Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome I/II

La bibliothèque libre.
Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (Ip. 8-46).




II.


EXHORTATION A L’ÉTUDE DES ARTS[1].


Chapitre premier. — Que l’homme l’emporte sur les animaux par son aptitude à apprendre et à exercer les arts. — Il cultive tous les arts qu’exercent instinctivement les animaux, et, de plus, il est familier avec les arts divins.


Les animaux qu’on nomme sans raison n’ont-ils en partage aucune espèce de raison ? Cela n’est pas prouvé ; car s’ils ne jouissent pas de celle qui se traduit par la voix, et qu’on appelle verbale, peut-être participent-ils tous, les uns plus, les autres moins, à la raison psychique et qu’on nomme intime[2]. Toutefois, il est évident que l’intelligence de l’homme le place beaucoup au-dessus des autres animaux ; cela est démontré par le grand nombre d’arts qu’il cultive, et par son aptitude à apprendre tous ceux qu’il veut, lui seul étant capable de science. En effet, les animaux, à quelques exceptions près, n’exercent aucun art ; encore, ceux qui le font avec succès obéissent-ils plutôt à un instinct naturel qu’à une détermination réfléchie[3]. Mais l’homme n’est étranger à aucun des arts propres aux animaux[4] ; il imite la trame de l’araignée ; il modèle comme les abeilles ; il peut s’exercer à la nage, bien qu’il soit fait pour la marche[5] ; mais, de plus, l’homme n’est point impropre aux arts divins ; émule d’Esculape[6], il se livre à la médecine ; rival d’Apollon, il pratique, en même temps que la médecine, tous les autres arts auxquels ce dieu préside : c’est-à-dire celui de tirer de l’arc, la musique et la divination[7] ; il cultive encore ceux auxquels préside chacune des Muses[8], car il n’est étranger ni à l’astronomie ni à la géométrie. De plus, comme le dit Pindare, son regard pénètre dans la profondeur de la terre, et s’élance par delà les cieux[9].

Enfin, par son amour pour l’étude, il s’est acquis le plus grand des biens célestes, la philosophie[10]. Aussi, pour tous ces motifs, et malgré la participation des autres animaux à la raison, l’homme, seul entre tous, est donc appelé par excellence raisonnable (λογικός).


Chapitre ii. — Qu’il est honteux de négliger les arts pour s’attacher à la Fortune. — Portrait de cette divinité inconstante et aveugle.


N’est-il donc pas honteux de négliger précisément ce que nous avons de commun avec les dieux[11], pour nous préoccuper de toute autre chose, et de mépriser la culture des arts, pour nous attacher à la Fortune ? Afin de dévoiler la perversité de ce génie, les anciens, non contents de le représenter, soit en peinture, soit en sculpture, sous les traits d’une femme (et cela était déjà un symbole assez significatif de déraison[12]), ont mis un gouvernail dans ses mains, ont placé un piédestal sphérique sous ses pieds, et ont recouvert ses yeux d’un bandeau, voulant, par tous ces attributs, nous montrer son instabilité[13]. De même qu’au milieu d’une violente tempête, sur le point d’être enveloppés et engloutis par les flots, on commettrait une grande faute en confiant le gouvernail à un aveugle ; de même, au sein des naufrages qui, dans le cours de la vie, assaillent tant de familles, naufrages plus terribles encore que ceux des vaisseaux, en pleine mer, on se tromperait étrangement, ce me semble, si dans les embarras extrêmes dont on est alors environné, on attendait son salut d’une divinité aveugle et instable. La Fortune est si stupide et si déraisonnable que, délaissant le plus souvent ceux qui méritent ses faveurs, elle enrichit les plus indignes[14] ; encore n’est-ce point d’une manière durable, mais pour les dépouiller bientôt des richesses qu’elle leur a prodiguées. Une foule d’hommes ignorants courent après cette divinité qui ne reste jamais en place, à cause de la mobilité de son piédestal qui l’entraîne, et l’emporte souvent au-dessus des précipices ou des mers ; là, ses suivants tombent et périssent pêle-mêle ; seule, s’échappant saine et sauve, elle se rit de ceux qui gémissent et l’appellent à leur aide, quand tout espoir est perdu. Telles sont les œuvres de la Fortune[15].


Chapitre iii. — Portrait de Mercure le créateur de tous les arts. — Tableau de ses adorateurs.


Voyez au contraire combien sont différents de ceux de la Fortune les attributs que les peintres ou les sculpteurs ont donnés à Mercure, le maître de la raison et l’artiste universel : c’est un frais jeune homme dont la beauté n’est ni empruntée, ni rehaussée par les ornements, mais elle n’est que le reflet des vertus de son âme. Son visage est riant, ses yeux sont perçants, son piédestal a la forme la plus solide, la moins mobile, celle d’un cube[16] ; il en est même qui représentent ce Dieu sous cette simple forme[17]. Considérez la troupe de ses adorateurs[18], toujours gais comme le dieu dont ils forment le cortège ; jamais ils ne se plaignent de lui comme le font les serviteurs de la Fortune. Jamais ils n’en sont abandonnés et ils ne s’en séparent jamais[19] ; accompagnant toujours le Dieu, ils jouissent incessamment des bienfaits de sa providence.


Chapitre iv. — Tableau du cortége de la Fortune. — Les favoris de cette divinité jouissent d’une prospérité éphémère, suivie de terribles revers. Ceux qui courent après elle, et qu’elle dédaigne, sont un ramassis de mauvais sujets et de débauchés.


Examinez au contraire les suivants de la Fortune, vous les verrez tous oisifs et inhabiles dans les arts[20] ; portés par l’espérance, ils courent après la déesse rapide, ceux-ci de près, ceux-là de loin, quelques-uns même sont suspendus à ses mains. Au milieu de cette foule vous distinguez d’abord Crésus de Lydie[21] et Polycrate de Samos. Spectacle étonnant ! Pour le premier le Pactole roule de l’or ; les poissons de la mer obéissent au second ! Après eux se trouvent Cyrus, Priam et Denys ; mais regardez à quelque temps de là, vous apercevez Polycrate attaché à une croix, Crésus vaincu par Cyrus, Cyrus lui-même courbé sous le joug d’autres rois, Priam jeté dans une prison, et Denys à Corinthe[22] ! Si vous examinez aussi ceux qui suivent de loin la divinité sans pouvoir l’atteindre, vous prendrez en dégoût tout ce cortège composé en grande partie de démagogues[23], puis de courtisanes[24], de pédérastes[25], et de gens qui ont trahi leurs amis ; vous y trouverez aussi des homicides, des violateurs du repos de la tombe, des voleurs, enfin une foule de misérables qui, non contents d’insulter aux Dieux, mettent leurs temples au pillage.


Chapitre v. — L’auteur revient sur le tableau que présente la suite de Mercure ; on n’y voit que des savants et des hommes de bien ; ils suivent le Dieu partout, et partout aussi le Dieu leur vient en aide. — Aristide en est un exemple.


Mais l’autre cortège, celui de Mercure, n’est composé que d’hommes décents, et cultivant les arts ; on ne les voit ni courir, ni vociférer, ni se disputer. Le Dieu est au milieu d’eux ; tous sont rangés par ordre autour de lui ; chacun conserve la place qui lui a été assignée. Ceux qui approchent Mercure de plus près, qui l’entourent immédiatement, sont les géomètres, les mathématiciens, les philosophes, les médecins, les astronomes et les grammairiens[26] ; viennent ensuite les peintres, les sculpteurs, les maîtres de grammaire, ceux qui travaillent le bois, les architectes, les lapidaires ; au troisième rang sont tous les autres artistes. Tel est l’ordre spécial pour chaque groupe ; mais tous ont toujours les yeux fixés sur le Dieu, et obéissent en commun aux ordres qui émanent de lui. Enfin vous apercevez à la suite de Mercure une foule qui forme comme une quatrième catégorie, mais elle ne ressemble en rien à celle qui court après la Fortune ; car ce n’est point par les dignités politiques, par l’illustration de la naissance, ou par la richesse que ce Dieu a coutume de juger de la supériorité des hommes ; il distingue et honore parmi tous les autres et tient toujours près de sa personne ceux qui mènent une vie vertueuse, qui excellent dans leur art, qui l’exercent suivant les règles, et qui obéissent à ses préceptes. À la vue d’une suite ainsi composée, vous serez saisi non-seulement du désir d’imiter tous ces hommes, mais de vénération pour eux. On y trouve Homère, Socrate, Hippocrate, Platon, et tous ceux qui sont passionnés pour ces écrivains que nous révérons à l’égal des Dieux comme les lieutenants et les ministres de Mercure. Parmi tous les autres, il n’en est aucun qui ne soit l’objet de ses soins ; non-seulement il s’occupe de ceux qui sont présents, mais il monte sur le vaisseau avec ceux qui naviguent[27] et ne les abandonne pas au milieu des naufrages. Ainsi Aristippe[28], pendant un voyage sur mer eut son vaisseau brisé par la tempête ; jeté sur les côtes de Syracuse, il fut bientôt rassuré en voyant tracées sur le sable des figures géométriques : il pensa qu’il venait d’aborder chez des Grecs, chez des sages et non chez des barbares ; il se dirige du côté du gymnase des Syracusains et à peine avait-il prononcé ces vers :

« Qui accueillera maintenant avec une chétive aumône Œdipe aujourd’hui errant ? »

Sophoc., Œd. Colon., v. 3-4.

qu’on s’empresse autour de lui ; on le reconnaît, et on lui prodigue aussitôt tout ce dont il a besoin. Quelques personnes qui devaient faire voile pour Cyrène sa patrie lui ayant demandé s’il avait quelque chose à faire dire à ses concitoyens : « Ordonnez-leur, répondit-il, d’acquérir seulement les biens qui suivent le passager à la nage lorsque le vaisseau est brisé. »


Chapitre vi. — Ceux qui courent après les richesses, perdent souvent la vie pour les sauver. — Singulière contradiction de ceux qui recherchent les esclaves habiles et les animaux bien dressés, et qui se négligent entièrement eux-mêmes. — À quoi ils ont été comparés par divers philosophes.


Beaucoup de ces misérables qui rapportent tout à la richesse, lorsqu’ils se trouvent dans de pareilles circonstances, ne pensant qu’à l’or et à l’argent, se chargent de leurs trésors, les suspendent à leurs vêtements, et perdent la vie[29]. Ils ne veulent pas considérer qu’eux-mêmes, les premiers, recherchent parmi les animaux sans raison ceux qui sont les plus industrieux. Ainsi ils préfèrent à tous les autres les chevaux qui sont dressés au combat, les chiens habitués à la chasse ; ils font apprendre quelques métiers à leurs esclaves, souvent même ils dépensent en leur faveur beaucoup d’argent, mais ils ne s’occupent pas d’eux-mêmes[30]. N’est-il pas honteux qu’un esclave soit estimé quelquefois dix mille drachmes quand le maître n’en vaut pas une ? Mais que dis-je une[31] ; on ne le prendrait même pas à son service pour rien. Peut-être de tels gens se méprisent-ils eux-mêmes, puisque seuls ils n’ont appris aucun art[32] ? En effet, quand on les voit former des brutes à diverses industries, ne vouloir à aucun prix d’un esclave paresseux et ignorant, s’efforcer de tenir leurs champs et leurs autres possessions dans le meilleur état possible, mais se négliger eux-mêmes et ne pas savoir s’ils ont une âme ou s’ils n’en ont pas, n’est-il pas évident qu’ils ressemblent au plus vil des esclaves ? C’est avec justice, qu’à de telles gens, si on en rencontre, on pourrait adresser ces paroles : O hommes ! vos maisons, vos esclaves, vos chevaux, vos chiens, vos champs et tout ce que vous possédez est dans un état florissant, vous seuls êtes incultes ! Démosthène et Diogène[33] avaient raison, le premier en appelant « moutons chargés d’une toison d’or » les riches ignorants ; l’autre en les comparant à des figuiers situés dans des lieux escarpés ; les hommes ne profitent pas de leurs fruits, mais seulement les corbeaux et les geais[34]. De même les trésors de ces riches ne servent pas aux hommes vertueux, mais sont la proie des flatteurs qui passent à côté d’eux comme s’ils ne les connaissaient pas quand la Fortune vient à les dépouiller[35]. Aussi n’était-il point étranger aux muses celui qui comparait les riches à une fontaine : on y vient puiser l’eau tant qu’elle en contient, mais, quand elle est tarie, on y satisfait aux besoins de la nature, après avoir relevé sa tunique[36]. Du reste il est très-rationnel qu’un homme dont la seule recommandation est la richesse, se trouve dépouillé avec elle de tous les avantages qu’elle lui procurait. Que peuvent espérer, en effet, ceux qui n’ayant aucune qualité personnelle s’enorgueillissent de circonstances étrangères et dépendantes de la Fortune ?


Chapitre vii. — Vanité des prérogatives de la naissance quand elles ne consistent pas à imiter les belles actions et les vertus de ses ancêtres. — Opinions d’Euripide, de Platon et de plusieurs autres écrivains sur cette matière. — Ce n’est pas non plus la patrie qui fait les grands citoyens, mais les grands citoyens qui illustrent leur patrie.


Tels sont aussi ces individus qui mettent en avant leur naissance, et qui en tirent une grande vanité. Comme ils ne possèdent aucune qualité qui leur soit propre, ils se mettent sous la protection de leurs ancêtres ; ils ignorent sans doute que les titres de noblesse ressemblent aux pièces d’argent : elles ont cours dans la ville où elles ont été frappées ; dans une autre, elles sont regardées comme de la fausse monnaie.

Jocaste : « Ton illustre naissance t’a-t-elle porté à un rang très-élevé ?

Polynice : « Il est mauvais de ne rien posséder ; ma noblesse ne me nourrissait pas. »

Euripide, Phenic., v. 404-5.

C’est un beau trésor, dit Platon, que les vertus de ses aïeux[37] ; mais il est encore plus beau de pouvoir lui opposer ce vers mis dans la bouche de Sthénélé (Iliade, IV, 405) :

« Nous nous glorifions de valoir beaucoup mieux que nos pères. »

Car si la distinction du rang sert à quelque chose, ce doit être seulement à nous rendre jaloux de suivre les exemples traditionnels de la famille ; quand nous dégénérons beaucoup de la vertu de nos ancêtres, ils doivent en éprouver un grand déplaisir, s’il reste quelque sentiment aux morts[38] ; et pour nous-mêmes, le déshonneur est d’autant plus grand que nous sommes d’une plus noble race[39]. Les hommes ignorants, mais d’une extraction tout à fait obscure, ont au moins cet avantage que la multitude ne les connaît pas tels qu’ils sont ; lorsqu’au contraire l’illustration et la distinction de l’origine ne permettent pas de se tenir cachés, que doit-on espérer de cette condition, si ce n’est l’éclat du déshonneur ?

Ceux qui se montrent indignes de leurs ancêtres ont droit à moins d’indulgence que les autres ; si donc un homme pervers se vante de sa naissance, il rend par cela même ses méfaits d’autant plus impardonnables. En effet pour juger les gens du commun, nous n’avons ni les mêmes épreuves, ni la même pierre de touche que pour les personnes d’une illustre lignée. Si les premiers sont des hommes médiocres, nous le leur pardonnons volontiers, trouvant une excuse dans la bassesse de leur origine ; mais nous ne faisons aucun cas des nobles, s’ils ne se rendent pas dignes de leurs ancêtres, lors même qu’ils se distingueraient beaucoup du vulgaire. Il faut donc qu’un homme sensé apprenne un art[40] ; s’il est de bonne famille, cet art ne le fera pas déroger ; et s’il n’apporte pas le privilége de la naissance, il commencera sa race, imitant en cela le vieux Thémistocle. Comme on lui reprochait sa naissance : « Je commence, répondit-il, une race pour ceux qui me suivront ; la mienne commencera avec moi ; la vôtre finira avec vous[41]. » Mais voyez : on ne refuse au Scythe Anacharsis ni l’admiration, ni le nom de sage, bien qu’il soit barbare d’origine. Comme un jour on lui faisait affront de sa qualité de Scythe et de barbare : « Ma patrie, répondit-il, est une honte pour moi, mais toi tu es une honte pour ta patrie[42], » réduisant ainsi complétement au silence un homme qui ne méritait aucune considération, et qui ne pouvait se recommander que de son pays. Quand on examine les choses avec attention, on reconnaît que ce ne sont pas les villes qui font la gloire des citoyens, mais au contraire que ce sont les citoyens versés dans la culture des arts qui font l’illustration de leur patrie. D’où vient, en effet, la renomnée de Stagire, si ce n’est d’Aristote ; et celle de Soli, si ce n’est d’Aratus et de Chrysippe[43] ? Pourquoi le nom d’Athènes s’étend-il si loin ? Ce n’est certes point à cause de la fertilité de son territoire, car le sol y est maigre ; mais cela tient au grand nombre d’hommes supérieurs que cette ville a vus naître, et qui ont partagé avec elle l’éclat de leur renommée. Vous apprécierez toute la justesse de cette réflexion, si vous vous rappelez que la qualité d’Athéniens n’a servi à Hyperbole et à Cléon[44] qu’à rendre leur perversité plus évidente.

« Autrefois on appelait les Béotiens pourceaux[45], »

Dithyr. fragm., 52, ed. Bergk.

dit Pindare ; — et ailleurs :

« [Énée, excite tes compagnons.] à montrer que nous ne méritons plus le renom de pourceau béotien[46], »

Olymp., VI, 90, ed. Bergk.

pensant avoir, par son talent poétique, effacé en quelque sorte le reproche d’ignorance attaché à toute une nation.

Chapitre viii — Sentiment des poëtes et des législateurs sur les avantages purement corporels. — Trait de Diogène qui confirme ce sentiment.


Le législateur d’Athènes, Solon, est peut-être digne d’éloges pour avoir affranchi le fils, auquel son père n’aurait appris aucun art, du soin de le nourrir dans sa vieillesse[47]. Comme[48] les arts s’exercent surtout à l’époque où le corps est dans son éclat, il arrive à beaucoup de jeunes gens doués d’une beauté remarquable, de négliger la culture de leur âme, et d’être obligés plus tard, mais quand cela ne leur sert plus à rien, de répéter avec le poëte :

« Puisse la beauté qui m’a perdu périr misérablement[49] ! »

Ils se rappellent alors la pensée de Solon qui recommandait de considérer surtout la fin dans la vie[50] ; ils jettent à la vieillesse une malédiction qu’ils méritent, et ils reconnaissent la vérité de ces vers d’Euripide :

« Il n’est pas sur de posséder une beauté qui dépasse la beauté ordinaire. »

Fragm. incert., 985, 156, ed. Dind., Oxon., 1851.

Il faut, comparant la beauté des jeunes gens aux fleurs du printemps, savoir que ses charmes ont peu de durée[51], et reconnaître la justesse de ces vers de la Lesbienne :

« Celui qui est beau, ne l’est qu’autant qu’on le regarde. Celui qui est bon, sera toujours beau. »

Sappho, fragm. 102, éd. Bergk.

On doit aussi en croire Solon qui exprime le même sentiment.

Pour recevoir la vieillesse qui nous dresse des embûches comme une funeste tempête, il ne faut pas seulement préparer une chaussure et des vêtements, mais une maison commode et mille autres objets, imitant en cela le nautonier expérimenté qui se précautionne de loin contre l’orage[52].

Car ce mot est désolant :

« L’insensé connaît le mal quand il est arrivé. »

Enfin, dites à quoi peut servir chez un jeune homme la beauté qui n’est accompagnée d’aucun talent. Est-ce pour la guerre ?[53] Mais on lui opposera avec raison ces paroles :

« Livrez-vous aux délicieuses occupations du mariage. »

Iliade, V, 249.

« Demeurez dans votre maison, pour vous y livrer aux travaux qui vous conviennent. »

Iliade, VI, 490.

« Nirée le plus beau des Grecs qui vinrent sous les murs d’Ilion… ; mais il n’était pas brave. »

Iliade, II, 180-2.

Homère ne parle qu’une seule fois de ce Nirée, dans le dénombrement des vaisseaux, pour montrer, ce me semble, l’inutilité des hommes qui sont doués d’une très-grande beauté, lorsqu’il leur manque tout ce qui sert à la pratique de la vie[54]. La beauté n’est pas même un moyen de s’enrichir, quoi qu’en disent quelques hommes pervers ; car on retire un gain honnête, glorieux et sûr de l’exercice d’une profession ; mais celui que rapporte le trafic de son corps et de sa beauté est infâme, et tout à fait répréhensible. Le jeune homme doit donc se conformer à cet ancien précepte[55] : Qu’il se regarde au miroir, et s’il est doué d’un beau visage, qu’il s’efforce de mettre son âme en harmonie avec son corps, persuadé qu’il est absurde qu’une âme déshonnête habite dans un beau corps ; s’il trouve, au contraire, son corps difforme, qu’il cherche avec d’autant plus de soin à orner son âme, afin de pouvoir dire avec Homère :

« Un homme peut être inférieur en beauté, mais un Dieu orne sa laideur par les dons de l’éloquence ; on se tourne vers lui, on le regarde avec attention ; il parle avec assurance et avec une aimable modestie ; il brille au milieu de l’assemblée, et quand il parcourt la ville, on le contemple avec admiration comme une divinité. »

Odyssée, VIII, 169-173.

De tout ce qui vient d’être dit, il résulte évidemment pour ceux qui n’ont pas perdu tout à fait la raison, qu’il ne faut se prévaloir ni de la naissance, ni de la richesse, ni de la beauté, pour négliger la culture des arts.

Ce qui précède suffirait ; mais je trouve mieux d’y ajouter une excellente et dernière confirmation, en racontant le trait suivant de Diogène[56] :

Mangeant un jour chez un homme dont l’ameublement était parfaitement disposé, mais qui n’avait pris aucun soin de lui-même, il toussa comme pour cracher, et, promenant ses yeux autour de lui, il ne cracha sur aucun des objets avoisinants, mais sur son hôte lui-même ; comme celui-ci lui reprochait avec indignation sa grossièreté, et lui en demandait la cause : « Je n’ai rien vu, dit-il, dans cette chambre, d’aussi sale que le maître de la maison : les murs sont ornés de belles peintures ; le pavé est formé d’une mosaïque de grande valeur, qui représente les images des Dieux ; tous les ustensiles sont brillants et propres ; les tapis et le lit sont merveilleusement travaillés ; je n’ai vu de sale que le maître de toutes ces choses ; or, la coutume générale est de cracher sur ce qu’il y a de plus abject. »

Jeune homme, gardez-vous donc de mériter qu’on vous crache dessus ! Évitez cette marque d’infamie, quand même tout votre entourage serait magnifique. Il est rare, sans doute, qu’un même homme réunisse tous les avantages : naissance, fortune et beauté ; mais si cela vous arrivait, ne serait-il pas déplorable que vous seul, au milieu de tant de splendeur, soyez digne de recevoir un crachat ?


Chapitre viii — Exhortation aux jeunes gens pour qu’ils ne se laissent pas séduire par les arts inutiles ou méprisables. — L’auteur cherche aussi à les prémunir contre la faveur publique qui s’attache à la profession d’athlètes. — Que l’homme tient à la fois des Dieux et des brutes, et qu’il doit s’efforcer de se rapprocher surtout des premiers. — On ne mérite pas les honneurs divins pour avoir gagné le prix de l’adresse ou de la force, mais par la science.


Courage, jeunes gens, qui, après avoir entendu mes paroles, vous disposez à apprendre un art ! Mais prenez garde de vous laisser séduire par un imposteur ou un charlatan qui vous enseignerait une profession inutile ou méprisable. Sachez, en effet, que toute occupation qui n’a pas un but utile dans la vie, n’est pas un art[57]. Quant aux autres occupations, vous savez par vous-mêmes, j’en suis persuadé, qu’il ne faut point, par exemple, appeler un art, ni ce talent qui consiste à voltiger[58], à marcher sur une corde mince, à tourner en cercle sans vertige, ni celui de Myrmécide d’Athènes, et de Callicrate de Lacédémone[59]. Mais je crains que le métier d’athlète[60], qui se vante de donner la force au corps, qui procure un grand renom auprès de la multitude, et que nos ancêtres honoraient, aux frais de l’État, par des distributions journalières d’argent[61], qui est même estimé à l’égal des positions les plus illustres[62], ne séduise quelques-uns d’entre vous, jusqu’au point de vous le faire préférer à un art véritable. Je crois donc devoir vous mettre en garde contre cette profession, car on se laisse facilement égarer dans les choses sur lesquelles on n’a pas réfléchi.

L’homme, jeunes gens, tient à la fois des Dieux et des animaux sans raison, des premiers comme être raisonnable, des seconds comme être mortel. Le mieux est donc de s’attacher aux rapports les plus nobles et de prendre soin de son éducation ; si on réussit on acquiert le plus grand des biens ; si on échoue on n’a pas la honte d’être au-dessous des animaux les plus inutiles. Si les exercices athlétiques manquent leur but, c’est un affront ; s’ils l’atteignent, on ne l’emporte même pas sur les brutes. Qui est plus vigoureux qu’un lion ou qu’un éléphant ? Qui est plus rapide à la course qu’un lièvre ? Qui ne sait que les Dieux eux-mêmes sont honorés seulement à cause des arts qu’ils ont exercés ? On ne décerne pas non plus aux personnages illustres les honneurs divins pour avoir bien couru dans le stade, lancé le disque, ou lutté avec avantage, mais pour avoir rendu des services dans la pratique de leurs arts. Esculape et Bacchus, qu’ils aient été d’abord des hommes ou qu’ils soient nés Dieux, ont été jugés dignes des plus grands honneurs, le premier parce qu’il inventa la médecine, le second, parce qu’il apprit à cultiver la vigne[63]. Si vous n’ajoutez pas foi à mes paroles, croyez du moins l’oracle d’Apollon Pythien ; c’est lui qui a déclaré Socrate le plus sage des mortels[64], et qui, s’adressant à Lycurgue, lui dit :

« Tu viens vers mon temple fortuné, ô Lycurgue, [agréable à Jupiter et à tous les dieux qui occupent les demeures de l’Olympe] ; je ne sais si je dois t’appeler un Dieu ou un homme, mais je crois plutôt, ô Lycurgue, que tu es un Dieu[65]. »

Le même oracle ne rendit pas un honneur moins grand à la mémoire d’Archiloque. Comme l’assassin de ce poëte voulait pénétrer dans le temple d’Apollon, le Dieu le chassa en lui disant :

« Tu as tué le nourrisson des Muses, sors de mon temple ![66] »


Chapitre x — Les suffrages de la foule ne suffisent pas pour relever la profession des athlètes ; ce n’est pas à la foule qu’on se confie pour les choses ordinaires de la vie, mais aux gens spéciaux et habiles. — Sentiment des poëtes et des autres écrivains sur la condition misérable des athlètes et sur leur inutilité. — L’auteur se propose de rechercher si la profession d’athlète a quelque utilité publique ou privée, et il rapporte à ce propos une anecdote sur Phryné.


Et vous, parlez-moi de pareils honneurs rendus aux athlètes ? Mais vous ne répondez pas parce que vous n’avez rien à dire, à moins que vous ne méprisiez les témoignages que j’invoque, comme indignes de votre confiance. Vous me laissez, en effet, soupçonner une pareille intention lorsque vous en appelez au témoignage de la multitude et que vous invoquez les suffrages qu’elle accorde aux athlètes. Mais vous-mêmes, quand vous êtes malades, vous ne vous mettez pas, je le sais, entre les mains de la foule, vous vous confiez au contraire à quelques hommes d’élite, et encore, parmi ceux-ci, vous choisissez le médecin le plus habile. Quand vous êtes sur mer, vous ne donnez pas le gouvernail aux passagers, mais au pilote seul ; de même, pour les choses de moindre importance, on a recours au charpentier si on bâtit, et au cordonnier si on a besoin de chaussures[67]. Comment se fait-il donc que dans une affaire aussi importante que celle dont il s’agit, vous revendiquiez pour vous seuls le droit de juger, et que vous l’ôtiez à ceux qui sont plus sages que vous ? Car je veux bien dans ce moment ne pas parler des Dieux. Écoutez donc le sentiment d’Euripide sur les athlètes :

« Mille maux affligent la Grèce, il n’en est pas de plus grand que la race des athlètes ! D’abord ils n’apprennent, ni ne pourraient apprendre à mener une vie honnête. Comment, en effet, un homme esclave de sa bouche et dominé par son ventre pourrait-il amasser quelque argent pour nourrir son vieux père ? Ils ne sont donc capables ni de souffrir le besoin, ni de surmonter l’adversité ; habitués aux mauvaises mœurs, ils se tirent difficilement d’embarras. »

Autolyc. Fragm. 281, 1, ed. Dind., Oxon., 1851.

Écoutez maintenant, si vous le voulez, ce que le même poëte dit de l’inutilité de tout ce que font les athlètes :

« Quel homme habile à la lutte, ou rapide à la course, ou lançant adroitement le disque, ou sachant bien briser une mâchoire, a mérité une couronne civique en servant le pays de ses pères ? »

Autolyc. fragm. 281,1, ed. Dind., Oxon. 1851.

Enfin, si vous voulez entendre un jugement encore plus explicite, écoutez de nouveau Euripide :

« Combat-on dans la mêlée le disque en main, repousse-t-on les ennemis de la patrie en courant à travers des boucliers ; personne ne fait de pareilles sottises quand il est devant le fer ennemi. »

Ibid.

Rejetterons-nous le témoignage d’Euripide et des écrivains qui lui ressemblent pour nous en rapporter au jugement des philosophes ? Mais tous, comme d’une commune voix, condamnent la profession d’athlète. Quant aux médecins, pas un seul, non, pas un seul, ne l’a approuvée. — Écoutez d’abord Hippocrate (De alim., Foës, p. 382, l. 29) :

« La diathèse athlétique, dit-il, n’est pas naturelle, mieux vaut la complexion (ἕξις) saine[68]. »

Tous les médecins les plus célèbres sont d’accord avec lui.

Cependant je ne voudrais pas seulement juger d’après les témoignages, car c’est plutôt un procédé de rhétorique que le fait d’un homme estimant la vérité. Mais puisque quelques personnes recourant aux suffrages de la multitude et à la vaine gloire qu’ils procurent, refusent de considérer la profession d’athlète dépouillée d’un prestige étranger, je suis contraint de leur opposer aussi des témoignages, afin qu’ils sachent bien que même de ce côté ils n’ont pas plus d’autorité que nous.

L’histoire de Phryné[69] me semble venir ici fort à propos : Assistant un jour à un banquet, où l’on jouait à ce jeu qui consiste à commander chacun à son tour ce que l’on veut aux convives, Phryné voyant que les femmes avaient peint leur visage avec de l’orcanette, de la céruse et du rouge[70], ordonna de tremper les mains dans l’eau, de se toucher le visage et de l’essuyer aussitôt avec un linge ; elle commença par le faire elle-même ; alors on vit la figure des autres femmes toute couverte de taches ; on eut dit des épouvantails[71] ; Phryné seule parut plus belle, car, elle seule possédait une beauté naturelle, sans fard, et qui n’avait pas besoin de détestables artifices.

Ainsi comme la vraie beauté doit être appréciée par elle-même et débarrassée de tous les ornements factices, de même, il faut examiner uniquement si la profession d’athlète renferme en elle-même quelque utilité publique pour l’État, ou privée pour celui qui l’exerce.


Chapitre xi — Que les athlètes ne possèdent ni les biens de l’âme, ni ceux du corps, ni les biens extérieurs. — Leur âme est noyée dans un bourbier de chair et de sang ; leur corps est soumis à toutes sortes d’infirmités par suite des excès de tout genre auxquels ils se livrent.


Il y a dans la nature les biens de l’âme, ceux du corps et les biens extérieurs[72] ; on ne saurait imaginer aucune autre espèce de biens. Les athlètes n’ont jamais joui des biens de l’âme, pas même en songe ; cela est tout à fait évident ; car bien loin de savoir si leur âme est raisonnable, ils ignorent même s’ils en ont une. Comme ils amassent une grande quantité de chair et de sang[73], leur âme est comme noyée dans un vaste bourbier[74] ; elle ne peut avoir aucune pensée nette ; elle est aussi stupide que celle des brutes. Les athlètes prétendent peut-être qu’ils participent à quelques-uns des biens corporels ; peuvent-ils se prévaloir de la santé, le plus grand des biens ? Mais on ne trouve chez personne une diathèse plus chancelante que chez les athlètes, s’il faut en croire cette parole d’Hippocrate (Aph., I, 3) : « L’embonpoint extrême que recherchent les athlètes est trompeur. » Tout le monde admire aussi cette belle sentence du même Hippocrate : « Que l’entretien de la santé consiste à éviter la satiété dans la nourriture, et la fatigue dans les exercices[75]. » Ep., VI, 4, 18, t. V, p. 312.

Mais les athlètes s’étudient à faire tout le contraire ; ils se fatiguent outre mesure, se gorgent de nourriture, et s’efforcent avec une fureur qui ressemble à celle des corybantes de mettre en défaut les paroles du divin vieillard. Traçant les règles du régime salutaire, Hippocrate (Epid., VI, 6, 2, t. V, p. 324) dit : « Fatigues, nourriture, boissons, sommeil, plaisirs de l’amour, que tout soit modéré[76]. »

Mais les athlètes se fatiguent chaque jour avec excès aux exercices, se remplissent de mets, se forcent pour manger, et prolongent souvent leurs repas jusqu’au milieu de la nuit[77]. Aussi pourrait-on leur adresser avec justice ces paroles :

« Les Dieux et les hommes qui combattent à cheval dorment pendant toute la nuit, domptés par un sommeil paisible ; mais le sommeil ne visite pas les misérables athlètes[78]. »

Iliad., XXIV, 677-9.

La même mesure qui préside à leurs exercices et à leurs repas règle aussi leur sommeil. En effet, à l’heure où les gens qui vivent selon les lois de la nature quittent le travail pour prendre leur repas, les athlètes se réveillent. Leur vie se passe comme celle des porcs, à cette exception près, cependant, que ceux-ci ne se fatiguent pas outre mesure, et ne se forcent pas pour manger[79], tandis que les athlètes sont soumis à ces excès ; quelquefois même, on leur déchire le dos avec des branches de laurier-rose. Aussi le vieux Hippocrate ajoute à ce que j’ai rapporté plus haut : « Remplir ou évacuer, échauffer ou refroidir, ou mettre le corps en mouvement de quelque façon que ce soit, beaucoup et subitement, est dangereux ; car, dit-il, l’excès est l’ennemi de la nature (Aph., II, 51). » Mais les athlètes ne tiennent compte ni de ces conseils ni de beaucoup d’autres si bien donnés par Hippocrate ; ils mènent une vie tout à fait contraire aux préceptes de l’hygiène ; aussi je regarde leur genre de vie comme un régime bien plus favorable à la maladie qu’à la santé. Je crois Hippocrate du même sentiment lorsqu’il dit : « La diathèse athlétique (διάθεσις ἀθλητική) n’est pas naturelle ; la complexion saine est meilleure[80]. » Non-seulement Hippocrate déclare contre nature le genre de vie des athlètes, mais il ne nomme même pas complexion (ἕξις) leur manière d’être, ne voulant pas se servir pour eux d’une expression par laquelle tous les anciens désignent l’état des individus en parfaite santé. La complexion (ἕξις) est un état permanent et qui change difficilement, tandis que l’embonpoint athlétique porté à l’extrême est trompeur et sujet à changer, car il ne saurait s’accroître, puisqu’il a atteint le degré le plus élevé ; et de ce qu’il ne peut ni demeurer au même point, ni être stationnaire, il ne lui reste plus qu’à se détériorer[81].

Tant que les athlètes exercent leur profession, leur corps reste dans cet état dangereux, mais ils tombent dans un état plus fâcheux encore quand ils la quittent ; en effet quelques-uns meurent peu de temps après, d’autres prolongent un peu leur carrière, mais ils n’arrivent pas à la vieillesse, ou, s’ils atteignent cet âge, ils ressemblent exactement aux Prières d’Homère[82] :

« Boiteux, ridés, et à l’œil louche. » Iliad., IX, 498-9.

De même que les murailles ébranlées par les machines de guerre tombent facilement à la première attaque, et ne peuvent soutenir ni une secousse ni quelque autre ébranlement moins considérable, de même les athlètes, dont le corps est ruiné et affaibli par les coups qu’ils reçoivent dans l’exercice de leur profession, sont prédisposés à devenir malades pour la moindre cause ; leurs yeux sont ordinairement enfoncés, et quand ces organes ne peuvent plus résister, ils deviennent le siége de fluxions ; leurs dents si souvent ébranlées tombent facilement lorsque avec le temps elles ont perdu toute solidité ; leurs articulations relâchées deviennent impuissantes à résister contre toute violence extérieure, car une partie affectée de déchirure musculeuse ou tendineuse se disloque aisément. Il est donc évident que sous le rapport de la santé il n’y a pas de condition plus misérable que celle des athlètes. Aussi pourrait-on dire avec raison que les athlètes ont été parfaitement nommés, [soit que les athlètes (ἀθληταί) aient pris leur nom des malheureux (ἀθλιοι),] soit que les malheureux aient pris leur nom des athlètes, soit que le nom des uns et des autres dérive d’une source commune, c’est-à-dire de leur condition misérable (ἀθλιότης[83]).

Chapitre xii — Que la profession d’athlète, loin de donner la beauté, disloque les membres et défigure le visage.


Maintenant que nous avons parlé du plus grand de tous les biens corporels, de la santé, passons aux autres[84]. Voici comment les athlètes sont partagés du côté de la beauté : non-seulement ils ne retirent sous ce rapport aucun avantage de leur profession, mais encore il arrive que beaucoup d’entre eux, dont les membres sont parfaitement proportionnés, tombent entre les mains des maîtres de gymnase qui les engraissent outre mesure, les surchargent de chair et de sang, et les rendent entièrement contrefaits. Quelques-uns même, ceux surtout qui exercent le pancrace ou le pugilat, ont le visage défiguré et hideux à voir[85]. Quand enfin ils ont les membres rompus ou disloqués, et les yeux hors de l’orbite, alors, je pense, alors apparaît avec évidence l’espèce de beauté qu’on retire d’une telle profession ! Voilà les heureux fruits que les athlètes recueillent sous le rapport de la beauté, tant qu’ils sont en bonne santé ; mais quand ils n’exercent plus leur profession, ils perdent tous leurs sens, et leurs membres se disloquant, comme je l’ai dit, les rendent complétement difformes.


Chapitre xiii — Que la force des athlètes est factice, elle ne convient qu’aux exercices de leur profession ; mais elle ne sert à rien soit pour les travaux de la campagne, soit pour la guerre, soit pour les autres besoins de la vie ; elle ne résiste à aucune intempérie. — Histoire de Milon de Crotone. — Que la force et l’adresse des athlètes ne peuvent même pas être comparées à celles des animaux. — Apologue qui le démontre.


Mais peut-être, à défaut de ces avantages, les athlètes rechercheront-ils la force, car ils diront, je le sais bien, que la force seule est ce qu’il y a de plus fort ; mais quelle force, ô Dieux ! et à quoi sert-elle ? Peut-elle être employée aux occupations de la campagne ? Les athlètes peuvent-ils bêcher, moissonner et labourer, ou se livrer avec succès à quelques autres travaux d’agriculture ? Peut-être, du moins, sont-ils aptes à la guerre[86] ? Mais rappelez-vous de nouveau les vers d’Euripide qui célèbre les athlètes en ces termes :

« Combat-on dans la mêlée le disque en main, personne en vérité ne fait de pareilles sottises, quand le fer ennemi brille devant lui.»

Autolyc., fragm., 281, i, ed. Dind., Oxon. 1851.

Mais, sans doute, émules d’Hercule lui-même, ils résistent au froid et au chaud ; couverts d’une seule peau l’hiver, aussi bien que l’été, ils n’ont point de chaussure et dorment à ciel ouvert couchés sur la terre ? Détrompez-vous ; ils sont sous ce rapport plus faibles que les enfants nouveau-nés[87]. — Dans quelles circonstances montrent-ils donc leur force ? de quoi sont-ils glorieux ? Ce n’est certes pas de pouvoir, à la palestre, ou au stade, renverser des cordonniers, des charpentiers ou des maçons ? Sans doute ils trouveront honorable de s’être, pendant tout le jour, couverts de poussière ? Mais les cailles et les perdrix en font autant. Si on peut se vanter beaucoup d’un pareil mérite, on le peut également de se laver dans un bourbier[88].

Par Jupiter ! Milon, ce fameux Crotoniate, parcourut un jour le stade, portant sur ses épaules un des taureaux immolés pour le sacrifice. O excès de déraison ! Comment ne pas reconnaître que peu d’instants avant l’âme du taureau portait le corps de cet animal vivant bien plus aisément que Milon n’avait réussi à le faire, puisqu’elle pouvait courir en le transportant ? Cependant cette âme n’avait aucun prix non plus que celle de Milon. Du reste la fin de cet athlète prouve combien il était insensé : voyant un jour un jeune homme qui, à l’aide de coins, fendait un arbre dans sa longueur, il l’éloigna en se moquant de lui et essaya de le fendre en se servant seulement de ses mains. Rassemblant, dans un premier effort, tout ce qu’il avait de force, il écarta les deux côtés de l’arbre ; les coins étant alors tombés, il ne put faire éclater le reste du tronc, malgré ses vigoureuses tentatives ; épuisé, il ne put retirer ses mains prises entre les deux éclats revenus sur eux-mêmes ; elles furent broyées. Telle fut la cause de la fin misérable de Milon[89]. Certes il lui a été bien peu utile dans cette occasion d’avoir pu porter dans le stade, un taureau mort ! Est-ce la vigueur que Milon a déployée dans cette circonstance qui aurait pu sauver la république des Grecs engagée dans la guerre contre les barbares ? N’est-ce pas plutôt la sagesse de Thémistocle qui, ayant interprété convenablement l’oracle, fit la guerre avec succès[90] ?

« Car un sage conseil l’emporte sur un grand nombre de bras ; l’ignorance armée est le pire des maux[91]. »

Eurip., Antiop. fragm., 205, 30, ed. Dind., Oxon. 1851.

Le régime des athlètes n’est donc, je crois l’avoir démontré avec évidence, utile à rien de ce qui regarde la pratique de la vie. Pour vous convaincre maintenant que dans les exercices gymnastiques, considérés en eux-mêmes, il n’y a rien qui ait quelque valeur, je vais vous raconter un apologue composé en vers épiques[92] par un de ces hommes qui ne sont pas ennemis des Muses. Le voici :

« Si par la volonté de Jupiter tous les êtres vivants s’accordaient et se réunissaient pour vivre ensemble, et si le héraut d’Olympie appelait, non-seulement l’homme, mais aussi les animaux, à entrer en lice dans le même stade, je pense qu’aucun homme ne serait couronné. Le cheval l’emporterait de beaucoup sur lui à la longue course appelée dolique. Le lièvre triompherait à la course du stade. L’antilope aurait la palme dans le diaule[93]. Aucun mortel ne pourrait entrer en lice avec les animaux pour la vitesse des pieds. O athlètes légers, que vous êtes misérables ! Un descendant d’Hercule lui-même ne passerait pas pour plus fort qu’un éléphant ou qu’un lion. Je pense aussi qu’un taureau triompherait au pugilat ; et si l’âne, ajoute le poète, veut combattre à coups de pieds, la couronne lui sera décernée ; bien plus, on écrira dans les annales savantes de l’histoire que des hommes ont été vaincus au pancrace par des ânes ; on ajoutera : ce fut dans la xxie olympiade qu’Onceste remporta la victoire[94]. »

Cet apologue, tout à fait gracieux, démontre que la force athlétique n’est pas celle que doivent cultiver les hommes. Et si les athlètes ne l’emportent même pas sur les animaux par leur force[95], de quel autre avantage peuvent-ils se prévaloir ?

Chapitre xiv — Que les athlètes ne jouissent d’aucun plaisir ; accablés de fatigues pendant qu’ils exercent, estropiés quand ils cessent leur métier, ils ne savent rien amasser pour leur vieillesse. Du reste, ce qui fait le mérite d’une profession, ce n’est pas qu’elle procure des richesses, mais qu’elle constitue un art utile. — Division des arts en deux catégories : les arts libéraux et les arts manuels ou mécaniques. — La médecine est le plus excellent de tous les arts.


Si les plaisirs peuvent être réputés un bien corporel, les athlètes ne le possèdent même pas, ni quand ils exercent leur profession, ni quand ils la quittent : lorsqu’ils l’exercent ils sont accablés de fatigues et de misères ; car non-seulement ils luttent, mais ils mangent par force ; et lorsqu’ils quittent cette profession, ils sont estropiés de presque tous leurs membres. Peut-être se vantent-ils de s’enrichir plus que personne ? Mais on peut se convaincre qu’ils sont toujours endettés ; et, soit pendant qu’ils exercent leur profession, soit après leur retraite, on ne trouve jamais un athlète plus riche qu’un intendant quelconque d’un homme opulent.

Toutefois, s’enrichir par sa profession ne constitue pas seul un titre méritoire ; ce titre, c’est de pratiquer un art qu’on puisse sauver du naufrage avec soi ; or cela n’est pas le fait de ceux qui gèrent les affaires des riches, ni des receveurs, ni des négociants ; ces gens-là s’enrichissent, il est vrai, surtout par leur profession ; mais s’ils perdent leur argent, leurs affaires périssent avec lui : car ils ont besoin d’un capital pour les soutenir. Que l’argent vienne à leur manquer, ils ne peuvent recommencer leur négoce, attendu que personne ne leur prête, si ce n’est sur gage, ou sur hypothèques. Si donc vous voulez trouver dans votre art un moyen sûr et honnête de faire fortune, choisissez-en un qui vous restera pendant toute votre vie. Il y a d’abord dans les arts une division première en deux catégories[96] : les uns sont du domaine de l’intelligence, ce sont les arts honorables, libéraux ; les autres, les arts illibéraux, consistant en des travaux corporels ; ils sont appelés mécaniques[97] et manuels. Le mieux serait assurément de choisir une profession dans la première catégorie, car les arts de la seconde ne peuvent plus ordinairement être continués pendant la vieillesse. Dans la première catégorie se trouvent la médecine, la rhétorique, la musique, la géométrie, l’arithmétique, la dialectique, l’astronomie, la littérature et la jurisprudence ; on peut, si l’on veut, y joindre la sculpture et la peinture ; en effet, bien que ces deux arts consistent en un travail manuel, ils ne réclament pas une force virile. Un jeune homme, dont l’âme ne ressemble pas tout à fait à celle d’une brute, doit donc choisir et exercer une de ces professions, surtout la médecine, qui selon moi est la meilleure de toutes[98]. Je le démontrerai dans la suite.



______________________

  1. Le titre de ce traité n’est point correct dans les manuscrits, aussi les éditeurs l’ont-ils changé un peu arbitrairement. Les premiers textes, ceux qui dérivent plus immédiatement des manuscrits (Alde et Froben suivis par Chartier) ont Γαληνοῦ παραφραστοῦ τοῦ Μηνοδότου προτρεπτικὸς λόγος ἐπὶ τὰς τέχνας. Morel a imprimé : Γαλ. παράφρασις εἰς τὸν τοῦ Μηνοδ. προτρεπτικὸν λόγον κ. τ. λ. Dans l’édition de Goulston, qui a retranché d’un cote et ajouté d’un autre, on lit : Γ. προτρεπτικὸς λόγος ἐπὶ τὴν ἰατρικὴν καὶ τὰς τέχνας. Willet, après avoir adopté le titre vulgaire, propose dans ses Addenda (p. 141) de le changer en Γαλ. παράφρασις τοῦ Μηνηδοτείου προτρεπτικοῦ ἐπὶ τὰς τέχνας. Quant à moi, je suis porté à croire que la mention de Ménodote dans le titre n’existait pas dans le texte primitif et que c’est une addition des copistes, ainsi que j’ai cherché à l’établir dans ma préface.
  2. Λόγος προφορικὸς… ἐνδιάθετος. Ces expressions dérivent de la doctrine des Stoïciens (κατὰ τοὺς ἀπὸ τῆς Στοᾶς, ainsi que le dit Porphyre, De esu carnium), elles signifient proprement le verbe intérieur et le verbe extérieur, la raison ou la parole pensée, la raison ou la parole parlée. — C’est le λόγος προφορικός et le λ. ἐνδιάθετος que Musonius (An mulieribus quoque philosophandum sit, ed. Peerlkamp, Haarl., 1822, 8o, p. 249), a défini lorsqu’il a dit : « Les femmes comme les hommes ont reçu des Dieux et le verbe extérieur dont nous nous servons dans nos rapports les uns avec les autres, et le verbe intérieur à l’aide duquel nous jugeons de chaque chose si elle est bonne ou mauvaise, belle ou honteuse. » Plutarque (Cum Princip. philosoph. esse, ii, p. 777 c) dit : « Il y a deux verbes, l’un intérieur (conçu en nous, ἐνδιάθετος), c’est un don du maître Mercure ; l’autre émis au dehors, il remplit le rôle de messager et se manifeste à l’aide des organes (ὁ δὲ ἐν προγορᾷ, διάκτορος καὶ ὀργανικός… L’amitié est le but de ces deux verbes, amitié du premier pour soi-même, amitié du second pour un autre ». Philon (Vit. Moys., t. III, p. 672 c, éd. de 1640, fo, p. 154), a très bien développé cette définition quand il a dit : « Dans l’homme il y a le verbe intérieur et le verbe extérieur : le premier est comme une source ; le second, qui est sonore (γεγωνός), en découle. Le siège du premier est la partie dirigeante de l’âme ; celui du second est la langue, la bouche et tout l’appareil instrumental de la voix. » Voy. aussi Porphyre, De esu carnium, III, ii, où l’on trouve un passage qui a la plus grande analogie avec celui de Galien. On sait que ce philosophe concède aux animaux une espèce de raison et une espèce de langage. Voy. encore Wyttenbach, aa Plut., De recta audiendi ratione, p. 44 a ; et Galien, De usu part. I, 3. — Ἐνδιάθετος et προφορικός trouvent leur équivalent en latin dans les mots, ratio et oratio. Il est peu de problèmes qui aient plus occupé les esprits élevés que celui de l’intelligence des animaux ; mais l’étude expérimentale de ce problème date de nos jours ; c’est le résultat de cette étude que M. Flourens a fait connaître dans un petit volume (De l’inst. et de l’intelligence des animaux), qui est un modèle de précision, de bon goût littéraire et de bon sens philosophique. Ce travail est tout à fait propre, si je ne me trompe, à mettre fin à la grande question sur l’âme des bêtes. Seulement j’aurais souhaité que M. Flourens, en remontant aux origines mêmes du débat, eût marqué la différence et les points de contact des systèmes qui ont divisé les philosophes et les naturalistes, et qu’il eût rapproché ces systèmes des théories physiologiques et psychologiques en vigueur aux diverses époques de l’histoire.
  3. Hippocrate a dit dans le même sens φύσεις πάντων ἀδίδακτοι (De alim., p. 382, l. 33, éd. Foës), phrase qui a été rapportée aux animaux par Galien dans plusieurs passages de ses livres. (Voy. les notes de Foës, p. 436, l. 41.) On lit aussi dans Aristote (Natur. auscult., II, viii, 7) : « Les animaux ne font rien ni par art, ni en cherchant, ni en tenant conseil ; aussi quelques-uns demandent-ils, si c’est par l’intelligence, ou d’une autre manière que travaillent les araignées, les fourmis et les autres animaux semblables. »
  4. « Il y a beaucoup de merveilles, mais il n’y a rien de plus merveilleux que l’homme : il franchit la mer blanchissante poussé par les vents orageux de l’hiver, et au milieu des flots qui frémissent autour de son navire ; chaque année en labourant avec la charrue promenée en tous sens par les chevaux il soulève la Terre, supérieure à tous les Dieux, éternelle et infatigable ; industrieux, il enlace et prend dans ses filets tressés avec des cordes la race des oiseaux légers, des bêtes fauves, et dans la mer celle des poissons ; par son adresse il triomphe des animaux féroces qui paissent sur les montagnes, il contraint le cheval au cou chargé d’une crinière, et le taureau indompté des montagnes à recevoir le joug ; il a été instruit dans la parole, dans la pensée rapide comme le vent, et dans les sentiments qui dictent les lois tutelle des cités, il connaît l’art de se protéger contre les traits de la pluie et contre les rigueurs des frimas, incommodes pour ceux qui y sont exposés ; fertile en expédients, il n’est au dépourvu pour rien de ce qui doit arriver ; Pluton est le seul qu’il ne sache pas éviter, mais il a imaginé des moyens d’échapper aux maladies difficiles à guérir. » Tel est le magnifique tableau que Sophocle, dans son Antigone (v. 332 et suiv.), fait du génie et de la puissance de l’homme.
  5. Dans son traité De Solertia animalium, Plutarque cherche en plus d’un passage à établir que l’homme n’est souvent qu’un imitateur des animaux ; il cite même en ces termes (§ 20, p. 974 b) l’opinion de Démocrite sur cette question : « Nous sommes vraiment ridicules de dire que les animaux apprennent quelque chose de nous ; Démocrite est d’avis, au contraire, que nous sommes leurs élèves dans les travaux les plus importants ; nous imitons l’araignée en tissant et en ravaudant ; l’hirondelle en bâtissant, et, dans nos chants, les oiseaux harmonieux comme le cygne et le rossignol. » (Voy. Mullach, Democr. fragm. p. 413.) — Plutarque ajoute encore quelques exemples tirés de la médecine, et entre autres cette fameuse imitation de l’ibis pour les lavements ; mais dans toutes ces spéculations il y a plus de fantaisie que de critique. D’abord les procédés employés par les animaux sont souvent fort différents de ceux que l’homme met en pratique ; en second lieu il y a des arts, comme le chant, par exemple, qui ne peuvent être primitivement qu’un don naturel et non une imitation ; en troisième lieu c’est une vue historique très-fausse et même une sorte de puérilité que d’assigner un temps déterminé à telle ou telle pratique qui est sans doute aussi ancienne que le monde et dont l’homme n’a jamais été privé. Enfin, se refuser à admettre que l’homme a dû recevoir, en puissance, du Créateur presque toutes les facultés artistiques, et que pour un grand nombre de points son éducation n’est pas faite sous l’influence des circonstances étrangères à sa propre nature, c’est à la fois rabaisser et méconnaître la condition humaine.
  6. Auprès des anciens, Esculape passait pour avoir apporté aux hommes la médecine inventée par son père Apollon. On lit dans l’Introduction ou le Médecin (t. XIV, chap. I, p. 674-5. Voy. aussi Celse, Proœm.), ouvrage qui figure parmi ceux de Galien : « Esculape apprit d’abord la médecine de son père Apollon, et il l’enseigna ensuite aux hommes ; c’est pourquoi on l’en regarde comme l’inventeur. Avant Esculape il n’y avait en effet sur la terre aucun art médical, les anciens avaient seulement une certaine expérience des médicaments et des plantes. » Dans Homère (Il., IV, 194 et XI, 517), Esculape est représenté seulement comme un médecin irréprochable, et dans l’Hymne XVI, c’est le médecin des maladies qui charme puissamment les humains, et qui calme les cruelles douleurs. — Esculape est un héros participant de la nature des dieux et des hommes, une sorte d’incarnation d’Apollon, mais ce n’est pas l’inventeur de la médecine ; ses fils Podalire et Machaon sont les médecins ou plutôt les chirurgiens de l’armée des Grecs. L’apothéose d’Esculape date d’une époque beaucoup plus récente ; Pindare (Pyth., III, v. 6, éd. Bergk) le nomme encore un héros ; mais dans le Serment d’Hippocrate il est placé à côté des autres Dieux de l’Olympe. — Dans les poëmes homériques notre art n’apparaît pas comme très-avancé, mais nulle part, dans ces poëmes, la médecine n’est représentée comme une invention récente, et, à vrai dire, toutes les origines précises données par les anciens ou par les modernes sont du domaine de la fable. Les premiers rudiments ou les germes des sciences et des arts se perdent dans la nuit des temps, et nous n’apercevons guère les uns ou les autres qu’à leur état d’éclosion ou d’efflorescence. L’historien au lieu de perdre son temps et son érudition à rechercher quels sont les inventeurs de la médecine, doit se contenter de marquer la véritable place de ces prétendus inventeurs dans l’histoire et dans la mythologie et de mettre en lumière les plus anciens témoignages positifs sur notre science ; il ne doit pas surtout s’arrêter à ces questions futiles de la prééminence ou de la préexistence de l’une ou de l’autre des diverses branches de l’art de guérir.
  7. Platon (Crat., p. 405 a), outre qu’il représente Apollon comme inventeur de la musique, de la divination, de la médecine et de l’art de lancer les traits (voy. aussi Conviv., p. 197 a), fait une espèce d’anagramme sur le mot Apollon, qu’il décompose de façon à y trouver les éléments des mots qui signifient musique, médecine, divination, art de lancer les flèches. C’est là un spécimen de la science étymologique des anciens.
  8. Voy. sur les attributions des Muses aux diverses époques, Heyne, Opusc. acad., t. II, p. 309 sq. ; Müller, Archæol. d. Kunst, § 393, p. 532 et Vinet, notes du VIIe livre de l’Histoire des religions, par Creuzer, trad. de M. Guignaut, t. III, IIe part., iie sect., p. 951 suiv.
  9. C’est dans Platon (Theœt., p. 173 e) que nous trouvons ce fragment de Pindare, plusieurs fois cité dans la suite, mais de diverses manières (voy. Bergk, dans Pindari fragm. incerta ; Poetœ lyrici graeci, p. 294), pour montrer la supériorité de l’homme sur les animaux. — Voyez aussi Cicéron, De nat. Deor., II, 56. Dans le Cratyle (p. 399 b-c), Platon trouve l’étymologie du mot homme, ἄνθρωπος, dans la faculté de regarder, qui le distingue particulièrement des animaux. « Ce nom d’homme (ἄνθρωπος) signifie que les autres animaux n’examinent pas ce qu’ils voient, ne raisonnent pas sur les objets qui frappent leurs yeux, ne les regardent pas (οὐδὲ ἀναθρεῖ). Mais l’homme, en même temps qu’il voit, regarde et raisonne sur ce qu’il voit ; c’est donc avec justice que l’homme seul, parmi les autres animaux, a été appelé à bon droit ἄνθρωπος, c’est-à-dire qui regarde ce qu’il voit. Pour former ce mot, il n’a fallu qu’ôter un α et reculer l’accent de la dernière syllabe (καὶ βαρυτέρας τῆς τελευτῆς γενομένης). » — Voyez, du reste, sur les différentes étymologies d’ἄνθρωπος, Etymol. mag., 109, 16 ; Van Lennep, Etymol. ling. graecae, édition E. Scheidius, sub voce ; Lobeck, Paralip. ling. grœcœ, p. 118 ; Soranus, De morbis mul., édit. Dietz, p. 90 (notez en passant que ce chapitre n’est certainement pas de Soranus, mais d’un auteur chrétien). — Bien que la formation d’ἄνθρωπος soit expliquée de diverses façons, la signification radicale de ce mot est néanmoins presque toujours ramenée à celle que Platon veut y trouver.
  10. « La vue, à mon avis, dit Platon, dans son beau langage, a été pour nous la source des plus grands avantages. C’est elle qui nous a donné le désir de rechercher la nature de l’univers, d’où est née pour nous la philosophie, le plus grand bien que la race mortelle ait jamais reçu, et doive jamais recevoir de la libéralité des Dieux. Je ne pouvais taire cet avantage de la vue, le plus grand de ceux qu’elle nous procure. » (Tim., p. 47 a-b, trad. de M. H. Martin.) — Cicéron a repris et paraphrasé cette pensée de Platon dans plus d’un passage de ses œuvres. (Voy. entre autres Tusc. quaest., 1 ; Acad., 1, 2.)
  11. Salluste (Cat., 1) a dit : « Nostra omnis vis in animo et corpore sita est ; animi imperio, corporis servitio magis utimur ; alterum nobis cum Diis, alterum cum belluis commune est. »
  12. Willet, par respect pour les femmes, tâche dans ses notes (p. 65) d’atténuer la dureté du mot ἄνοια, employé par Galien : ἄνοια, dit-il, si vera sit lectio (doute plus galant que critique !) mitiori sensu accipiendum est, ut magis congruat cum Virgiliano (Æn., IV, 570) : Varium et mutabile semper femina. » Mais on sait dans quel état d’abaissement social et de servitude domestique, la femme était réduite dans l’antiquité. Les Flores sententiarum, et bien d’autres livres, sont remplis d’épigrammes violentes contre la femme. La réhabilitation de cette plus belle partie du genre humain par le christianisme ne l’a pas encore mise à l’abri des plus injustes attaques.
  13. Le portrait de la Fortune et de ses adorateurs, par Pline (II, v, 7, texte de Sillig, 1831), est tracé avec de si vives couleurs, que je cède au plaisir de le mettre sous les yeux des lecteurs : « Toto mundo et omnibus locis omnibusque horis omnium vocibus Fortuna sola invocatur ac nominatur, una accusatur ; una agitur rea, una cogitatur, sola laudatur, sola arguitur et cum conviciis colitur ; volubilis a plerisque, a plerisque vero et cæca existumata, vaga, inconstans, incerta, varia indignorumque fautrix. Huic omnia expensa, huic omnia feruntur accepta, et in tota ratione mortalium sola utramque paginam (l’actif et le passif, le doit et avoir) facit, adeoque obnoxiæ sumus sortis ut Sors ipsa pro Deo sit, qua Deus probatur incertus. » — Lucien, dans ses Dialogues des Morts, nous rapporte cette réponse de Diogène à Alexandre, affligé de ses défaites : « Eh quoi, tu pleures, ô homme superbe ! Le sage Aristote ne t’a-t-il pas enseigné qu’il ne faut pas se fier à la stabilité de la Fortune ? » Voy. aussi Cebes, Tabula, § 8, p. 3, éd. Dübner ; Maxime de Tyr, Diss., II, § 6-7 et 14, § 7, éd. Dübner. — Pindare montre plus de confiance en ce génie, car il l’appelle soutien des villes (φερέπολις, dans Plutarque, De Fort, rom., x, p. 322 c, et Pausan. Messen., IV, xxx, p. 355). — Notre douteur Montaigne a dit (I, xxxiii) : « L’inconstance du bransle divers de la Fortune faict quelle nous doibve présenter toute espèce de visages. » Il croit, du reste, qu’il y a plus de justice expresse et plus d’à-propos dans la Fortune que dans les calculs de la raison la plus prudente et la plus droite ; un peu plus loin il appelle la Fortune un sort artiste ! — Moins habitués que nous aux idées de providence, les anciens accusaient la Fortune de tous les événements où nous voyons l’intervention de la volonté divine, et son action sur la terre.
  14. « Beaucoup de méchants s’enrichissent et les bons restent pauvres ; mais nous, nous ne changerons pas avec les premiers la vertu pour la richesse, car la richesse est un empêchement ; les hommes possèdent les richesses, tantôt les uns, tantôt les autres. » Solon, Fragm. 16, éd. Bergk.
  15. « Il y a, dit Platon (Gorgias, p. 448 c), parmi les hommes, une foule d’arts trouvés expérimentalement à force d’essais ; car l’expérience nous fait diriger notre vie conformément à l’art, et l’inexpérience conformément à la fortune. Les uns se livrent à un art, les autres à un autre ; les hommes les plus excellents cultivent les arts les plus nobles. » — Hippocrate dit dans la Loi : « L’inexpérience est un mauvais trésor et un mauvais fonds pour ceux qui, jour et nuit, la possèdent ; étrangère à la paix de l’âme et au contentement, elle nourrit la timidité et la témérité. »
  16. Voyez sur le développement successif du mythe, et sur les attributs de Mercure aux diverses époques de l’antiquité, Müller, Archæol. der Kunst, § 379, p. 503 ; Creuzer, Relig. de l’antiq., traduite par M. Guignaut, t. II, IIe partie, ire section, p. 678 et suiv., et iie section, notes, p. 1344 et suiv., et Gerhard, De relig. Hermarum. — Le type de Mercure n’a pas toujours été aussi honnête que nous le représente Galien ; l’idée du Dieu-voleur a précédé celle du Dieu de l’intelligence, et la première s’est ensuite peu à peu transformée en celle du Dieu des transactions commerciales.
  17. Il y avait beaucoup de ces représentations de Mercure ; on les appelait Hermès (Ἑρμᾶς) ; la tête et le phallus, ou la tête seule, étaient sculptés sur un bloc de pierre quadrangulaire ; c’est de là que vient l’épithète τετράγλωχις (quadrangulaire) donnée à Mercure.
  18. Galien se sert ici du mot θιασῶται, terme primitivement consacré pour désigner les personnes faisant partie d’une thiase, ou réunion, dans laquelle on célébrait les fêtes d’un Dieu, et particulièrement de Bacchus. Plus tard, θίασος a signifié toute espèce de réunion, même profane.
  19. Le texte porte οὐδὲ χωριζομένους ; Willet veut lire χειμαζομένους (agités par les tourments de l’inquiétude). Il est certain que ce sens irait très bien et que οὐδὲ χειμ. répondrait à cet autre membre de phrase : καὶ διὰ παντὸς ἀπολαύοντας τῆς προνοίας αὐτοῦ. On pourrait d’ailleurs appuyer cette correction, comme le fait Willet, sur un passage de Plutarque (De animi tranq., p. 466 c), mais le texte vulgaire étant suffisant, il n’y a aucune nécessité de le changer.
  20. Comme on demandait à Socrate (Xénophon, Memorab., III, ix, 14) quel avantage lui paraissait le plus grand pour un homme, il répondit : Bien faire une chose utile (εὐπραξία). Et comme on lui demandait encore s’il estimait que le bonheur dû à la fortune était un avantage : « Je pense, dit-il, que l’action et la fortune sont deux choses tout à fait opposées. En effet, rencontrer sans les rechercher quelques-unes des choses qui conviennent, c’est la bonne fortune (εὐτυχία) ; mais bien faire, en apprenant et en exerçant, c’est pour moi le succès, et ceux qui le recherchent me paraissent bien agir. » Socrate, ajoute Xénophon, regardait comme les plus excellents et les meilleurs serviteurs des Dieux, les hommes qui remplissent bien leur profession. Admirable sentence, trop souvent perdue de vue !
  21. L’histoire de tous les personnages nommés par Galien est trop connue pour que je m’y arrête ici.
  22. On sait que Denys à Corinthe était un proverbe pour les anciens comme il l’est encore pour nous ; Galien a heureusement maintenu dans son texte la forme proverbiale.
  23. Δημαγωγούς. Ce mot, pris d’abord en bonne part, devint au temps de Périclès une épithète injurieuse, et servit à désigner les hommes qui, par leurs paroles et leurs actions, entraînaient le peuple en favorisant ses passions (voy. Aristote, Polit, passim. Les poëtes, surtout les tragiques et les comiques (voy. entre autres Eurip., Hecub., v. 254 suiv. et Aristoph., Equit., v. 191 suiv. et 217 suiv, abondent en invectives contre les démagogues et la démagogie.
  24. Les hétères (ἑταῖραι) étaient des filles publiques non esclaves, et les πόρναι des filles publiques esclaves. — Voy. sur la signification de ces mots, Rosenbaum, Die Lustseuche in Alterthüme, § 10, p. 93 suiv.
  25. Πόρνοι, en latin cinaedi ; voy. sur ce mot le Trésor grec.
  26. Γραμματικός (litteratus) répond assez bien chez les auteurs classiques à notre mot philologue ou critique ; pour les Alexandrins il désignait plus particulièrement, soit ceux qui interprétaient les poëtes, soit ceux qui enseignaient la grammaire ou qui écrivaient sur cette partie de la philologie, non d’une façon élémentaire mais avec les ressources de la critique et de l’érudition. Les γραμματισταί (litteratores) étaient proprement des humanistes, des pédagogues, des maîtres de grammaire pour les enfants. — Voy. du reste le Trésor grec à ces deux mots, et au mot κριτικός, ainsi que Facciolati, voc. criticus.
  27. Cicéron (Pro Archia, vii) a dit en parlant des plaisirs comparés aux études littéraires : « Ceteræ (se. delectationes) neque temporum sunt, neque ætatum omnium, neque locorum ; hæc studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant ; secundas res ornant, adversis perfugium ac solatium præbent ; delectant domi, non impediunt foris, pernoctant nobiscum, peregrinantur, rusticantur. »
  28. Cet Aristippe est le fondateur de la secte Cyrénaïque (cf. Diog. Laert., II, 8, 5). Vitruve (De Architect., VI, præf.) raconte aussi ce trait ; mais il fait aborder Aristippe à Rhodes et non à Syracuse. Diogène de Laerte (VI, i, 4) attribue à Antisthène une réponse analogue à celle qui est mise par Galien dans la bouche d’Aristippe.
  29. Willet, dans ses notes, me paraît avoir torturé ce membre de phrase en cherchant à lui trouver un sens moral ; à mon avis il signifie tout simplement que ceux qui, au milieu d’un naufrage, ne pensent qu’à ramasser leurs trésors, périssent au milieu des flots, soit pour avoir perdu un temps précieux, soit pour s’être chargés d’un poids qui les entraîne au fond de la mer.
  30. Une phrase presque analogue se trouve dans Xénophon, Mem. Socrat., I, 5, 2.
  31. S. Clément d’Alexandrie (Pædag., III, vi), dans un chapitre où il établit que le chrétien seul est riche, a une invective toute semblable contre les mauvais riches ; il ne les compare pas même à leurs esclaves, mais à leurs chevaux.
  32. Dans les Mémorables de Xénophon (I, ii, 59), on lit cette belle parole de Socrate : « Ceux qui ne sont utiles à rien, ni par les paroles, ni par les actes, et qui ne peuvent rendre aucun service ni à la guerre, ni à la ville, ni dans leur propre maison, doivent être éloignés de toute façon, surtout s’ils sont en outre présomptueux, lors même qu’ils possèdent de très-grandes richesses. » — Sappho dit aussi (Fragm., 83, ed. Bergk) : « La richesse sans la vertu n’est pas un hôte inoffensif, mais la réunion des deux avantages est le comble du bonheur. »
  33. Wyttenbach (Biblioth. crit., t. II, pars IIe, p. 108, et t. III, pars ult., p. 57-8) n’a pas retrouvé de traces de cet apophtegme dans les ouvrages de Démosthène. Mais, comme ce critique éminent le remarque, dans les citations de cette nature les auteurs se trompent très souvent de nom, quelquefois même ils les inventent. Ne serait-il pas possible que Διογένης (Diogène le Cynique) fut une correction pour Δημοσθένης que portait un manuscrit ? Les deux noms auraient ensuite passé dans le texte. — Quant à Diogène, son homonyme de Laerte (VI, ii, 47) lui prête ce mot : Τὸν ἀμαθῆ πλούσιον πρόβατον εἶπε χρυσόμαλλον. Dans Galien il y a χρυσᾶ πρόβατα. Socrate (dans Stobée, Florileg., tit. iv, no 85, p. 57), en apercevant un jeune homme riche mais ignorant, s’écria : « Vous voyez un esclave d’or. »
  34. Diog. Laert., VI, ii, 60.
  35. On connaît ces vers si souvent répétés d’Ovide (Trist., I, eleg. 8, v. 5-6) :

    Donec eris felix multos numerabis amicos,
    Temporasi fuerint nubila, solus eris.

    Le traité de Plutarque Sur le discernement des amis d’avec les flatteurs, est un beau et utile commentaire du passage de Galien.

  36. Ἀνασυράμενοι προσουροῦσι. — Voy. Willet, p. 84. — Quel est cet οὐδὲ ἄμουσός τις qui fait cette comparaison assez peu décente ? Willet l’ignore et je ne le sais pas davantage.
  37. « Hériter de la renommée de ses pères est un beau et très-précieux trésor ; mais dépenser ce trésor de richesses et de gloire, faute de l’avoir augmenté par ses propres ressources et par sa propre illustration, ne pas le transmettre à ses descendants, c’est honteux et indigne d’un homme. » Platon, Menex., p. 247 b. — Plus haut, dans le même Dialogue (p. 247 a), Platon dit encore : « Que vos premiers, que vos derniers efforts, que toute votre ardeur tendent donc toujours et de toute manière (διὰ παντὸς πᾶσαν πάντως προθυμίαν) à élever votre gloire au-dessus de la nôtre et de celle de vos ancêtres. »
  38. On lit dans le Ménexène de Platon (p. 248 b-c) une phrase presque toute semblable : « S’il reste aux morts quelques sentiments pour les vivants, nous éprouverons surtout un grand déplaisir de savoir que nos parents se tourmentent et gémissent de leur sort ; nous nous réjouirons au contraire de les voir supporter leur malheur avec résignation et modération. »
  39. « Majorum gloria posteris lumen est, neque bona, neque mala in occultis esse patitur. » (Salluste, Jugurtha, lxxxv.)
  40. C’est à peu près la thèse soutenue par Rousseau dans son Émile. Seulement Galien s’arrête aux arts proprement dits, et Rousseau descend jusqu’aux métiers.
  41. On ne sait d’où Galien a tiré ce trait de Thémistocle ; toutefois Hérodote (VIII, cxxv), Platon (De Republ., I, p. 429 e), et d’autres auteurs racontent quelque chose d’analogue : « Comme un certain Timodème d’Aphidné disait à Thémistocle qu’il avait été honoré à Lacédémone, non pour lui-même, mais en sa qualité d’Athénien : — Il est vrai, répondit celui-ci, si j’étais de Belbinte (île du golfe Salonique) je ne recevrais pas de tels honneurs des Spartiates, mais, toi, tu n’en recevrais pas lors même que tu serais Athénien. » — Stobée (Floril., tit. lxxxvi, no 15, p. 493) et Plutarque (Apophth., p. 187 b) prêtent à Iphicrate tout ou partie de la réponse qui est mise par Galien dans la bouche de Thémistocle. — Du reste Cornélius Népos et Plutarque ne sont pas d’accord sur la noblesse de la famille de ce grand capitaine, et on n’a aucun moyen de savoir lequel des deux a raison.
  42. Voy. Diog. Laert., I, viii, 5. ― Dans Stob., Floril., tit. lxxxvi, no 16, p. 493, le mot est d’un tour moins heureux : « Je suis Scythe de nation, mais non de mœurs, » aurait répondu Anacharsis.
  43. Aratus est l’astronome fameux dont il nous reste quelques ouvrages, et Chrysippe est le philosophe stoïcien disciple de Zénon et successeur de Cléanthe.
  44. Thucydide (VIII, lxxiii) dit de cet Hyperbole que c’était un mauvais citoyen chassé de la ville, non parce qu’on le redoutait, mais à cause du déshonneur qu’il y causait par sa perversité. Aristophane le nomme souvent avec mépris et tout le monde était animé du même sentiment contre cet homme dépravé. Le démagogue Cléon est également flétri par Thucydide (III, xxxvi ; IV, xxi et xxii) et par Aristophane ; Plutarque (De curios.) l’appelle κομῳδούμενον (bafoué, couvert de ridicule).
  45. On sait que la grossièreté, l’ignorance et la voracité des Béotiens sont restées proverbiales. Les auteurs de l’antiquité, poëtes ou prosateurs, sont remplis de traits satiriques contre les habitants de cette partie de la Grèce peu favorisée, du reste, par la nature. Horace (Epist. II, i, v. 244) ne croit pas mieux pouvoir peindre un jeune homme stupide que par ce trait :

    Bœotum crasso jurares aëre natum.


    Voy. aussi Gataker (Adv. misc. posth., col. 549 suiv.).

  46. Pour mieux faire comprendre le sens de la citation de Pindare, j’ai ajouté entre crochets une partie du membre de phrase qui précède cette citation. — Enée est, suivant le scoliaste, un maître de chœur attaché à Pindare.
  47. Voy. Plutarque, Vit. Solon, xxii, p. 197 (t. I, p. 360, éd. R.), il paraît aussi qu’à Sparte Lycurgue avait privé des droits de citoyens les pères qui négligeaient l’éducation de leurs enfants.
  48. Tout ce membre de phrase, où il est fait une allusion détournée à un vice infâme, se lie assez mal avec le commencement du chapitre auquel Willet a voulu le rattacher ; ce n’est point, en effet, quand la faute vient des enfants, mais quand elle vient des parents, que la loi de Solon, très-contestable du reste dans son principe, doit recevoir son application. On doit admettre que le texte a subi ici quelque altération ou mutilation, et séparer le membre de phrase en litige de ce qui le précède pour le réunir par le raisonnement à celui qui commence par ces mots : Ils se rappellent alors
  49. Wyttenbach et Willet regardent ces vers comme appartenant à une tragédie indéterminée d’Euripide, mais je ne les vois point figurer dans la dernière collection des fragments de ce poëte, donnée à Oxford en 1851 par G. Dindorf ; il n’est pas du tout certain qu’ils doivent lui être rapportés.
  50. C’est tout ce que nous savons de ce précepte de Solon. Bergk, dans son édition des poëtes lyriques, a négligé de relever ce passage. Des omissions analogues se remarquent pour Pindare et pour d’autres poëtes.
  51. Théocrite, dans ses Idylles (XXIII, 28), a exprimé cette idée avec sa grâce ordinaire : « La rose est belle, mais le temps la flétrit ; la violette est belle au printemps, mais elle vieillit vite ; le lis est blanc, mais il se flétrit quand il tombe ; la beauté des jeunes gens est belle, mais elle dure peu. »
  52. « Une vertu parfaite et une conduite parfaite sont nécessaires, dit Aristote (Ethic. Nichom., 1, x (ix), § 10 et 11), car il arrive dans la vie beaucoup de changements et d’infortunes, et il est possible que l’homme, heureux dans sa jeunesse, éprouve de grandes adversités dans sa vieillesse, comme on le raconte de Priam dans les vers héroïques. »
  53. « A quoi te serviront, dit Hector à Paris, et la lyre, et les dons de Vénus, et ta chevelure, et ta belle apparence, quand tu rouleras dans la poussière des combats ? » Iliade, III, 54. — Voy. aussi Ovid., Héroid., XVII, 251 :

    Quod bene te jactas et fortia facta recenses,
    A verbis facies dissidet ista tuis.
    Apta magis Veueri, quam sunt tua corpora Marti.
    Bella gerant fortes ; tu, Pari, semper ama.

  54. « La beauté et la force du corps, quand elles sont le partage d’une âme lâche et vicieuse, sont tout à fait déplacées ; elles ne font que mettre plus en évidence celui qui les possède et signaler davantage sa lâcheté. » Platon, Menex., p. 246 e.
  55. Ce précepte est de Socrate. Plutarque (Præcept. conjug., p. 141 d) le rapporte en ces termes : « Socrate ordonne aux jeunes gens de se regarder au miroir, afin de s’embellir par la vertu, s’ils sont laids, et s’ils sont beaux, de ne pas souiller leur beauté par les vices. » Voy. aussi Diog. de Laert., II, v. 16. — Phèdre (III, 7) a mis cette pensée en apologue. Le précepte de Socrate était si connu dans l’antiquité que Galien dit, sans nommer l’auteur : Χρὴ τοίυν τὸν νέον, πειθόμενον τῷ παλαιῷ παραγγέλματι. De même, Phèdre commence sa fable par ces mots : Præcepto monitus. — Sénèque, dans ses Questions naturelles, I, xix, a également paraphrasé l’apophthegme de Socrate sans nommer ce philosophe, et il ajoute que les miroirs ont été inventés pour que l’homme se connût mieux.
  56. Diogène de Laerte (VI, ii, 6, 32), raconte aussi ce trait, mais avec beaucoup moins de détails. Ailleurs (II, viii, 4, 75) il attribue à Aristippe une conduite semblable.
  57. Cette définition se retrouve à peu près textuellement dans Lucien (Parasit., iv, p. 840) ; c’est évidemment aussi l’opinion de Platon (Polit., p. 341 c, et p. 342), dans son habile argumentation contre Thrasymaque. Aristote (Moral. Nichom., I, 1, 1), a dit à peu près dans le même sens : « Tout art, toute méthode, toute œuvre et toute intention paraissent tendre vers le bon. »
  58. Le texte vulgaire a πεττευριπτεῖν, c’est-à-dire τοὺς πεττοὺς εὔ ῥίπτειν (bien jeter les dés). Ce mot ne paraît se trouver que dans ce passage de Galien ; aussi Jamot, Goulston et Chartier le regardent-ils comme fort suspect et veulent lire πεταυρισιεῖν dérivé régulièrement de πέταυρον, qui signifie proprement un perchoir fixe pour les oiseaux domestiques. Les archéologues sont fort incertains sur la vraie nature du pétaurisme ; Krause (Gymn. u. Agon. der Hellenen, t. I, p. 325-6) est d’avis qu’il s’agit d’une balançoire ; c’était aussi, à ce qu’il paraît, celui de Mercuriali (De arte gymn., III, viii) ; mais je regarde cette opinion comme très-peu d’accord avec les textes où il est question du pétaurisme, textes presque exclusivement latins, attendu que ce jeu ne paraît pas avoir été fort en usage chez les Grecs. Facciolati dans son Lexique a rassemblé avec beaucoup de soin tous les passages des auteurs, et de leur confrontation il résulte pour moi que le pétaurisme consistait essentiellement à sauter d’une espèce de perche ou bâton, ou à se précipiter comme si on volait, et peut-être en faisant la culbute. Suivant quelques auteurs les pétauristes étaient aussi lancés par le mouvement d’une roue, mais je crois qu’il s’agit ici d’un jeu différent du pétaurisme et analogue à celui dont Aristophane parle dans le Δαίδαλος. (Fragm. 234 (3), éd. Dind.) Un vers de Martial (XI, 21,3) a fait aussi penser que le pétauriste passait à travers une roue en mouvement ; mais ce vers présente beaucoup d’obscurité. — Peut-être le pétaurisme ressemblait-il à ce jeu qui consiste à se lancer en l’air en se plaçant à l’extrémité d’une longue planche douée d’un mouvement élastique. — Quoi qu’il en soit, le pétaurisme est rangé par les anciens dans la classe des sauts, et même Pline (XI, xxxix) appelle petauristœ certains insectes immondes du genre des puces. Un scoliaste de Juvénal (voy. Ang. MaÏ, Glossarium novum latin.) dit que le pétaurisme chez les Africains consistait à se faire lancer entre les cornes d’un taureau. Voy. aussi du Cange, voce Petauristarii ; ajoutez enfin que la machine de guerre décrite par Polybe (VIII, vi, 8), et probablement figurée dans Caylus (Rec. d’antiq., t. V, pl. 86, no 2, p. 241) est appelée πέτευρον et était disposée pour sauter dans la place. La correction de Jamot et des autres éditeurs est d’autant plus probable que les anciens mentionnent souvent ensemble le funambulisme et le pétaurisme. — Willet défend la leçon πεττευριπτεῖν, en se fondant sur ce que dans Homère on trouve la mention du jeu qui serait désigné par πεττευριπτεῖν, ; mais cela n’est point une raison suffisante.
  59. « Oculorum acies vel maxime fidem excedentia invenit exempla… Callicrates ex ebore formicas et alia tam parva fecit animalia ut partes eorum a cæteris cerni non possent. Myrmecides quidem in eo genere inclaruit, a quo quadrigam ex eadem materia, quam musca integeret alis, fabricatam, et navem quam apicula pennis absconderet. » Pline, Hist. nat., VII, xxi. — Cf. aussi XXXVI, iv, 29, Varron, De Ling. lat., VII, i, et IX, 108, édit. Mueller, et Cicéron, Acad., II, xxxviii. — Plusieurs artistes des temps modernes, entre autres L. Séries (voy. Mariette, Pierres gravées, t. I, p. 424), ont rivalisé de patience et d’habileté avec les Myrmécide et les Callierate. — Je m’explique mal, je l’avoue, comment Galien a pu mettre sur le même rang les Funambules et de véritables artistes ; car ce n’est pas tout à fait le cas de répéter ici avec Martial (epigr. II, 86, v. 9-10) :

    Turpe est difficiles habere nugas,
    Et stultus labor est ineptiarum.

    Sans doute, on ne peut comparer ni Myrmécide et Callicrate, ni Séries, aux maîtres dans l’art du ciseleur ; on ne saurait nier néanmoins que les ouvrages infiniment petits et bien modelés, ne soient la preuve d’un talent réel, uni à une rare patience et à une extrême délicatesse de main. L’assimilation que fait Galien dans cet opuscule me paraît d’autant plus surprenante, que dans le traité De l’utilité des parties (voy. dans ce volume le chap. ier du livre XVII, vers la fin), il loue précisément un travail du genre de ceux de Callicrate.

  60. Galien ne manque jamais l’occasion de prodiguer les injures aux athlètes, qu’il ne craint pas de mettre au-dessous même des cochons (voy. plus loin, ch. xi. — Utrum medic. sit an gymn. hyg., xxxvii, t. V, p. 878 ; Parvæ pil. exercit., 3, ib., p. 905 ; Comm. IV in lib. Hipp. De alim., § 2, t. XV, p. 398). Longtemps avant lui, Solon (Diog. Laert., I, ii, 8), Xénophane, dans Athénée, X, vi, et Euripide, ibid., v (voy. ch. x, une partie de ce passage d’Euripide), avaient jeté un blâme sévère sur la profession des athlètes, attendu qu’elle ne se prêtait ni à former de braves soldats, ni à procurer de bons administrateurs à l’État. Platon est du même avis (De republ., III, p. 403 e). À l’origine de la société grecque, la gymnastique n’avait pour but que de rendre le corps à la fois plus robuste et plus agile ; mais elle devint bientôt une espèce d’entraînement, et déjà, au temps de Pindare, elle avait dégénéré ; aussi, dans les louanges que le poëte thébain prodigue aux vainqueurs, doit-on voir plutôt l’enthousiasme de l’imagination dominée par le côté brillant des jeux, que le sentiment de la complète réalité. — Ni Platon (voy. A. Kapp, De Plat. re gymnast., Hammonæ, 1828, 4o), ni Galien, ne confondaient la gymnastique proprement dite avec les exercices athlétiques ; ce dernier regarde au contraire la gymnastique comme une partie de la médecine ou plutôt de l’hygiène. Faber, dans son Agonisticon, chap. ii, ne paraît pas avoir bien compris cette importante distinction du médecin de Pergame.
  61. On voit par Diogène de Laerte (I, ii, 8) que déjà Solon avait été obligé de réduire les récompenses en argent qu’on donnait aux athlètes, et qu’il avait établi une règle de proportion, suivant l’importance des jeux et des exercices, attendu qu’il est absurde d’élever ces récompenses, et qu’on doit le faire seulement pour ceux qui meurent en combattant, et dont les enfants doivent être nourris aux frais de l’État. — Les athlètes étaient en tel honneur en Grèce, que Cicéron a pu dire (Pro Flacco, xiii) des vainqueurs au pugilat dans les jeux olympiques : « Hoc est apud Græcos… prope majus et gloriosius esset quam Romæ triumphasse. »
  62. Voy., sur les honneurs rendus aux athlètes, Faber, Agonisticon, I, iii, et passim, II, ix-xiii ; xvii-xx ; xxii-xxv et xxvii : III, i. Mais l’auteur montre peu de critique en ne distinguant pas assez les diverses époques de l’histoire, les différents pays, et les genres variés d’exercices et d’honneurs, et en n’apportant pas assez de discernement dans le choix des textes. — Mercuriali (De re gymn., I, iii) et Faber (libr. laud. iii, init.), ont rapporté aux athlètes un texte de Pline (XVI, liii : Ludos ineunti semper assurgi etiam a Senatu, etc.), qui évidemment, dans la pensée de l’auteur, regarde ceux qui ont reçu une couronne pour avoir rendu quelque service éclatant à l’État. — On pourra consulter aussi O. Falconerius (Inscript. athlet., dans Gronovius, t. VIII, p. 2295 et suiv.).
  63. « Hic est, dit Pline (Hist. nat., II, vi), vetustissimus referendi bene merentibus gratiam mos, ut tales numinibus adscribant. »
  64. « Sage Sophocle, plus sage Euripide, le plus sage des hommes, Socrate. » Cet oracle se trouve en entier ou en partie dans plusieurs auteurs anciens, et notamment dans Platon (Apol., p. 21 a) ; dans Xénophon (Apol. Socr., § 14) ; dans Diogène de Laerte (II, v. 28) et dans le scol. d’Aristophane (Nub., 98).
  65. Cet oracle en vers se trouve dans Hérodote (I, lxv). - Voy. aussi Xénophon (Lib. sup. laud., § 15). J’ai ajouté entre crochets les vers omis par Galien.
  66. Cette histoire est racontée par plusieurs auteurs, entre autres par Aristide (Oxon., 1730, t. II, p. 293), par Plutarque (De sera num. vind., xvii, p. 560 e), par Eusèbe (Præp. evang., V, xxxiii), et par Suidas (voce Ἀρχίλοχος). Le meurtrier d’Archiloque est nommé Callondas, le corbeau, par Plutarque et Suidas, et Archias par Œnomaüs, dans Eusèbe. - Voyez, pour plus de détails, Wyttenbach, Ad Plut., loc., laud.
  67. Wyttenbach, dans sa Bliblioth. critique, t. II, part. II, p. 109, est d’avis que ce passage a été emprunté au premier Alcibiade de Platon. « Hæc tamen similia sunt iis, quæ apud Platonem disputantur, Alcib., I, ut inde sumpta esse appareat. » Il est vrai qu’au commencement du dialogue, Socrate cherche à convaincre Alcibiade que ce n’est pas de la foule qu’on apprend ni la notion du juste et de l’injuste, ni toutes les idées qui regardent l’homme et les choses ; mais les paroles ne sont pas du tout semblables, et je trouve une bien plus grande analogie entre les réflexions de Galien et le passage suivant de Xénophon (Mem. Socr,, III, iii, 9) : « Socrate. Certes, tu sais que dans toutes les choses de la vie, on se fie de préférence à ceux qu’on regarde comme les meilleurs ; ainsi, en cas de maladie, on se remet surtout entre les mains de celui qu’on estime être le médecin le plus excellent ; sur mer, on se confie au meilleur pilote, et pour les travaux de la terre, au meilleur agriculteur, etc. » Voyez aussi Lucien, Hermotim., lii, t. I, p. 993-4.
  68. D’après Galien (De bono hab., i, t. IV, p. 750), on appelle ἕξις tout ce qui est persistant et difficile à transformer, μόνιμον καὶ δύσλυτον (cf. aussi Arist., Categ., v et vi ; Metaph., IV, xx ; Galien, Utrum med. sit an gymn. hyg., xii, t. V, p. 834, et Meth. med., II, iii, t. X, p. 87). Il semble ressortir de plusieurs endroits de Galien (voy. Ars med., xiv, t. I, p. 841, Comm. Il in vict. acut., § 31 et 47, t. XV, p. 570 et 610. — Cf. aussi Gorræus, Définit. med. v. ἕξις, et l’lnd. de M. Ermerins sur Arétée), que ce mot était principalement employé par les médecins pour désigner l’état des solides, surtout celui des parties externes. Or, εὐεξία ne signifiant pas autre chose qu’une bonne ἕξις, ce mot devait s’employer naturellement pour désigner un bon état des solides, surtout des parties extérieures, c’est-à-dire une bonne complexion. Il faut remarquer cependant que Galien (De bono hab., loc. cit., p. 750 sqq. ; Utrum medic., etc., ix, t. V, p. 819, Comm. in Salub. diæt., § 28, t. XV, p. 217, Comm. in Aphor., I, 3, t. XVII, B, p. 362) fait souvent une distinction entre l’εὐεξία proprement dite, et l’εὐεξία des athlètes. La première était exactement la santé parfaite (voy. Galien, De bono hab., loc. cit., p. 751 ; Utrum medic., etc., xii et xv, p. 824 et 830 ; Suidas, in voce) ; la seconde, au contraire, recherchait quelque chose de plus, et particulièrement la masse des chairs (Galien, De bono hab., loc. cit., p. 753). Mais il paraît que la première εὐεξία était une conception purement médicale ; et comme l’embonpoint a été de tout temps considéré comme un signe de santé par les gens étrangers à la médecine, εὐεξία signifiait pour le vulgaire tout simplement l’embonpoint. Les médecins eux-mêmes se conformaient quelquefois à cet usage. Ainsi Théophile (Comm. in Aph., I, 3, édit. Dietz, t. II, p. 258) dit εὐεξίαν Ἱπποκρ. καλεῖ τὴν πολυσαρκίαν, et, suivant Aristote (Eth. Nicom., V, i), l’εὐεξία consistait dans la densité de la chair, tandis que, suivant Galien (Comm. in diæt. salub., loc. cit.), c’était justement la densité de la chair qui rendait la santé des athlètes si précaire. Selon Zénon le Stoïcien, au contraire (ap. Gal., De plac. Hipp. et Plat., V, ii, t. V, p. 440), c’était la bonne proportion des quatre qualités élémentaires qui produisait l’εὐεξία. — Quant à l’embonpoint des athlètes, il n’est pas nécessaire de nous y arrêter, car on trouvera d’amples détails sur ce sujet dans Krause (Die Gymnast. und Agonist. der Hellenen, p. 656 sqq.). Remarquons seulement qu’on regardait cet embonpoint des athlètes comme étant uniquement formé de chair et non de graisse (voy. Arist., Problem., VIII, 4). — Cf. aussi note 3, de la page 35.
  69. Courtisane grecque célèbre par sa beauté et pour avoir contribué de son argent à faire relever les murs de Thèbes, renversés par Alexandre (voy. Ælian., Var. hist., IX, xxxii, et les notes de Kuehn, t. II, p. 42). — L’histoire que raconte Galien ne paraît pas se retrouver ailleurs.
  70. En parlant du luxe des femmes, Lucien (Amor., xl, t. II, p. 440-1) dit : « Il semble que toute l’Arabie s’exhale de leur chevelure. » Ὅλην Ἀραβίαν σχεδὸν ἐκ τριχῶν ἀποπνέουσαι.
  71. Μορμολυκεῖον signifie proprement un masque d’acteur ; mais ce mot a servi ensuite à désigner un épouvantail, c’est-à-dire tout ce qui cause de vaines terreurs (voy. le Très. grec).
  72. C’est une division tout aristotélique des diverses espèces de biens, ainsi que le remarque Willet. Il faut ajouter avec Cicéron (De Finib., II, xxi) : « Pugnant Stoïci cum Peripateticis. Alteri negant quidquam esse bonum, nisi quod honestum sit ; alteri plurimum se et longe, longeque plurimum tribuisse honestati, sed tamen et in corpore et extra statuisse quædam bona. » — « Et certamen honestum, — s’écrie Cicéron, — et disputatio splendida ! Omnis est enim de virtutis dignitate contentio ! »
  73. Cette surcharge de chairs et de sang se faisait particulièrement remarquer chez les athlètes qui s’exerçaient à la lutte, au pancrace et au pugilat, car les coureurs devaient être au contraire légers et agiles. Les monuments antiques représentent souvent cet embonpoint démesuré (voy. par exemple Krause, Gymn. und Agon. der Hellenen, pl. 17 et 18, et t. II, p. 658). Cet excès d’embonpoint ou d’εὐεξία était précisément la cause des maladies fatales auxquelles les athlètes étaient sujets, ainsi qu’Hippocrate (Aph., I, 3) et Aristote, dans ses Problèmes (I, 28), l’ont remarqué. « Quand les vaisseaux, dit Galien (Comm. I in Aph. Hipp., § 3, t. XVII², p. 363), sont remplis outre mesure par les boissons ou les aliments, il y a danger qu’ils se rompent ou que la chaleur naturelle elle-même soit étouffée ou éteinte ; cela est arrivé à plusieurs athlètes qui sont morts subitement après être arrivés à une réplétion extrême. » Voy. Plutarque (De sanit. tuend., V, p. 124) qui raconte la mort subite du pancratiaste Régulus. — Ailleurs (Utrum medic. sit in gymn. hyg., xxxvii, t. V, p. 876), le même Galien dit : « La santé consiste dans une certaine mesure, mais la gymnastique des athlètes engendre l’excès ; elle produit des chairs abondantes et denses ; elle augmente la quantité du sang et le rend très-tenace, et très-visqueux ; elle a pour but, en effet, de développer non-seulement la force, mais le volume et le poids du corps, afin de mieux écraser l’adversaire ; de telle sorte que ce métier est non-seulement inutile pour le jeu naturel des fonctions, mais encore dangereux sous tous les autres rapports. » Voy. aussi De bono habitu, t. IV, p. 753 ; Plutarque, De sanit. tuenda, xvi, p. 130 a, et Philon (Leg. sacr. alleg., I, t. I, p. 63, éd. Mangey, 1742) : « L’athlète et moi, dit ce dernier, nous vivons d’une manière très-différente : je mange seulement pour vivre, lui vit pour engraisser et pour se fortifier. » — Théocrite, dans sa xxiie idylle (v. 44 et suiv.), nous a laissé le portrait d’un de ces athlètes, d’une corpulence formidable sous les traits d’Amycus : « Là, un homme immense était assis en plein air, terrible à voir, aux oreilles brisées par les durs gantelets ; sa poitrine gigantesque était fortement bombée, et son large dos était recouvert d’une chair de fer, comme serait celle d’un colosse fabriqué avec le marteau ; sur ses bras vigoureux, les muscles de l’épaule se dressaient comme ces blocs de pierre que le torrent polit en les roulant dans ses vastes flots. » — Lucien (Dialogues des Morts, X, v) nous représente plaisamment Mercure ordonnant à un athlète de déposer sa chair avant d’entrer dans la barque, de peur de la faire chavirer : « Toi, ô homme épais, muni de chairs abondantes, qui es-tu ? — Damasias l’athlète… Reçois-moi, puisque je suis nu. — Toi nu, mon cher, oh non, tu es entouré de trop de chairs ! Dépouille-toi de ce fardeau avant d’entrer dans la barque, et n’y mets d’abord qu’un pied. »
  74. Ce membre de phrase, comme le remarque Wyttenbach (Bibl. crit., p. 110), semble tiré de Platon (De republ., VII, xix, p. 533 d) : « Καὶ τῷ ὅντι ἐν βορβόρῳ βαρβαρικῷ τινι τὸ τὴς ψυχῆς ὄμμα κατορωρυγμένον ἠρέμα ἕλκει καὶ ἀνάγει ἄνω. »
  75. Socrate (Xénophon, Mem. Socr., I, ii, 4) exprime la même pensée en d’autres termes.
  76. La modération en toutes choses est le fond de toute hygiène comme de toute philosophie ; aussi est-elle recommandée sous toutes les formes dans les écrits des anciens et des modernes.
  77. « On les voit, dit Galien (Utrum medic. sit an gymn. hyg., xxxii, t. V, p. 879), passer toute leur vie à tourner dans un cercle, ou à manger, ou à boire, ou à dormir, ou à décharger leur ventre, ou à se rouler dans la poussière et dans la boue. »
  78. Le dernier vers d’Homère est :

    Ἀλλ᾿ οὐκ Ἑρμείαν ἐριούνιον ὕπνος ἔμαρπτεν.

    Pour l’accommoder à son sujet, Galien l’a changé en celui-ci :

    Ἀλλ᾿ οὐκ ἀθλητὰς κακοδαίμονας ὕ. ἔμ.

  79. Voy. Athénée, Deipnosoph., X, i-vii. — Potter, dans ses notes sur le Pédagogue de Clément d’Alexandrie (t. I, p. 163), a cité plusieurs textes qui se rapportent à cette ingurgitation forcée d’aliments et de boissons (ἀναγκοφαγία et ἀναγκοσιτία), et il a rappelé quelques exemples de voracité remarquables des athlètes, entre autres de Milon et de Théagène. — Voy. aussi, sur le régime des athlètes, leur voracité et la pesanteur de leur esprit, Faber, Agonisticon, III, i et suiv.
  80. C’est ici le lieu de transcrire un passage de Celse (II, ii) qui est une sorte de commentaire de l’aphorisme d’Hippocrate : « Si plenior aliquis, et speciosior, et coloratior factus est, suspecta habere sua bona debet ; quæ quia neque in eodem habitu subsistere, neque ultro progredi possunt, fere retro, quasi ruina quadam, revolvuntur. »
  81. Voy. la note 1 de la p. 33.
  82. « Les Prières, filles du grand Jupiter, sont boiteuses, ridées et à l’œil louche. » ― Galien a repris la même comparaison dans le traité De parva pil., 5, t. V, p. 910.
  83. Galien ne donne cette étymologie que comme un jeu d’esprit et non comme un fait grammatical ; c’est avec raison, car ἀθλητής vient de ἀθληέω (combattre, lutter pour un prix, et, quelquefois, par une dérivation un peu détournée, être accablé de maux, mala tolerare, malis exerceri) et non de ἄθλιος. Ce n’est donc point à cause des maux qu’ils souffrent, que les athlètes ont été appelés ἀθληταί, mais parce qu’ils combattaient pour un prix. C’est sans doute par une dérivation métaphorique secondaire, qu’ἄθλιος (mot surtout employé par les Attiques), venant d’ἆθλος (prix), d’où ἀθλέω, signifie malheureux, misérable. Ainsi le mot ἀθλητής n’emporte aucune idée de misère dans sa formation et sa dérivation. - Voy. du reste Etymol. magn., voc. Ἀθλησαι, p. 25, l. 36 et suiv. — Faber (Agonist., III, i) paraît admettre, au moins pour le sens d’ἀθλητής, l’étymologie de Galien. — Pour toute cette phrase, qui est évidemment altérée, j’ai suivi l’interprétation de Willet, p. 122, en ajoutant entre crochets ce qui me paraissait nécessaire pour compléter le sens.
  84. Ici Galien, comme le remarque Willet, admet la division vulgaire des biens corporels, mais dans le traité intitulé : Si l’hygiène fait partie de la médecine ou de la gymnastique (xiv-xv, t. V, p. 828-9), il la combat en ces termes : « Certaines personnes soutiennent qu’il existe non pas un seul bien du corps, mais trois : la santé, la force et la beauté, et qu’il est possible de concevoir l’existence de deux arts, l’un qui procure ces biens, l’autre qui les conserve ; je dois les réfuter, et d’abord je montrerai qu’il n’y a pour le corps qu’un seul bien primitivement et proprement dit auquel tous les autres se rapportent ; les autres avantages appelés biens du corps ne sont, ceux-ci qu’une partie, ceux-là que la cause de ce bien ; enfin, d’autres en sont, pour ainsi dire, le fruit. En effet, puisque les belles couleurs, la belle carnation, la symétrie et certaines autres qualités, constituent la beauté, qui empêche que le bien corporel soit constitué par la réunion de la santé, de la force et de la beauté ? Qui empêche ensuite que, d’un côté, le bien du corps lui-même soit la santé, et que, de l’autre, la beauté et l’activité des fonctions soient un fruit de cet état de santé ? Qui empêche encore que l’activité des fonctions soit le premier bien du corps, et que la santé en soit la cause ? Car ce n’est pas une chose qui rend le corps sain et une autre qui le rend fort ou beau ; mais tout cela est exactement sain. D’où il résulte qu’il n’y a qu’un seul art traitant le corps, car en faisant les mêmes choses, nous jouirons tout à la fois d’une grande activité dans les fonctions, de la beauté, de la santé et d’une bonne apparence ; de même, si nous commettons quelque faute nuisible à notre corps, nous détruisons l’énergie de nos fonctions, nous compromettons notre beauté, nous diminuons notre bonne complexion, et nous affaiblissons notre santé ; car toutes ces choses croissent ou diminuent en même temps. »
  85. Les fractures du nez, mais surtout celles des oreilles, étaient très-fréquentes dans les luttes du gymnase ; aussi les médecins anciens parlent-ils plus fréquemment que les modernes de ce genre d’accident, qu’on voit même représenté sur les statues antiques (voy. Hippocrate, De articul., §§ 35-40, t. IV, p. 158 et suiv., et Argument de M. Littré, ib., p. 4 ; Mochlique, §§ 2-3, t. IV, p. 345, et Argument, p. 332). Dans cet argument, M. Littré a rapporté, d’après Krause (lib. laud., t. I, p. 516) différents textes sur la fracture de l’oreille dans les combats du ceste. — Théocrite, dans sa xxiie Idylle, nous peint un de ces horribles combats d’où les lutteurs se retiraient le visage et le corps en lambeaux ; et dans l’Anthologie (II, Épigr. 1) nous lisons une épigramme de Lucilius dans laquelle il rapporte qu’un athlète était sorti si défiguré des jeux olympiques, que ses parents ne purent le reconnaître et qu’il fut ainsi frustré de sa part dans l’héritage paternel.
  86. Les mêmes idées sont exprimées, à peu près dans les mêmes termes, par Galien dans le traité : Si l’hygiène fait partie de la médecine ou de la gymnastique (chap. xxxiii, t. V, p. 870-871, et chap. xlvi, p. 894).
  87. Faber (Agonisticon, III et suiv.) cherche à établir que les athlètes étaient sobres, tempérants et propres à supporter les influences extérieures ; mais ici encore aucun choix dans les textes et des figures de rhétorique prises pour la réalité. Il faut remarquer aussi que la tempérance des athlètes était toute de circonstance, n’avait d’autre but que le triomphe dans les exercices et n’était ni une vertu, ni une règle bien entendue d’hygiène. Leur force de résistance contre les intempéries, n’existait, pour ainsi dire, que sur le théâtre même des exercices.
  88. Les lutteurs étaient dans l’habitude de se rouler dans la poussière ou de se frotter avec de la boue, suivant qu’il s’agissait de saisir plus facilement son adversaire ou de mieux glisser entre ses mains (voy. Willet, p. 128-129). En parlant des cailles et des perdrix, Galien entend-il, ainsi que paraît le croire Willet, les combats d’animaux, très-répandus chez les anciens (voy. par exemple Plutarque, De anim. tranquill., p. 417 d), et où les oiseaux figuraient aussi bien que les chiens et les chevaux ? Il me semble que c’est plutôt de la part de l’auteur une allusion à l’habitude que les cailles et les perdrix ont de se rouler dans le sable et la poussière, d’où les épithètes ὄρνιθες κονιστικοί ? (Aristote) ; aves se pulverantes ou pulveratrices (Pline). Voy. Trésor grec, v. Κονιστικός.
  89. L’histoire de Milon et de son genre de mort est racontée par divers auteurs, entre autres par Pausanias (VI, xiv, 5-8) et par Valère Maxime (IX, xii, 9).
  90. Voy. Cornélius Népos, Themistocles, chap. ii. — L’oracle d’Apollon Pythien est rapporté par Hérodote (VII, cxli).
  91. C’est à peu près dans le même sens que Cicéron (De officiis, I, xxii) a dit : « Parvi enim sunt foris arma, nisi est consilium domi. »
  92. Dans les éditions d’Aide et de Bâle, cette fable est imprimée sermone soluto ; dans une grande partie de son étendue, le texte, considéré en lui-même et tel que le donnent les Mss., est très-loin de la forme épique ; on y trouve peu d’hexamètres réguliers (Faber les avait pris pour des iambes. Voy. Gataker, l. inf. cit.) ; il y a donc lieu de douter que Galien ait cité cette fable en conservant partout le rhythme et la mesure ; il faudrait alors admettre que certaines parties du texte ont été singulièrement altérées par les copistes, qui cependant ont en général respecté les autres citations envers semées dans le traité qui nous occupe. Jamot, Goulston, Chartier et Willet n’ont reçu dans leur texte que quelques hexamètres. On pourrait encore dégager plusieurs fragments de vers sans faire aucune violence au texte. Gataker (Adv. misc. part. III, chap. iii, p. 420-421) a reconstruit en hexamètres la fable tout entière et l’a traduite en vers latins ; mais il a été obligé d’introduire dans le texte des changements considérables qui ne sont pas toujours très-heureux.
  93. Voy. sur ces diverses espèces de courses et leurs variétés, Krause (Gymn. und Agon. d. Hellenen, passim), ainsi que Mercuriali (lib. l. II, x). Δόλικος était une longue course, ayant une limite de convention qu’un des lutteurs devait atteindre le premier (ou suivant quelques auteurs c’était le double parcours du stade) ; στάδιον désignait le parcours du stade dans le plus court espace de temps possible ; le δίαυλος était le parcours du stade (sed reflexo cursu, comme dit Mercuriali, lib. l.) plusieurs fois répété et accompli également dans le moins de temps possible.
  94. Il y a ici une espèce de jeu de mots ; le poëte fait pour ainsi dire un nom propre d’ὀγκηστής (ou plutôt d’ὀγκητής, ruditor, celui qui brait), qui est une épithète de l’âne.
  95. Nous verrons plus loin (De l’utilité des parties, I, ii-iv et passim) que si les animaux ont sur l’homme certains avantages, à son tour l’homme use des siens pour dompter tous les animaux.
  96. La division des arts diffère beaucoup suivant les auteurs, et les auteurs eux-mêmes ne sont pas toujours constants dans leurs divisions. Ainsi, Galien dans un autre traité (Si l’hygiène est une partie de la médecine ou de la gymnastiqu, chap. xxx, t. V, p. 860 suiv.), admet des arts, θεωρικαὶ, πρακτικαὶ, ποιητικαί et κτητικαί ; il donne des exemples ou des définitions de ces diverses espèces.
  97. Βάναυσοι. Ce mot désignait primitivement les ramoneurs, puis les forgerons et les orfévres, puis enfin tous ceux qui exercent des professions mécaniques (voy. le Trésor grec, v. Βάναυσος).
  98. La médecine est en effet le plus beau de tous les arts, puisque la santé est le plus grand des biens corporels, mais c’est à la condition que la médecine soit exercée honorablement et que le médecin soit orné de toutes les qualités de l’esprit et du cœur : la médecine est un véritable sacerdoce ; c’est de plus une science qui touche à toutes les autres sciences : elle exige donc impérieusement et la culture intellectuelle la plus étendue et les plus nobles sentiments. Les anciens, non pas seulement les médecins, mais les plus graves auteurs étrangers à la médecine, ont toujours placé cette profession dans un rang distingué. Le nombre des témoignages est si considérable qu’un volume suffirait à peine pour les réunir, et la liste des traités spécialement consacrés à la louange de la médecine est si étendue que je renonce à la donner ici.