Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome I/Préface

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Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (Ip. iv-xvii).







PRÉFACE.


En tête de ce volume devaient se trouver une Notice sur la vie et les écrits de Galien, et trois Dissertations sur ses connaissances anatomiques, physiologiques et pathologiques ; mais cette Notice et ces Dissertations ont pris peu à peu un tel développement, que mon honorable éditeur a jugé plus convenable, vu l’importance du sujet, d’en faire un volume à part, sous le titre de : Introduction aux Œuvres de Galien, ou Étude biographique, littéraire et scientifique sur Galien. Il en résulte que le présent volume qui, dans le plan primitif de la publication, devait être le premier est en réalité devenu le second. Aussi trouvera-t-on, soit dans les notes, soit dans le texte, de fréquents renvois à la Notice ou aux Dissertations[1] pour l’explication d’un grand nombre de passages obscurs sur lesquels j’ai dû faire des recherches particulières et étendues ; je demande donc qu’on ne juge pas en dernier ressort le volume que je publie aujourd’hui et les suivants, sans avoir lu l’Introduction génerale, où j’ai cherché à faire l’histoire de Galien et de ses Œuvres.

On comprendra, sans qu’il soit besoin que j’y insiste, que dans une anatomie, une physiologie et une pathologie qui s’éloignent en tant de points de l’état actuel de la science, qu’en présence de théories qui sont à peu près étrangères à la plupart des médecins, qu’avec une méthode d’exposition si différente de celles qui sont aujourd’hui en usage, il était indispensable de donner un aperçu complet des connaissances de Galien et de discuter soigneusement tous les points litigieux. Si enfin on se rappelle que Galien a régné en maître à peu près absolu jusqu’au XVIIIe siècle, on comprendra aussi qu’il importe de suivre sa fortune, de l’étudier en lui-même et dans ses traducteurs ou commentateurs, de montrer quelle place il occupe dans l’ensemble des études, aux diverses périodes du Bas Empire, du Moyen âge et de la Renaissance, de rechercher quelles séries de transformations subit son autorité, tantôt directe, et tantôt médiate, de découvrir quelle influence nuisible ou salutaire il a exercée, et de ne l’abandonner qu’après avoir nettement caractérisé la quadruple révolution anatomique, physiologique, médicale et chimique qui, en lui portant successivement les coups les plus meurtriers, l’a relégué dans le domaine de l’histoire.

Il était naturel qu’un abandon à peu près complet suivît un engouement universel ; on est presque toujours injuste envers un ennemi vaincu. Ce n’est pas sur le champ de bataille qu’on écrit l’histoire ; c’est seulement quand les conquêtes ne sont plus contestées qu’on peut, revenant sur les temps passés, et s’affranchissant des préjugés, je dirais presque des haines qu’a soulevés la lutte, juger avec impartialité, comparer avec pleine connaissance de cause, enfin apprécier sainement ce qu’on a gagné et aussi ce qu’on a perdu. Comme il arrive souvent qu’on dépasse le but, même sans le vouloir, il est bon de revenir en arrière, et de réparer le mal qu’ont produit des attaques trop peu mesurées.

En parlant de guerre, de combats, de conquêtes, je ne fais point de métaphore, le XVIe et le XVIIe siècles ont été pour la médecine, comme pour beaucoup d’autres branches des connaissances humaines, un véritable champ de bataille ; la lutte était engagée de toutes parts entre le monde ancien et le monde nouveau ; les querelles religieuses et politiques étaient mêlées aux querelles scientifiques et littéraires, et, dans l’ardeur du combat, dans l’entraînement des passions, on ne craignit pas de presque tout détruire, pour avoir le plaisir de tout renouveler, sans se soucier des ruines qu’on amoncelait, sans penser qu’on perdait, avec le travail de plus de vingt siècles, tout contre-poids et toute garantie contre de téméraires innovations.


La Renaissance est un mouvement à la fois réactionnaire et progressif : réactionnaire pour les lettres, car, sous prétexte de revenir aux sources pures de l’antiquité, la Renaissance efface presque partout le caractère national ; progressif pour les sciences puisqu’elle arrache le sceptre aux Arabes et qu’elle le rend aux Grecs, mais progressive surtout par les tendances nouvelles qui se manifestent de tous côtés et en tous sens ; de telle sorte que les Grecs, remis un moment en honneur, durent bientôt, à leur tour, céder l’empire aux modernes. Ainsi, littérateurs et savants partent du même point, mais arrivent à des résultats fort différents ; ainsi encore, la prépondérance que l’antiquité sut reprendre et garder dans les lettres, elle n’a pu la conserver dans la science. La réforme scientifique, plus lente, il est vrai, que la réforme littéraire, fut donc tout aussi radicale ; elle était du moins beaucoup mieux justifiée, puisque la science n’est pas une simple production de l’esprit ou du génie, qu’elle ne repose pas sur des règles factices ou arbitraires, variables suivant les siècles et les nations, et qu’au contraire, elle se fonde essentiellement sur des faits authentiques, sur des méthodes sévères, sur des connaissances positives. Or, dès le milieu du XVIe siècle, des faits nouveaux avaient été observés ou des faits anciennement connus avaient été mieux vus. Une méthode plus rigoureuse d’observation s’était produite au grand jour ; des découvertes capitales venaient battre en brèche les théories les plus en réputation et triomphaient peu à peu de la routine. Devant de telles lumières les obscurités de l’âge ancien devaient forcément se dissiper ; mais, en même temps, ces lumières devaient éclairer et mettre en relief ce qu’il y avait de vraiment utile, de vraiment beau dans le travail de nos pères ; il n’en a pas été ainsi : les anciens furent attaqués avec si peu de critique, et défendus par de si misérables arguments, qu’ils finirent par succomber, et que le règne de l’examen se substitua de toutes parts au règne de l’autorité. Cette substitution, excellente en elle-même, mais souvent inintelligente ou trop précipitée, a condamné les générations modernes à reconstruire presque tout l’édifice de la science.

Toutefois, les premières tentatives de réforme médicale, celles du moins qui eurent d’abord le plus de succès, se firent encore au nom des anciens, je veux dire au nom des Grecs contre les Arabes ; l’érudition avait alors une large part dans les discussions ; il en résulta ce singulier phénomène que, malgré les défaites successives qu’avait subies le système de Galien, son auteur conserva pendant longtemps une sorte d’autorité nominale. C’est là précisément un des côtés les plus curieux à étudier dans l’histoire de la médecine au XVIle siècle et dans la première moitié du XVIIIe ; mais enfin, Arabes et Grecs furent décidément vaincus ; on finit par se lasser d’une domination illusoire, et en même temps on se persuada volontiers, moitié par paresse d’esprit, moitié par entraînement de novateurs, qu’il n’y avait rien de bon à prendre dans l’antiquité d’Hippocrate, de Galien, et de Paul d’Égine comme d’Averroès, de Mésué, et d’Avicenne, il ne reste plus qu’un vague souvenir.

Mais le plus beau privilège de l’histoire, c’est de réparer les injures du temps et les injustices des hommes, de discerner au milieu des débris de l’antiquité ce qu’il y a de bon de ce qu’il y a de mauvais, de rendre justice à chacun selon son mérite, de rechercher les causes des révolutions sociales ou intellectuelles, d’en suivre les conséquences, d’en caractériser l’esprit, d’en faire connaître les héros ou les victimes, et surtout de faire profiter les siècles présents et les siècles à venir de l’expérience des temps passés. Notre époque, éminemment historique et critique, j’allais presque dire indifférente, mais d’une indifférence raisonnée, scientifique, et qui provient de l’absence de tout système prédominant, a repris avec une ardeur soutenue l’étude de l’antiquité et du moyen âge ; elle recherche curieusement, en l’absence de systèmes nouveaux, les traces des systèmes oubliés ; ou bien les systèmes qu’on vante comme nouveaux, elle en retrouve les origines dans la série des temps historiques.

Il semble donc que le moment soit venu de rendre à la médecine le même service que tant d’écrivains distingués ont rendu aux autres sciences, à la littérature, et à l’histoire politique.

Déjà M. Littré a fait revivre Hippocrate ; marchant de loin sur ses traces et le prenant toujours pour guide, je veux faire revivre Galien, le plus illustre médecin de l’antiquité après Hippocrate.

Galien était un grand anatomiste, il suffit, pour s’en convaincre, de suivre ses descriptions sur la nature ; — c’était un habile physiologiste, ses ingénieuses expériences sur les systèmes nerveux et sanguin en sont un irrécusable témoignage ; — c’était un pathologiste éminent, son beau traité Des lieux affectés ne laisse aucun doute à cet égard ; — c’était un philosophe distingué, on le voit par son traité des Dogmes d’Hippocrate et de Platon ; c’était enfin un esprit puissant, je n’en veux pour preuve que son système si bien lié dans toutes ses parties.

Ce fut précisément l’espèce d’enivrement pour ce système qui fit tomber Galien dans de déplorables erreurs, et qui trop souvent lui mit un voile devant les yeux ; il pliait la nature à son système, bien loin de réformer son système sur l’observation de la nature. Physiologie, pathologie, anatomie même, cette science positive s’il en fut jamais, durent céder devant les conceptions à priori. Aussi, tout ce que Galien voit à travers la théorie des humeurs, ou des qualités élémentaires, est à peu près frappé de néant ; la doctrine des causes finales, poussée à l’extrême, l’égare trop souvent ; les opinions traditionnelles sur le rôle du foie et du cœur, opinions qu’il défend à outrance l’arrêtent au moment peut-être où il allait découvrir la circulation ; mais tout ce qu’il observe sans parti pris, est parfaitement observé, toutes ses expériences qui échappent forcément à l’esprit de système sont concluantes et fécondes.

Cependant, on a trop oublié Galien observateur, pour ne songer qu’à Galien systématique ; je veux montrer en même temps à quelles aberrations peut entraîner la domination des idées préconçues, et jusqu’à quelle hauteur de vue, peut s’élever malgré ces idées, un esprit éminent, curieux de toutes choses, dévoué à l’étude, familier avec les écrits des anciens comme avec ceux de ses contemporains, versé dans la dialectique comme dans la médecine, habitué à observer et à méditer, enfin, ce qui ne nuit pas non plus, appréciateur, un peu partial peut-être, de sa valeur personnelle.


Le dessein que j’avais de donner une idée exacte et complète de Galien, et aussi le mérite intrinsèque et la réputation classique de certains de ses ouvrages, m’ont déterminé dans le choix des traités que je publie. Quelques-uns ont été déjà traduits, mais ces traductions, toutes fort anciennes, sont ou difficiles à lire, et comme non avenues, ou exécutées de telle façon qu’elles font disparaître presque entièrement la physionomie du texte, et que le sens n’y est pas toujours fidèlement conservé.

Le traité de l’Utilité des parties du corps, dont on ne paraît pas avoir compris le vrai caractère, se résume dans cette sentence d’Aristote : Que la nature ne fait rien en vain (μηδὲν μάτην ποιεῖν φύσιν). Aussi Galien, loin d’y traiter les questions de physiologie proprement dite, ne s’y occupe qu’à découvrir et à démontrer que les parties ne pouvaient pas être mieux disposées qu’elles ne le sont, et qu’elles sont parfaitement adaptées aux fonctions qu’elles ont à remplir. Ce traité suppose donc connues, et ces fonctions mêmes et les dispositions anatomiques ; l’anatomie, on la trouve particulièrement dans le Manuel des dissections, et la physiologie dans d’autres traités dont je vais bientôt rappeler les titres. — Une conception hardie, et jusqu’à un certain point nouvelle, de la parfaite harmonie entre les diverses parties du corps, une théorie complète des causes finales, des idées élevées sur Dieu et la nature, des diatribes quelquefois éloquentes et pleines d’une fine ironie contre les œuvres prétendues du hasard et des atômes, des descriptions animées, des points de vue souvent très-justes sur les utilités et les actions des organes, des idées générales étendues, des principes féconds sur certaines questions d’histoire naturelle, telles sont les qualités qui distinguent excellemment l’ouvrage dont nous parlons. Mais une volonté arrêtée de tout expliquer, de faire concorder toutes les explications, de ne trouver jamais ni lui-même, ni la nature en défaut, une ignorance absolue de l’anatomie humaine, une connaissance imparfaite de l’anatomie comparée et de l’embryogénie, une prolixité quelquefois excessive, des subtilités, des paradoxes, tels sont les défauts qui empêchent trop souvent Galien de voir juste et d’exposer méthodiquement.

Dans les longs extraits du Manuel des dissections, et surtout dans les derniers livres jusqu’ici inédits[2], on verra Galien déployer toute son habileté et toute son exactitude comme anatomiste et comme expérimentateur. Dans ce traité, il semble que la nature le domine complétement, qu’il a oublié ses idées systématiques, et qu’il n’a d’autre but et d’autre désir que de bien observer.

Dans le Traité des lieux affectés, Galien a devancé l’école moderne, en démontrant par la théorie et par les faits combien il importe d’abord à la connaissance des maladies, puis à la thérapeutique de connaître exactement le siège du mal, en d’autres termes, d’arriver au diagnostic local. Cet admirable ouvrage, l’un des plus beaux titres de gloire de Galien, n’a jamais été traduit en français, je le fais figurer tout entier dans le troisième volume.

Les traités Des facultés naturelles, Du mouvement des muscles, De la semence, Des éléments, les ouvrages Sur le pouls, Sur la respiration, les Commentaires sur les opinions d’Hippocrate et de Platon, nous présentent une idée à peu près complète de la physiologie théorique et expérimentale de Galien ; j’ai traduit les deux premiers ouvrages en entier, et des autres je donne des fragments nombreux et étendus ou tout au moins une analyse.

Le traité De la thérapeutique à Glaucon ; des extraits de la Méthode thérapeutique, des Commentaires sur les livres chirurgicaux d’Hippocrate, du traité De l’art de conserver la santé, etc., achèveront l’esquisse de Galien comme pathologiste ; enfin, plusieurs opuscules, ceux qui figurent déjà dans ce volume ; les deux traités Sur les sectes, et d’autres encore qui seront publiés par fragments ou en entier, nous montreront Galien comme philosophe et comme moraliste ; ces opuscules donneront aussi une idée de la manière dont il concevait et exposait les généralités sur la médecine.

Je ne publie aucun des traités de pathologie générale que Galien a rédigés sous les titres de Causes des symptômes, Causes des maladies, Différence des maladies, etc. Ces ouvrages sont fort importants sans doute ; mais on ne peut guère traduire l’un sans traduire tous les autres ; d’ailleurs, comme ils sont très-prolixes, et qu’ils abondent en détails ou tout à fait inutiles, ou en désaccord avec les connaissances actuelles, je me contenterai de les faire connaître soit par des extraits soit par une analyse.


La publication des Œuvres de Galien s’adresse plus encore aux médecins qu’aux érudits ; mais je ne perds pas l’espoir de faire figurer un jour ses Œuvres complètes dans ma Collection des médecins grecs et latins. Mieux que personne, les érudits savent tout ce que Galien a fourni à la science de l’antiquité, archéologie, philologie, histoire des systèmes médicaux ou philosophiques, détails de mœurs, usages publics ou domestiques, histoire littéraire ; il n’est pas une page de ses œuvres où l’on ne trouve quelque précieuse notion à recueillir.

Toutefois, si j’ai surtout voulu faire une œuvre médicale, je n’ai pas oublié les droits de la critique philologique. J’ai appris, par une longue expérience, combien les textes imprimés de Galien sont fautifs et combien on trouve de ressources dans les manuscrits pour le corriger presque à chaque page. Aussi, toutes les fois que je l’ai pu, j’ai contrôlé le texte des éditions par celui des manuscrits. Pour plusieurs passages, j’ai indiqué les variantes ; mais le plus souvent je me suis, sur l’autorité de ces manuscrits, écarté, sans en avertir, du texte vulgaire.


Quand il s’agit d’un livre de science, et surtout d’un livre venu de l’antiquité, traduire n’est que la première partie de la tâche ; la seconde, et sans contredit la plus difficile, consiste à se rendre un compte exact du fond même des choses, et à confronter perpétuellement les descriptions et les faits anciens avec les faits et les descriptions qu’on trouve dans les ouvrages modernes. Cette confrontation devient d’autant plus embarrassante, que les méthodes d’observation diffèrent, et que plusieurs points qui ont attiré l’attention des anciens, ne sont pas pris en considération par les modernes, ou réciproquement ; les mêmes noms ne désignent plus les mêmes choses ; souvent aussi, les noms manquent complètement ; et la description des mêmes parties ou des mêmes maladies ne se correspondant pas toujours directement, l’esprit flotte au milieu d’inextricables difficultés. Ces perplexités, ces hésitations, je les ai retrouvées presqu’à chaque page, pour l’anatomie comme pour la pathologie, bien qu’il semble au premier abord que l’anatomie laisse moins de place que la pathologie, aux incertitudes, et aux doutes ; aussi ai-je dû faire de constants efforts pour les épargner au lecteur. On croit généralement que tous les points obscurs des descriptions de Galien ont été élucidés par les anatomistes de la Renaissance ; malheureusement il n’en est rien. Un long, fastidieux et stérile débat s’est engagé au XVIe siècle sur la question de savoir si Galien avait décrit des animaux ou des hommes ; certains anatomistes ont essayé de prouver, mais sans faire valoir d’arguments décisifs, qu’il n’avait jamais fait d’anatomie humaine ; d’autres, plus jaloux de la gloire du médecin de Pergame, ont soutenu, envers et contre tous, qu’il avait disséqué des hommes, qu’il était infaillible, et que si ses descriptions ne concordaient pas avec celles des anatomistes modernes, c’est que la nature avait changé depuis lui ! Aberration d’esprit d’autant plus étrange, que Galien répète sans cesse qu’il décrit particulièrement le singe comme étant l’animal le plus voisin de l’homme ; son seul tort, c’est d’avoir presque toujours conclu du singe à l’homme.

Le meilleur, ou pour mieux dire, le seul moyen de résoudre le problème était, non de raisonner sur les textes, mais de vérifier scrupuleusement sur l’homme et sur les animaux, les descriptions de Galien. Mais, au XVIe siècle, l’empire de l’autorité était encore si grand, la critique si peu avancée, la crainte de trouver le maître en défaut si universelle, qu’on perdait son temps et qu’on usait ses forces dans des discussions oiseuses qui perpétuaient le débat et entravaient la marche de la science. — Les historiens modernes de la médecine ne sont pas même d’accord sur ce point, et nul n’a tenté un examen ex professo de cette intéressante question. Cuvier et de Blainville sont d’avis que Galien a disséqué des singes, et plus spécialement le magot[3] ; mais ils ne paraissent pas s’être prononcés avec connaissance de cause sur la question de savoir s’il a aussi ou non disséqué des hommes.

Je me suis donc mis courageusement à l’œuvre, j’ai répété toutes les dissections de Galien, et j’ai consigné le résultat de ces recherches dans l’Introduction générale ; j’y indique en même temps les procédés, souvent très-longs et toujours difficiles, auxquels il m’a fallu recourir pour mettre le texte de Galien d’accord avec la nature, et, pour juger en dernier ressort, si je ne m’abuse, ce procès qui a tant agité l’École. Il n’est pas une des séances, passées au Jardin des Plantes, qui n’ait à la fois fortifié ma conviction que Galien n’a jamais disséqué que des animaux, et augmenté mon admiration pour son exactitude et sa sagacité comme anatomiste.


M. de Blainville d’abord, à qui je veux ici payer un juste tribut de regrets ; puis MM. Duvernoy, Serres et Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, que je prie de recevoir l’expression publique de ma profonde gratitude, non contents de m’ouvrir libéralement les collections et les laboratoires du Jardin des Plantes, m’ont constamment soutenu par leurs encouragements. — Je dois beaucoup aussi à l’empressement de MM. Emm. Rousseau, Gratiolet et Jacquart. — M. le docteur Rouget, aide d’anatomie à la Faculté, a bien voulu m’aider dans la détermination de parties décrites si obscurément par Galien, que les dissections mêmes n’avaient pu lever tous mes doutes. — Enfin, pour acquitter toutes mes dettes de reconnaissance, je m’empresse d’offrir mes remerciments particuliers à mon ami M. Ch. Meaux Saint-Marc, savant modeste, dont le concours m’a été fort utile.

Dans ce double essai de traduction et d’interprétation des Œuvres de Galien, j’ai apporté tout le soin dont j’étais capable ; je me suis entouré de toutes les ressources qui étaient à ma disposition, et cependant, la tâche était si laborieuse, que je n’oserais pas me flatter de l’avoir complétement remplie. J’ai du moins la conscience de n’avoir rien négligé pour rendre mon travail utile et pour en faire disparaître la trace des pénibles recherches qu’il m’a coûté.


Paris, 15 juillet 1854.



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  1. L’Appendice auquel je renvoie aussi et qui contient les extraits des livres que je ne publie pas en entier, se trouvera à la fin du IIIe volume.
  2. La fin du IXe livre et les sept derniers. ― Le texte grec n’a pas été encore retrouvé ; heureusement il en existe une version arabe signalée par Golius, mais à peu près oubliée depuis. Mon savant ami, M. le docteur Greenhill, l’a, pour ainsi dire, découverte de nouveau à Oxford ; j’ai pu avoir une copie du manuscrit, et j’en ai fait la traduction avec l’aide de M. G. Dugat, dont les travaux sont justement appréciés par les orientalistes.
  3. Cuvier avait même rédigé un Mémoire sur ce sujet, ainsi que l’atteste M. Laurillard ; mais ce Mémoire n’a pas été retrouvé dans les papiers de son illustre auteur ; c’est une perte considérable pour l’histoire de l’anatomie.