de M. d’Annunzio, un accident, que l’on peut considérer comme heureux ou comme regrettable, mais qui n’a eu sur le développement de sa nature et de son talent qu’une influence, — il convient de répéter le mot, — accidentelle.

La lecture des livres de Nietzsche n’est pas entrée dans les veines du romancier italien comme une piqûre de strychnine, pour exalter les forces d’un organisme héréditairement ou personnellement épuisé. M. d’Annunzio s’est contemplé dans Zarathoustra ; il s’y est reconnu avec complaisance sous la glorieuse livrée du surhomme. Nietzsche appelle à lui ces surhommes comme le Christ en usait avec les petits enfans. Le surhomme que M. d’Annunzio est naturellement, ignore les autres surhommes. Il n’en connaît qu’un au monde dont le développement l’intéresse et l’on devine que ce surhomme-là, c’est lui-même.

Ne propose-t-il pas comme but à son effort « de peindre la vie sensuelle, sentimentale et intellectuelle d’un être humain, placé au centre de la vie universelle ? » D’un roman à l’autre ce protagoniste ne fait que « changer de victime. » Et pourquoi ce personnage materait-il, par respect pour autrui, un seul de ses appétits ? Un Alfred de Musset peut dire : « ... Nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert ; » du seuil de ses romans cruels, un Gabriele d’Annunzio répondra au Poète aimé des femmes et des adolescens : « Nul ne se connaît tant qu’il n’a pas joui de tout. »

Aussi bien le monde extérieur n’existe pas pour lui. Il n’y a de vivant que sa Pensée, qui, à son avis, se confond avec la Beauté, et que sa Volonté, qui, pour lui encore, prend la figure du Droit : le jugement que pourront formuler les spectateurs d’une vie si surhumaine est, sans bravade, totalement indifférent à M. d’Annunzio.

Il s’est baptisé lui-même quelque part d’un nom plus latin, plus artiste, que le titre d’» uebermensch » et qui, évidemment, le séduit davantage : il a dit qu’il était « l’animateur, » c’est-à-dire le Créateur, celui qui souffle sur la matière inerte et lui donne la vie, celui que Michel-Ange a peint dans la Chapelle Sixtine, éveillant le sommeil d’Adam, celui auquel pensait le pape Paul III[8] quand, à ceux qui lui demandaient la tête de Bevenuto Cellini, pour rançon d’un meurtre, il répondait avec une belle ferveur païenne : « Apprenez que des hommes uniques dans leur art, comme Cellini, ne doivent pas être soumis aux lois[9]. »

Quant à l’Eve, à l’amoureuse créature que l’on aperçoit attachée au char du triomphateur, elle devra entendre cette sentence de la bouche de celui qu’elle aspire à servir, et qui, comme un empereur du Bas-Empire, s’est déclaré « divin : »


Je sais que je vous aime. Je reconnais en vous toutes les noblesses, je sais encore que j’ai une œuvre à faire et une vie à vivre selon que m’a disposé la nature : et vous, vous savez que je ne puis renoncer à rien[10]...


Ceux qui ne sont point des surhommes ont été si longuement façonnés à l’idée du devoir nécessaire, qu’à cette minute, ils ont une tendance à penser : Soit ! pourvu que l’œuvre que le poète annonce soit sa justification.

Or cette idée de « justification » est tout à fait étrangère à M. d’Annunzio. Il ne permettrait pas que l’on s’y arrêtât une minute pour lui donner, en ce qui le concerne, la couleur d’une obligation. Le pommier n’a pas l’obligation de produire des pommes : elles jaillissent naturellement de ses branches parce que c’est la vertu de l’arbre qui, lui aussi, s’il pouvait prendre la parole, répéterait ce mot de Léonard que M. d’Annunzio a mis en épigraphe à son premier roman, l’Enfant de volupté : « Ainsi me dispose la nature[11]. »

Mais, pour continuer de suivre une comparaison qui était chère à Maupassant lorsqu’il parlait de soi-même, les jardiniers font observer qu’avant de semer quelque variété sélectionnée, il est de toute nécessité de renouveler la terre, afin que des germes anciens, oubliés dans le sol, n’aient pas une influence sur la plante nouvelle qu’on va produire. Or, Rome n’est pas seulement la Rome païenne et cosmopolite ; elle est aussi la Rome souterraine des Catacombes, la terre des martyrs, de sorte que, si absente que soit l’idée du « devoir » de l’œuvre de M. d’Annunzio, l’artiste ne peut pas faire que sa pensée n’ait ses racines dans une terre qui, depuis des siècles, est chrétienne. La sensibilité de M. d’Annunzio ne saurait donc être celle d’un Néron ou d’un Borgia : « Toute viande que le christianisme n’a pas attendrie, a écrit M. Renan, est dure. »

Qu’il le veuille ou non, la chair de M. d’Annunzio a été « attendrie » par des atavismes chrétiens. L’homme d’aujourd’hui n’a plus une férocité assez robuste pour porter, sans une ombre d’inquiétude, le poids de sa méchanceté. Quelque chose, qui est tout au moins un rudiment de conscience morale, proteste en lui contre les maux qu’il sème. Il ne peut demeurer spectateur tout à fait indifférent et désintéressé des souffrances dont il est la cause. Elles se vengent, elles le font douloureux à son tour. « Tout le mal, disait Machiavel, vient de ce que les hommes ne savent être ni assez bons ni assez méchans. »

Si l’historien de César Borgia diagnostiquait déjà cette faiblesse congénitale chez le plus cruel de ses contemporains, combien sommes-nous devenus plus incapables encore de la vertu sublime et du vice impassible ! M. d’Annunzio et les héros qu’il a créés n’ont pas, plus que d’autres, réussi à dominer leurs nerfs et leurs consciences d’hommes modernes. Ils ont beau accumuler les faussetés, les artifices, ne reculer devant aucun mensonge, devant aucune simulation, ils tombent accablés par la loi même qu’ils ont méconnue ; ils ont des facultés de souffrance qui étaient tout à fait ignorées des grands « condottieri. »

Il ne faudrait pas exagérer pourtant la dose de contrition dont M. d’Annunzio est capable. Elle suffit à le troubler délicieusement, elle n’a pas la valeur qu’il faudrait pour le faire passer à l’acte : le remords qui s’ébauche finit pour lui en art et en volupté.

Dans ces dispositions, les élans de pitié que, après l’étude des romans russes, il a cru avoir vers la « souffrance humaine, » n’ont abouti qu’à de la virtuosité.

La lecture de son Intrus est, à cet égard, particulièrement instructive. Les aspirations de Hermil vers « ... toute la douleur du monde, » vers « ce qui exalte et console » sonnent faux. Malgré un effort pour « s’extérioriser, » le romancier et son protagoniste ont tôt fait de se concentrer à nouveau sur eux-mêmes, dans le désir, l’amour, la jalousie, le crime, en oubli du reste de l’humanité souffrante, en oubli de cette « bonté » qu’ils voudraient professer à l’endroit du « flot humain, » et de cette vertu, avec laquelle ils ne parviennent même pas à nouer des fiançailles de raison.

D’autre part, il est intéressant de comparer les récits campagnards de M. d’Annunzio, avec les Contes que Verga et les Siciliens de la même école ont écrits, avant que l’Enfant de Volupté ne prît lui-même la plume. On constate qu’une morale, au moins historique, se dégage de chacune des œuvres de ces conteurs du Midi : ils contrôlent les heures de l’évolution sociale, ils signalent des ignorances, ils réclament de la lumière pour des gens qui vivent dans l’obscurité.

Rien de pareil chez M. d’Annunzio. Si on lui demandait d’exprimer son Credo, il répondrait sans doute qu’il ne croit qu’à la fatalité de l’amour, et qu’il a donné la formule de cette foi dans la Ville morte. Or cet amour est « un poison qu’on porte dans ses veines, dont on est atteint dans ses moelles, qui brûle les yeux, » c’est « une splendeur qui tue[12].-»

L’amour qui naît dans le tremblement des âmes, dans les in certitudes, dans la joie et les remords, l’amour qui se développe dans la fougue des croissances subites, qui est arrêté dans son développement par les obstacles que la souffrance des autres, les nécessités de la vie sociale, le consentement des hommes à certaines lois fondamentales opposent à l’égoïsme, — cet amour-là, M. d’Annunzio l’ignore. Il ne parle que d’une « émanation pernicieuse, plus forte que tout, » qui peut sortir de la mer, ou de la terre chauffées, du mouvement des ligues vivantes aussi bien que du tombeau ouvert des Atrides. Il accorde, à cette puissance créatrice de vie, tous les droits, y compris celui de la destruction.

C’est, en effet, une chose curieuse de voir de quelle façon le romancier italien a résolu cette question du « pardon, » qui a préoccupé tous les psychologues de l’amour. En tuant la femme, les moralistes d’il y a vingt-cinq ans indiquaient, à défaut de mesure et de pitié, qu’ils enfermaient dans l’amour un très haut idéal de vérité, de justice. Plus tard, M. Alphonse Daudet, dans la Petite Paroisse, M. Jules Lemaître, dans le Pardon, avaient montré plus de modestie ; ils donnaient pour base à un effort de l’âme qui devait être le plus élevé de tous, ce sentiment que les fautes d’autrui « demain seront peut-être les nôtres. »

M. d’Annunzio n’est ni un juge ni un altruiste. Dans l’amour comme ailleurs, il demeure uniquement personnel. Tullio Hermil[13] a négligé sa femme ? Elle se console avec un autre ? La chose n’a pas d’importance tant que Hermil, occupé ailleurs, vit détaché de Giulia ; mais le jour où les plus basses raisons réveillent sa jalousie, Hermil n’hésitera pas longtemps à faire disparaître, comme une pierre de son chemin, l’enfant né de l’adultère. Il matérialisait une infidélité dont les conséquences morales s’évanouiront, aux yeux de l’intéressé, à la mort de l’innocent, qui en était le vivant témoignage. D’autre part, l’œuvre de vie n’a pas plus de valeur que le reste pour l’« animateur, » l’enfant ne lui est pas plus sacré que la femme. Le jour où Hermil fait mourir ce petit être, avec un maximum d’égoïsme et un minimum de scrupules, M. Gabriele d’Annunzio semble se rapprocher plus qu’à l’ordinaire du modèle idéal dont il est hanté.

Qu’un Julien Sorel et les hommes de sa génération gravitent autour de l’image déifiée d’un Napoléon : ces gens de demi-nord sont sensibles plus qu’à tout aux supériorités intellectuelles, et au vertige de la domination ! Mais c’est autour d’un César Borgia que tourneront les esthètes passionnés du XXe siècle italien, dont M. d’Annunzio se considère comme le prototype. Et peut-être pourrait-on trouver à leurs gestes et à leurs impulsions une explication, non pas individuelle, mais historique cette fois, et qui les dépasse. En effet, le triomphe de la maison de Savoie a apporté en Italie de la discipline et de l’ordre, avec l’unité : et dans l’ensemble, les petits, les humbles, sentent qu’ils ont intérêt à laisser se fermer sur eux une main énergique. Mais tout de même, à côté des bienfaits dont on est reconnaissant, il y a les vieilles licences, les joies de la désorganisation, les petites passions de la vie ancienne, les impunités de clientèles, que l’on regrette quand on est Italien. Cela engendre, par en bas, quelques révoltés qui, de temps en temps se lèvent, à peu près comme une poignée de pierres jaillit par une fente du Vésuve, et frappe au hasard de la projection.

Par en haut, la même utile contrainte crée les anarchistes moraux. Et il n’est pas sûr que, jugé d’un trône, l’esthéticisme d’un d’Annunzio n’apparaisse pas, dans son pays, comme un explosif dangereux. En France, nous n’avons aucune raison d’être inquiétés par l’anarchie morale dont l’œuvre du poète est la théorie : nous pouvons donc délicieusement goûter sa jeunesse, nous laisser emporter par sa sincérité. Lui-même peint en ces termes un de ses héros favoris :


... En lui, malgré toutes les corruptions, la jeunesse résistait, persistait, métal inaltérable, arôme tenace. Cette splendeur de jeunesse vraie était sa qualité la plus précieuse. A la grande flamme de la passion tout ce qu’il y avait en lui de faux, d’artificiel, de vain, se consumait comme sur un bûcher[14].


Voilà bien la cause de ce charme vainqueur : quelle que soit sa façon d’aimer et la brièveté de sa flamme, M. d’Annunzio aime avec une ferveur qui chaque fois lui fait une ingénuité nouvelle. Il a la jeunesse et la passion, la belle passion italienne à laquelle les peuples du Nord viennent se chauffer comme à un feu, s’épanouir comme à un soleil, s’enivrer comme d’un vin.

Une fois qu’on est charmé, on ne juge plus. Incapables que nous nous sentons, pour la plupart, de courir les aventures où les héros du romancier italien s’épuisent bénévolement et se tuent, nous avons cru que nous pouvions, — une fois n’est pas coutume, — nous donner la joie d’entendre un Poète substituer l’Esthétique à la Morale, et le sens de la Beauté au sens social.


VI

M. d’Annunzio semble possédé du double besoin de personnifier ce qui est foule, et d’amplifier ce qui est individu. Cela le porte à confondre, dans l’amour de la Beauté, les impressions en apparence les plus contradictoires. Il y a des jours où il parle à cette foule comme si elle était une femme, une courtisane, cette « Pamphila » dont il dit dans une pièce célèbre :


... De tous possédée, du mendiant et du seigneur, couverte de caresses innombrables, ô dernière descendante d’Hélène, je t’aimerai ! Dans tes membres impurs, je cueillerai tout le désir terrestre ; je connaîtrai tout l’amour du monde[15].


Il y a d’autres heures où la femme désirée ne devient un objet de passion affolée que parce que, dans son corps visible, tangible, elle enferme, aux yeux de celui qui la souhaite, la concupiscence de toute une foule. Telle cette Panthea que l’on aperçoit, au milieu d’une orgie vénitienne à la proue du Bucentaure, posant son talon sur la tempe d’un exsangue amoureux :


... C’était une grande fureur ; tous déliraient, étendant les mains comme s’ils étaient, eux aussi, prêts à saisir la courtisane ; ils criaient : « Panthea, Panthea !... » Chacun était ivre comme si elle était entre ses bras, et se montrait à lui seul[16].


Ainsi, qu’il aille à la foule ou que la foule le renvoie à lui-même, c’est vers « la femme » que M. Gabriele d’Annunzio est fatalement ramené par son individualisme, son amour de la volupté, sa passion de l’exaltation cérébrale. L’animateur pense « qu’il crée véritablement la femme en l’éveillant à la vie supérieure de la passion, » et quoi qu’il en soit, il est juste de dire que « la femme » est pour lui un moyen d’évoquer la beauté surnaturelle, idéale, cette Beauté « en esprit, » qui, plus d’une fois, a répondu à son appel.

Les romans de Gabriele d’Annunzio, grâce aux parfaites traductions de M. Hérelle, — qui, de l’avis général, ajoutent au lyrisme italien de la netteté française, — sont connus de tous. Il aurait donc été vain de les analyser ici. Combien serait-il intéressant, par contre, de se promener, avec « l’animateur » pour guide, à travers toute l’œuvre de M. d’Annunzio romancier, comme Dante parcourut autrefois, au bras de Virgile, les cercles de l’enfer ?

On verrait l’Enfant de volupté s’imaginer que l’on peut considérer les femmes comme les fleurs d’un parterre dont une abeille butine les arômes contradictoires, afin d’en fabriquer un miel égoïste. Mais cette précieuse liqueur fermente sur les lèvres mêmes et dans le cœur de celui qui la bue. Le poète qui s’est trop désaltéré avec les parfums, les essences subtiles de la femme, finit par devenir la proie d’une ivresse où la boisson elle-même se fait la maîtresse du buveur.

Et alors c’est le terrible conflit qui nous a été conté dans le Triomphe de la Mort, entre l’amant qui ne peut plus se passer de la volupté connue, et l’amante qui, ayant essayé de monopoliser, pour son caprice, l’intelligence, la force, toutes les puissances créatrices de l’homme, est punie de mort comme une meurtrière.

On verrait, dans les Vierges aux Rochers, le romancier qui, lui, sort vivant de l’épreuve où se suicide le héros du Triomphe de la Mort, rêver un instant de créer, avec l’une des trois vierges idéales entre lesquelles hésite sa réflexion amoureuse, ce fils, ce surhomme qui, dans le monde futur, réalisera l’œuvre que M. d’Annunzio lui-même, à cette minute, craint de ne jamais pouvoir produire. Mais pour atteindre ce but, il faudrait grouper à la fois, dans une unique étreinte, pour un enfantement unique, ces trois sœurs qui se nomment « la Foi, » « l’Amour, » « la Beauté. » La vie les condamne, hélas ! à exister distinctes les unes des autres, comme des aspects de l’absolu qu’elles réfléchissent. Autant donc abandonner aux hommes vulgaires la procréation de l’être de chair. Pour un d’Annunzio, la destinée est autre : il lui tant engendrer par n’importe quels moyens, aux dépens de n’importe qui, l’œuvre de l’esprit.

L’œuvre de vie, c’est donc l’œuvre d’art.

M. d’Annunzio l’avait pressenti, quand il était encore enfant, sur les bancs du collège de Cicognini di Prato : au sommet de sa carrière de poète, de dramaturge et de romancier, il en est sûr.

C’est dans son roman : le Feu, qu’il a donné la théorie et la pratique d’une certitude qui met définitivement d’accord ses goûts, ses sens, son cœur et son esprit.

Si le surhomme est un poète qui, ainsi que M. d’Annunzio l’annonçait à ses électeurs des Abruzzes, veut « rendre la beauté visible aux foules, » si, d’autre part, la femme ne doit être qu’un instrument merveilleux, matériellement stérile, psychiquement fécond et répercuteur, au service des suggestions que l’inspiration de l’artiste lui impose, il va de soi que la compagne idéale de cet amant idéal sera une femme de théâtre. Mais non pas la « cabotine, » — voire illustre, — qui monte sur les planches, pour recueillir un applaudissement personnel, gagner des cœurs, des sourires, de la renommée et de l’or. L’animateur se doit à lui-même de découvrir, dans l’armée des amantes, une âme si désintéressée, et qui apporte sur la scène un sentiment de détachement de soi tel, qu’un Dieu peut seul l’exiger des saintes. Il convient d’ailleurs qu’à ce détachement l’élue allie toutes les ardeurs amoureuses pour l’amant, tous les dévouemens de la mère pour l’œuvre qu’il s’agit de mettre au jour, et de soutenir.

Le héros du Feu, Effrena, trouve cette créature d’exception dans la tragédienne Foscarina. Du jour où il la connaît, il la baptise du nom de « Perdita, » afin qu’elle sache quels vœux de renoncement l’on prononce quand on entre dans la religion du Surhumain. Effrena a reconnu la sincérité de la vocation de Perdita à ce l’ait : quand il parle, « elle palpite comme si le souffle d’un Dieu l’envahissait ; elle devient une matière ardente et ductile, soumise à toutes les inspirations du poète... »

Et tout de suite, il vérifie les heureux effets de ce pouvoir : « il s’élance impétueusement vers l’actrice, comme s’il voulait la frapper pour en tirer des étincelles. » Il s’écrie :


Tu dois évoquer Cassandre de son sommeil ! Tu dois sentir entre tes mains ses cendres revivre ! Tu dois l’avoir présente dans ta lumière intérieure !... Cassandre est en toi et tu es en elle ! Veux-tu ? Comprends-tu ?...


Il ne s’agit pas seulement que les paroles du rôle descendent dans l’âme de la comédienne ; il faut qu’elle soit vraiment fécondée par la pensée créatrice, qu’elle se l’assimile comme sa propre substance, avant de la rendre extérieurement visible, de la faire naître pour la foule.

C’est bien une scène de suggestion qui se déroule. Le poète peut martyriser les poignets de celle qui se donne, elle ne sent pas la douleur. Tous les deux ils sont attentifs aux étincelles qui s’engendrent de leurs forces mêlées : « une même vibration électrique parcourt leurs nerfs merveilleux. »

Voilà la figure et le rôle avec lesquels « la femme » doit apparaître à côté de ce surhomme, idéal entre tous, qu’est l’artiste de génie ; s’il est l’ « animateur, » elle sera la « révélatrice, » l’instrument de l’art nouveau ; la divulgatrice de la grande poésie, celle qui doit incarner, dans sa personne changeante, les futures fictions de beauté, celle dont la voix inoubliable doit apporter aux peuples la parole attendue. L’animateur s’attache à la femme, non plus pour une promesse de volupté, mais pour une promesse de gloire.

Quel supplice une telle conception ne tient-elle pas en réserve pour toutes les Perditas du monde, si, en aimant l’artiste, elles ont glissé à adorer l’homme, si un matin elles s’aperçoivent que c’était l’Enfant de volupté, non pas le Surhomme qu’elles aimaient ! Leur maître qui se croit sorti pour son compte des griffes du désir charnel, se révèle plus que jamais impitoyable ; il ne permet plus aux immolées de laisser percer dans leurs dévouemens, même une ombre d’égoïsme ; ce ne sont plus ni les Perditas, ni même les Surhommes qui comptent : ce sont les œuvres à créer.

S’il arrive que, pour suggestionner l’artiste, lui faciliter l’évocation de la beauté pure, d’autres femmes aient plus de pouvoir que celle qui, un instant, se crut indispensable, l’animateur n’hésitera pas. Sans scrupules, sans reconnaissance, sans tourner la tête, il passera d’une possession à l’autre. Les Perditas n’auront qu’un moyen de demeurer dans la vie de l’aimé : ce sera de faire leur totale soumission, de s’oublier, de confesser leur orgueilleux espoir, de s’enfermer dans des vœux de renoncement, d’admettre qu’elles n’ont jamais été un but, mais un moyen, de demander la permission de reparaître, à leur plan, selon leurs forces, encore une fois dans le sillage du maître :


... Ah ! si, un jour, tu pouvais sentir vraiment toute la valeur d’une dévotion comme la mienne ! d’une servitude comme celle que je t’offre ! Si vraiment, un jour, tu avais besoin de moi, et si, ayant perdu courage, tu reprenais par moi la confiance, si, fatigué, lu retrouvais la force en moi !


Ce sont les paroles mêmes que M. d’Annunzio a placées sur les lèvres de la Foscarina. Et sans doute, à cette minute, l’amante délaissée entend résonner en elle ce leitmotiv de l’Enchantement du Vendredi saint, de Parsifal qu’elle a écouté près d’Effrena, un jour, à l’aube de leur amour, tandis qu’une autre femme tenait l’orgue : « Servir ! servir ! » clamait l’orchestre. La mélodie de la soumission se déployait : « Servir ! » la femme fidèle apportait l’eau, s’agenouillait, humble et ardente, lavait les pieds de l’aimé, les essuyait avec sa chevelure défaite : « Servir ! »

On aperçoit clairement à quelles hautes figures de la tradition humaine et divine songeait à cette minute Wagner, l’inspiré. Il était hanté des souvenirs du Calvaire. L’humanité lui apparaissait tout entière groupée autour de ce gibet d’où part un suprême appel vers l’Eternelle Justice, tandis que la tendresse et la ferveur sanglotent, plus bas, dans l’ombre.

Ceci est un idéal chrétien. Le surhomme, très païen, de M. Gabriele d’Annunzio ne cherche pas la Justice, mais la Beauté. Il n’aspire point au gibet, mais à la colonne triomphale, qui, au-dessus de tous, relèverait dans la lumière.


JEAN DORNIS.

  1. Voyez l’Enfant de Volupté.
  2. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1895, la Renaissance latine : Gabriele d’Annunzio, par M. le vicomte Eugène-Melchior de Vogüé.
  3. Lettre de Gabriele d’Annunzio au comte Primoli (1898).
  4. Le Feu.
  5. Id., ibid.
  6. Voyez l’Enfant de volupté.
  7. Voyez Commiato, Canto Novo.
  8. Le cardinal Farnèse, élu pape sous le nom de Paul III, le 13 octobre 1534,
  9. Voyez la Vie de Benvenuto Cellini écrite par lui-même.
  10. Voyez le Feu.
  11. Natura cosi mi dispone.
  12. Voyez la Ville morte.
  13. Voyez l’Intrus.
  14. L’Enfant de volupté.
  15. Pamphila : Cantlo Novo.
  16. Le Songe d’un crépuscule d’automne.