Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome II/XI/1
Outre la nature commune à tous les hommes, ô Glaucon, le médecin doit connaître encore la nature individuelle de chacun. Il y a longtemps qu’Hippocrate (Épid., I, iii, 10) a donné cet excellent précepte, auquel je m’efforce, comme tu le sais, de me conformer dans l’exercice de l’art. Mais il n’est pas possible d’écrire sur la nature particulière de chaque individu, comme sur la nature commune à tous ; les écrits se comportent autrement que les faits, surtout dans le sujet que je me propose de traiter. Tu m’as demandé une esquisse générale de la méthode thérapeutique : ce qui constitue cette méthode, c’est la qualité des médicaments et leur quantité, leur mode d’administration, et l’opportunité de leur administration, dont la connaissance est la plus difficile de toutes ; car l’occasion est très-fugitive, ainsi que l’a encore dit quelque part Hippocrate (Aph., I, 1), cet excellent maître ; et tous les jours elle trompe, je ne dis pas les médecins vulgaires, mais encore les plus consommés. Il est important aussi de déterminer bien exactement la quantité d’un médicament, eu égard aux forces du malade ; c’est encore Hippocrate (De l’aliment, t. II, p. 22, éd. Kühn), qui l’a écrit [d’une façon générale]. Le succès du traitement dépend donc, en grande partie, du moment où l’on administre les remèdes, et de leur quantité : deux conditions qui se présentent d’une manière particulière pour chaque malade, et sur lesquelles on ne peut donner, par conséquent, en théorie, aucune explication ; de sorte que nous ne pouvons écrire que sur ce qui est général, bien que ces généralités soient d’une utilité secondaire.
Il nous arrive souvent de visiter des malades que nous n’avions pas eu occasion de voir quand ils étaient en bonne santé ; nous ignorons conséquemment la couleur qu’ils avaient avant leur maladie, leur constitution normale, leur chaleur native, l’état de leur pouls ; circonstances dont la connaissance préalable nous rendrait juges compétents de la gravité du mal, car la gravité de la maladie est proportionnée à l’altération de l’état normal. Or, le degré de cette altération n’est appréciable que pour celui qui a une connaissance parfaite de l’état normal. Lorsque cette connaissance nous manque, dans la pratique, nous avons recours, pour ne pas rester complétement dans l’embarras, à l’appréciation des conditions communes ; c’est là qu’est l’avantage de celui qui connaît l’art sur ceux qui ne le connaissent point. Quel est cet avantage ? Hippocrate (Pron., § 1) est encore le premier, que nous sachions, qui en ait parlé dans ses écrits. Ceux qui sont venus après lui, et qui ont eu l’intelligence de ses œuvres, en ont beaucoup parlé. Parmi eux, il faut citer Mnésithée d’Athènes, homme habile dans toutes les parties de l’art, et qui ne le cédait à personne pour la connaissance approfondie de la méthode que l’on doit suivre dans la pratique de la médecine. Mnésithée pensait qu’il faut commencer par les classes les plus générales, pour établir successivement des espèces, des genres, des variétés. Après ces divisions, on en fera d’autres, et puis d’autres encore, jusqu’à ce qu’on arrive enfin à obtenir une unité indivisible[2]. Cela me suffit pour te faire comprendre, en peu de mots, ce que je veux démontrer. Il serait ridicule de prétendre t’enseigner ce que tu sais depuis si longtemps, pour l’avoir appris de Platon. Aussi bien, ce n’est pas pour t’apprendre quelque chose de nouveau que j’ai fait mention de cette méthode analytique, mais j’ai pensé que cela serait très-utile pour toute la suite de mon discours, et que je ne pourrais mieux t’expliquer ce que tu désires savoir, c’est-à-dire la cause des erreurs que l’on voit commettre tous les jours à la plupart des médecins. Les errements des diverses sectes, aussi bien que les fautes commises fréquemment dans la pratique de la médecine, reconnaissent pour cause première et essentielle une méthode vicieuse dans les divisions. Les uns, en effet, s’en tiennent aux genres primitifs et principaux, et les indications qu’ils en tirent leur suffisent ; les autres poussent plus loin l’analyse, mais s’arrêtent avant le terme. Le grand nombre pèche par des divisions défectueuses ; mais celui qui, prenant tous les faits normaux et anormaux, les soumet à cette méthode pour retirer de tous ces faits, que lui a fournis l’analyse, des indications complètes, celui-là seulement pourra, dans la mesure des forces humaines, marcher d’un pas sûr dans le traitement des maladies. Les malades qu’il connaît, il les traitera mieux que les autres, et ceux qu’il ne connaît pas, il les traitera, autant que cela se peut, presque aussi bien que ceux qui lui sont connus. Il faut déterminer d’abord les différences qui résultent de l’âge, ensuite celles du tempérament et des forces et des autres circonstances que présente la nature humaine, c’est-à-dire la couleur, la chaleur, la constitution, les mouvements du pouls, les habitudes, les goûts, les inclinations de l’âme, sans négliger les différences qu’établissent les sexes, ni l’observation de la contrée, des saisons de l’année et de l’état de l’air ambiant. Cette étude, bien faite, permet de mieux connaître la nature particulière du malade. Toutes ces questions ont été exposées, les unes dans les traités Sur le pouls, les autres dans celui Des tempéraments ; quant aux choses contre nature, nous avons parlé de tous les genres et de toutes les espèces que présentent leurs variétés dans le traité Des affections. Je me propose de parler maintenant de ces malades dont la nature nous est parfaitement connue avant la maladie ; nous y comprendrons aussi tous les autres dont nous n’avions nulle connaissance, car il n’est pas difficile d’arriver par une détermination exacte à la connaissance de ce qui n’est pas bien déterminé.
Commençons par les fièvres, puisque tu désires surtout une exposition de la méthode de leur traitement. Et, d’abord, parlons des fièvres les plus simples, de celles qu’Hippocrate (Aph., IV, 55) appelle éphémères. Elles surviennent à la suite de la fatigue, d’un excès de boisson, de la colère, des chagrins, d’émotions violentes et des autres préoccupations excitantes de l’esprit. Au même genre appartiennent les fièvres qui se manifestent à la suite d’un ganglion enflammé (bubon — ἐπὶ βουβῶσι), excepté celles, toutefois, qui surviennent sans lésion apparente. Dans ce cas, elles sont d’une nature suspecte et n’ont rien de rassurant. L’insomnie produit souvent une fièvre simple ; il en est de même quelquefois de l’excès de froid ou de chaleur. Toutes ces fièvres peuvent se dissiper aisément. Il faut se hâter de faire prendre des bains et de rétablir le régime de vie accoutumé. Ceux qui appliquent à tous ces cas la diète de trois jours (διάτριτον), si vantée [par les méthodiques], ne font, le plus souvent, qu’exaspérer la fièvre, sans compter les autres erreurs qu’ils commettent. Il n’est pas rare de voir la plupart de ces médecins se tromper à chaque visite ; à tel point, qu’ils créent artificiellement la maladie. Ainsi donc, le traitement de ces fièvres est facile à trouver, mais leur diagnostic demande plus de soin, et aucun auteur, avant nous, n’en a parlé comme il convient. Aussi, ne faut-il pas s’étonner des fautes que font la plupart des médecins dans le traitement ; elles sont la conséquence des erreurs de diagnostic. Il arrive souvent que des maladies graves surviennent, par une espèce de hasard, à la suite d’un excès de boisson, d’un échauffement ou d’un refroidissement, ou bien après des fatigues, des insomnies, des émotions violentes, ou tout autre accident qui peut avoir des effets nuisibles. On rapporte tous les phénomènes consécutifs à la cause précédente, sans supposer qu’il peut y avoir une autre diathèse ; on néglige en conséquence le régime, et l’on tombe, sans s’en douter, dans une maladie incurable, ou dont la guérison est au moins difficile. Il importe, en conséquence, de s’appliquer, avant tout, ainsi que le recommande Hippocrate (Pron., § 1), non-seulement à prévoir ce qui doit arriver, mais encore à connaître le passé et le présent. Le sujet qui nous occupe actuellement rentre dans cette partie de l’art ; nous allons en faire une exposition aussi claire que possible.
Il n’est pas indifférent de prescrire des bains au malade et de le rassurer, ou de lui recommander beaucoup de précaution et de soins. En arrivant auprès du malade on l’examinera d’abord attentivement ; une fois que l’on a recueilli les observations les plus importantes, on passe aux autres, sans négliger, s’il est possible, les plus insignifiantes. L’indication fournie par les symptômes les plus considérables est plus ou moins fortifiée par le concours des autres. Les principaux signes dans les fièvres en général se tirent du pouls et des urines. À ces signes il faut ajouter tous les autres, savoir, les traits de la face tels qu’Hippocrate les a décrits (Pron., § 2), le décubitus, la respiration, la nature des excrétions par le haut et par le bas. Si l’on observe quelque symptôme particulier dans une partie du corps ou dans la fonction de cette partie, tels que ceux qu’Hippocrate a décrits dans une foule de passages de ses écrits (voy. particul. le Pronostic), il faut se garder de le négliger. Tout ce que nous venons de dire s’applique à toutes les fièvres en général ; aussi ne faut-il rien négliger de tout cela même dans les fièvres simples, qui font le sujet du présent traité. L’examen du pouls et des urines fera connaître le caractère de la fièvre : le pouls ne présentera aucun signe d’inflammation ; et chaque pulsation de l’artère sera régulière, ou n’offrira tout au plus qu’une irrégularité très-peu marquée : les urines seront tout à fait semblables aux urines naturelles, ou ne présenteront qu’une légère différence. — Venons maintenant aux autres symptômes dont il a été d’abord question. — Une fois qu’il existe entre tous un ensemble parfait, comme les voix concordent dans un concert, on peut avancer avec confiance, et demander s’il n’y a pas eu de cause précédente manifeste. Si la réponse du malade en faisait connaître une, on prescrira un bain dès la première rémission de la fièvre, dont la forme même rendra encore le diagnostic plus sûr. Alors, en effet, le mouvement des artères est exactement semblable au pouls de la santé. Dans aucune autre espèce de fièvre, en effet, le pouls ne revient à l’état normal, quelque long que soit l’intervalle entre la fin du premier accès et le commencement du second. Ainsi, dans les fièvres tierces et quartes, le signe [pathognomonique] de la fièvre persiste toujours. Mais dans les fièvres éphémères, avec la fin de l’accès disparaissent tous les symptômes. La plupart se terminent par une légère diaphorèse, quelquefois par des sueurs salutaires ; souvent une espèce de vapeur abondante s’exhale des profondeurs à la surface. Les urines aussi présentent alors un meilleur aspect qu’au début de la fièvre. La douleur qui avait saisi la tête ou une partie quelconque, disparaît en même temps. La facilité avec laquelle le malade supporte son mal est un signe infaillible entre tous, et comme le sceau de la bénignité de la fièvre. Si le malade n’éprouve pas dans le bain un frisson extraordinaire ou un malaise quelconque, et si le bien-être succède au bain, on peut sans hésiter donner à manger, et permettre sans crainte le vin en quantité telle que le comportent les circonstances. Nous nous efforçons, comme tu sais, d’indiquer nous-mêmes la cause antécédente, sans attendre les renseignements du malade : un médecin qui possède cette faculté ne se trompe guère. Si les passions de l’âme persistent encore pendant l’examen du malade, c’est surtout par le pouls qu’il faut s’efforcer d’arriver au diagnostic, ainsi qu’il est écrit dans mes livres Sur le pouls. Après le pouls, on arrivera au diagnostic par les autres signes. Si ces signes ont disparu, et que l’affection persiste, le pouls lui-même ne donnera qu’une notion obscure des troubles qui ont produit la fièvre ; mais indépendamment de l’état du pouls, les signes qui restent seront suffisants : le plus souvent les urines sont roussâtres. — Lorsque la fièvre est le résultat du chagrin, la chaleur est âcre plutôt qu’excessive : il en est de même quand c’est la colère qui l’a produite. La maigreur du corps est plus manifeste dans la tristesse que dans les soucis. Les yeux caves, la couleur altérée, sont des signes communs à tous ceux qui ont des inquiétudes d’esprit. Cependant c’est d’après les yeux qu’il faut déterminer la cause : c’est par eux surtout que l’on découvre, même chez les personnes en santé, les habitudes de l’âme. Or, dans les maladies, les signes sont plus manifestes, du moins pour l’observateur attentif. C’est par là qu’il convient de distinguer du chagrin les préoccupations des savants qui se livrent aux spéculations de l’étude, On reconnaît que la fièvre est le résultat de l’insomnie, par l’altération du teint, car le visage est légèrement tuméfié, et par le mouvement des yeux. Les malades ouvrent à peine les paupières, qui sont humides, tandis qu’elles deviennent sèches chez ceux que rongent la tristesse ou les soucis. Les yeux sont caves dans la tristesse, l’insomnie, la méditation ; mais ce symptôme n’existe pas chez ceux qui sont en proie à la colère, du moins l’enfoncement des yeux et l’altération de couleur ne sont pas manifestes. Dans ce dernier cas la chaleur est plus considérable ; elle s’étend rapidement de l’intérieur à la superficie ; la force du pouls se maintient, ce qui n’a pas lieu à la suite des insomnies, du chagrin ou de la méditation. Il est donc facile de distinguer ces affections de la colère, et de les distinguer elles-mêmes les unes des autres, ainsi que nous l’avons dit. Lorsque c’est la fatigue qui amène la fièvre, la peau est beaucoup plus sèche que dans tous les autres cas de fièvres éphémères. Ce symptôme est commun à tous ceux qui ont la fièvre à la suite de fatigues ; il persiste jusqu’au moment où l’accès a atteint toute sa force ; mais à ce moment les fébricitants qui n’ont pas supporté des fatigues excessives se couvrent ordinairement d’une moiteur ou vapeur chaude qui vient de l’intérieur du corps. Quelquefois la sécheresse se maintient, même après le moment où l’accès a atteint toute sa force : cela s’observe particulièrement chez les individus qui se sont livrés à des excès de travail, et qui ont supporté en même temps que la fatigue le froid ou la chaleur. Dans les deux cas, l’état du pouls n’est pas le même. Le pouls est petit dans les fatigues excessives ; il est grand dans les autres cas. — Les fièvres qui proviennent de la condensation de la peau (or la peau se resserre par le froid ou par l’application d’une substance douée de propriétés astringentes, par exemple à la suite de bains d’eau alumineuse), sont de toutes les fièvres les seules qui soient une affection par resserrement[3]. Le toucher seul suffit pour les faire reconnaître, de même que les fièvres de nature sèche (αὐχμώδεις), et celles qui sont produites par les fatigues ou l’insolation. La rudesse [de la peau] n’échappe pas, dans ces cas, à un tact exercé. Du reste, le mouvement de la chaleur se manifeste de lui-même en quelque sorte ; la main ne perçoit d’abord qu’une chaleur douce ; mais si on la maintient plus longtemps en contact avec le corps, la chaleur paraît très-âcre. Les urines ne sont pas jaunes, et le corps n’est pas affaissé. Les yeux ne sont ni caves ni secs, quelquefois même ils semblent plus humides ou plus saillants que dans l’état normal. Le pouls n’a rien perdu de sa force, ainsi qu’il arrive dans la tristesse, les chagrins ou les veilles, et les exercices immodérés. — Lorsque la fièvre éphémère se déclare à la suite d’un bubon, le pouls devient grand, rapide, fréquent : la chaleur est considérable, et au paroxysme succède aussitôt une moiteur chaude, mais douce, qui vient de l’intérieur. Dans ces fièvres en particulier la chaleur âcre et mordicante n’existe point. La face est tout à fait rouge, un peu plus tuméfiée (face vultueuse) que dans les autres fièvres ; les urines ont une teinte blanchâtre. Un trait commun à toutes ces fièvres éphémères, c’est l’égalité du pouls. Dans quelques cas seulement, fort rares, une des pulsations est irrégulière, encore cette irrégularité est-elle obscure et peu manifeste. Voilà pour le diagnostic de ces fièvres.
Il faut traiter tous ces fébricitants avec des bains. Pour ceux dont la fièvre résulte du resserrement du derme ou de bubons, vous ne leur nuirez nullement en leur enjoignant de séjourner dans l’air de la chambre du bain chaud. Que tous les autres s’éloignent au plus vite de cette vapeur, mais permettez-leur de rester dans l’eau autant qu’ils voudront. Faites frictionner longtemps avec une huile tiède abondante, en employant la paume des mains (mais il faut que les mains soient douces), d’abord les fébricitants par lassitude, puis ceux par resserrement du derme, puis ceux par suite de bubons. Ordonnez à ces derniers des bains aussi nombreux que possible. Faites manger souvent les malades par lassitude, mais non pas les malades par resserrement, ni les fébricitants avec bubons.
À ces deux catégories convient un régime léger. Faites manger aux malades épuisés tout ce qu’ils peuvent bien digérer, en évitant seulement l’indigestion. Donnez-leur à boire la quantité de vin qu’ils sont capables de prendre. La mesure, en cela comme dans le reste, est indiquée par la force du malade, par son âge, sa constitution physique, ses habitudes, la saison, le pays et autres circonstances semblables.
Interdisez le vin aux fébricitants avec bubons, avant la résolution de ces bubons. Aux malades par resserrement ou refroidissement, dont l’affection est légère et qui ne sont aucunement pléthoriques, on ne défendra pas le vin ; il importe de le défendre à ceux qui ont été considérablement refroidis ou qui sont pléthoriques. Pour les fébricitants par insomnie ou par affection de l’âme, après le bain, mettez-les à un régime humide et succulent. C’est surtout aux gens sujets aux insomnies qu’il faut donner du vin sans crainte, à moins qu’ils n’éprouvent des douleurs de tête ou des battements aux tempes ; même observation pour les autres ; mais prescrivez encore le vin aux gens colères, tristes ou rêveurs. N’en donnez aux personnes irascibles que quand leur passion est tout à fait apaisée ; auparavant, le vin ne leur est pas salutaire. Efforcez-vous d’opposer toujours les remèdes contraires au mal : à la lassitude, le repos ; à l’insomnie, le sommeil ; à la colère, à la tristesse, à l’emportement les distractions agréables que procurent la conversation, les affaires, les spectacles et les lectures. Que le penseur plongé dans ses réflexions y mette fin complétement. Que le fébricitant avec bubon guérisse ce bubon, et avant le bubon l’ulcère sur lequel il s’est formé[4]. Voilà des détails suffisants sur les signes et les remèdes des fièvres éphémères.
Parmi les autres fièvres, les unes sont allumées par des inflammations, les autres par des humeurs. Celles qui résultent d’inflammations sont comme les symptômes des parties enflammées et la dénomination de la maladie est tirée le plus souvent de l’organe affecté : ainsi phrénésie, péripneumonie, pleurésie, ou autres maladies semblables. Nous en reparlerons plus tard.
Les fièvres allumées par des humeurs portent le nom de fièvres, et sont, non des symptômes de maladies, mais les maladies mêmes. De ces fièvres, les unes se manifestent sans symptômes, ce sont les plus bénignes ; d’autres incommodent, étant accompagnées de symptômes. Nous parlerons des premières, de celles qui se produisent sans symptômes. C’est parmi ces fièvres surtout qu’il est possible, dès le début, de diagnostiquer quelle est la nature de la fièvre, si elle est chronique ou aiguë, ou si elle est du genre des fièvres qu’on nomme intermittentes ou continues. Si cela n’a pas été possible le premier jour, on a besoin du second pour chercher à découvrir la nature de la fièvre. Si ce jour ne fournit aucun diagnostic certain, le troisième assurément vous manifestera quelque chose de plus net ; car il est très-peu de fièvres qui exigent le quatrième jour pour présenter un diagnostic sûr. Je vais indiquer brièvement les signes qui vous feront connaître la nature de la fièvre. Tout a été dit ailleurs [dans le IIe livre du traité Des crises, et dans le traité Sur la différence des fièvres], avec plus de développement et d’une façon plus explicite.
Les fièvres dont l’invasion est accompagnée de frisson peuvent être rangées sans inconvénient parmi les périodiques. Les accès des fièvres tierces et des quartes ont essentiellement lieu avec frisson. Dès la première invasion, les tierces débutent avec un violent frisson. Nous n’avons pas vu débuter une quarte avec un frisson violent. Avec le temps son intensité augmente ; de plus, généralement, ce n’est pas une fièvre dont l’invasion ait lieu d’emblée, elle ne se manifeste qu’à la suite d’autres fièvres dites erratiques (πλάνησί τε καὶ πλανήταις) à cause du phlegme.
L’amphémérine (quotidienne) ne se produit guère sans affection de l’orifice de l’estomac. De même la quarte se manifeste avec une mauvaise disposition de la rate, et la tierce avec une mauvaise disposition du foie. La fièvre qui débute avec un frisson violent est donc vraisemblablement une tierce plutôt qu’aucune des autres fièvres.
Si les autres signes que nous allons rappeler concordent, dès le premier jour, vous diagnostiquez évidemment une tierce. Si la fièvre commence avec un léger frisson, il faut alors plutôt porter son attention sur les autres espèces, attendu qu’elle peut être non-seulement une quotidienne et une quarte, mais encore une hémitritée ou quelque autre des fièvres continues. Les autres moyens de diagnostic sont la qualité et la quantité de chaleur, le mouvement des artères, la forme même du frisson ressenti, la saison, le pays et la constitution de l’air, la nature du malade, son âge, les circonstances qui ont précédé et suivi. Il faut, en effet, que la chaleur soit considérable et âcre, le pouls grand, chaud, violent, rapide, fréquent, exempt de toute irrégularité, hormis l’irrégularité fébrile[5] ; que le frisson soit analogue à celui que provoque à la peau la piqûre d’un objet aigu plutôt que froid, tandis que dans les fièvres quartes et les quotidiennes le frisson ressenti est froid ; que la saison soit chaude, le pays également chaud, aussi bien que la constitution actuelle de l’air. La nature du patient doit être un peu chaude et bilieuse, son âge, la jeunesse. Supposez en lui une vie active plutôt qu’oisive, une constitution chaude plutôt que froide, une alimentation insuffisante plutôt que copieuse. Les insomnies, les chagrins, les fatigues, les réflexions avec tension d’esprit, concourent aussi au diagnostic d’une fièvre tierce. Si, à la même époque, beaucoup d’autres malades se trouvent pris de fièvres tierces, c’est encore une indication très-importante ajoutée à celles que nous venons d’énoncer (voy. chap. vii). Si, avec la coexistence de tous ces signes ou des plus importants et des plus décisifs, une soif vive s’empare du malade et qu’il survienne un vomissement de bile ou de la sueur, ou tous les deux à la fois, dans ce cas la fièvre serait nettement dessinée. Si [avant le second accès] le malade venait à être délivré de cette fièvre manifeste à tous, même dans son mouvement, et s’il lui restait dans les pulsations artérielles l’irrégularité propre aux fièvres, vous pourriez déclarer que la fièvre était tierce avec autant d’assurance que si vous aviez déjà vu son accès revenir au troisième jour.
La fièvre quarte, il faut en effet vous décrire aussi les signes de cette espèce, offre l’indication la plus évidente de son existence au début des accès, lorsque les malades ont encore le frisson : le pouls devient très-rare et très-lent. Au summum de la fièvre, ou tandis qu’elle augmente encore, il est nécessairement rapide et fréquent ; néanmoins, même alors, il conserve [quelque chose de] sa lenteur et de sa rareté propres, si vous considérez ce qui s’ajoute [naturellement] à la rapidité et à la fréquence du pouls dans les accès[6]. En effet, si vous comparez le summum de la quarte au summum de la tierce, les artères vous paraîtront battre beaucoup plus vite et plus fréquemment dans la tierce. L’inégalité d’un seul mouvement dans la quarte en indique la nature. En effet, dans cette fièvre on reconnaît très-nettement, par une seule pulsation de l’artère, l’irrégularité commune à toutes les fièvres. En effet, vous trouverez que le commencement et la fin du mouvement sont beaucoup plus rapides que le milieu. Il n’en est pas ainsi dans les tierces. Dans ces fièvres l’excès de la vitesse est court et existe surtout dans les summum. Les signes que fournit la chaleur diffèrent encore dans ces fièvres. En effet, vous ne trouveriez pas dans les fièvres quartes la chaleur, l’ardeur et comme le bouillonnement des fièvres tierces. Tels sont les signes les plus importants. — Il en existe aussi qui ne sont pas inhérents à la fièvre et qu’il ne faut pas négliger. On doit considérer encore si la nature du malade est un peu bilieuse, si la saison de l’année est l’automne, si la constitution actuelle de l’air est inconstante. On examinera aussi la nature du pays et les maladies régnantes. On saura si le malade a un gonflement de la rate, s’il a eu préalablement des fièvres irrégulières, si l’âge a dépassé la moyenne et si ces fièvres se sont terminées par des sueurs. Dans ces fièvres il ne faut pas attendre un vomissement de bile jaune, non plus que dans les quotidiennes : c’est un caractère propre aux tierces. Si la fièvre se passe, mais qu’il en reste encore un signe et que le pouls devienne plus rare et plus lent que dans l’état normal, cela démontre clairement que la fièvre était une fièvre quarte.
C’est surtout à ces signes que vous reconnaîtrez la fièvre quotidienne : la chaleur doit être un peu humide avec une certaine âcreté qui saisit la main, non dès le premier attouchement, mais après quelque temps. Vous croiriez qu’il sort une chaleur fumeuse mêlée à une vapeur abondante, et que le feu serait plutôt étouffé par l’abondance de l’humidité qu’il ne dompterait la matière. Le pouls dans ces fièvres est plus petit, par rapport au pouls des fièvres quartes, que le pouls de ces dernières ne l’est proportionnellement à celui des tierces. D’un autre côté, le pouls dans les fièvres quotidiennes est plus rare que celui des fièvres tierces, dans la même proportion que le pouls des fièvres quartes est rare eu égard à celui des tierces. La lenteur est la même dans les unes et les autres. La fièvre quotidienne provoque moins de soif. Elle est donc, sous ce rapport, autant inférieure à la fièvre quarte que celle-ci l’est à la tierce. La langue et le corps sont très-secs dans les tierces, ils sont très-humides dans ces fièvres. Les vomissements sont plus phlegmatiques, et tout ce qui est excrété par l’estomac est plus froid, plus humide, plus cru, aqueux et phlegmatique. Vous trouverez dans ces fièvres le corps rempli d’humeurs crues. En effet, elles se manifestent dans les âges, les natures, les pays, les saisons de l’année et les tempéraments plus humides. Je n’ai jamais vu encore de jeune homme bilieux et d’un tempérament sec pris de cette fièvre. Les enfants, surtout les plus petits, et parmi les hommes faits, ceux qui sont phlegmatiques, qui ont une constitution replète, qui mènent une vie oisive au milieu des débauches, de l’ivresse, qui chaque jour prennent des bains, principalement après le repas, y sont très-sujets. Ainsi donc ce sont les pays plus humides, l’hiver entre les saisons, et les constitutions de l’air plus humides, qui engendrent surtout cette fièvre. Si elle prédomine à cette époque, cette circonstance, outre les indications énoncées, ne contribuera pas peu au diagnostic (voy. chap. v). Ces fièvres ne se terminent pas à leur déclin par des sueurs, comme les tierces et les quartes, aussi n’arrivent-elles pas à une rémission nette, excepté dans un petit nombre de cas.
Les urines rendues pendant la marche de la fièvre, indiquent les périodes de toute la maladie. Au début elles vous dénoteront la nature même de la fièvre. Elles sont, dans les fièvres quotidiennes, ou blanches ou ténues, ou épaisses et bourbeuses, ou rouges ; dans les tierces, ou jaunes ou tirant sur le fauve ; dans les quartes, très-variées, mais toutes crues. Tels sont les signes des fièvres intermittentes.
Vous reconnaîtrez les fièvres continues surtout à ce qu’elles ne présentent aucun des signes qui, avons-nous dit, existent nécessairement dans les fièvres intermittentes, à ce que la fièvre ne cesse pas dans les vingt-quatre heures, à ce que l’accroissement de la fièvre est irrégulier, ce qui indique encore, sans compter les autres signes, une durée plus longue, enfin à ce que le pouls manifeste aussi le caractère particulier aux fièvres. Si le désordre, ou l’irrégularité, ou le défaut de rhythme, vient s’y joindre, c’est encore une preuve que la fièvre doit être grande et en même temps qu’elle n’est pas intermittente. Si de telles fièvres, persistant, ont au troisième jour un redoublement plus fort, ou si les déjections et les urines se présentent avec des caractères de crudité complète, il n’est pas possible qu’elles soient jugées le septième jour. Si le quatrième jour se montre semblable au troisième, que la fièvre paraisse comme couvant à petit feu[7], que le visage et toute l’habitude du corps n’indiquent pas d’affaissement, une telle fièvre ordinairement se prolonge davantage. Voilà quelques variétés des fièvres sans symptômes (voy. chap. iii, viii et xv, init.).
Nous allons décrire le traitement propre à chacune de ces fièvres, d’abord celui des intermittentes, puis celui des continues. Des intermittentes, la plus courte et à la fois la plus bénigne, est la tierce. La plus longue et à la fois la plus exempte de danger est la quarte. La quotidienne est longue et n’est pas sans danger. Il convient donc d’en régler le régime dès le début en considérant tout le temps de la maladie. En effet, dans les maladies courtes et qui arrivent vite à leur summum, la prescription même d’un régime léger ne fait pas grand tort ; mais dans les maladies plus longues, si dès le début le régime n’est pas un peu abondant, ou vous tuez le malade avec la maladie, ou vous le faites changer de régime à contre-temps. Il ne faut pas en effet qu’à l’approche du summum on soit dans la nécessité de prescrire un régime plus abondant qu’auparavant ; au contraire, le régime le plus léger doit être réservé pour cette époque de l’affection. C’est une prescription commune à toutes les maladies. De plus on examinera les signes particuliers aux fièvres intermittentes ; par exemple pour la tierce, car il n’y a pas d’inconvénient à commencer par elle, déterminez, dès le début, si elle est franche (ἀκριβής) et pourrait-on dire légitime (γνήσιος), ou non franche, et pour ainsi dire illégitime. En effet, la fièvre tierce est jugée au plus tard dans sept périodes, outre qu’elle est exempte de danger. J’ai vu une fièvre non légitime commencer à l’automne et finir au printemps. Dans cette circonstance il arriva, chose naturelle dans une période si longue, que le malade n’obéit pas ponctuellement aux prescriptions des médecins, mais commit quelques infractions, et que d’ailleurs, incommodé par l’hiver, il éprouva un gonflement considérable de la rate et une distension des hypochondres. Il lui survint encore au visage une tuméfaction avec décoloration, et aux jambes également, ce qui nous fit craindre pour le jeune homme[8] et employer des médicaments plus énergiques. Ainsi, une pareille fièvre tierce ne ressemble en rien à une tierce légitime. C’est pourquoi je dis qu’il faut les diagnostiquer dès le début. En effet, autant elles diffèrent de nature, autant il convient que le système du régime soit modifié.
Pour déterminer parfaitement le caractère de ces fièvres, il me suffira de vous citer ce qui arriva à un jeune homme ; ce sera à la fois un exemple de fièvre illégitime et un enseignement. C’était à l’époque du coucher des Pléiades qui précède l’équinoxe. La fièvre le prit avec un frisson presque dès l’aurore ; aussi ne ressemblait-elle à une tierce ni par la chaleur, ni par le pouls. Il ne survint également ni vomissement bilieux, ni sueur abondante. Seulement au deuxième jour, vers la troisième heure, il se produisit de légères moiteurs à la suite desquelles la fièvre disparut d’une façon si peu sensible, que, vers le soir, à peine paraissait-il exempt de fièvre, mais son pouls conservait le caractère très-manifeste de la fièvre. Du reste il se trouva très-bien le soir et la nuit entière. Mais vers l’aurore du troisième jour survint un second accès semblable au premier, en tout, excepté pour la durée. En effet la nuit avançant, un peu avant le jour, la moiteur se manifesta et la fièvre cessa vers l’aurore du quatrième jour. Pendant le reste de l’automne et l’hiver où il fut malade, toutes les autres circonstances et l’époque de l’accès et de la rémission de la fièvre se reproduisirent de la même façon. Le jeune homme était âgé de dix-huit ans environ, blanc de teint, gras, livré aux débauches, habitué à des bains continuels et par suite cuisant mal ses aliments. Le pouls se montra médiocrement dur le premier et le second jour, mais le troisième, le quatrième et les jours suivants jusqu’au septième il parvint à un tel degré de dureté qu’on aurait pu croire, en se fiant au pouls seul, que la maladie remontait à plusieurs mois. Il persista ainsi jusqu’à l’équinoxe du printemps où il commença à s’amollir. Au bout du quarantième jour, le malade était complétement délivré de la fièvre, le pouls s’étant amolli successivement, le paroxysme ayant diminué, et les urines laissant un bon sédiment. — Auparavant, en effet, les urines étaient excessivement crues. Une telle fièvre assurément est très-opposée à une tierce légitime.
Les espèces extrêmes de fièvres étant ainsi déterminées, vous n’aurez pas de peine à reconnaître les autres espèces intermédiaires, d’ailleurs très-nombreuses. En effet, si les signes des fìèvres tierces décrits au début (chap. v) concourent tous, ils produisent la tierce légitime, dans laquelle l’accès le plus court dure quatre, cinq ou six heures, et le plus long onze ou douze. Dans de telles fièvres, les urines, dès le troisième jour, ou au plus tard dans le quatrième, présentent quelque signe de coction. C’est ainsi que vous distinguez la tierce franche et celle qui ne l’est pas ; même distinction pour la quarte et la quotidienne. Celle qui réunit tous les signes des fièvres quartes précédemment décrits (chap. vi) est la quarte légitime et franche ; celle qui ne les réunit pas est fausse et illégitime. Parmi les fièvres quotidiennes, celle qui réunit tous les signes que j’ai énumérés (chap. vii), est franche ; celle qui ne les réunit pas est illégitime. Les fièvres illégitimes, non plus, ne sont pas chroniques comme la quarte et la quotidienne ; mais de même que la tierce franche est courte, de même la quarte et la quotidienne sont longues. Tels sont les points à examiner chez ceux qui ont des fièvres à types périodiques.
Chez les autres fébricitants, il faut considérer les urines, les déjections, l’habitude entière du corps, la chaleur, le mouvement des artères et les autres choses qu’Hippocrate (cf. par ex. Des humeurs, § 1), et la longue expérience prescrivent d’examiner : le pays, la saison, la constitution de l’air, les âges, les tempéraments, les circonstances antérieures, celles qui se sont manifestées en même temps que la maladie, et celles qui se sont montrées pendant sa durée.
On pourrait croire que l’explication est complète, mais en réalité il n’en est pas ainsi. La remarque la plus importante de toutes, la plus courte à énoncer n’est pas encore faite. Quelle est-elle ? C’est le degré (ποσότης, quantité) de la maladie et de la force du malade. La chose n’exige qu’un mot d’indication, mais elle est de la plus grande utilité. En effet, il n’est pas possible de bien pronostiquer sans calculer exactement le degré où en est chacune des choses précitées. La maladie est-elle mortelle ou ne l’est-elle pas ? Quand est-il plus probable que le sujet mourra ou guérira de l’affection ? C’est ce que vous ne pourrez ni prévoir ni prédire, si vous ne commencez pas par examiner attentivement le degré où se trouvent toutes les choses susdites, pour rapporter ensuite sous deux chefs la maladie même et la force du malade. En effet, si la force est assez grande pour surmonter la maladie, nécessairement l’individu sera sauvé ; si le contraire existe, il mourra infailliblement. N’examinez donc pas la maladie seulement dans sa nature, mais encore dans son intensité. Cette connaissance exige une longue pratique, tant pour d’autres raisons que par cette circonstance qu’on ne peut décrire ni expliquer verbalement l’intensité de chaque affection. Si nous avons quelque talent, nous n’arrivons pas à cette exactitude d’appréciation par une cause autre que par une grande habitude à juger de la quantité (intensité de la maladie, degré des forces)[9]. Cela ne peut s’apprendre ni s’enseigner que par les œuvres mêmes ; quant aux distinctions tirées de la qualité, nous les décrirons aussi brièvement que possible, à la fois avec exactitude et clarté.
La tierce légitime, où domine la bile jaune en mouvement, doit être humectée et refroidie autant qu’il est possible. En effet, les contraires sont les remèdes des contraires, parce qu’ils corrigent ce qui est en excès et suppléent ce qui fait défaut. De toutes les humeurs renfermées dans le corps, la bile jaune est la plus chaude et la plus sèche. Il faut donc chercher à évacuer celle qui afflue dans l’estomac par des vomissements, et celle qui se porte en bas par les évacuations alvines. Cela se produit spontanément dans les tierces franches : aplanissez les voies aux urines et aux sueurs. La purgation de la bile par le bas est utile ; évacuez l’estomac par des clystères émollients ; provoquez l’écoulement des urines par des boissons d’ache et d’aneth. S’il se manifeste des signes de coction, dès lors donnez avec confiance de l’absinthe ; d’ailleurs, c’est le meilleur remède pour l’orifice de l’estomac irrité par la bile, surtout si, prenant une partie suffisante de ses sommités, vous les faites macérer dans de l’eau miellée (μελίκρατον. — Voy. p. 512 de mon éd. d’Hippocrate). Les bains chauds d’eau potable sont bons, parce qu’ils évacuent la bile en la faisant sortir [à travers les pores], et aussi parce qu’ils soulagent beaucoup en raison de leur propriété. En effet, tous les bains de cette espèce ont la faculté d’humecter et de rafraîchir. Les bains de mer[10], les bains salés, ceux où entre la soude brute, les bains sulfureux font, il est vrai, sortir plus de bile, mais sont beaucoup moins utiles que les bains d’eau potable. Il vaut mieux dire que, nuisant plus par leurs propriétés qu’ils n’aident aux évacuations, ces bains ne sont pas utiles. J’ai connu une personne qu’un faux raisonnement avait induite à user de ces bains. Bientôt son corps se dessécha, et elle s’épuisa tellement qu’elle mourut de consomption. Tout autre régime augmentait chez elle l’évacuation de la bile. On doit toujours opposer des qualités opposées à la qualité contre nature qui domine ; cela vaut beaucoup mieux que d’évacuer par n’importe quel moyen. C’est un précepte que le malade ignorait et qu’il n’avait appris de personne. Les bains doivent avoir pour but d’imbiber et d’humecter le corps. Il ne faut donc pas y mettre de soude brute, de sel, ni de moutarde, ce qu’on voit faire à beaucoup de médecins qui perdent leurs malades ; mais, après avoir versé de l’huile très-chaude dans l’eau potable, on plongera et on baignera les malades, et, s’ils le désirent, on leur permettra de nager autant qu’ils le peuvent. Pour ceux qui aiment les bains, vous ne faites pas mal de leur en accorder deux par jour ; mais rappelez-vous d’attendre pour cela le moment favorable. Quand apparaissent les signes de coction de la maladie, vous pouvez, sans danger, permettre des bains plus nombreux. Avant la coction de la maladie, défendez complétement le vin ; quand elle est commencée, donnez d’abord un vin léger, trempé et en petite quantité ; donnez-en davantage quand la solution de la maladie approche. Les aliments qui humectent et refroidissent sont tous utiles dans les tierces légitimes ; la quantité donnée en doit être ce que les malades peuvent cuire (digérer) convenablement. Parmi les légumes, choisissez l’arroche, la bette, la patience, la mâche, la laitue et le concombre ; donnez encore de la ptisane, des potages à l’alica ; prescrivez, parmi les poissons, ceux de roche ; parmi les oiseaux, ceux dont la chair est molle, et les ailes des oiseaux qui ne rentrent pas dans cette catégorie ; donnez encore les testicules des coqs, les pieds et les cervelles de porcs ; vous pouvez encore, sans danger, prescrire la chair de jeunes porcs bouillie ; faites manger des œufs, surtout les jaunes, car le jaune se digère plus aisément que le blanc ; parmi les fruits, permettez l’usage de ceux qui ne sont pas d’une coction difficile ; défendez le miel, la moutarde, les viandes salées, tous les aliments piquants, les vins très-vieux ou naturellement chauds. Tel est le régime généralement indique. Pour les gens non délicats, le régime doit être celui que vous m’avez vu prescrire dans la fièvre tierce légitime, d’après l’indication d’Hippocrate (dans son traité Du régime des maladies aiguës), c’est-à-dire de la ptisane jusqu’à la crise. Tel est le traitement des fièvres légitimes.
Dans les tierces non légitimes, il faut, avant tout, veiller, autant que possible, à ne pas augmenter la maladie et à ne pas débiliter les forces du malade, qui, avec la prolongation du mal, doivent s’affaiblir.
Il est difficile d’observer les deux points, car autant l’abstinence est utile par rapport à la coction de la maladie, autant ou même plus elle est préjudiciable aux forces. D’un autre côté, autant les aliments contribuent à la force du malade, autant ils font obstacle aux coctions. C’est ici qu’il faut distinguer l’intensité de la maladie et le degré de force du malade, afin qu’en considérant le point qui a le plus besoin de secours, vous prescriviez avec assurance, soit l’abstinence dans le cas où la force est plus énergique et où la maladie est d’une coction difficile, soit une alimentation plus abondante, si les forces sont plus débilitées et si la maladie n’est pas d’une coction très-difficile. On doit avoir égard à ces considérations dans toutes les autres maladies. Dans les tierces non légitimes, il n’est pas bon de prescrire des bains dès le début, mais lorsque apparaissent déjà les signes de la coction, ni de donner des aliments chaque jour ; il suffit d’en donner un jour sur deux. Ce qui soulage, c’est le repos, les fomentations sur les régions hypochondriaques, les potages d’une digestion facile, les clystères pas trop émollients, Si une saignée est réclamée, on ne négligera pas de la faire ; il faut, des le début, se déterminant d’après les principes connus, tirer autant de sang qu’il est opportun dans le cas actuel. L’ensemble du régime doit tendre non à refroidir et à humecter tout le corps comme dans les tierces légitimes ; il doit, au contraire, avoir quelque chose de plus apéritif et de plus chaud. Le médicament qui convient le mieux, est la ptisane additionnée de poivre ; donnez encore à boire une décoction d’hyssope, d’origan, d’épi de nard dans de l’eau miellée, et toutes autres ptisanes qui poussent aux urines, excepté celles qui sont très-échauffantes et desséchantes. Après le septième jour, donnez surtout de l’absinthe d’une manière continue.
Beaucoup de personnes ont été soulagées par de l’oxymel et par un de ces purgatifs (ὑπήλατα — minoratifs), que, vous le savez, nous employons fréquemment. Le vomissement après les repas a été si salutaire dans des cas où cette fièvre était devenue chronique, que beaucoup de personnes, je le sais, ont été complétement débarrassées à la suite de ces vomissements.
Maintenant nous allons parler des fièvres quartes : au début, on doit les traiter avec réserve et douceur ; n’employez ni médicament violent, ni évacuant, à moins qu’il n’y ait pléthore manifeste. Si de la veine ouverte sort un sang noir et épais, tel qu’on le voit surtout dans les vaisseaux spléniques, saignez hardiment ; s’il apparaît jaune et ténu, arrêtez aussitôt l’écoulement ; ouvrez la veine soit interne, soit moyenne de l’avant-bras, et mettez immédiatement à un régime restaurant et qui n’engendre pas de vents ; relâchez le ventre autant que possible par les moyens ordinaires. Si vous n’en obtenez aucun résultat, employez les clystères plus âcres ; défendez les chairs de porc, toutes les viandes visqueuses et qui passent lentement, ainsi que tous les aliments à la fois refroidissants et humectants (voy. Étienne, p. 305-6) ; donnez un vin blanc ténu et modérément chaud ; parmi les oiseaux, donnez ceux qui ont un bon suc et qui ne viennent pas des marais ; parmi les poissons, ceux qui se digèrent bien, qui ont une chair molle et qui n’ont rien de visqueux ; donnez des viandes salées, de la moutarde, et administrez à intervalles réglés le médicament aux trois poivres ou le diospoliticon (voy. Dissert. sur la matière médicale). On fera bien de prendre chaque jour une seule espèce de poivre dans de l’eau. N’interdisez pas complétement les frictions, les promenades, les bains et les autres distractions habituelles ; mais si les malades peuvent s’abstenir complétement de bains et s’en tenir aux frictions, ils en tireront un grand soulagement.
Si la fièvre quarte est courte et peu violente, il n’y a pas d’inconvénient à se livrer dans les intervalles aux exercices habituels. Voilà ce qu’il faut faire au début et jusqu’au summum. Quand la maladie paraît être arrivée à son summum, alors enjoignez un régime plus léger qu’il n’était auparavant et qu’il ne sera plus tard. Le malade devra aussitôt se livrer à un repos prolongé. Surveillez les intestins : faites des fomentations et prescrivez des cataplasmes avec les médicaments capables d’amollir et de relâcher. Puis employez les médicaments qu’on nomme diurétiques. Si les signes de la coction de la maladie apparaissent, purgez alors avec les médicaments qui évacuent la bile noire, non pas une fois seulement, mais plusieurs fois si le cas l’exige ainsi. Dans ces circonstances il faut faire vomir après le repas, et, si rien ne s’y oppose, on donnera de l’hellébore blanc d’abord, uni à des raiforts, puis, si cela ne produit rien, de l’hellébore pur. À ceux qui ne peuvent pas vomir, il faut, après les avoir purgés plus énergiquement par le bas, donner à boire le médicament aux vipères (thériaque), et d’autres recommandés contre les fièvres de cette nature. Parmi eux, celui que nous employons davantage et qui a le plus de réputation est composé avec le suc de Cyrène (suc de sylphium). Ceux qui donnent quelqu’un de ces médicaments au début ou généralement avant le summum, ont fait souvent d’une quarte simple une quarte doublée, ou ils l’ont rendue beaucoup plus grave et plus pénible ; d’une quarte doublée ils ont fait une quarte triplée, ou bien ont rendu toutes deux plus pénibles et plus graves. Je connais un médecin qui osa donner à un malade pris d’une triple quarte le médicament aux vipères, avant que la maladie fût à son summum. Puis, comme il est naturel, tous les symptômes s’étant aggravés, il en résulta une fièvre continue qui tua le malade.
Dans le traitement de la fièvre quotidienne, employez dans les premiers jours l’oxymel et les boissons propres à pousser aux urines ; que l’ensemble du régime soit essentiellement incisif. Au summum il faut s’inquiéter de l’estomac, surtout de son orifice. Ensuite faites vomir le malade quand il a pris des raiforts ou des aliments, et employez des purgatifs doux (ὑπήλατα. Voy. ch. xi), qui évacuent le phlegme. Vous trouverez les autres particularités du régime en ayant égard aux buts communs.
Les fièvres continues dans lesquelles le summum de la maladie ne doit pas dépasser le septième jour, dans lesquelles la force de résistance et l’âge du malade sont en harmonie, réclament un régime sévère et léger. Celles où le summum de la maladie, dans son ensemble, vient après le septième jour, où les forces ne sont pas suffisantes, exigent un régime plus abondant au début, plus léger à l’approche du summum et très-léger à l’époque même du summum. En sens inverse, après le summum, prescrivez toujours un régime plus abondant, et qu’il aille en s’accroissant comme il allait en diminuant avant le summum. Tirez du sang, quand la maladie est grave, à ceux qui présentent un teint beaucoup plus rouge que dans l’état naturel, un gonflement inusité du corps entier, des veines saillantes et tendues, à moins de contre-indication fournie par la force, l’âge, ou quelqu’une des considérations citées au commencement. On a dit autrefois (Hippocrate, Aph., I, 16) avec raison que les régimes humides conviennent dans toutes les fièvres aiguës. Donnez donc de la ptisane si elle ne cause pas d’aigreurs, du mélicrat s’il n’engendre pas de bile, des potages à l’alica, du pain où il entre beaucoup d’eau (voy. Oribase, t. I, p. 562) et autres aliments doués de la même propriété ou d’une propriété analogue. Dans les fièvres extrêmement chaudes et brûlantes, dès que vous voyez les signes de la coction, donnez hardiment pour boisson de l’eau froide en réglant la dose d’après la saison, le pays, l’âge, la nature et l’habitude du patient. Tels sont les soins que réclament d’une façon générale les fièvres sans symptômes.
Le traitement des fièvres avec symptômes[11] n’est pas aussi simple. Il faut mesurer l’intensité de la fièvre, celle du symptôme qui cause le danger et insister sur le point le plus fortement et le plus sérieusement attaqué, sans négliger complétement l’autre. Supposez un fébricitant non pas avec la diathèse dite pléthorique, mais avec des crudités récentes, lesquelles mordillent et compriment l’orifice de l’estomac, ou qui vomit une humeur pernicieuse dont le passage l’incommode vivement, en sorte qu’il est irrité et inquiété : est-ce que, n’ayant égard qu’à la fièvre, nous chercherons seulement à évacuer la quantité d’humeur, ce que nous aurions fait sans inconvénient dans d’autres cas ? Ou bien d’abord nous occuperons-nous de l’orifice de l’estomac, et ensuite, quand il sera rétabli, purgerons-nous convenablement tout le corps ? Ce dernier parti me semble préférable.
Dans beaucoup de cas semblables j’ai vu souvent parmi les malades, les uns succomber, les autres arriver aux dernières limites du danger, les médecins s’étant attachés à les purger avant de fortifier l’orifice de l’estomac. — Si la fièvre est accompagnée de diarrhée, aucune autre évacuation n’est exigée, celle-ci suffit, bien que non proportionnée à la quantité d’humeur. Tous ceux qui, pensant que de tels états réclamaient une plus grande déplétion, ont osé tirer du sang ou relâcher le ventre, ont occasionné, des dangers encore plus graves. — Si quelqu’un est atteint de convulsion, et en même temps a besoin d’être saigné, il ne faut même pas dans ce cas lui tirer en une seule fois autant de sang que l’affection l’exige, mais il faut en ménager une portion pour le symptôme (c’est-à-dire pour le spasme) qui provoque souvent des sueurs, engendre des insomnies et [par conséquent] abat la force du malade[12]. De même si une insomnie pénible et une douleur intense fatiguent le malade, on se gardera d’évacuations fréquentes et abondantes. — Il faut encore regarder comme un symptôme la température de l’air ambiant, quand elle est excessivement chaude et sèche, comme il arrive entre le lever de la Canicule et d’Arcture. Aussi les médecins qui, ne donnant aucune attention aux saisons, osent saigner leurs malades, les perdent tous. De même encore si la température est excessivement froide il faut se garder alors de tirer du sang, car nous voyons dans de pareilles circonstances des accidents graves résulter d’une saignée. Dans les constitutions extrêmement chaudes de l’air, les malades évacués mal à propos périssent par suite de ce qu’on nomme syncope et diaphorèse. Dans les constitutions froides, les malades refroidis violemment au début des paroxysmes n’y peuvent résister. Il ne faut donc pas hasarder une saignée dans les pays très-chauds ou très-froids. On s’en abstiendra complétement si les circonstances de saison et de pays s’accordent à l’interdire ; si elles ne s’accordent pas, évacuons, mais beaucoup moins que si aucune circonstance ne s’y opposait. — On doit encore considérer comme un symptôme les dispositions morbides des malades. Beaucoup, en effet, n’ont jamais été évacués et ne pourraient supporter une évacuation un peu abondante, ni une diète prolongée. Après un tel traitement les uns voient bientôt s’affaiblir toute leur force corporelle ; les autres souffrent immédiatement de l’orifice de l’estomac, de sorte qu’ils refusent de prendre des aliments. S’ils font effort pour en prendre, ils ne peuvent les garder ou ne les cuisent (digèrent) pas convenablement. — Il faut encore, dans cette partie du diagnostic, considérer le tempérament du malade. Ainsi, tous les individus naturellement chauds et secs sont facilement lésés par des évacuations fréquentes. — L’habitude n’est pas d’une petite importance, et sous tous les autres rapports, et pour l’indication de l’évacuation. En effet, certains malades n’ont jamais été évacués antérieurement et ne pourraient supporter de fréquentes évacuations ; ils sont habitués à une nourriture abondante. D’autres, au contraire, n’ont pas une nourriture abondante et sont habitués aux évacuations. Il faut donc évacuer abondamment ces derniers quand les autres circonstances le conseillent. À l’égard des autres qui n’en ont pas l’habitude, il faut s’en garder, même quand toutes les autres circonstances le conseillent. — On examinera encore les complexions. Les individus qui ont la chair dense et ferme ont une complexion réfractaire aux affections. On ne doit donc pas craindre de les évacuer une fois, si du moins les autres circonstances l’exigent. Les individus dont la chair est molle, tendre et rare, ont une complexion singulièrement disposée aux affections. Il ne faut donc pas se hasarder à tirer du sang dans de telles circonstances, mais on emploiera les autres évacuants avec modération et réserve. De même pour les individus excessivement gras ou maigres, on doit se garder de leur ouvrir les veines et on recourra avec circonspection aux autres évacuants. — L’âge encore peut être compté comme un symptôme (une circonstance) qui interdit l’évacuation fréquente. En effet ni les enfants ni les vieillards ne les supportent sans inconvénient. Ainsi, pour tous les sujets que nous venons de signaler, quand leur diathèse réclame une évacuation, il ne faut pas évacuer en une fois, ni brusquement, mais graduellement, par des diètes tempérées, des frictions, des clystères émollients, des fomentations, des cataplasmes et des bains, en tirant pour chacun des cas l’indication des observations précédentes. Si deux symptômes contraires coïncident, examinez lequel des deux est le plus fort. Il en est de même s’il se rencontre dans le même individu deux maladies fournissant des indications qui se combattent. En effet, dans ce cas, on s’occupera de la plus urgente sans négliger entièrement l’autre.
Il ne faut pas examiner simplement les indications fournies par les symptômes et les maladies, mais d’après la cause qui a produit l’une et l’autre, par exemple la lipothymie et la défaillance (ἔκλυσις ― résolution des forces), car les médecins ont l’habitude d’appliquer ces deux dénominations à une seule chose. La chose même est une, mais les causes en sont nombreuses. En effet, la lipothymie résulte de choléra, de diarrhée, de dyssenterie, de lienterie, de flux menstruel, de blessures, d’hémorrhoïdes, d’évacuations du sang, d’épistaxis et de lochies excessives après un accouchement.
Parfois encore une apepsie grave produit une lipothymie, surtout quand elle relâche démesurément le ventre. L’affection dite boulimie n’est rien autre chose qu’une lipothymie. Une lipothymie précède toute suffocation utérine (hystérie) ; souvent aussi elle suit les ascensions, les déviations et les inflammations de l’utérus (voy. Lieux affectés, VI, v). Elle précède l’apoplexie, l’épilepsie de mauvaise nature, les diaphorèses, les syncopes et les marasmes ; parfois même elle survient dans les accès de fièvre grave, et principalement lorsque le corps est très-sec et décharné ou pléthorique outre mesure ; elle survient aussi dans une fièvre ardente et maligne ; elle saisit encore les individus dont les extrémités sont grandement refroidies dans les accès des fièvres. Ceux auxquels une inflammation grave du foie, de l’estomac ou de l’orifice de l’estomac donne la fièvre, sont aussi sujets aux lipothymies au début des paroxysmes ; elle attaque principalement ceux qui présentent une quantité d’humeurs crues non cuites (sic), ou une obstruction d’une partie importante. Sont encore exposés aux lipothymies ceux dont l’orifice de l’estomac est débilité ou mordillé par des humeurs malignes ou surchargé par des matières épaisses, ou visqueuses, ou humides, ou froides. Il est des gens chez qui la puissance des affections psychiques produit la lipothymie ; les vieillards surtout et les personnes affaiblies par une autre cause y sont sujets. En effet, chez beaucoup, le chagrin, la joie, la colère provoquent une lipothymie ; parfois aussi de petites sueurs, une légère transpiration se manifestant inopportunément chez des individus qui se trouvent dans cet état, occasionnent des lipothymies. J’en dis autant des sueurs excessives chez les individus plus forts. La rupture d’un abcès cause aussi une lésion grave des forces, surtout si le pus se répand brusquement dans l’estomac, dans son orifice ou dans le thorax. Nous-mêmes, en incisant un abcès, si nous évacuons le pus d’un seul coup, nous occasionnons nécessairement une lipothymie ; même accident, si des purgations, des clystères ou autres évacuants agissent brusquement. Ainsi, dans les hydropisies mêmes, l’humeur, quoique superflue, contre nature, n’est pas soustraite sans inconvénient par une évacuation subite ; dans ce cas, nécessairement l’individu est atteint de lipothymie. Des défaillances sont encore produites par la grande douleur que causent des irritations intestinales violentes, des tranchées, des tortillements ou des coliques qui surviennent tout à coup. Un nerf, une tête de muscle blessés amènent une lipothymie, comme aussi tous les ulcères malins, gangréneux et rongeurs des articulations, un refroidissement considérable ou une chaleur excessive et un épuisement de la tonicité vitale.
Telles sont les causes des lipothymies ; chacune d’elles réclame un traitement spécial, mais nous ne pouvons maintenant les décrire tous, car on ne saurait guérir les lipothymies associées aux affections sans guérir en même temps ces dernières. Nous n’en dirons donc actuellement sur ce sujet qu’autant qu’il en faut savoir pour remédier aux paroxysmes qui se déclarent soudain. Ainsi, dans le cas de défaillance par suite de choléra, de diarrhée et autres évacuations nombreuses et brusques, on aspergera d’eau froide les patients, on comprimera les narines, on frictionnera la région de l’orifice de l’estomac, on fera vomir, ou bien on irritera l’orifice de l’estomac en introduisant dans la bouche les doigts ou des plumes. Il faut aussi mettre des ligatures aux bras, aux jambes et aux pieds. Les liens doivent être plus nombreux et plus forts aux bras, quand les évacuations ont lieu par les parties inférieures, par exemple dans les flux hémorrhoïdaux, les diarrhées et les évacuations utérines. Souvent en effet, dans ces cas, une forte ligature des jambes attire quelque chose vers le bas. Au contraire, dans les épistaxis et les vomissements, que les liens des jambes soient plus nombreux et plus forts. De même, pour toutes les hémorrhagies par blessures, établissez les liens dans les régions inférieures si les blessures sont en haut, et dans les régions supérieures si elles sont en bas (voy. Oribase, t. II, p. 774). Il faut trouver, pour la partie blessée, une position où elle soit inclinée en haut, mais pas excessivement ; car si, dans cette position, elle est tendue, et si de la douleur s’y fait sentir, l’hémorrhagie n’est pas moins redoutable que si elle inclinait en bas. Généralement il faut révulser (ἀντισπᾶν) vers les parties qui sont en rapport avec les parties affectées ou vers celles d’où procède l’évacuation 1. Ainsi, l’application de ventouses aux mamelles arrête sur-le-champ les évacuations violentes de l’utérus ; dans l’épistaxis, appliquez-les sur le foie ou la rate quand le sang coule d’une seule narine ; s’il s’échappe par les deux avec abondance et en grande quantité à la fois, appliquez-en sur les deux viscères. Le vin mélangé à l’eau froide guérit les défaillances causées par les brusques évacuations, et surtout quand l’écoulement se dirige vers l’estomac ; mais considérez si rien n’interdit une pareille boisson, par exemple l’inflammation d’un viscère, une douleur violente à la tête, ou une affection délirante, ou une fièvre brûlante dans une maladie sans coction ; car, dans de semblables affections, des lésions graves et presque incurables suivent l’ingestion du vin. Quand il n’existe aucun obstacle de cette nature, on déterminera immédiatement la nature du malade, ses habitudes, son âge et la crase de l’air ambiant. D’après ces considérations, donnez la boisson froide ou chaude. Les boissons froides sont interdites à ceux qui n’en ont pas l’habitude, ou que leur usage incommode manifestement, à ceux qui sont naturellement un peu froids ou fort âgés, ou qui se trouvent dans un pays naturellement froid ou en hiver ; donnez-en abondamment à ceux qui sont dans des conditions opposées. Que le vin soit chaud et léger, comme est le vin de Lesbos, dans les flux qui se portent au ventre ; qu’il soit épais, noir et acerbe dans les hémorrhagies. Appliquez sur la région même de l’estomac, de la matrice, du cardia, et sur le thorax, les épithèmes propres à fortifier ces parties ; à la tête et au front, appliquez et ceux-ci et les réfrigérants. En cas de rupture d’une 1 « On révulse vers les parties qui sont la source de l’évacuation, quand ces parties sont moins nobles que celles qui reçoivent le flux. » (Étienne, p. 321.) veine superficielle ou d’une veine du nez, appliquez un de ces médicaments qui arrêtent le sang (hémostatiques). Les bains conviennent beaucoup dans les flux de ventre, ils augmentent considérablement les hémorrhagies ; ils sont aussi très-contraires à ceux qui éprouvent des lipothymies par abondance de sueurs. Chez ces individus, en effet, il importe de resserrer et de refroidir le derme, et non pas de le relâcher. Ainsi, dans ce cas, on prescrira surtout le vin froid, et on ne permettra rien de chaud ; il ne faut pas non plus lier les membres, ni forcer à vomir, ni remuer en aucune façon. On doit, dans les habitations, ménager un accès à l’air frais, et donner à celui de la maison des qualités fraîches et astringentes, en jonchant le sol de rameaux de myrte, de tiges de vigne et de roses. Rien de ceci n’est utile pour le flux de ventre, car ce flux augmente à proportion que le derme se resserre. Dans les défaillances qui résultent d’évacuations, c’est donc de cette façon qu’il faut porter secours immédiatement.
Les défaillances qui résultent d’une abondance d’humeurs ne se traitent pas ainsi : il faut frictionner les membres des malades, les réchauffer et les lier. S’ils ont la fièvre, interdisez le vin, les aliments et les bains ; il suffit de leur donner en boisson une décoction de thym, d’origan, de pouliot, ou d’hyssope dans du mélicrat ; l’oxymel est également bon. Quant aux défaillances qui résultent d’affections de l’utérus, traitez-les par les mêmes boissons, sauf l’oxymel ; liez et frictionnez les jambes plutôt que les bras. De même que dans un flux utérin considérable nous appliquons des ventouses aux mamelles, de même, quand l’utérus remonte ou éprouve des déviations, nous en appliquons aux aines et aux cuisses. Nous approchons aussi du nez les odeurs les plus fétides et de l’utérus les plus agréables, Nous administrons les médicaments propres à relâcher et à réchauffer. Si c’est par faiblesse de l’orifice de l’estomac que survient la lipothymie, on appliquera sur cette région des cataplasmes fortifiants, ceux, par exemple, où il entre des dattes, du vin, de l’alphiton (orge torréfiée), du safran, de l’aloès et du mastic ; il faut les arroser avec les médicaments à l’absinthe, à l’huile aux pommes, à l’huile au mastic, au nard, aux fleurs de vignes sauvages et au vin. Si l’orifice de l’estomac est enflammé, ajoutez quelque réfrigérant, soit le suc de courge, de laitue, de pourpier, de morelle, de chicorée et de raisins verts. Ce dernier non-seulement rafraîchit, mais encore resserre. De l’eau froide donnée à propos est souvent utile dans les ardeurs de l’orifice de l’estomac, autrement elle fait beaucoup de mal. — Il faut donner plutôt du vin chaud quand cette partie est affaiblie, si rien ne s’y oppose. La friction des extrémités est grandement utile à l’orifice de l’estomac ainsi affecté. Si ces moyens ne soulagent pas, conduisez immédiatement le malade au bain. Que ceux qui éprouvent à cette partie un sentiment de froid prennent le médicament aux trois poivres (noir, blanc et long), ou à une seule espèce de poivre, et de l’absinthe. Si l’orifice de l’estomac mordillé par des humeurs pernicieuses cause des défaillances, faites vomir avec de l’eau chaude ou avec un mélange d’eau et d’huile. Si le patient vomit difficilement, réchauffez d’abord la région du cardia, les pieds et les bras ; si même. avec ce moyen, le vomissement ne se produit pas, provoquez-le en irritant la gorge avec des plumes ou avec les doigts ; si après cela le malade ne vomit pas encore, donnez-lui de l’huile chaude de la meilleure qualité. Souvent l’huile a pour effet non-seulement de provoquer le vomissement, mais encore de relâcher le ventre, ce qui n’est pas un mince avantage dans les cas dont il s’agit. En conséquence, si ce résultat n’a pas lieu spontanément, il faut essayer de le produire artificiellement, et principalement avec des suppositoires[13] ; si cette tentative réussit facilement, on donnera à boire une infusion de sommités d’absinthe dans du mélicrat, puis du vin. Il importe de fortifier les parties de toutes les manières par l’application de médicaments externes et par des potions d’absinthe. Je ne vous engage pas à agir ainsi dès le début, mais plus tard, lorsque déjà le ventre est purgé. Quand les humeurs y sont encore renfermées, évitez de le resserrer ; il suffit de fomentations, comme il a été dit précédemment. — Si un phlegme abondant et froid est accumulé à l’orifice de l’estomac, faites des fomentations très-nombreuses avec une décoction d’absinthe dans l’huile. Vous donnerez ensuite du mélicrat dans lequel aura infusé de l’hyssope ou quelque autre plante analogue, de l’oxymel, du poivre, le médicament aux trois poivres et le diospoliticon (voy. Hygiène, IV, v, et Dissert. sur la pharmacol.). Que l’ensemble du régime soit apéritif. — On doit traiter les défaillances qui résultent de refroidissements considérables comme les boulimies, en réchauffant de toutes les façons. Il convient donc, dans ces cas, de donner du vin trempé avec de l’eau chaude et des aliments propres à réchauffer ; on frictionnera et on réchauffera les malades près du feu. — Contre les lipothymies qui résultent d’une chaleur trop forte, employez les rafraîchissements et les fortifiants. Elles surviennent principalement après un séjour prolongé dans un air étouffant et dans un bain. Vous ranimerez les patients en les aspergeant immédiatement d’eau froide, en les éventant, en les tournant du côté du vent, en frictionnant la région de l’orifice de l’estomac, et en irritant cette partie [par des titillations à la gorge] ; puis vous leur donnerez du vin et des aliments. Quand une inflammation grave ou la malignité d’une fièvre violente entraîne des lipothymies dans ses accès, et qu’on éprouve un refroidissement des membres, il convient de frictionner fortement, de réchauffer, de mettre des ligatures aux jambes et aux bras. Ordonnez aux malades de se tenir éveillés, de s’abstenir de tout aliment et de toute boisson. Le mieux, dans ces cas, est de prévoir ce qui doit arriver, et de prévenir les accidents en agissant avant le paroxysme. Il est très-bon encore de prévoir les syncopes qu’on éprouve par suite de sécheresse, au début des paroxysmes. Car, en donnant des aliments deux ou trois heures avant le paroxysme, en faisant serrer les pieds et les bras, on pourra sauver les malades. Les aliments doivent être d’une coction facile et bons pour l’orifice de l’estomac. Si vous prévoyez un danger sérieux, prévenez-le en donnant du vin, et surtout du vin dans lequel on aura mis de l’alica bouillie. Le pain donné à la place de l’alica (voy. Oribase, t. I, p. 559) produit le même effet. Si vous vous attendez à une syncope modérée, il ne faut point de vin ; il suffit, dans ce cas, de mêler aux aliments des grenades, des poires, des pommes ou quelque autre fruit astringent. Si, après cela, les malades supportent l’accès sans fatigue, il n’est pas nécessaire, quand on leur redonnera des aliments, d’y ajouter des fruits. Voilà ce qu’il faut faire, si vous prévoyez ce qui doit arriver. A ceux qui tombent tout à coup en danger, donnez-leur du vin chaud avec une très-petite quantité de pain ou d’alica chaude. En donnant davantage, ou en donnant des aliments d’une coction plus difficile aux individus qui sont dans cet état, vous les exposeriez non-seulement à des syncopes, mais encore à une suffocation complète. — Dans les lipothymies qui résultent de l’obstruction d’une partie importante, donnez de l’oxymel et une boisson d’hyssope, d’origan, de pouliot et de miel, et des aliments d’un genre incisif (apéritif). En effet, des aliments épais et visqueux, dans de pareilles circonstances, produisent de grands dommages. Il n’y a pas non plus d’inconvénient à frictionner les membres et à les lier. Il est bon d’employer des diurétiques, tels que les médicaments à l’aneth, au fenouil, à l’ache, au persil, à l’ammi, au daucus de Crète, à l’épi de nard. Quand l’utilité qui résulte de ces boissons est déjà manifeste, donnez un vin blanc ténu, pas très-vieux. Vous reconnaîtrez de semblables obstructions et par les autres irrégularités du pouls et par celles qui se rapportent à sa grandeur, à sa petitesse, à sa force et à sa faiblesse, quand le syndrome (l’ensemble de symptômes) dit pléthorique n’existe pas, car ces irrégularités sont communes à ce syndrome. De semblables diathèses, lorsqu’elles sont graves, produisent une intermittence du pouls. Ces questions sont expliquées plus longuement dans les traités Sur le pouls.
Venons maintenant à considérer les autres espèces de défaillances, par exemple celles qui proviennent de la rupture ou de l’incision d’un abcès et d’une évacuation brusque dans les hydropisies. Il suffit, dans le moment, de ranimer avec des odeurs pénétrantes, et, un peu plus tard, de donner des potages d’une coction facile. — Si c’est le chagrin, la joie, la crainte, la colère ou le saisissement qui ont occasionné la défaillance, faites vomir le malade après l’avoir rappelé à lui avec des odeurs et en lui comprimant les narines. — De même pour les défaillances qui viennent à la suite de blessures, ou de purgations, ou de douleurs dans les articulations, les nerfs et les tendons des muscles, commencez par rappeler le patient à lui, puis vous ferez le traitement qui convient à l’affection. — Les lipothymies causées par les coliques, les iléus et autres affections analogues, et qui occasionnent de grandes douleurs, sont arrêtés surtout par les fomentations chaudes des parties affectées et par les frictions des extrémités. — Quant aux défaillances qui résultent d’une faiblesse propre des facultés qui régissent le corps, et qui proviennent d’une dyscrasie de ces parties d’où les facultés dérivent, il convient de leur opposer des dyscrasies contraires, en réchauffant les froides, en refroidissant les chaudes, et en agissant d’une façon analogue à l’égard des autres. — [L’altération de] la faculté dite vitale, qui dérive du cœur, nous l’avons démontré, se reconnaît à la faiblesse du pouls ; celle de la faculté qui dérive du foie, et qu’on nomme nutritive, se reconnaît aux déjections sanguinolentes, aqueuses et ténues, plus tard épaisses comme de la lie ; celle de la faculté qui dérive de l’encéphale, et qu’on appelle proprement psychique, suivant quelques-uns, se reconnaît à la faiblesse dans les mouvements volontaires. Mais nous décrirons en particulier les diathèses de cette espèce dans un autre ouvrage, car les médecins ont commis bien des omissions à cet égard.
Après avoir parlé jusqu’ici des symptômes, revenons au but que nous nous proposions dès le commencement ; ce but unique, commun à tous, c’était d’examiner la cause qui a produit chacun de ces symptômes. Quant à ces causes, elles vous indiqueront le traitement convenable. Par exemple, quelqu’un souffre-t-il de la tête, s’il a du dégoût pour les aliments, et s’il éprouve des picotements à l’estomac, faites-le vomir : il vomira ou de la bile ou du phlegme, ou tous les deux. S’il n’existe aucun indice manifeste d’une affection de l’estomac, examinez s’il y a réplétion, obstruction ou inflammation de quelqu’une des parties de la tête. Vous le saurez tout d’abord, en demandant si la douleur s’étend dans toute la tête ou si elle se fait sentir plus fortement dans une de ses parties ; ensuite, demandez si l’on éprouve de la pesanteur, de la tension, de la mordication ou des battements. En effet, les douleurs avec pesanteur indiquent une réplétion, celles avec mordication indiquent une âcreté de vapeurs ou d’humeurs ; celles avec battement indiquent une inflammation ; celles avec tension, s’il n’y a pas pesanteur, battement, pneuma non cuit et flatulent, indiquent une réplétion ; s’il y a battement, elles dénotent l’inflammation d’un corps membraneux ; s’il y a pesanteur, une réplétion existant dans les membranes internes. Quand donc ces affections sont complétement déterminées, on examinera la cause qui a produit chacune d’elles. Chaque cause vous indiquera le traitement : par exemple, s’il y a replétion de vapeurs ou d’humeurs, examinez si les humeurs épanchées et comme fermentées se sont jetées sur la tête par suite d’une grande fièvre, ou par faiblesse de la partie, ou par réplétion de tout le corps. Ce dernier état, vous le guérirez aisément par des évacuations générales ; l’affection qui résulte de la faiblesse de la partie, vous en triompherez soit en révulsant les humeurs dans toutes les parties du corps, soit par des remèdes dirigés sur la partie malade. Or, vous révulserez les humeurs soit par des clystères âcres, soit par la ligature et par de nombreuses frictions sur les parties inférieures, et si cela est nécessaire, par une petite saignée. Vous guérirez, si, tandis que vous opérez une révulsion dans le corps entier, vous employez des affusions capables de débarrasser la tête, puis des évacuants, et plus tard des toniques. On la débarrasse avec l’huile d’olives non mûres, ou avec quelque autre huile douée de propriétés analogues, par exemple l’huile au vinaigre et aux roses, ou l’huile aux roses seules, et celles qu’on prépare avec les têtes de pavots, les jeunes pousses de l’olivier, les corymbes du lierre, la menthe verte et la menthe aquatique. Employez ces huiles tièdes dans une réplétion un peu crue et froide, froides dans une réplétion chaude et bilieuse. L’huile chaude évacue et résout par elle seule, et mieux encore si c’est de l’huile de Sicyone ou de l’huile bouillie avec de l’aneth. En employant de telles huiles, vous évacuerez abondamment des humeurs en excès qui ne sont ni très-épaisses ni visqueuses. Faites-y bouillir la berce, le serpolet, ou les sommités du pouliot, du calament, de la menthe verte et de la menthe aquatique, et vous évacuerez ainsi l’humeur plus épaisse. Ces huiles mêmes donnent encore du ton aux parties, et fortifient celles qui sont faibles. Employez-les donc incessamment jusqu’à parfaite guérison. S’il en est besoin, purgez par le nez et le palais, et provoquez l’éternuement. Si vous menez au bain le patient, frottez-lui la tête avec des bandes sèches, et faites-lui un liniment de sel, de soude brute et de moutarde, sans huile. Tels sont les remèdes de la céphalalgie par faiblesse de la partie. Si elle provient de la grandeur de la fièvre et exige des médicaments, les qualités et les propriétés froides, par exemple les embrocations avec de l’huile et de l’eau, de l’huile aux roses et au vinaigre, avec des têtes de pavots, ont un heureux résultat. Ne cherchez pas de remèdes contre la céphalalgie qui indique une hémorrhagie ou un vomissement critique, car il ne faut pas considérer une telle céphalalgie comme un symptôme, mais plutôt comme un signe favorable, aussi bien que les autres accidents qui précèdent les crises ; ils effrayent beaucoup de gens, mais ils annoncent une terminaison satisfaisante. Ce qu’il y a de mieux, c’est de pouvoir reconnaître que le corps est troublé par une nature qui le prédispose aux crises, et particulièrement à celles qui se manifestent par des vomissements et par une hémorrhagie dont la céphalalgie est un signe inséparable. Toutes ces observations ont été développées ailleurs. Nous en dirons maintenant ce qu’il est utile de savoir, et autant qu’on peut en parler brièvement, tout en restant fidèle au but que nous nous proposions dès le principe.
Il faut donc examiner d’abord la nature des fièvres, si elles sont chaudes et brulantes. Car de telles fièvres se jugent habituellement par des évacuations, de même que les fièvres plus molles et comme languissantes s’invétèrent et aboutissent souvent à des dépôts ; en second lieu, on examinera si la maladie est capable de guérison ; car quelle crise favorable espérerait-on dans une maladie pernicieuse ? En troisième lieu, on tiendra compte de la période actuelle de la maladie. Car s’il existe des signes de début ou d’accroissement, et point encore d’indices de summum, ni de coction dans les urines, les crachats ou les déjections, il n’est pas possible qu’une crise favorable ait lieu. Telles sont les choses d’après lesquelles on peut espérer que la maladie sera jugée par une excrétion. Voici maintenant les signes d’une crise actuelle et non d’une crise qui doit avoir lieu. De l’anxiété précède toute crise : pendant la nuit, si la maladie doit être jugée le jour ; pendant le jour, si elle doit être jugée la nuit. Si donc vous voyez quelque chose de semblable, il faut examiner à quel jour de la maladie est arrivé le patient, car il est des jours aptes à juger, même s’ils ne reçoivent qu’une légère impulsion de la nature. Mais la plupart des médecins, dans les mouvements violents qui s’opèrent, ne peuvent absolument pas comprendre si le trouble considérable dépend de la nature du jour. Ainsi, le septième jour, même si la nature est médiocrement disposée, provoque une crise par évacuation. Le sixième jour exige une grande disposition et souvent ne juge pas ; s’il juge, ce n’est ni sans danger, ni définitivement. De même, chacun des autres jours a sa nature propre, que nous distinguons dans l’ouvrage Sur les jours critiques. Supposez que le jour et la grandeur du trouble coïncident, il faut examiner ensuite de quelle espèce sera la crise. Nous n’avons pas besoin maintenant de parler des autres crises. Quant à celle qui doit se manifester par un vomissement ou une épistaxis, car, disions-nous, la céphalalgie est un des signes de ces crises, on la distingue surtout d’après les indices suivants : d’abord, si la céphalalgie n’a pas apparu dès le début comme symptôme de la maladie, mais dans le trouble qui a précédé la crise ; en second lieu, s’il se manifeste de la douleur au cou, du tiraillement à l’hypochondre, une gêne subite de la respiration, comme par l’effet d’un rétrécissement du thorax. Si le pouls, soudainement développé à la suite de tous ces accidents, ne redevient ni petit, ni faible, dès lors attendez la crise ; si, loin de retomber, il s’élève et reprend de la force, examinez en ce moment le visage du malade. Si l’on voit palpiter quelqu’une des parties de la face, ou battre les vaisseaux des tempes, ou rougir les joues, le nez ou les yeux, espérez davantage la crise ; si les patients pleurent malgré eux, ou croient voir des lueurs, ou portent leurs mains à leur nez pour se gratter, alors vous n’attendrez plus l’épistaxis, vous la verrez. En effet, quand les malades se sont grattés une fois ou deux fois, le sang jaillit à l’instant. Ne soyez pas effrayé si vous voyez le sujet délirer et bondir. Ce sont en effet des indices que les humeurs remontent ; il en est de même de la dyspnée, de la rétraction de l’hypochondre, de la pesanteur simultanée du cou et de la tête ; que le délire soit encore pour vous un signe ajouté à ceux-ci. Ce sont là des indices suffisants ; il s’y ajoute encore souvent l’âge et la nature du malade, qui confirment l’espoir, et en outre l’époque de l’année et la constitution actuelle de l’air. Car, si le malade est un jeune homme, ou si d’ailleurs il est chaud et sanguin, vous espérerez encore plus la crise. Si précédemment il a déjà eu des épistaxis, soit malade, soit en bonne santé, cette circonstance seule suffit pour donner l’espoir d’une hémorrhagie ; si la saison de l’année est l’été ; ou si l’on n’est pas en été, mais que la température soit chaude, ne tirerez-vous pas encore une indication de ces circonstances ? Si chez beaucoup de gens les maladies ont été, dans cette saison, jugées par une hémorrhagie, cela doit augmenter l’espérance, surtout si le sujet est pléthorique, et que ses excrétions habituelles soient supprimées. Il ne me paraît pas difficile, quand on a tant et de tels indices d’une hémorrhagie future, de pouvoir la pronostiquer. Ne pas la prévoir, au contraire, me semble le comble de l’absurdité et de l’ignorance. Mais l’incurie des médecins fait qu’ils admirent ce qui ne mérite pas l’admiration. Ainsi, il n’est pas difficile de pronostiquer, d’après les remarques précédentes, si le sang coulera par la narine gauche ou droite, tandis que la plupart des médecins regardent cela non-seulement comme difficile à pronostiquer, mais encore comme impossible. Ces excrétions et toutes les autres peuvent se prévoir par l’examen de ces deux points : d’où vient l’impulsion de la nature ? où va-t-elle ? En effet, cela connu, on peut aider aux évacuations qui font défaut, et arrêter celles qui deviennent excessives. Ainsi, de grandes ventouses appliquées sur l’hypochondre gauche révulsent aisément les hémorrhagies qui partent de la rate, et sur l’hypochondre droit elles révulsent également celles qui partent du foie. Le même raisonnement s’applique aux autres parties, car, en généralisant l’observation, vous pouvez, par une seule partie, calculer ce qui a lieu dans toutes les parties.
Je mettrai donc ici fin au présent livre ; j’exposerai plus loin les fièvres allumées par les phlegmasies et les autres affections qui ont leur siége dans chacune des parties du corps. Les anciens appelaient phlegmasies (φλεγμοναί ― inflammations) des espèces de phlogoses (φλογώσεις ; voy. Dissert. sur la pathologie) ; les modernes ne les comprennent pas toutes sous ce nom. En effet, ils ne comptent parmi les phlegmasies ni l’herpès, ni l’érysipèle, ni aucune autre affection semblable ; ils n’attribuent cette dénomination qu’à une seule des affections chaudes, celle qui est accompagnée d’une tumeur dure et d’une douleur avec battement du pouls ; et cependant nous voyons des fièvres et des douleurs suivre, non pas cette affection seule, mais généralement toutes les affections chaudes, et pour ainsi dire bouillonnantes. C’est de ces affections et des autres maladies analogues que nous traiterons dans le livre suivant.
- ↑ Pour ce traité, j’ai amélioré ou éclairci le texte par la collation d’un excellent manuscrit de notre Bibliothèque impériale, no446 supplém. (ce ms. s’arrête à la fin du chap. ix du livre II), par l’étude attentive du Commentaire d’Étienne (dans Scholia in Hippocr. et Galen., éd. de Dietz ; t. I, p. 223 et suiv. ; — malheureusement ce Commentaire ne comprend que le Ier livre) ; et surtout, pour quelques chapitres du IIe livre, par la comparaison du XLIVe livre d’Oribase, avec notre texte vulgaire de Galien.
- ↑ On croyait généralement, d’après ce passage de Galien, que Mnésithée avait simplement donné une classification des maladies, une nosologie ou nosographie ; mais, si l’on avait pris la peine de recourir au Commentaire d’Étienne, dont la traduction latine, par Gadaldinus, a été publiée au xvie siècle, on aurait vu qu’il s’agissait d’une classification des causes des maladies, d’une classification des matières qui rentrent aujourd’hui pour la plupart dans l’étude de la physiologie, enfin d’une classification des maladies suivant les genres et peut-être suivant les espèces. Je ferai connaitre tout le système de Mnésithée dans mes Études sur Galien. Voyez, du reste, Étienne dans l’édition de Dietz, p. 239 et suivantes.
- ↑ Cette phrase, comme le fait remarquer Étienne (p. 256, ici l’ordre naturel du texte de Galien a été troublé dans les manuscrits du Commentaire), est dirigée contre les méthodiques, suivant qui toute maladie était relâchement ou resserrement.
- ↑ Voy. Dissertation sur la pathologie.
- ↑ « Nous avons dit (c’est Étienne qui parle, p. 272 ; voy. aussi p. 275 et 334) dans notre Traité Sur le pouls (ce n’est pas ici le lieu d’examiner les questions d’histoire littéraire que soulève cette simple mention) que Galien appelle irrégularité fébrile, celle où les extrémités (le commencement et la fin) de la diastole sont plus rapides que le milieu. » — Tant de subtilité n’est pas donnée aux doigts des médecins modernes.
- ↑ C’est-à-dire qu’en additionnant la quantité du pouls de la fièvre, prise en elle-même, avec celle qui est une suite nécessaire du paroxysme considéré en lui-même, vous trouverez que la somme totale est moindre qu’elle ne devrait être naturellement en réunissant les deux éléments : fièvre et paroxysme. Ainsi, dans les fièvres quartes, au summum la lenteur ou la rapidité, comme on voudra, sont relatives et non absolues comme dans les tierces.
- ↑ Οἷον σμυχόμενος. C’est-à-dire, suivant Étienne (p. 284), une fièvre qui se concentre dans les profondeurs du corps, de sorte qu’elle ne peut pas éclater à la surface. Une telle fièvre tient à la surabondance du phlegme.
- ↑ « Qu’il devînt hydropique. » (Étienne, p. 287.)
- ↑ Ce passage, dit Étienne (p. 292), avait donné lieu à beaucoup de bavardages de la part des anciens commentateurs. — Le sens que j’ai adopté est le plus naturel ; c’est celui d’Étienne lui-même et de tous les traducteurs.
- ↑ Les bains de mer sont humides, il est vrai, mais seulement par leur qualité d’être liquides ; loin d’humecter, ils dessèchent. Les bains d’eau potable sont doués de l’humidité radicale, celle qui ne se révèle pas seulement aux sens, mais qui existe comme propriété essentielle. (Étienne, p. 296.)
- ↑ Ici Galien n’appelle pas συμπτώματα les phénomènes qui sont liés nécessairement à la maladie, mais les épiphénomènes, qui peuvent exister ou manquer (Étienne, p. 310). — Voy. aussi chap. xiii, à la fin. À vrai dire, c’est des complications que Galien veut surtout parler ; en d’autres termes il s’agit des fièvres dans lesquelles le symptôme fièvre n’est pas seul, ou du moins n’est pas seul pris en considération, car Galien entend les complications dans un sens plus étendu que les modernes.
- ↑ « On doit laisser une partie du sang, dit Étienne (p. 311), parce que les spasmes peuvent, à la suite d’une évacuation modérée (voy. les Schol. de Gadaldinus), dessécher ou dissiper ce qu’il fallait encore évacuer, eu égard à la plénitude, et surtout aussi parce qu’après une évacuation démesurée les forces seront vraisemblablement brisées par la combinaison du symptôme lui-même avec une évacuation trop abondante. » — « On doit en un mot laisser une certaine quantité de sang à dépenser, attendu que l’insomnie et les sueurs provoquées par le spasme dissipent ce sang. »
- ↑ Les lavements passaient pour contraires à l’orifice de l’estomac (Étienne, p. 230).